Le renversement conciliaire dans le Droit canonique


Le nou­veau Code de 1983 est le fruit de deux sources : une évo­lu­tion légi­time de la dis­ci­pline et les prin­cipes nova­teurs qui déjà se fai­saient res­sen­tir avant le concile Vatican II. 

Évolution de la discipline

M. l’abbé Coache, doc­teur en Droit cano­nique, a publié en 1986 le fruit de ses études sur le Droit canon en deux par­ties : Initiation au Droit cano­nique, déjà publié entre 1958 et 1960, et Commentaires sur le Nouveau Code (de 1983). Voici les motifs pour les­quels il jugeait néces­saire une révi­sion du Code de 1917.

« Car il fal­lait une mise à jour du Droit canon ; c’est bien évident, l’Église est vivante et la dis­ci­pline doit se modi­fier en fonc­tion des temps, des lieux et de l’évolution de l’humanité. (…) Le Père Jésuite Regatillo avait publié en 1953 un gros ouvrage de 720 pages pour inter­pré­ter (après réponses offi­cielles de Rome), com­plé­ter ou cor­ri­ger un grand nombre de canons depuis la paru­tion du Code. Annotant moi-​même cet ouvrage, de 1953 à 1965, je l’ai com­plé­té sur un grand nombre de pages en rai­son des lois nou­velles, décrets divers et pré­ci­sions des Congrégations romaines parus pen­dant ces douze ans. Pie XII, à lui seul, a lar­ge­ment fait avan­cer le droit par ses dis­cours et ses décrets, en matière litur­gique par exemple. Il conve­nait donc qu’un jour ou l’autre le Code soit mis à jour.

« En outre, le Code de droit cano­nique, mal­gré l’excellence du tra­vail accom­pli sous saint Pie X et Benoît XV et en dépit de ses remar­quables qua­li­tés, n’est pas par­fait. Il contient des obs­cu­ri­tés, quelques contra­dic­tions de détail, et sur­tout une bien trop grande com­plexi­té au regard sur­tout des empê­che­ments cano­niques du mariage et des peines ecclé­sias­tiques ; une sim­pli­fi­ca­tion était donc sou­hai­table » (Abbé Coache, Le Droit canon est-​il aimable ? pp. 218–219).

Les principes novateurs

La rai­son prin­ci­pale de la refonte du Code, est à cher­cher dans le concile Vatican II. Nous lisons en effet dans la Constitution Apostolique pro­mul­guant le Codex Iuris Canonici de 1983 :

« – Ce qui consti­tue la nou­veau­té essen­tielle du concile Vatican II dans la conti­nui­té avec la tra­di­tion légis­la­tive de l’Église, sur­tout en ce qui concerne l’ecclésiologie, consti­tue éga­le­ment la nou­veau­té du nou­veau Code (§ 21). »

« – Parmi les élé­ments qui carac­té­risent l’image réelle et authen­tique de l’Église, il nous faut mettre en relief sur­tout les suivants :

« – la doc­trine selon laquelle l’Église se pré­sente comme le peuple de Dieu (cf. Const. Lumen gen­tium, 2) et l’autorité hié­rar­chique comme ser­vice (cf ibid 3) ;

« – la doc­trine qui montre l’Église comme une com­mu­nion et qui, par consé­quent, indique quelles sortes de rela­tions réci­proques doivent exis­ter entre l’Église par­ti­cu­lière et l’Église uni­ver­selle et entre la col­lé­gia­li­té et la primauté ;

« – la doc­trine selon laquelle tous les membres du peuple de Dieu, cha­cun selon sa moda­li­té, par­ti­cipent à la triple fonc­tion du Christ : les fonc­tions sacer­do­tale, pro­phé­tique et royale. A cette doc­trine se rat­tache celle concer­nant les devoirs et les droits des fidèles et en par­ti­cu­lier des laïcs ;

« – et enfin l’engagement de l’Église dans l’œcuménisme (§ 22). »

« – Il reste à sou­hai­ter que la nou­velle légis­la­tion cano­nique devienne un moyen effi­cace pour que l’Église puisse pro­gres­ser dans l’esprit de Vatican II (§ 27). »

Œcuménisme

Hors de l’Église, des moyens de salut

Selon les prin­cipes de Vatican II, il existe, en dehors de l’Église catho­lique des struc­tures et des moyens sal­vi­fiques (voir article précédent).

