La destitution du cardinal Burke
Le 8 novembre 2014, le pape François a nommé le cardinal Raymond Leo Burke cardinalis patronus de l’Ordre de Malte. L’ancien préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique n’a plus qu’un poste honorifique. L’historien italien Roberto de Mattei, dans Correspondenza romana du 12 novembre 2014, donne une explication de la disgrâce du cardinal Burke : il s’agit de satisfaire le clan progressiste allemand.
« Le cardinal Burke serait accusé d’être “trop conservateur” et en désaccord avec le pape François. Après l’indigne relation du cardinal Walter Kasper au Consistoire extraordinaire du 20 février 2014, le cardinal américain a encouragé la publication d’un livre dans lequel cinq cardinaux influents et d’autres savants ont exprimé leurs respectueuses réserves quant à la nouvelle ligne du Vatican, ouverte à l’hypothèse de la communion accordée aux divorcés remariés, et de la reconnaissance des unions de fait. Les inquiétudes de ces cardinaux ont été confirmées par le Synode d’octobre, où les thèses les plus risquées, en termes d’orthodoxie, ont même été recueillies dans la synthèse des travaux qui a précédé le rapport final.
« La seule raison plausible est que le pape a offert sur un plateau la tête du cardinal Burke au cardinal Kasper, et, à travers lui, au cardinal Karl Lehmann, ancien président de la Conférence épiscopale allemande. Il est connu de tous, en effet, au moins en Allemagne, que celui qui tire encore les ficelles de la dissidence allemande contre Rome est justement Lehmann, ancien disciple de Karl Rahner. Le Père Ralph Wiltgen (1921–2007, prêtre américain), dans son livre Le Rhin se jette dans le Tibre, a mis en lumière le rôle de Rahner dans le concile Vatican II, à partir du moment où les conférences épiscopales ont joué un rôle-clé.
« Les conférences épiscopales étaient en effet dominées par leurs experts théologiques, et comme parmi elles, la plus puissante était la Conférence des évêques allemands, le rôle de son principal théologien, le jésuite Karl Rahner, a été décisif. Le Père Wiltgen le résume efficacement, décrivant la force du groupe de pression progressiste rassemblé dans ce qu’il appelle l’Alliance européenne : “Puisque la position des évêques de langue allemande était régulièrement approuvée par l’Alliance européenne et comme la position de l’Alliance était à son tour généralement adoptée par le Concile, il suffisait qu’un seul théologien fasse adopter ses idées par les évêques de langue allemande pour que le Concile les fasse siennes. Ce théologien existait : c’était le père Karl Rahner, de la Compagnie de Jésus”.
« Cinquante ans après Vatican II, l’ombre de Rahner plane encore sur l’Eglise catholique, s’exprimant, par exemple, dans les positions pro-homosexuelles de certains de ses disciples plus jeunes que Lehmann et Kasper, comme le cardinal archevêque de Munich Reinhard Marx et l’archevêque de Chieti, Bruno Forte.
« Le pape François s’est exprimé contre les deux tendances du progressisme et du conservatisme (à la clôture du Synode, ndlr), sans préciser ce que recouvrent ces deux étiquettes. Mais si, en paroles, il se distancie des deux pôles qui s’affrontent aujourd’hui dans l’Eglise, dans les faits, toute sa compréhension est réservée au “progressisme”, tandis que le couperet tombe sur ce qu’il appelle “traditionalisme”. La destitution du cardinal Burke a une signification exemplaire, similaire à la destruction en acte des Franciscains de l’Immaculée.
« De nombreux observateurs ont attribué au cardinal João Bráz de Aviz (préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée, ndlr) le projet de dissolution de l’Institut, mais aujourd’hui, il est clair pour tous que le pape François partage pleinement cette décision. Il ne s’agit pas de la question de la messe traditionnelle, que ni le cardinal Burke ni les Franciscains de l’Immaculée ne célèbrent régulièrement, mais de leur attitude de non-conformité à la politique ecclésiale aujourd’hui dominante. (…)
« Le cas Burke et le cas des Franciscains de l’Immaculée comme, à un niveau différent, le cas de la Fraternité Saint-Pie X, sont seulement les indices d’un malaise diffus qui fait vraiment apparaître l’Eglise comme une barque à la dérive. »
La nomination du Père Pablo d’Ors
La destitution du cardinal Burke intervient au moment où un prêtre espagnol hétérodoxe, nommé par le pape consulteur auprès du Conseil pontifical pour la culture, le 1er juillet 2014, accorde un entretien à La Repubblica du 5 novembre, intitulé : Ouvrons l’Eglise aux femmes prêtres. Lorenzo Bertocchi dans La Nuova Bussola quotidiana du 8 novembre, sous le titre Le père d’Ors, un prêtre (un peu trop) de la frontière, dresse son portrait :
« Il se définit comme “écrivain mystique, érotique et comique”, il s’appelle Pablo d’Ors (petit-fils du célèbre critique d’art espagnol Eugenio d’Ors), il est actuellement prêtre du diocèse de Madrid. Il a récemment été nommé consulteur auprès du Conseil pontifical pour la culture, le dicastère dirigé par le cardinal Gianfranco Ravasi, celui du Parvis des Gentils.
