« Crise intégriste » : Benoît XVI s’explique dans une lettre – La Croix 13/​03/​09


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« Crise intégriste » : Benoît XVI s’explique dans une lettre

Dans une lettre très per­son­nelle, Benoît XVI recon­naît l’am­pleur de la crise, assume les erreurs et redonne la véri­table por­tée de la levée de l’ex­com­mu­ni­ca­tion des quatre évêques intégristes

Le mode d’expression est inha­bi­tuel pour un pape. Sur la forme : une lettre envoyée aux évêques pour s’expliquer sur une déci­sion, et écrite avec une plume très per­son­nelle qui, notait jeu­di 12 mars le P. Federico Lombardi, direc­teur de la Salle de presse du Saint-​Siège, « révèle de manière toute par­ti­cu­lière la per­son­na­li­té de ce pape » : il est rare que le suc­ces­seur de Pierre fasse part ain­si de sa propre souffrance.

Inhabituel sur le fond : Benoît XVI recon­naît l’ampleur de la crise pro­vo­quée dans l’Église par la révo­ca­tion de l’excommunication. Il assume les erreurs, notam­ment de com­mu­ni­ca­tion, avec humilité. 

Écrite dans l’objectif de « rame­ner la paix dans l’Église », la lettre explique la por­tée de la levée de l’excommunication. Puis le pape replace ce geste dans la logique de son pon­ti­fi­cat. Il demande aux catho­liques une plus grande soli­da­ri­té à son égard, leur repro­chant en des termes assez durs les « dis­cor­dances » expri­mées : « Si vous vous mor­dez et dévo­rez les uns les autres, pre­nez garde : vous allez vous détruire les uns les autres », dit-​il, citant saint Paul

Deux erreurs

Benoît XVI ne nie pas la pro­fon­deur de la crise interne à l’Église, qui « a lais­sé per­plexes » de nom­breux évêques. Il désigne les deux erreurs com­mises. D’abord le cas Williamson, sur lequel il ne revient que briè­ve­ment, esti­mant que les ren­contres qu’il a eues depuis avec les repré­sen­tants juifs – jeu­di encore, il rece­vait le grand rab­bi­nat d’Israël – ont levé les malentendus. 

De fait, le pape ne peut être soup­çon­né de reve­nir sur le rap­pro­che­ment avec le judaïsme : cette exi­gence exis­ta, dit-​il « dès le début de mon tra­vail théo­lo­gique per­son­nel », comme le prouvent le dis­cours comme car­di­nal à l’Académie des sciences morales et poli­tiques en 1995, ou le docu­ment de la Commission biblique pon­ti­fi­cale sur Le Peuple juif et ses Saintes Écritures. Seconde erreur, la mau­vaise com­mu­ni­ca­tion. Au pas­sage, le pape demande à ses col­la­bo­ra­teurs une plus grande atten­tion à Internet (sur lequel les pro­pos de Mgr Williamson avaient été diffusés).

Comment com­prendre la por­tée de la levée de l’excommunication ? Benoît XVI insiste sur le fait qu’elle concerne des per­sonnes – les quatre évêques, non la Fraternité – et qu’elle lève une sanc­tion dis­ci­pli­naire. Mais du point de vue doc­tri­nal, le pro­blème reste entier. Tant que la dis­cus­sion n’aura pas eu lieu, « la Fraternité n’a aucun sta­tut cano­nique dans l’Église » et, pré­ci­sion impor­tante, « ses ministres n’exercent de façon légi­time aucun minis­tère dans l’Église ».

La Fraternité devra accepter Vatican II

Qui dit dis­cus­sion doc­tri­nale implique qu’elle soit menée à ce niveau-​là. Logiquement, le pape annonce l’intégration de la com­mis­sion « Ecclesia Dei » dans la Congrégation pour la doc­trine de la foi. Cela devrait per­mettre, ajoute le pape dans une cri­tique impli­cite au mode de fonc­tion­ne­ment d’« Ecclesia Dei », d’améliorer la col­lé­gia­li­té des prises de déci­sions, en inté­grant dans le pro­ces­sus de déli­bé­ra­tion des car­di­naux chefs de dicas­tères, ain­si que des repré­sen­tants des confé­rences épiscopales.