« Cette Église, consti­tuée et orga­ni­sée en ce monde comme une socié­té, sub­siste dans l’Église catho­lique gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et les Évêques en com­mu­nion avec lui » (Code de 1983, can. 204 § 2).

Or « cette Église » est, d’après le pre­mier para­graphe de ce canon 204, le peuple de Dieu : « Les fidèles du Christ (…) sont consti­tués en peuple de Dieu ». Les fidèles du Christ et donc l’Église du Christ sub­sis­te­raient dans l’Église catho­lique et ne lui seraient pas iden­tiques ! C’est l’une des erreurs majeures du Concile.

Par suite les pro­tes­tants et les ortho­doxes, comme il est dit en divers lieux du Code (par ex. can. 844 et 1124 cités plus bas) n’auraient d’autre reproche à se faire que de n’être pas « en pleine com­mu­nion » avec l’Église catho­lique. S’ils ne sont pas dans l’Église catho­lique, ils ne seraient pas en dehors de l’Église du Christ. La rai­son en serait que « des élé­ments nom­breux de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té sub­sistent hors de ses struc­tures, élé­ments qui, appar­te­nant pro­pre­ment par don de Dieu à l’Église du Christ, appellent par eux-​mêmes l’u­ni­té catho­lique » (Vatican II, Lumen Gentium 8).

Que reste-​t-​il du dogme de foi : « Hors de l’Église catho­lique pas de salut » ? Quel che­min peuvent prendre ceux qui se sou­mettent à cette loi nouvelle ?

Autour des sacrements

L’Église, fidèle à la tra­di­tion, a tou­jours refu­sé de don­ner les sacre­ments à ceux qui ne sont pas catho­liques. Ils doivent aupa­ra­vant reje­ter leurs erreurs : « Il est inter­dit d’ad­mi­nis­trer les sacre­ments de l’Église aux héré­tiques et aux schis­ma­tiques, même s’ils sont de bonne foi et les demandent, avant que, ayant reje­té leurs erreurs, ils soient récon­ci­liés avec l’Église » (Code de 1917, can. 731).

Tout autre est l’esprit du nou­veau Code : aucun rejet préa­lable du schisme ou de l’hérésie n’est deman­dé. Il suf­fit de tenir pour vraie la doc­trine de l’Église catho­lique concer­nant tels sacre­ments et y être bien dis­po­sé. Mais com­ment tenir pour vraie la doc­trine de l’Église si on n’a pas la foi catho­lique ? Comment être sur­na­tu­rel­le­ment bien dis­po­sé – ce qui est néces­saire au salut – sans la foi fon­de­ment de toute vie sur­na­tu­relle ? Par ailleurs avoir la « foi » uni­que­ment sur ces sacre­ments sans croire toutes les véri­tés qu’enseigne l’Église comme révé­lées de Dieu, c’est mettre en doute et reje­ter l’autorité de Dieu qui révèle ces véri­tés ; c’est demeu­rer dans la voie de la per­di­tion. En outre, per­mettre la récep­tion des sacre­ments dans ces condi­tions ouvre la porte à tous les sacri­lèges. Lisons : « En cas de dan­ger de mort ou si, au juge­ment de l’Évêque dio­cé­sain ou de la confé­rence des Évêques, une autre grave néces­si­té se fait pres­sante (porte ouverte à toutes les fan­tai­sies), les ministres catho­liques peuvent admi­nis­trer lici­te­ment ces mêmes sacre­ments (péni­tence, Eucharistie et onc­tion des malades), aus­si aux autres chré­tiens (c’est-​à-​dire ortho­doxes et pro­tes­tants) qui n’ont pas la pleine com­mu­nion avec l’Église catho­lique, lors­qu’ils ne peuvent pas avoir recours à un ministre de leur com­mu­nau­té et qu’ils le demandent de leur plein gré, pour­vu qu’ils mani­festent la foi catho­lique sur ces sacre­ments et qu’ils soient dûment dis­po­sés » (Code de 1983, can. 844 § 4).

Il faut noter la même brèche à la foi dans l’autre sens : les catho­liques ont toute faci­li­té pour rece­voir les sacre­ments de ministres non catholiques.

C’est l’œcuménisme du concile Vatican II appli­qué dans le concret de la vie quo­ti­dienne. Toutes ces lois offi­cielles condui­ront peu à peu à la perte de la foi. Quelle res­pon­sa­bi­li­té devant Dieu pour ceux qui les ont pro­mul­guées et pour ceux qui les appliquent !

