LA ROME antique a conquis le monde par sa force armée, croit-on souvent. En réalité ce fut surtout par son organisation, son administration, sa loi, qu’elle réduisit ses ennemis. Napoléon, de son côté, pour établir aussi solidement que possible l’édifice branlant de l’État révolutionnaire sur les ruines fumantes de la monarchie, n’a rien eu de plus pressé que de créer le code de loi qui porte son nom et sous lequel nous vivons encore malgré tant et tant de remaniements.
Un code est comme un ensemble de murailles. Ces murailles ont un double rôle : d’une part garder les méchants à distance, d’autre part guider tous les citoyens dans leur vie quotidienne. La loi pousse donc à agir toujours d’une même manière, et les hommes prennent ainsi des habitudes. Ces habitudes peuvent être bonnes, et les citoyens sont ainsi rendus vertueux ; elles peuvent être mauvaises et les citoyens tombent alors dans le vice.
En 1983 Jean-Paul II a donné à l’Église un « Nouveau Code » de lois. Est-il pour la conquête des âmes ou bien pour l’établissement de la Révolution dans l’Église ?
Un peu d’histoire
Les premières lois ecclésiastiques furent promulguées par les apôtres lors du concile dit de Jérusalem. C’était à propos de la loi judaïque. On trouve aussi un recueil de lois dans la Didakè, dès la fin du premier siècle. Le pape promulguait les lois concernant l’Église universelle, mais le plus grand nombre de lois était promulgué par les évêques pour leurs diocèses, ce qui ne posait pas de graves difficultés à cette époque où les hommes étaient attachés à leur terre. Cependant il était difficile aux juristes d’établir de manière certaine la validité de chaque loi, puisque bien souvent une nouvelle loi annulait une précédente, sans notification bien claire. Des Papes et des théologiens résolurent donc de rassembler nombre de ces lois, en s’efforçant de les harmoniser, dans des recueils appelés décrétales.
Avant de parler de l’époque moderne remarquons que ces deux mille ans d’histoire permettent de toucher du doigt le lien fondamental entre coutume et loi. La loi naît de la coutume : les hommes prennent d’abord l’habitude d’agir de telle manière, car cela semble bon. Dès lors que chacun se fait un devoir de suivre cette louable coutume, elle prend « force de loi ». Il suffit à l’autorité de l’authentifier, de la codifier et de la publier pour donner naissance à une loi. Celui qui désormais l’enfreint devra être puni, car il attente à l’ordre public. Inversement la mise en œuvre d’une loi devrait toujours établir une coutume : les hommes, en se soumettant à la loi, acquièrent une habitude, qui se cristallise en coutume pour la communauté et en vertu pour chacun d’eux.
En 1789, la Révolution dite française jette l’Europe dans l’anarchie, la révolution industrielle accélère ensuite le mouvement des peuples. Les nombreuses décrétales, désordonnées et parfois contradictoires, ne permettent plus de gouverner correctement l’Église. Une refonte s’avère nécessaire. Pie IX et Léon XIII n’osent pas entreprendre un tel travail. Ils publient seulement des lois concernant l’un ou l’autre point plus urgent. Il faut attendre l’audace et la modernité de saint Pie X pour que la curie s’attelle au chantier d’un « Code de droit canonique [1] » qui contiendrait toute la loi de l’Église romaine. Ce code n’est promulgué qu’après la mort de son instigateur, en 1917. Il est remarquable par sa concision, puisqu’il tient dans un volume plus petit qu’un missel quotidien.
Codifier la loi n’est pas la geler. Il faut encore l’expliquer, parfois la corriger, mais aussi l’adapter à l’évolution des situations. Le canoniste, et tout prêtre est un peu canoniste, est tenu au courant de l’évolution de la loi par les Acta Apostolicae Sedis, sorte de Journal officiel.
Cette partie de l’histoire nous enseigne que la loi de l’Église n’est pas une œuvre morte et mortifère comme la loi libéralo-communisante. Le Code se contente de donner les grandes lignes, charge à la loi diocésaine et à la coutume locale de donner vie à cette règle selon les particularités de chaque région.
