Le 3 janvier 2019, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) publiait une note datée du 10 décembre 2018. Ce texte évalue d’un point de vue moral certains cas d’hystérectomie, c’est-à-dire d’ablation de l’utérus. Commençons par situer ce document dans son contexte lointain en revenant cinq lustres en arrière.
Le texte de 1993
Le 31 juillet 1993, la CDF publiait en effet un texte intitulé Réponse à des doutes soulevés sur l’ « isolement de l’utérus » et d’autres questions. Trois questions sont abordées :
« Question 1 : Quand l’utérus est si sérieusement endommagé (par exemple lors d’un accouchement ou d’une césarienne) que son ablation même totale est médicalement indiquée (hystérectomie) pour prévenir un grave danger actuel pour la vie ou la santé de la mère, est-il licite d’effectuer cette opération en dépit de la stérilité permanente qui s’ensuivra pour la femme ?
« Réponse : Oui. »« Question 2 : Quand l’utérus (par exemple à cause de césariennes précédentes) se trouve dans un tel état que, bien qu’il ne constitue pas en lui-même un danger actuel pour la vie ou la santé de la femme, l’on prévoit qu’il ne sera plus capable de porter à terme une future grossesse sans danger pour la mère, danger qui pourrait s’avérer assez grave dans certains cas, est-il licite de l’enlever (hystérectomie) pour prévenir cet éventuel danger futur provenant d’une conception ?
« Réponse : Non. »« Question 3 : Dans la situation décrite ci-dessus au n° 2, est-il licite de remplacer l’hystérectomie par la ligature des trompes (opération appelée « isolement de l’utérus »), compte tenu du fait que l’on arrive au même but préventif des risques d’une éventuelle grossesse, par une procédure beaucoup plus simple pour le médecin et moins pénible pour la femme et qu’en outre, la stérilité ainsi provoquée peut être réversible dans certains cas ?
« Réponse : Non. »
Au n° 1, la seule présence de l’utérus dans l’organisme constitue un danger grave et actuel pour la vie ou la santé de la femme. L’objet de l’hystérectomie est alors thérapeutique. Sa licéité morale se fonde sur le principe de totalité : « Là où se vérifie la relation de tout à partie, dans la mesure exacte où elle se vérifie, la partie est subordonnée au tout, celui-ci peut, dans son intérêt propre, disposer de la partie » (Pie XII, Discours au congrès d’histopathologie, 14 septembre 1952). La stérilité qui découle de l’ablation de l’utérus n’est pas voulue mais seulement tolérée.
Aux n° 2 et 3, les risques pour la vie ou la santé de la femme ne résultent pas de l’utérus lui-même mais d’une éventuelle grossesse future. L’objet de l’hystérectomie ou de la ligature des trompes est alors la stérilisation. Or, « la stérilisation directe –c’est-à-dire celle qui vise, comme moyen et comme but, à rendre impossible la procréation– est une grave violation de la loi morale et est, par conséquent, illicite » (Pie XII, Discours aux sages-femmes italiennes, 29 octobre 1951). « Nonobstant les bonnes intentions subjectives de ceux dont l’intervention est inspi- rée par le soin ou la prévention d’une maladie physique ou mentale que l’on prévoit ou que l’on craint comme résultat d’une grossesse, une telle stérilisation demeure absolument prohibée selon la doctrine de l’Église. » [1]
Le texte de 2018
La Réponse à un doute sur la licéité de certains cas d’hystérectomie du 10 décembre 2018 assume les réponses de 1993 et souligne leur validité permanente. Elle se propose d’examiner certains cas d’hystérectomie portés récemment à la connaissance de la CDF :
« Question : Lorsque l’utérus se trouve de manière irréversible dans un état qui n’est plus adapté à la procréation et que les médecins expérimentés ont la certitude qu’une éventuelle grossesse conduirait, avant que le fœtus atteigne un état de viabilité, à un avortement spontané, est-il licite de procéder à son ablation (hystérectomie) ?
« Réponse : Oui, parce qu’il ne s’agit pas de stérilisation. »
Dans son commentaire, la CDF note que « L’élément qui différencie de manière essentielle la question actuelle est la certitude qu’ont les médecins expérimentés que la grossesse s’interromprait spontanément, avant que le fœtus ne parvienne à un état viable. »
Elle précise que « la finalité du processus de procréation est de donner naissance à une créature ; or, dans ce cas, la naissance d’un fœtus vivant n’est pas possible du point de vue biologique. »
Elle en déduit que « l’intervention médicale ne peut être jugée anti-procréatrice, car elle se situe dans un contexte objectif où ne sont possibles ni la procréation, ni, par conséquent, l’action anti-procréatrice. »
Une source de perplexité
Hélas, ce texte ne brille pas par sa clarté. Certes, l’état de la femme est bien décrit : les médecins ont acquis la certitude que l’utérus ne permet plus de mener à terme une grossesse et de voir le fœtus atteindre le seuil de viabilité. En revanche, les raisons qui poussent à pratiquer une hystérectomie ne sont pas énoncées. Étrange !
Dans le document de 1993, les questions précisaient avec soin le contexte et permettaient de saisir si l’objet moral de l’opération était une thérapie (n° 1) ou une stérilisation (n° 2–3). Le texte récent, par contre, évoque l’objet physique de l’acte –l’ablation chirurgicale de l’utérus– mais ne révèle rien de son objet moral.
Imaginons un moraliste interrogé en ces termes : « Est-il moralement licite de couper de la viande ? » A cela, le moraliste ne peut rien répondre, car seul l’objet physique de l’action – couper de la viande– lui est décrit. Par contre, le moraliste peut répondre sans retard dès que l’objet moral de l’action est déterminé. Ainsi, décapiter un poulet pour le manger est licite alors que couper la tête à son voisin est illicite.
Pour se démarquer du texte de 1993, le document récent se fonde sur deux arguments :
- les cas abordés en 2018 diffèrent de ceux évoqués en 1993 ;
- la procréation suppose que la grossesse ne puisse être menée à terme.
1. Pour que les nouveaux cas d’hystérectomie diffèrent des anciens, il faudrait que les premiers ne relèvent ni de la mutilation (n° 1), ni de la stérilisation (n° 2–3) comme les derniers. Or les nouvelles indications d’hystérectomie échappent difficilement aux soupçons de mutilation (a) et de stérilisation (b) :
a. On parle de mutilation coupable chaque fois qu’un organe est enlevé alors que sa présence ne représente aucun danger grave pour la santé ou la vie de la personne. Or l’ablation de l’utérus n’est ici justifiée par aucun risque pour la santé ou la vie de la femme.
b. L’utérus a un rôle double dans la pro- création : il facilite la progression des spermatozoïdes vers les trompes de Fallope, il permet l’implantation et le développement de l’ovule fécondé. Enlever l’utérus c’est donc empêcher aussi bien la fécondation que la gestation.
2. Pour écarter les soupçons de stérilisation et d’action anti-procréatrice, il ne reste plus qu’un remède : redéfinir la procréation. Celle-ci n’est plus définie à partir de l’action des époux – poser les actes de soi aptes à la génération, lesquels ne produisent pas toujours leur effet– mais à partir de l’intention des époux – donner à naissance à un fœtus viable.
Abbé François Knittel, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : La Lettre de Saint Florent n°256 /La Porte Latine du 10 avril 2019
- CDF, Quaecumque sterilizatio, 13 mars 1975, n° 1[↩]