Sur les négo­cia­tions elles-​mêmes, le pape fixe les deux extrêmes à évi­ter : il ne s’agit pas de « geler l’autorité magis­té­rielle de l’Église à l’année 1962 » (année du concile), donc la Fraternité devra accep­ter Vatican II, mais aus­si le Magistère de tous les papes qui ont sui­vi, comme le pré­ci­sait une note de la Secrétairerie d’État le 4 février. Inversement, il ne faut pas non plus consi­dé­rer que toute l’histoire de l’Église a com­men­cé avec Vatican II. C’est la fameuse « her­mé­neu­tique de la réforme » à l’égard d’un concile s’inscrivant dans la conti­nui­té de l’Église, défi­nie devant la Curie en décembre 2005.

Une fois ces pré­ci­sions don­nées, Benoît XVI replace cette déci­sion et la crise dans le cadre de son pon­ti­fi­cat. C’est un pas­sage inté­res­sant pour com­prendre le mode choi­si par ce pape théo­lo­gien pour gou­ver­ner l’Église. La récon­ci­lia­tion avec les inté­gristes n’est pas sa prio­ri­té comme telle, dit-​il. Comme il l’a sou­li­gné dès le début, l’axe de son pon­ti­fi­cat est d’affermir ses frères dans la foi. Mais cela passe par un effort constant au ser­vice de l’unité. L’unité avec les autres chré­tiens, mais aus­si avec les autres croyants : deux points – œcu­mé­nisme et dia­logue inter­re­li­gieux – au nombre des élé­ments aux­quels les inté­gristes s’opposent le plus fortement.

Le pape ne se fait guère d’illusion sur les intégristes

C’est donc comme geste de « petite récon­ci­lia­tion » qu’il faut com­prendre la main ten­due aux inté­gristes. Benoît XVI l’avait expli­ci­té dans sa lettre aux évêques accom­pa­gnant le motu pro­prio qui libé­ra­li­sait l’usage de l’ancien Missel. Le pape ne se fait guère d’illusion sur les inté­gristes. Les termes qu’il uti­lise pour les carac­té­ri­ser (« élé­ments défor­més et malades, suf­fi­sance et pré­somp­tion, uni­la­té­ra­lisme ») ne sont pas tendres. 

Mais, interroge-​t-​il dans une ana­lyse qua­si poli­tique, ne faut-​il « pas mieux ten­ter de pré­ve­nir les radi­ca­li­sa­tions, et de réin­té­grer – autant que pos­sible – leurs éven­tuels adhé­rents dans les grandes forces qui façonnent la vie sociale ? ». D’autre part, il y a un prin­cipe de réa­li­té : un « mou­ve­ment de 491 prêtres, 215 sémi­na­ristes, 6 sémi­naires, 88 écoles, 2 ins­ti­tuts uni­ver­si­taires, 117 frères, 164 sœurs » ne peut lais­ser indifférent.

Il y va enfin d’une atti­tude spi­ri­tuelle. Benoît XVI dit avoir souf­fert du manque de tolé­rance avec laquelle il a été trai­té, subis­sant « une haine sans crainte ni réserve ». Manifestement, cer­tains reproches, notam­ment venus d’Allemagne, l’ont bles­sé. Et le pape de repro­cher aux catho­liques cri­tiques de « se mordre et se dévo­rer entre eux ». 

L’affaire des inté­gristes a révé­lé, au sein des pays occi­den­taux, la force de l’opinion publique à l’intérieur de l’Église. Comme le note le cano­niste Adolphe Borras, vicaire géné­ral de Liège, « il y a eu beau­coup de prises de posi­tion, cer­taines exces­sives, mais nous devons nous for­mer à une culture du débat : nous sommes en train de faire l’apprentissage de Vatican II ». 

Isabelle de GAULMYN, à Rome in La Croix