Dans le mariage

L’Église est atten­tive au bien de la foi qui est pre­mier ; il passe avant le bien du mariage et le fonde : « L’Église, est-​il dit dans le Code de 1917, inter­dit par­tout très sévè­re­ment qu’un mariage soit conclu entre deux per­sonnes bap­ti­sées dont l’une est catho­lique, l’autre ins­crite à une secte héré­tique ou schis­ma­tique » (mariage mixte). Et rele­vant l’importance de la foi pour le salut, ce canon pour­suit : « S’il y a dan­ger de per­ver­sion du conjoint catho­lique et des enfants, une telle union est éga­le­ment pro­hi­bée par la loi divine elle-​même » (can. 1060). Dieu même inter­dit ces mariages dès qu’il y a dan­ger pour la foi !

Le Code nou­veau ne connaît plus cette inter­dic­tion divine : le mariage mixte est seule­ment « inter­dit sans la per­mis­sion expresse de l’au­to­ri­té com­pé­tente ». La rai­son en est que la par­tie non catho­lique n’est plus un dan­ger pour la par­tie catho­lique, puisqu’il lui manque seule­ment « la pleine com­mu­nion avec l’Église catho­lique » (can. 1124).

L’Église, cepen­dant, peut don­ner une dis­pense à ce genre d’union. Le Code de 1917 y pose des condi­tions pré­cises et exi­geantes : il faut des rai­sons « urgentes », « justes et graves » ; le conjoint aca­tho­lique doit don­ner « la garan­tie d’é­car­ter le dan­ger de per­ver­sion du conjoint catho­lique » et les deux conjoints doivent don­ner « celle de bap­ti­ser tous leurs enfants et de leur assu­rer la seule édu­ca­tion catho­lique » ; il faut en outre « la cer­ti­tude morale que ces garan­ties seront exé­cu­tées » ; celles-​ci doivent être écrites (can. 1061).

Le nou­veau Code n’exige les pro­messes que de la par­tie catho­lique et encore fai­ble­ment : « La par­tie catho­lique décla­re­ra qu’elle est prête à écar­ter les dan­gers d’a­ban­don de la foi et pro­met­tra sin­cè­re­ment de faire son pos­sible (pas plus !) pour que tous les enfants soient bap­ti­sés et édu­qués dans l’Église catho­lique ». L’autre par­tie sera seule­ment « infor­mée à temps de ces pro­messes que doit faire la par­tie catho­lique, de telle sorte qu’il soit éta­bli qu’elle connaît vrai­ment la pro­messe et l’o­bli­ga­tion de la par­tie catho­lique » ; rien n’est exi­gée d’elle ; tenue à rien, qu’imposera-t-elle ?… (can. 1125).

Cela vaut pour les mariages avec dis­pa­ri­té de culte (avec un musul­man par exemple) (can. 1129) !

Quand on mesure l’importance de la foi pure de tout alliage pour l’éducation des bap­ti­sés au sein des familles, on découvre com­bien ce nou­veau Code s’oppose à la foi catho­lique et à l’honneur dû à Dieu. Il pré­ci­pite les âmes dans le che­min de la perdition…

Démocratie

À Vatican II, les nova­teurs ont défi­ni l’Église comme « peuple de Dieu ». Cette idée les obsède si l’on en juge par l’insistance à consi­dé­rer chaque par­tie de l’Église comme peuple de Dieu : le dio­cèse, la pré­la­ture (ou l’abbaye) ter­ri­to­riale, le vica­riat (ou la pré­la­ture) apos­to­lique et l’administration apos­to­lique sont cha­cun « une por­tion déter­mi­née du peuple de Dieu » (Code de 1983, can. 369 à 371).

L’esprit éga­li­taire et démo­cra­tique tend à dimi­nuer la dif­fé­rence entre clercs et laïcs, entre pape et évêques, entre évêques et prêtres, entre homme et femme. Ce qui suit le fera voir.

L’Église est « peuple de Dieu »

Ce ne sont pas seule­ment des mots.

