Sous le regard et la protection de sainte Anne

Sainte Anne a réus­si à se sanc­ti­fier mal­gré la tyran­nie poli­tique exer­cée par Hérode ; mal­gré l’occupation de sa terre par l’étranger ; mal­gré la tyran­nie plus sub­tile exer­cée par les pha­ri­siens, sous cou­vert d’obéissance à la Loi.

Quand sainte Anne appa­rait à Yves Nicolazic près d’Auray, le soir du 25 juillet 1624, c’est parce que « Dieu veut qu’elle soit hono­rée en ce lieu ». Dieu avait en vue de pro­té­ger les Bretons du pro­tes­tan­tisme, er- reur tou­jours pré­sente et atti­rant encore des âmes dans ses filets. De nos jours ce n’est plus seule­ment le culte des Saints qui est atta­qué comme au temps des appa­ri­tions de sainte Anne il y a cinq cents ans. C’est la Messe, la Messe de tou­jours, le cœur de l’Église, qui est deve­nue hors-​la-​loi, par ordre des plus hautes auto­ri­tés de l’Église. A l’époque des appa­ri­tions, Louis XIII, conseillé par le car­di­nal de Richelieu, gou­ver­nait la France et, au sein de son royaume, il fit beau­coup pour réduire l’erreur pro­tes­tante et faci­li­ter le rayon­ne­ment de l’Église catho­lique. De nos jours, la France catho­lique se meurt. Tout est fait pour réduire l’influence de l’Église catho­lique et pour mener les âmes à la plus per­fide des impiétés.

Vers qui nous tour­ner dans cette situa­tion dont on ne peut espé­rer une issue favo­rable à vue pure­ment humaine ? Le Ciel bien évi­dem­ment, et pour nous, fidèles de Bretagne, vers sainte Anne tout particulièrement.

Pour com­prendre com­ment sainte Anne peut nous aider dans la situa­tion actuelle, ne nous arrê­tons pas à l’époque des appa­ri­tions de la sainte Mère de Notre Dame à Yves Nicolazic, mais remon­tons plus loin, à l’époque où a vécu sainte Anne, en Palestine. Nous connais­sons peu de choses sur sa vie. Par contre nous connais­sons mieux l’époque où elle a vécu. Et on ne peut pas dire que ce fut une époque facile.

Au plan poli­tique, Hérode avait conquis la Pa- les­tine avec l’aide des armées romaines. Celles-​ci se livrèrent aux pillages et exac­tions de toutes sortes. En –37, Jérusalem, la capi­tale, est prise, pillée, sac­ca­gée ; les habi­tants mal­trai­tés. Il fau­dra beau­coup d’or à Hérode pour faire arrê­ter meurtres et pillages, car, mal­gré sa cruau­té, il n’a pas envie de régner sur un désert. Sainte Anne devait avoir entre 20 et 30 ans à cette époque. Une fois sûr de sa puis­sance, Hérode va certes déve­lop­per l’économie, construire un Temple magni­fique à Jérusalem, mais il va régner par la ter­reur. Toute oppo­si­tion – et il y aura de régu­lières émeutes pen­dant son règne – sera cruel­le­ment réduite dans le sang. De plus, Hérode est roi certes, mais le pays est sous domi­na­tion romaine, et Rome est jalouse de mon­trer que le peuple juif est sous son joug.

Cinq ans après la prise de Jérusalem, les cala­mi­tés natu­relles font leur appa­ri­tion : ain­si, des trem­ble­ments de terre feront plus de 30.000 morts en Judée et dans toute la Palestine. Au plan reli­gieux ce n’était guère mieux. Les grands prêtres furent pour la plu­part indignes de leurs charges, ven­dus à Hérode ou aux Romains. La pure­té de la doc­trine quant à elle fut atta­quée par les pha­ri­siens qui rédui­saient la vraie reli­gion à une série de pré­ceptes à exé­cu­ter le plus rigou­reu­se­ment pos­sible, rédui­sant la vraie reli­gion d’alors à un léga­lisme cor­rup­teur de la vraie dévo­tion. De plus, beau­coup de Juifs n’attendaient plus le Messie annon­cé par les Saintes Écritures : ils rêvaient d’un Messie glo­rieux, fédé­rant les forces juives pour chas­ser les Romains et réta­blir le Royaume ter­restre du Roi David.

Or sainte Anne a côtoyé tous ces évé­ne­ments. Elle a vécu en ces temps trou­blés, tout en conser­vant la Foi et la pure­té de la doc­trine de véri­té, et dans l’attente du Sauveur pro­mis. Elle n’est pas la seule heu­reu­se­ment : nous retrou­ve­rons cer­tains de ces Justes trente ou qua­rante ans plus tard, à la nais­sance de Notre-​Seigneur. Leurs noms sont cités dans les Évangiles : le vieillard Siméon, la pro­phé­tesse Anne, Zacharie, Élisabeth, et com­bien d’autres. Malgré les temps dif­fi­ciles qu’ils ont tra­ver­sés, tous ont réus­si, comme sainte Anne, à se sanc­ti­fier mal­gré la tyran­nie poli­tique exer­cée par Hérode ; mal­gré l’occupation de leur terre par l’étranger ; mal­gré la tyran­nie plus sub­tile exer­cée par les pha­ri­siens, sous cou­vert d’obéissance à la Loi.