“Pourquoi le pape François m’a choisi ? Mystère. – a‑t-il déclaré à La Repubblica – Il a peut-être demandé : Qui est le prêtre le plus marginal à Madrid ?”.
« Dans cet entretien nous apprenons qu’avant d’être ordonné, il a passé une vie “riche d’amour, de lectures, de voyages, y compris téméraires” et cela l’a aidé dans sa vocation mûrie à 27 ans. Oui, parce que “connaître l’amour humain vous aide à mieux connaître l’amour divin”. Qui sommes-nous pour juger ? Personne, mais qui sait ce qu’en pensent les rangs de vierges qui dans l’histoire de l’Eglise se sont données corps et âme au Seigneur ? (…)
« Alors, brisons les amarres ! Les prêtres pourraient mieux vivre avec une femme à leurs côtés parce que – soutient le prêtre à la page – “les temps sont désormais mûrs”. Mais c’est juste une opinion personnelle, “au Conseil pontifical, on ne parlera pas de cela”. Mais on parlera bel et bien des femmes prêtres. “Je pense que lors de la prochaine réunion plénière, c’est prévu”. Absolument favorable au sacerdoce féminin (“et je ne suis pas le seul”, déclare-t-il) d’Ors est fidèle à la ligne consistant à faire de sa vie une œuvre d’art, selon lui “un critère important pour mesurer la vitalité spirituelle d’une personne est son ouverture au changement. Résister à la vie est un péché parce que la vie est un accomplissement continu. Panta rei, tout coule.” (formule d’Héraclite, ndlr)
« Et nous qui avions pensé construire notre vie sur le roc solide, nous constatons qu’au contraire, c’est sur le sable que nous pouvons vivre avec une authentique vitalité spirituelle. Bienvenue à la pluie, que débordent les rivières et soufflent les vents, laissons-nous emporter par le tourbillon de la vie ! C’est cela la nouvelle ascèse ? Nous devons vraiment nous mettre à jour.
« Pour ce faire, il faudrait fréquenter le cours tenu depuis des années par le nouveau consulteur du dicastère du Vatican : “Chercheurs de montagne”. Un séminaire de formation spirituelle pour lequel il n’est pas besoin d’adhérer à une quelconque confession religieuse ou pratique spirituelle, même si le travail est effectué “principalement” à partir de la tradition chrétienne et “secondairement” de celle du bouddhisme Zen. D’ailleurs, dit d’Ors dans un autre entretien, “si je n’étais pas chrétien, je serais bouddhiste”. »
La perplexité que suscite le pape
La destitution du cardinal Burke suscite une grande perplexité et, dans l’hebdomadaire britannique The Spectator du 8 novembre, le journaliste catholique Damian Thompson n’hésite pas à déclarer : « Prenez garde, pape François : la guerre civile catholique a commencé ! » Expliquant que l’incertitude sur le nombre de réformes voulues par François divise son Eglise en factions », il s’interroge : « Où François en est-il, dans tout cela ? Ressemblant un peu au “pape hamlétique” Paul VI qu’il a béatifié. Il soutient une sorte de réforme, mais l’incertitude brise l’Eglise en une multitude de factions qui rappellent la Communion Anglicane. » Et d’ajouter : « Ce qui devrait préoccuper François, c’est que les catholiques conservateurs modérés perdent confiance en lui. Le chroniqueur du New York Times Ross Douthat pense que “ce pape peut être préservé de l’erreur seulement si l’Eglise elle-même lui résiste”. »
Interrogé par Goffredo Pistelli dans Italia Oggi du 13 novembre 2014, le vaticaniste de L’Espresso, Sandro Magister, accorde un entretien intitulé : « Le pape désoriente beaucoup d’évêques, parce qu’il joue sur plusieurs plans et que souvent il se contredit », dans lequel il dit de François : « C’est une personne qui, tout au long de sa vie, et maintenant encore en tant que pape, agit simultanément sur plusieurs registres, laissant des portes ouvertes et, à première vue, à de nombreuses contradictions. (…)
Q. La gestion du récent Synode est également apparue comme contradictoire…
R. Une gestion soigneusement calculée par le pape et non pas laissée au hasard comme on a voulu nous le faire croire, et qui enregistre d’autres éléments contradictoires.