- Des pou­voirs sont don­nés au peuple. Puisque l’Église est peuple de Dieu, chaque membre par­ti­cipe au triple pou­voir don­né par Jésus Christ aux apôtres (ensei­gner, bap­ti­ser, com­man­der) : « Les fidèles du Christ sont ceux qui, en tant qu’in­cor­po­rés au Christ par le bap­tême, sont consti­tués en peuple de Dieu et qui, pour cette rai­son, faits par­ti­ci­pants à leur manière à la fonc­tion sacer­do­tale, pro­phé­tique et royale du Christ, sont appe­lés à exer­cer, cha­cun selon sa condi­tion propre, la mis­sion que Dieu a confiée à l’Église pour qu’elle l’ac­com­plisse dans le monde » (204 § 1).

En contra­dic­tion avec toute la tra­di­tion, pou­voirs et mis­sion sont donc don­nés d’abord au peuple et non en pre­mier (et exclu­si­ve­ment) à la hié­rar­chie. Il n’est pas vrai que les fidèles ont la charge d’exercer « la mis­sion que Dieu a confiée à l’Église » ni qu’ils ont reçu les pou­voirs à cette fin. Jésus Christ n’a pas dit à tous mais aux seuls Apôtres : « Tout pou­voir m’a été don­né sur la terre. Allez, ensei­gnez toutes les nations, baptisez-​les …, et apprenez-​leur à obser­ver tout ce que je vous ai com­man­dé » (Mt 28, 19).

Par consé­quent, la hié­rar­chie, mise en second rang, est dimi­nuée, obli­té­rée. On le montre encore comme il suit.

- La hié­rar­chie est issue du peuple. En effet, après les normes géné­rales, le Code com­mence un second livre inti­tu­lé : « Le peuple de Dieu ». Celui-​ci traite d’abord des fidèles du Christ, de leurs droits et obli­ga­tions. C’est seule­ment en troi­sième par­tie qu’il traite des clercs ou ministres sacrés. Le Code de 1917 ordonne les choses à l’endroit : dans le livre « Des per­sonnes », après les règles géné­rales les concer­nant, le Code traite d’abord des clercs, puis des reli­gieux et en der­nier des laïcs. Le nou­veau Code ren­verse la pyramide.

- De plus les clercs sont pris « par­mi les fidèles », sans doute en rai­son d’une « ins­ti­tu­tion divine », mais il reste qu’on pose d’abord l’égalité entre les deux : « Par ins­ti­tu­tion divine, il y a dans l’Église, par­mi les fidèles, les ministres sacrés qui en droit sont appe­lés clercs, et les autres qui sont appe­lés laïcs » (can. 207).

En somme, les fidèles sont consti­tués en peuple de Dieu, muni de pou­voir et char­gé de mis­sion (can. 204) ; les clercs sont pris par­mi les fidèles (can. 207) ; enfin en rai­son du bap­tême, il existe entre tous les fidèles « quant à la digni­té et à l’ac­ti­vi­té, une véri­table éga­li­té en ver­tu de laquelle tous coopèrent à l’é­di­fi­ca­tion du Corps du Christ, selon la condi­tion et la fonc­tion propres de cha­cun » (can. 208).

Il est évident que toute la loi va se res­sen­tir de cet éga­li­ta­risme. Cet esprit faux infecte tout le Code et le vicie à la racine.

C’est pour­quoi, R. Paralieu peut tran­quille­ment écrire : « en trai­tant, sous un même titre, des chré­tiens en géné­ral, les fidèles puis les clercs, il y a déjà dans le nou­veau droit cano­nique un ren­ver­se­ment des pers­pec­tives ecclé­sio­lo­giques » (Guide pra­tique du Code de droit cano­nique, Tardy, 1985, p. 93).

Et chose grave pour la vie de l’Église, cet éga­li­ta­risme pose un obs­tacle au pas­sage de la grâce. En effet, de par l’institution divine, la grâce passe par la hié­rar­chie et des­cend jusqu’aux fidèles. Si l’on ren­verse la pyra­mide, par où la grâce pourrait-​elle pas­ser ? (Conférence de Mgr Lefebvre à Écône en 1986) Se sou­mettre à ce Code ne serait-​il pas suicidaire ?

Droits des fidèles et digni­té de l’homme

- Les droits des fidèles sont fort nom­breux comme il se doit dans une socié­té démo­cra­tique : droit à l’activité mis­sion­naire propre (can. 211 et 216) ; de don­ner leur opi­nion sur le bien de l’Église (can. 212) ; aux biens spi­ri­tuels (can. 213) ; de rendre le culte selon leur rite et de suivre leur forme propre de vie spi­ri­tuelle (can. 214) ; à l’éducation chré­tienne (can. 217) ; de reven­di­quer leurs droits devant l’autorité ecclé­sias­tique (can. 221) ; etc.