Notre pre­mier devoir reste le même que le leur : gar­der la Foi intacte. Comme le rap­pe­lait M. l’abbé Pagliarani, Supérieur Général de la FSSPX, « si le Bon Dieu per­met tout cela, il le fait cer­tai­ne­ment pour un bien plus grand. Tout d’abord pour nous-​mêmes ; qui avons la chance immé­ri­tée de connaître la messe tri­den­tine et d’en béné­fi­cier ; nous pos­sé­dons un tré­sor dont nous ne mesu­rons pas tou­jours toute la valeur, et que nous gar­dons peut-​être trop par habi­tude. Quand quelque chose de pré­cieux est atta­qué ou mépri­sé, on en mesure mieux toute la valeur.[…] Celui qui n’est pas prêt à ver­ser son sang pour cette messe n’est pas digne de la célé­brer. Celui qui n’est pas prêt à renon­cer à tout pour la gar­der n’est pas digne d’y assister. »

Il nous faut aus­si gar­der l’Espérance, liée à ce dogme de notre Foi que Dieu gou­verne toute chose, que rien n’é­chappe à sa toute puis­sance et à sa Providence.

Comment expli­quer alors ce qui arrive ? Saint Thomas d’Aquin dans son trai­té sur les tyrans et la tyran­nie rap­pelle un prin­cipe impor­tant en citant le Livre de Job : « Dieu fait régner l’homme hypo­crite à cause des péchés du peuple ». La conclu­sion de saint Thomas à ce prin­cipe révé­lé par Dieu, c’est que, pour que cesse la plaie de la tyran­nie, il faut ôter le péché du peuple. En par­ti­cu­lier, dit saint Thomas d’Aquin, « quand il s’agit de mau­vais pas­teurs, pour que le peuple en soit déli­vré, pour qu’il mérite sûre­ment ce bien­fait de Dieu, il doit se libé­rer du péché car c’est pour la puni­tion des péchés que les impies, par per­mis­sion divine, reçoivent le pou­voir de gouverner. »

C’est d’abord en cela que consiste notre devoir d’agir contre la tyran­nie, qu’elle soit poli­tique ou reli­gieuse. Nous sanc­ti­fier ; dire non à l’esprit du monde moderne ; ne pas nous lais­ser ten­ter par les sirènes de la faci­li­té, ou le goût des nou­veau­tés en matière doctrinale.

Ensuite, il s’agit de prier Dieu pour être déli­vrés de ces tyrans et de leur tyran­nie : « Si l’on ne peut pas trou­ver de secours humain contre le tyran, dit saint Thomas d’Aquin, il faut recou­rir au Roi de tous, à Dieu, car il a la puis­sance, soit de conver­tir en man­sué­tude le cœur du tyran, soit, s’il le juge indigne de conver­sion, de le sup­pri­mer ou de le réduire à l‘inaction. »

Il peut être néces­saire aus­si d’agir de façon plus « poli­tique », plus exté­rieure dirons-​nous. Mais dans cet agir-​là, la Prudence sur­na­tu­relle doit être notre guide. Et cette pru­dence nous oblige à agir selon nos moyens, là où le Bon Dieu nous a pla­cés. Rappelons-​nous la para­bole des deux rois (Luc XIV) : « quel est le roi qui, par­tant pour faire la guerre à un autre roi ne s’assied pre­miè­re­ment et ne déli­bère s’il peut, avec 10.000 hommes résis­ter à celui qui en a 20.000. Autrement, pen­dant qu’il est encore loin, il lui envoie une ambas­sade et s’informe des condi­tions de paix. » Il ne s’agit pas de faire la paix avec l’erreur ou avec l’ennemi du genre humain, le démon. Mais dans le com­bat à mener, il s’agit de ne pas pré­su­mer de ses forces. Cette para­bole appli­quée à la situa­tion actuelle est plu­tôt un appel à une cer­taine résis­tance « pas­sive » face à des tyrans bien plus puis­sants que nous, au moins humai­ne­ment parlant. 

Nous sommes confron­tés à une tyran­nie de type com­mu­niste, que ce soit dans l’Église ou dans la socié­té civile ; une tyran­nie qui a, à sa dis­po­si­tion, tous les rouages fort effi­caces de gou­ver­ne­ment pour assoir cette tyran­nie. Notre-​Dame avait pré­dit à Fatima que « la Russie répan­dra ses erreurs ». La Russie com­mu­niste l’a fait, en répan­dant un mode de pen­ser et un mode de gou­ver­ne­ment. Et notre monde actuel meurt de ce poi­son plus sûre­ment que du covid-19.

Ces der­nières consi­dé­ra­tions ne nous éloignent pas de notre sujet. En effet sainte Anne, comme beau­coup de saints ayant vécu à des époques dif­fi­ciles, n’a vou­lu qu’une chose : faire la volon­té de Dieu. Et elle s’y est main­te­nue de façon héroïque : « Potius mori quam foe­da­ri : plu­tôt mou­rir que faillir. » Mettons-​nous à son école et sous sa pro­tec­tion : « O, Mère de notre Patrie, Anne toute puis­sante, soyez le salut des bre­tons. Gardez leur foi, aidez-​les à vivre sain­te­ment, donnez-​leur la vraie paix » (Ant. des Vêpres de la sainte Anne). Par la voix de notre supé­rieur de dis­trict, elle nous presse de faire des efforts, nous invi­tant au jeûne et au cha­pe­let en famille : soyons généreux.

Abbé Thierry Legrand

Source : La Trompette de Saint-​Vincent n°25