Q. Comme quoi ?
R. Bergoglio a dit, et à plusieurs reprises, qu’il ne voulait pas transiger avec la doctrine, rester dans la tradition de l’Eglise. Mais ensuite, il a ouvert des discussions, comme celles sur la communion pour les personnes remariées, qui touchent les pierres angulaires du magistère.
Q. Pourquoi ?
R. Parce qu’il est inexorablement logique que la communion donnée aux remariés débouche sur l’acceptation des remariages (des divorcés) et donc la dissolution du lien sacramentel du mariage.
Q. Je ne suis pas vaticaniste mais le sentiment, vu de l’extérieur, est qu’il se répand un peu de confusion, et pas seulement dans la hiérarchie. Mais aussi dans des milieux qui ne peuvent certainement pas être définis comme traditionalistes …
R. Cela ne fait aucun doute. Il y a des personnalités d’importance notable, et certainement pas lefebvristes, qui le font comprendre, même si elles ne le disent pas en termes drastiques d’opposition. Même le cardinal Raymond Leo Burke, l’ancien préfet de la Signature apostolique, récemment démis, ne l’a pas fait, parce qu’il n’y a pas de courant hostile a priori au pape. Mais bien sûr, il y a des manifestations évidentes de malaise.
(…)
Q. Le pape a lancé Kasper, il a fait secrétaire spécial du Synode Mgr Bruno Forte, qui, durant les travaux a pesé, au point de susciter les réactions de certains pères du Synode, mais ensuite, à la fin, François est intervenu, fustigeant les uns et les autres. Presque comme un vieux DC (démocrate chrétien, ndlr) contre les extrémistes des deux bords.
R. C’est une autre des formes récurrentes d’expression de ce pontife : bastonner d’un côté et de l’autre. Pourtant, si l’on veut faire un inventaire, ses bastonnades aux traditionalistes, aux légalistes, aux « défenseurs rigides de la doctrine aride », semblent beaucoup plus nombreuses et ciblées. Mais quand il s’en prend aux bien-pensants (buonisti), on ne sait jamais de qui il parle.
Q. Le Synode a lancé de plus en plus le directeur de la Civiltà Cattolica, le père Antonio Spadaro.
R. Il se pose désormais comme porte-parole du pape et la revue jésuite, qui avait entamé un déclin progressif (déjà sous sa direction, alors qu’il s’occupait beaucoup du web et des réseaux sociaux), est à présent l’expression du sommet suprême du Vatican. Surtout après le premier grand entretien avec le pape jésuite. Tandis que le « nègre » de François est Manuel Fernández, le recteur de l’Université catholique de Buenos Aires, que le pape a fait archevêque. C’est avec Fernandez que François a écrit Evangelii Gaudium, tout comme dans le passé, il avait écrit avec lui le document d’Aparecida, au Brésil, en 2007, quand l’ex-archevêque de Buenos Aires conduisit au port la Conférence des évêques latino-américains, un document qui pour beaucoup, est l’anticipation de cette papauté. (…)
Q. Et le pape François, est-il compréhensible ?
R. Parfois pas. Quand à Bethléem il s’arrête devant le mur qui sépare Israël des territoires et reste en silence absolu : on ne sait pas ce qu’il veut dire. Et quand à Lampedusa il crie « Honte ! », et on ne sait pas qui devrait avoir honte. L’Italie qui a sauvé des milliers de vies ? Pourquoi ne le dit-il pas ? Souvent, il y a des mots et des gestes qui sont délibérément laissés dans l’incertitude.