En 1965 s’achevait le Concile Vatican II, de triste mémoire. Peu de temps après, la loi liturgique, – la messe et les sacrements -, était chamboulée sous des prétextes contradictoires comme “revenir aux sources” et “s’adapter à son époque”. La « Nouvelle Messe » n’a rien à voir, si ce n’est le plan, avec la messe de toujours, cette plante vigoureuse qui, sans rupture, plonge ses racines dans l’époque apostolique, a été sagement édifiée par les Pères et ornée par mille années de sainteté et d’art. Le « Nouveau Code » promulgué en 1983 par Jean-Paul II, s’il reprend certains canons du Code de 1917, en entroduit en revanche beaucoup d’autres en modifiant radicalement et le plan et l’esprit de la loi de l’Église.
Il semble que ce soit un esprit révolutionnaire, faisant table rase du passé, qui a présidé à l’élaboration de ces nouvelles lois liturgiques et canoniques. Serait-ce dans le dessein de fonder une nouvelle Église ?
Le nouveau code
Le but proposé
Dans la Constitution apostolique promulguant le nouveau code, Jean-Paul II nous explique le but qu’il s’est proposé : « Ce qui constitue la nouveauté essentielle du Concile Vatican II, dans la continuité avec la tradition législative de l’Église, surtout en ce qui concerne l’ecclésiologie, constitue également la nouveauté du nouveau Code »[2]. L’incise « dans la continuité avec la tradition » est erronée comme le montre le paragraphe suivant :
« Parmi les éléments qui caractérisent l’image réelle et authentique de l’Église, il nous faut mettre en relief surtout les points suivants :
- la doctrine selon laquelle l’Église se présente comme le Peuple de Dieu (cf. Const. Lumen Gentium, 2) et l’autorité hiérarchique comme service ;
- la doctrine qui montre l’Église comme une communion et qui, par conséquent indique quelle sorte de relations réciproques doivent exister entre l’Église particulière et l’Église universelle et entre la collégialité et la primauté ;
- la doctrine selon laquelle tous les membres du Peuple de Dieu, chacun selon sa modalité, participent à la triple fonction du Christ : les fonctions sacerdotale, prophétique et royale. […]
- et enfin l’engagement de l’Église dans l’oecuménisme. »[3]
S’il nous restait un doute quant à l’intention du législateur, le paragraphe 27 le lèverait :
« Il reste à souhaiter que la nouvelle législation canonique devienne un moyen efficace pour que l’Église puisse progresser dans l’esprit de Vatican II ».
Tout est dit : le contenu du nouveau code a pour objectif de transformer les chrétiens en modernistes.
Contenu du nouveau Code
Prenons maintenant quelques exemples pour montrer que ce Code a tout pour réussir sa funeste mission.
Il faut noter avant tout le plan révolutionnaire du livre II du code de 1983. Dans le code de 1917 le livre II, intitulé « Des personnes » était agencé ainsi : on y parlait, dans l’ordre, des Clercs, puis des Religieux, puis des Laïcs. Dans le nouveau Code, ce livre, intitulé « Le peuple de Dieu », nous présente tout d’abord les fidèles du Christ, puis la Constitution hiérarchique de l’Église et enfin les Religieux. Ce bouleversement exprime bien la structure sociale révolutionnaire en pyramide inversée de la nouvelle Église, la hiérarchie étant au service de la dignité de la personne.
Quant à la collégialité, le nouveau Code explique que le sujet du pouvoir suprême de l’Église est double : d’une part le Pape qui « est le Chef du Collège des Évêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l’Église tout entière sur cette terre[4] », et d’autre part ce Collège des Évêques qui est « lui aussi, en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière[5]. » Si la notion de collégialité, ce Cerbère à double tête a fait couler beaucoup d’encre, deux choses néanmoins sont certaines : la collégialité retire au Pape l’unicité de son rôle et cette même collégialité est bien présente dans le Code. Il faudrait la suivre dans tout ce livre II pour la voir s’infiltrer jusque dans les structures paroissiales qui deviennent des démocraties locales.
L’oecuménisme est bien servi : il a droit à un canon blasphématoire à propos des sacrements (c.844). Sous la poétique appelation d” « hospitalité sacramentelle » se cache cette sacrilège autorisation de conférer les sacrements à des hérétiques ou des schismatiques (non convertis) à certaines conditions dont celle de croire au sacrement concerné.
