Mansuétude de l’Eglise : réponse de l’abbé Fr. Knittel au P. Paul-​Anthony McGavin

Les pro­pos tenus par le car­di­nal Walter Kasper sur la com­mu­nion des divorcés-​remariés lors du der­nier consis­toire des car­di­naux ont sus­ci­té depuis un vaste débat dans l’Église. Certains se sont pro­non­cés contre l’ouverture pas­to­rale pro­po­sée par le pré­lat alle­mand. C’est le cas des cinq car­di­naux dont les contri­bu­tions ont été publiées récem­ment dans l’ouvrage Demeurer dans la véri­té du Christ. D’autres se sont réjouis de cette ini­tia­tive qu’ils ont tâché de jus­ti­fier en s’appuyant sur des ana­lo­gies tirées de cas simi­laires. Ainsi le P. Paul-​Anthony McGavin dans un article inti­tu­lé « Concilier des ano­ma­lies en matière de divorce et de rema­riage » :

« Au fil du temps, le droit cano­nique de l’Église a fait appa­raître des réponses éton­nantes à cer­taines ano­ma­lies pas­to­rales. Pour n’en citer que quelques-​unes : on peut être rele­vé de vœux reli­gieux solen­nels pro­non­cés devant Dieu ; ceux qui ont reçu les ordres sacrés peuvent être « laï­ci­sés » et contrac­ter des mariages qui sont valides ; les catho­liques qui ont contrac­té des mariages inva­lides peuvent en obte­nir une vali­da­tion rétro­ac­tive ; et ceux qui ont contrac­té un mariage civil com­por­tant une irré­gu­la­ri­té cano­nique peuvent, après avoir divor­cé civi­le­ment, contrac­ter un nou­veau mariage qui sera valide du point de vue ecclésial. »

Si l’Église a fait preuve de man­sué­tude dans ces situa­tions par­ti­cu­lières, pour­quoi pas envers celle des divorcés-remariés ?

Garder le sens de l’analogie

Le recours à l’analogie est fré­quent en rhé­to­rique, en phi­lo­so­phie, en théo­lo­gie et en droit canon. Il per­met d’aller du plus connu au moins connu en se fon­dant sur une cer­taine simi­li­tude entre deux réa­li­tés ou deux situa­tions. Néanmoins, pour que l’analogie soit éclai­rante, il faut sai­sir adé­qua­te­ment le point sur lequel elle se fonde.

Ainsi, dans la para­bole de l’économe infi­dèle (Mc 16, 1–13), l’analogie ne porte pas sur l’indélicatesse mais sur la pré­voyance de l’intendant. Notre Seigneur invite les enfants de lumière à faire preuve de pru­dence en uti­li­sant à bon escient les biens de ce monde dans la pers­pec­tive du royaume des cieux et non à com­mettre l’injustice qui les en détournerait.

Un exa­men atten­tif est donc indis­pen­sable pour véri­fier si les simi­li­tudes fon­dées sur cer­taines pro­messes de chas­te­té ou de mariage per­mettent de jus­ti­fier l’accès des divorcés-​remariés à la communion.

Promesse de chasteté

Par les trois vœux de pau­vre­té, de chas­te­té et d’obéissance, les reli­gieux entrent libre­ment dans un état de vie ordon­né à la per­fec­tion chré­tienne. Le droit canon déter­mine les condi­tions géné­rales qui règlent cet état de vie dans l’Église. Les règles (ou consti­tu­tions) propres à chaque Ordre (ou congré­ga­tion) en pré­cisent les moda­li­tés concrètes de réalisation.

Instituée par le Christ comme média­trice entre Dieu et les hommes (Lc 10, 16), l’Église exerce un cer­tain pou­voir sur les vœux publics – simples ou solen­nels – et pri­vés émis par ses membres. Elle peut en dis­pen­ser au nom de Dieu, dès lors qu’une cause suf­fi­sam­ment grave le jus­ti­fie. En effet, celui à qui a été faite une pro­messe peut en dispenser.

Les vœux ne relèvent donc ni d’une ins­ti­tu­tion natu­relle – comme le mariage entre non-​baptisés -, ni de l’ordre sacra­men­tel – comme le mariage entre bap­ti­sés. Ils existent de par la volon­té de celui qui s’engage et cessent, le cas échéant, par la volon­té du bénéficiaire.