Les questions que l’on aimerait poser au pape
Devant cette incertitude, de plus en plus d’interrogations se font jour, et même une demande précise à propos du Synode. En effet, le 2 novembre, le vaticaniste de La Stampa, Marco Tosatti formulait cette requête concrète au sujet du Synode : « Si on veut vraiment éclaircir les soupçons – probablement non dénués de fondement – d’une tentative de manipulation venant d’en haut du Synode, et pour éviter que ces soupçons puissent se reproduire dans un an, il serait opportun qu’on lève l’embargo sur les relations écrites que les Pères synodaux ont remises avant le 8 septembre. Une telle décision de la part du pape serait convaincante, plus que toutes les déclarations apologétiques sur sa volonté de transparence totale dans une affaire qui concerne principalement les fidèles catholiques laïcs. Ce serait en outre une aide concrète pour ceux qui veulent écrire une histoire ou une chronique du Synode non viciée par un quelconque esprit partisan. »
Le 5 novembre, le blog d’un Anglais converti, quelque peu original, That The Bones You Have Crushed May Thrill imaginait un entretien que le pape pourrait accorder non pas au journaliste athée Eugenio Scalfari, ni au jésuite Antonio Spadaro, mais aux catholiques du rang. Voici quelques-unes des questions posées par ces humbles fidèles. On ignore les réponses qu’apporterait le pape.
- Votre Sainteté, nous sommes depuis un an et demi dans un pontificat extraordinaire, que Votre Sainteté a sans aucun doute « démarré sur les chapeaux de roue » avec un « programme » radical pour l’Eglise catholique. Lorsque vous avez été interrogé par Eugenio Scalfari, qu’entendiez-vous, au juste, quand vous avez dit : « Je ne crois pas en un Dieu catholique » ? Pourriez-vous expliquer votre position à ce sujet ?
- Votre Sainteté, dans un entretien, vous avez dit que le prosélytisme, ou la recherche de la conversion de l’autre, était « un non-sens solennel ». Que vouliez-vous dire exactement par là ?
- Quand vous avez affirmé qu’il y a un « lobby gay » et un « lobby maçonnique » au Vatican, vous avez dit que les lobbies ne sont « jamais bons ». Que pourrait-on faire pour éliminer l’influence funeste de ces lobbies sur notre sainte Mère l’Eglise ?
- Pape François, croyez-vous que les paroles du Christ concernant l’adultère, le divorce et le remariage tiennent encore debout, et que cet enseignement doit influer sur la discipline de l’Eglise concernant la Sainte Communion, ou – pour citer la LCWR (Leadership Conference of Women Religious, mouvement de religieuses américaines progressistes, ndlr) – avez-vous « dépassé » le Seigneur Jésus-Christ ?
- Votre Sainteté, je suis heureux que vous mentionniez si régulièrement la « miséricorde ». Quelle a été votre motivation pour ce qui semble être au fond la rétrogradation du cardinal Burke, un cardinal hautement approuvé et très estimé, que le pape émérite Benoît XVI a qualifié de “grand cardinal” de l’Eglise ?
- Quelle est votre motivation, quand vous gardez comme confidents proches des hommes qui épousent des positions doctrinales contre l’enseignement pérenne de l’Eglise, comme le cardinal Kasper et le cardinal Marx ?
Malgré toutes ces interrogations inquiètes, au terme de son analyse citée au début de cette revue de presse, R. de Mattei rappelle : « Même si la Fraternité Saint-Pie X n’avait pas existé, si les Franciscains de l’Immaculée n’avaient pas été dissous ou “rééduqués” et si le cardinal Burke n’avait pas été réduit au silence, la crise de l’Eglise ne cesserait pas d’être grave. Le Seigneur a promis que la Barque de Pierre ne coulera jamais, non pas grâce à l’habileté du pilote, mais par la divine Assistance apportée à l’Eglise qui vit, peut-on dire, dans les tempêtes, sans jamais se laisser submerger par les vagues (Matthieu 8, 23–27 ; Marc 4, 35–41 ; Luc 8, 22–25).
« Les fidèles catholiques ne sont pas découragés : ils serrent les rangs, tournent leur regard vers le Magistère constant et immuable de l’Eglise, qui coïncide avec la Tradition, cherchent la force dans les sacrements, continuent à prier et à agir dans la conviction que dans l’histoire de l’Eglise, comme dans la vie des hommes, le Seigneur intervient seulement quand tout semble perdu. Ce qui nous est demandé, ce n’est pas une inaction résignée, mais une lutte confiante avec la certitude de la victoire. »
Sources : Correspondenza romana/Nuova Bussola/Repubblica/Spectator/Italia Oggi/Stampa/That The Bones/à partir des traductions de benoit-et-moi – DICI n°305 du 21/11/14
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