On ne peut ignorer également la grave question des fins du mariage. Le mariage a pour fin première la procréation et l’éducation des enfants et pour fin seconde le soutien mutuel. Le nouveau Code les présente ainsi : « le mariage est ordonné par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants[6] ». En plus d’être proxima haeresim, cette inversion fonde toute la discipline des modernistes quant au mariage, discipline qui conduit à sa destruction.
Nous ne pouvons pas entrer dans les détails de ces quelques canons et encore moins énumérer tous les canons contraires à la loi divine ou à l’esprit de l’Église. Cela n’est d’ailleurs pas utile pour le but que nous nous proposons. Il nous suffit que ces canons, les plus scandaleux, nous fassent simplement toucher du doigt que ce nouveau Code est bien l’expression juridique du concile Vatican II, c’est-à-dire une arme de destruction massive de la foi catholique.
Loi divine contre loi humaine
Le réflexe premier du chrétien est de refuser de se plier à ces canons contraires à la foi. Et ce réflexe est évidemment juste : il vaut mieux suivre les ordres divins que les lois humaines. Le nouveau Code se présente alors comme une collection de lois dont un nombre notable est sans valeur.Que faire des autres ? Ce code garde-t-il une utilité ?
Pour refuser de suivre ces canons pernicieux nous avons invoqué ce principe que la loi divine est au-dessus de la loi humaine. Ce principe est lié à cet autre : « la loi est une ordination au bien commun ». Par conséquent une loi contraire au bien commun n’a aucune valeur. Un père doit donner des ordres pour le bien de sa famille, mais non en vue de sa destruction. Un capitaine de navire peut donner des ordres en tout ce qui concerne la conservation de ses passagers, mais non pas pour couler le navire (à moins que cela ne soit nécessaire pour un bien commun supérieur, comme celui de la nation).
Dans la partie précédente, le législateur nous indiquait clairement son intention : le nouveau Code a pour but d’appliquer les nouveautés hérétiques de Vatican II. Ce qui est évidemment contraire au bien commun de l’Église qui est la gloire de Dieu et le salut des âmes. D’où la conclusion de Mgr Lefebvre qui tenait la promulgation de ce code pour douteuse : « L’autorité ecclésiastique perdant de vue sa véritable fin, prend nécessairement la voie des abus de pouvoir et de l’arbitraire. Les promulgations des lois sont douteuses, falsifiées. […] Ce droit canon est inacceptable. Il n’y a pas de nouvelle ecclésiologie dans l’Église. […] Alors il nous faudra garder l’ancien droit canon en prenant les principes fondamentaux et comparer avec le nouveau droit canon pour juger le nouveau droitcanon, de même que nous gardons la Tradition pour juger aussi les nouveaux livres liturgiques. »[7]
Le lendemain Monseigneur reprenait : « Pourquoi, à mon sens, il nous est impossible d’accepter en bloc le droit canon tel qu’il a été édité ? Parce qu’il est précisement dans la ligne de Vatican II. »[8]
Et, le 21 novembre 1983, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer finissaient ainsi leur lettre publique au Saint Père :
« C’est donc dans le but de venir en aide à Votre Sainteté que nous jetons ce cri d’alarme, rendu plus véhément encore par les erreurs du Nouveau Droit Canon, pour ne pas dire les hérésies, et par les cérémonies et discours à l’occasion du cinquième centenaire de la naissance de Luther. Vraiment, la mesure est comble. »[9]
Ainsi le catholique qui refuse le modernisme, non seulement refuse catégoriquement nombre d’articles du nouveau Code, mais le tient tout entier pour douteux. Il lui reste à appliquer simplement la loi de l’Église qui explique comment recevoir une loi douteuse : « En cas de doute de droit, les lois ne doivent pas être urgées »[10], c’est-à-dire qu’on ne les applique pas tant que le doute n’est pas levé. D’autre part le code invite aussi, « en cas de doute, à ne pas considérer révoquée la loi préexistante, mais à lui rapporter les lois plus récentes et à les concilier »[11]. Comme tout le nouveau Code est douteux, il faut tenir que le Code de 1917 est toujours la loi de l’Église.