- Les laïcs ont des fonc­tions fort éten­dues. Les laïcs sont invi­tés à acqué­rir et ensei­gner les sciences sacrées (can. 229). Ils sont admis aux minis­tères de lec­teur et d’acolyte, peuvent « pré­si­der aux prières litur­giques », bap­ti­ser (can. 230) et assis­ter aux mariages (can. 1112). Ils (femmes non exclues) peuvent don­ner la com­mu­nion ou la por­ter aux malades (can. 230, 910 et 911). Un laïc peut expo­ser le Saint Sacrement (can. 943) et même faire par­tie des tri­bu­naux ecclé­sias­tiques (can. 1421) (même une femme, puisque le Code ne l’exclut pas) ! Les laïcs peuvent prê­cher (can. 230 et 766). Ceci est à l’opposé de l’ancien Code qui l’interdisait (can. 1342).

- Les droits de la per­sonne humaine font par­tie de la doc­trine à ensei­gner. L’Église doit ensei­gner les prin­cipes de la morale et « por­ter un juge­ment sur toute réa­li­té humaine, dans la mesure où l’exigent les droits fon­da­men­taux de la per­sonne humaine ou le salut des âmes » (can. 747). Et les droits de Dieu ? Les pré­di­ca­teurs de la parole divine « com­mu­ni­que­ront aus­si aux fidèles la doc­trine qu’en­seigne le magis­tère de l’Église sur la digni­té et la liber­té de la per­sonne humaine » (can. 768).

Collégialité

Le Code reprend l’erreur du Concile sur la double tête (pape et col­lège) comme sujet du pou­voir suprême : « Le Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême et dont les Évêques sont les membres en ver­tu de la consé­cra­tion sacra­men­telle et par la com­mu­nion hié­rar­chique entre le chef et les membres du Collège, et dans lequel se per­pé­tue le corps apos­to­lique, est lui aus­si en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pou­voir suprême et plé­nier sur l’Église tout entière » (can. 336).

Démocratie dans la messe

Sans reprendre la défi­ni­tion si contes­tée de la nou­velle messe, le nou­veau Code va dans le même esprit démo­cra­tique : « Dans la Synaxe eucha­ris­tique, le peuple de Dieu est convo­qué en assem­blée sous la pré­si­dence de l’Évêque ou du prêtre sous l’au­to­ri­té de l’Évêque, agis­sant en la per­sonne du Christ, et tous les fidèles qui y assistent, clercs ou laïcs, y concourent en pre­nant une part active, cha­cun selon son mode propre… » (can. 899 § 2).

Démocratie dans le mariage

Le nou­veau Code défi­nit le mariage comme « une com­mu­nau­té de toute la vie » ordon­née prin­ci­pa­le­ment « au bien des conjoints » et seule­ment « ain­si qu’à la géné­ra­tion et à l’é­du­ca­tion des enfants » (can. 1055). Le Code de 1917, pré­cis, dit : « La fin pre­mière du mariage est la pro­créa­tion et l’é­du­ca­tion des enfants ; la fin secon­daire est l’aide mutuelle et le remède à la concu­pis­cence » (can. 1013).

En insis­tant davan­tage sur le bien des conjoints que sur la géné­ra­tion, il n’est pas dif­fi­cile à ce Code d’affirmer que l’égalité des conjoints s’étend à toute la com­mu­nau­té de vie conju­gale : « Chaque conjoint pos­sède devoir et droit égaux en ce qui concerne la com­mu­nau­té de vie conju­gale » (can. 1135). Ceci n’est pas du tout conforme à la tra­di­tion expri­mée par le Code de 1917. Ce der­nier ne recon­naît l’égalité qu’en ce qui concerne les actes conju­gaux : « Un droit et un devoir égal appar­tiennent dès le début du mariage à cha­cun des conjoints en ce qui concerne les actes propres à la vie conju­gale » (can. 1111). Pour le reste la femme est sou­mise à son mari : « À moins qu’il n’en soit sta­tué autre­ment par un droit spé­cial, la femme devient par­ti­ci­pante de l’é­tat du mari, pour tous les effets cano­niques » (can. 1112).