L’engagement au céli­bat pris par les can­di­dats au sacer­doce au moment de deve­nir sous-​diacre se dis­tingue des vœux reli­gieux à plu­sieurs titres. D’abord, il s’agit d’une pro­messe qui est liée à la récep­tion d’un sacre­ment, celui de l’Ordre. Ensuite, cette conjonc­tion n’est pas uni­ver­selle puisque l’Église tolère depuis long­temps déjà l’ordination d’hommes mariés dans l’Église orien­tale. Enfin, seule la pra­tique de la chas­te­té fait l’objet de cette promesse.

La dis­ci­pline de l’Église concède par­fois la réduc­tion à l’état laïc d’un prêtre. Sollicitée par l’intéressé ou impo­sée par l’autorité, concé­dée comme une grâce ou appli­quée comme une peine, cette déci­sion n’efface pas le carac­tère sacer­do­tal, mais dis­pense de cer­taines obli­ga­tions liées à l’état clé­ri­cal (Code de 1917, cn. 211 et 213).

Dans son décret du 18 avril 1936, la Sacrée Pénitencerie rap­pelle que « la loi du saint céli­bat est gar­dée dans l’Église latine avec tant de sol­li­ci­tude, que, si des prêtres sont en cause, presque jamais dans les siècles écou­lés dis­pense n’en fut don­née, et dans la dis­ci­pline actuelle, abso­lu­ment jamais, pas même en péril de mort ». Seule excep­tion : l’ordre sacré reçu sous la pres­sion d’une crainte grave et jamais rati­fié par la suite, fut-​ce taci­te­ment (cn. 214).

Après les aban­dons mas­sifs du sacer­doce durant les années 60 et 70, la légis­la­tion de 1983 est reve­nue à la dis­ci­pline anté­rieure, en réser­vant tou­te­fois au pape la dis­pense éven­tuelle de la pro­messe de céli­bat (Code de 1983, cn. 291).

Bien qu’habituellement liés, le sacre­ment de l’Ordre et la pro­messe du céli­bat res­tent néan­moins dis­tincts. On peut rece­voir l’un sans émettre l’autre dans l’Église orien­tale. On peut être dis­pen­sé des obli­ga­tions de l’un sans être dis­pen­sé des obli­ga­tions de l’autre.

Promesse de mariage

Certains mariages entre catho­liques sont nuls par défaut du consen­te­ment, absence de forme cano­nique ou pré­sence d’un empê­che­ment dirimant.

Afin de faci­li­ter la conva­li­da­tion de ces mariages, l’Église dis­pense par­fois de la forme cano­nique ou du renou­vel­le­ment du consen­te­ment d’une des par­ties (reva­li­da­tion simple), voire des deux (sana­tio in radice). Dans ce der­nier cas, le mariage est aus­si ren­du rétro­ac­ti­ve­ment valide par une fic­tion juridique.

La dis­pa­ri­tion ou la dis­pense d’un empê­che­ment éven­tuel est un pré­sup­po­sé incon­tour­nable à toute conva­li­da­tion. Il faut noter que l’empêchement natu­rel de lien – né d’un pre­mier mariage valide – n’admet aucune dis­pense et ne dis­pa­raît qu’à la mort du conjoint.

Par ailleurs, ceux dont le mariage a été décla­ré cano­ni­que­ment inva­lide au terme d’un pro­cès en nul­li­té sont libres de convo­ler en justes noces devant Dieu et devant l’Église. On peut s’en éton­ner, mais – les obli­ga­tions de jus­tice nées de l’union inva­lide ayant été assu­mées – nul ne sau­rait se scan­da­li­ser de cette nou­velle union.

Comparaison n’est pas raison

Les simi­li­tudes tirées de ces diverses pro­messes justifient-​elles l’accès des divorcés-​remariés à la com­mu­nion ? Nullement.

D’une part, la fidé­li­té pro­mise lors d’un mariage reli­gieux valide n’est ni dis­tincte, ni sépa­rable du sacre­ment lui-​même qui est l’image du lien indis­so­luble qui unit le Christ et l’Église (Eph 5, 31). Que la sépa­ra­tion de corps et d’habitation des époux soit par­fois inévi­table, l’Église en convient. Que le lien sacra­men­tel soit détruit, elle ne sau­rait l’accepter sans outre­pas­ser le pou­voir reçu du Christ sur les sacre­ments en géné­ral et sur le mariage en particulier.

D’autre part, le lien contrac­té suite à un mariage valide per­dure aus­si long­temps que les deux conjoints sont vivants. En consé­quence, la vie pseudo-​maritale avec une per­sonne autre que le conjoint légi­time est adul­tère, consti­tue un état de péché et rend inapte à la récep­tion fruc­tueuse de la com­mu­nion (1 Cor 11, 27–29).

Abbé François KNITTEL

Source : Lettre de Saint Florent du mois de novembre 2014