Mais prenons bien garde au dernier canon cité : pour rester dans l’esprit de l’Église dont la loi est vivante et intimement liée à la coutume, il faut concilier autant que possible les deux codes, la législation de l’Église avait d’ailleurs évolué avant même le Concile. On ne peut donc en rester à 1917. Le nouveau Code est parfois l’expression d’une évolution, légitime et homogène, de la loi. Certains de ses canons forment comme une jurisprudence authentique. De plus c’est la volonté du Pape qui détermine la validité de certains actes, par exemple les indulgences ou les empêchements de mariage. Lorsqu’ils ne sont pas clairement opposés au bien commun, ces actes de volonté du Pape ont leurs effets même en dehors du Code. Ainsi il faut tenir que le Code de 1917 avec les modifications postérieures est toujours la loi de l’Église et s’inspirer du Code de 1983 quand il est conciliable avec celui de 1917.
La position de la Fraternité Saint-Pie X ne consiste pas à « suivre le Code de 1983 avec l’esprit de celui de 1917 » mais consiste à refuser le Code douteux de 1983, en tant que code. Accepter sa légitimité serait reconnaître le bien fondé de l’intention du législateur, se soumettre à la réforme conciliaire. De plus prétendre suivre le code de 1983 avec un autre esprit que celui du Concile serait une utopie. Autant couper les feuilles dans le sens de l’épaisseur ! L’esprit d’une loi est porté par sa lettre, et s’il peut en être distingué il ne peut en être séparé. La loi ne fait qu’ordonner des actes et c’est la répétition de ces actes qui produit un esprit.
Conclusion
Le nouveau Code est l’expression juridique du concile Vatican II. Reconnaître le Nouveau Code comme légitime, c’est accepter en droit le modernisme et s’en imprégner en fait. C’est pourquoi Mgr Lefebvre disait : « Il nous est impossible d’accepter en bloc le nouveau Code ». La règle de conduite du catholique doit se conformer au Code de 1917, adapté grâce aux indications fournies par le Code de 1983.
La conséquence est grave : d’aucune manière le catholique de Tradition ne peut accepter de vivre sous l’autorité de la curie romaine qui suit cette législation mettant gravement la foi en danger. Comment cette hiérarchie reviendra-t-elle à la foi ? Laissons-en la réponse à la divine Providence.
Abbé Etienne de Blois, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X [12]
Source : Le Petit Eudiste – Prieuré Saint-Jean-Eudes de Gavrus
- . En latin Codex Juris Canonici, souvent abrégé en CIC 1917.[↩]
- . § 21.[↩]
- . § 22. [↩]
- . NC. 331.[↩]
- . NC. 336.[↩]
- . C. 1055.[↩]
- . Conférence à Écône le 14 mars 1983.[↩]
- . Conférence à Écône le 15 mars 1983.[↩]
- . Le 5 mai 1988, Mgr Lefebvre s’engageait, entre autres, « à respecter la discipline commune de l’Église et les lois écclesiastiques, spécialement celles contenues dans le Code de 1983, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité Saint-Pie X. » Et Mgr Lefebvre d’affirmer, le 9 juin 1988 : « Oui, c’est vrai, j’ai signé le protocole du 5 mai, un peu du bout des doigts, il faut bien le dire, mais quand même, en soi, c’était acceptable, sans quoi je n’aurais pas signé, bien sûr. » Seulement, on sait que le soir du 5 mai, Mgr Lefebvre passa une très mauvaise nuit, et que le lendemain matin il donnait à l’abbé du Chalard une lettre qu’il qualifiait de « bombe » et de « dédit » (Mgr Lefebvre, Une vie, Mgr Tissier de Mallerais, p. 584). Plus tard, Mgr Lefebvre affirmait d’ailleurs : « Aussi, maintenant, à ceux qui viennent me dire : il faut vous entendre avec Rome, je crois pouvoir dire que je suis allé plus loin même que je n’aurais dû aller. » (Fideliter n° 79). Il disait aussi dans le Fideliter de juin 1988 : « Les colloques qui ont suivi nous ont bien déçus. On nous remet un texte doctrinal, on y ajoute le nouveau Droit Canon, Rome se réserve cinq membres sur sept dans la commission. » Cet accord, rétracté le lendemain, ne peut donc fonder un argument d’autorité quant à la légitimité du nouveau Code.[↩]
- . C.15, NC. 14.[↩]
- . C. 23, NC. 21.[↩]
- . Lire aussi : Le Code de droit canon fête ses 100 ans !, par M. l’abbé B. de Lacoste-Lareymondie – Juin 2017 [↩]