Quant aux peines

À ce sujet, l’abbé Coache met en évi­dence le chan­ge­ment d’esprit du nou­veau Code : le pas­sage du pri­mat de l’objet au pri­mat du sujet.
« Si le Droit pré­cé­dent se trouve beau­coup moins large que le nou­veau, il faut dire, rap­pe­ler et sou­li­gner qu’il se trouve tout aus­si misé­ri­cor­dieux ; la dif­fé­rence vient de la méthode qui nous paraît vrai­ment défec­tueuse dans le Droit moderne, et tou­jours en rai­son du même esprit : amoin­dris­se­ment du sens de l’autorité, du péché, besoin constant de défendre l’homme contre la loi pour pré­tendre sau­ve­gar­der sa digni­té. Le Droit tra­di­tion­nel éta­blit la loi – et donc, en droit pénal, la loi pénale – avec net­te­té, objec­ti­vi­té ; la loi marque et pré­cise les sanc­tions pour les délits com­mis, en expli­quant d’une manière assez nette quelles sont les causes exté­rieures qui peuvent excu­ser de la peine (par exemple l’âge infé­rieur à la puber­té, l’ébriété en cer­tains cas, la vio­lence exté­rieure…) ou même les causes inté­rieures faci­le­ment jugeables (par ex. l’ignorance de la loi ou de la peine) ; le Droit tra­di­tion­nel est donc objec­tif ; mais à côté de cela il mul­ti­plie les règles, les prin­cipes et les conseils qui portent à l’indulgence dans l’interprétation ou l’application de la loi (ex. canons 2218, 2219, 2223, etc.).

« Au contraire le nou­veau Droit, pour libé­rer – à tort – le sujet de la loi ou de l’intervention (même bien­veillante) du Supérieur, mul­ti­plie les cas ou les situa­tions où le délin­quant se trouve à l’abri de la peine, mais de façon tel­le­ment sub­jec­tive que la loi ne peut plus s’y retrou­ver (« crainte grave rela­tive », « influence d’une néces­si­té », « grave incon­vé­nient », « hasard que l’on n’a pu pré­voir » (sic) ou encore « croyance que l’une de ces cir­cons­tances se pré­sente » !) ; il n’y a plus de juge­ment pos­sible ; ce n’est plus du Droit, c’est du roman ou de la gui­mauve ! Avec de tels prin­cipes il n’y a plus de sanc­tions appli­cables ; ce n’est plus de la bon­té ni de la misé­ri­corde, ni même de la bien­veillance à l’égard du cou­pable, mais para­doxa­le­ment de la moque­rie si ce n’est de la com­pli­ci­té. » (Abbé Coache, Le Droit canon est-​il aimable ? pp. 299–300)

Jugements

De M. l’abbé Coache

« Il y a un Nouveau Droit canon comme il y a une Nouvelle Religion, des Nouveaux Prêtres et une Nouvelle Messe. Ce Nouveau Droit canon, publié en 1983, est l’émanation de la Nouvelle Religion dans ce qu’elle a d’officiel ; appa­rem­ment il freine ou réprouve les excès de tout un esprit post-​conciliaire ; cepen­dant il cris­tal­lise éga­le­ment tout un esprit sor­ti du concile Vatican II, ras­sem­blant et codi­fiant les auto­ri­sa­tions, lois et décrets publiés depuis le Concile. » (Le Droit canon est-​il aimable ? p. 215)
« Ce nou­veau Droit canon oblige-​t-​il ? Certainement pas, en ver­tu même de ce prin­cipe que l’erreur n’a aucun droit et qu’il « vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ». Un docu­ment comme celui-​là, fût-​il offi­ciel, quand il est vicié d’un bout à l’autre par un esprit évi­dem­ment faux et par un cer­tain nombre de lois qui contre­disent la Foi et la Tradition, n’a aucune valeur juri­dique. Ce ne peut être un docu­ment d’Église puisque l’Église ne peut se déju­ger dans sa Vérité éter­nelle ; il n’y a pas là, dans ce juge­ment de notre part, « libre exa­men », mais simple consta­ta­tion de la rai­son humaine ; les chefs de l’Église, le pape lui-​même, sont tenus par la Foi et la Tradition ; s’ils y dérogent, ils se condamnent eux-​mêmes et leurs actes sont sans valeur. C’est une consta­ta­tion et une conclu­sion. Les théo­lo­giens eux, essaie­ront d’expliquer. » (Le Droit canon est-​il aimable ? p. 315)

De Mgr Lefebvre

« Le nou­veau Code est fait pour faire pas­ser en lan­gage légal, cano­nique, l’ecclésiologie conciliaire. (…)

« Et donc le but du nou­veau Droit Canon, c’est de faire (…) pas­ser l’esprit du concile Vatican II. Et cet esprit du concile Vatican II est domi­né par cet œcu­mé­nisme, car l’ecclésiologie nou­velle est construite, est for­gée sur les idées pro­tes­tantes pour évi­ter les objec­tions des pro­tes­tants. Les pro­tes­tants ne peuvent pas sup­por­ter la pri­mau­té du pape, alors on a essayé de noyer la pri­mau­té du pape, la supé­rio­ri­té du pape, dans la col­lé­gia­li­té. Et vous avez main­te­nant deux sujets de pou­voir suprême. Allez com­prendre quelque chose… Comment peut-​il y avoir deux sujets de pou­voir suprême ?… » (Mgr Lefebvre, Écône, 18 jan­vier 1983)

« Alors il nous fau­dra gar­der l’ancien Droit Canon, en en pre­nant les prin­cipes fon­da­men­taux et com­pa­rer avec le nou­veau Droit Canon pour juger le nou­veau Droit Canon. De même que nous pre­nons la Tradition pour juger aus­si les nou­veaux livres litur­giques. » (Mgr Lefebvre, Écône, 14 mars 1983)

« Il nous est impos­sible d’accepter en bloc le Droit Canon tel qu’il a été édi­té, parce qu’il est pré­ci­sé­ment dans la ligne de Vatican II et dans la ligne des réformes de Vatican II. Le pape lui-​même le dit. Il est dans cette nou­velle ecclé­sio­lo­gie qui ne cor­res­pond pas à l’ecclésiologie tra­di­tion­nelle et donc qui, indi­rec­te­ment touche notre foi, et risque de nous entraî­ner, au moins dans un cer­tain nombre de points essen­tiels du Droit, dans des héré­sies, favo­rise l’hérésie, comme la réforme litur­gique qui favo­rise l’hérésie aus­si. C’est pour cela que nous refu­sons la réforme litur­gique aus­si. (…) C’est la même chose pour les caté­chismes, les nou­veaux caté­chismes. Nous refu­sons les nou­veaux caté­chismes parce qu’ils dimi­nuent notre foi. » 

Pour fon­der son juge­ment, Mgr Lefebvre cite le pro­fes­seur Michiels et en conclut : « Le fon­de­ment de la vie sur­na­tu­relle qui est don­né en charge à l’Église, confié à l’Église, son fon­de­ment, c’est la foi. Alors on s’aperçoit que le devoir donc du Droit ce sera de déter­mi­ner tout ce qui regarde la foi. Donc le Droit (…) fera donc que la foi soit prê­chée, expli­quée, fera voir com­ment elle doit être reçue, par les caté­chu­mènes en par­ti­cu­lier, déter­mi­ne­ra l’exercice de la foi, la pro­fes­sion exté­rieure de la foi, la défense de la foi et sa ven­geance en quelque sorte, sa défense par rap­port à ceux qui atta­que­raient la foi. Tout cela, le Droit doit le faire, les Canons doivent l’exprimer. » (Mgr Lefebvre, Écône, 15 mars 1983)

Décisions pra­tiques au sein de la Fraternité Saint-​Pie X

Ce nou­veau Code, pour le moins dou­teux, n’oblige pas. On s’en tient donc pour les prin­cipes (doc­trine et mœurs) au Code de 1917. Cependant, en cer­tains domaines par­ti­cu­liers, comme les cen­sures cano­niques et les empê­che­ments de mariage, cer­taines mesures du nou­veau Code sont rete­nues. Elles sont rete­nues, non en rai­son de leur appar­te­nance à ce Code qui n’oblige pas, mais pour des motifs extrin­sèques, comme le sont une évo­lu­tion légi­time de la dis­ci­pline (signa­lée par l’abbé Coache) et le bien des âmes.

Soyons donc pro­fon­dé­ment atta­chés à la loi de Dieu et non aux diva­ga­tions des nova­teurs : « Heureux l’homme qui ne mar­cha pas dans le conseil des impies, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs et qui ne s’assied pas dans la chaire de pes­ti­lence, mais dont la volon­té est dans la loi de Dieu, et qui la médite jour et nuit (Psaume 1) ».

Abbé Olivier du Chatelet+, prêtre de la FSSPX 

Source : Le Combat de la Foi n° 171 de décembre 2014