L’Église de Chine (1) : Un lent travail de sape

Lorsque Mao Tse Toung pro­clame la République popu­laire de Chine le 1er octobre 1949, l’Église catho­lique de Chine est flo­ris­sante. Comparés aux 541 mil­lions de chi­nois, les 3,2 mil­lions de catho­liques font certes figure de mino­ri­té, mais quelques chiffres suf­fisent pour mettre en lumière l’esprit mis­sion­naire de ce petit trou­peau. Les cir­cons­crip­tions ecclé­sias­tiques (arche­vê­chés, évê­chés et pré­fec­tures apos­to­liques) sont au nombre de 144. Le cler­gé compte 2.600 prêtres autoch­tones et 3.000 mis­sion­naires étran­gers. Les 17 grands sémi­naires forment 924 sémi­na­ristes et les petits sémi­naires comptent 3.000 élèves. A cela, s’ajoutent3 uni­ver­si­tés, 156 écoles secon­daires, 2.009 écoles pri­maires, 1063 hôpi­taux et dis­pen­saires ain­si que 272 orphelinats.Dès son acces­sion au pou­voir, le régime com­mu­niste va s’efforcer de contrô­ler l’Église catho­lique en Chine et de per­sé­cu­ter ceux qui s’opposent à cette injuste tutelle.Les rai­sons qui sous-​tendent ce contrôle relèvent autant de l’histoire de la Chine que des prin­cipes du communisme.

Le poids de l’histoire et de l’idéologie

De fait, la mise sous tutelle éta­tique de la reli­gion est une réa­li­té ancienne en Chine. De temps immé­mo­riaux, l’administration cen­trale de l’Empire est divi­sée en six branches dont l’une, le Ministère des Rites, assure le contrôle admi­nis­tra­tif des reli­gions en régu­lant la construc­tion des temples, monas­tères et sanc­tuaires, l’activité des prêtres boud­dhistes et taoïstes et la for­ma­tion des futurs ministres du culte. Tout prêtre qui s’immisce dans les affaires du gou­ver­ne­ment est frap­pé de mort. Pratiquée de longue date dans l’Empire du Milieu, l’instrumentalisation de la reli­gion à des fins poli­tiques s’harmonise par­fai­te­ment avec les prin­cipes com­mu­nistes qui pro­clament que la reli­gion est l’« opium du peuple » (Karl Marx, Critique de la phi­lo­so­phie du droit de Hegel, 1843). Pour contrô­ler les reli­gions, le gou­ver­ne­ment chi­nois va donc impo­ser au som­met de chaque confes­sion reli­gieuse une orga­ni­sa­tion cen­trale et natio­nale d’essence poli­tique. Les fon­da­tions suc­ces­sives de l’Association isla­mique de Chine (11 mai 1953), de l’Association boud­dhiste de Chine (3 juin 1953), du Mouvement pro­tes­tant des Trois Autonomies (6 août 1954) et de l’Association taoïste de Chine (12 avril 1957) illus­trent la réa­li­sa­tion de ce plan.

La réforme des trois autonomies

A la fin du XIXe siècle, Henry Venn (angli­can) et Rufus Anderson (pro­tes­tant) for­mulent les trois notions d’autogestion, d’auto-assistance et d’auto-propagation qui devraient à leurs yeux pré­si­der aux mis­sions extrême-​orientales. John Livingston Nevius syn­thé­tise ces prin­cipes dans L’implantation et le déve­lop­pe­ment des églises mis­sion­naires publié en 1886. De quoi s’agit-il ? De se consa­crer à l’apostolat mis­sion­naire en veillant à trois auto­no­mies : auto­no­mie de gou­ver­ne­ment (= nom­mer des autoch­tones à la tête des com­mu­nau­tés chré­tiennes), auto­no­mie des res­sources (= finan­cer l’apostolat grâce à des contri­bu­tions locales), auto­no­mie apos­to­lique (= éli­mi­ner du mes­sage chré­tien toute influence occi­den­tale). En 1950, ces trois prin­cipes refont sur­face dans le Manifeste chré­tien publié par un groupe de pro­tes­tants. Venus dis­cu­ter avec Zhou Enlai des rap­ports entre le pro­tes­tan­tisme et la jeune République popu­laire de Chine, les res­pon­sables pro­tes­tants sont ame­nés par leur inter­lo­cu­teur à faire pro­fes­sion d’anti-impérialisme. En pra­tique, les signa­taires s’engagent à pré­ser­ver l’indépendance et l’autonomie de leurs congré­ga­tions dans le gou­ver­ne­ment, les res­sources et l’apostolat. La fon­da­tion du Mouvement pro­tes­tant des Trois Autonomies en 1954 est la suite logique du Manifeste chré­tien de 1950. Fort de leur suc­cès avec les pro­tes­tants, les auto­ri­tés com­mu­nistes font alors pres­sion sur l’Église catho­lique pour qu’elle s’unisse aux décla­ra­tions anti-​impérialistes et qu’elle res­pecte les « Trois auto­no­mies ». L’initiative de quelques catho­liques chi­nois confère à cette manœuvre un sem­blant de spon­ta­néi­té. Un pre­mier appel est lan­cé par l’abbé Wang Liangzuo et 500 fidèles le 30 novembre 1950. Il est relayé en jan­vier 1951 par le Manifeste de Chungking signé par 14 prêtres, 17 reli­gieuses, 1 frère et 685 fidèles. Les évêques chi­nois réagissent sans tar­der sous la forme d’une Déclaration de prin­cipes qui note qu’une Église natio­nale est par défi­ni­tion une Église schis­ma­tique. Si, en effet, le libre exa­men, l’absence d’Église et de sacer­doce chez les pro­tes­tants peuvent s’accommoder des « Trois auto­no­mies », il n’en est pas de même pour les catho­liques unis à l’Église par le triple lien de la foi, de la grâce et de l’obéissance. Fondé en jan­vier 1951, le Bureau natio­nal des Affaires reli­gieuses pousse à la créa­tion de « Comités catho­liques de réforme » et sus­cite des réunions contra­dic­toires pour faire plier les oppo­sants. Quant à Pie XII, il prend posi­tion dans sa Lettre apos­to­lique aux catho­liques chi­nois du 18 jan­vier 1952 et son ency­clique Ad Sinarum gentes du 7 octobre 1954.

L’Association Patriotique

Alors que la Guerre de Corée se ter­mine, le gou­ver­ne­ment lance en 1953 le « Mouvement anti-​impérialiste pour l’amour de la patrie et de la reli­gion ». Nombreux sont en effet les catho­liques, cler­gé et fidèles, qui jugent que la réforme des « Trois auto­no­mies » est contraire à la nature et aux struc­tures tra­di­tion­nelles de l’Église catho­lique. En revanche, la fon­da­tion d’une Association patrio­tique des catho­liques chi­nois semble moins prê­ter le flanc à la cri­tique. L’amour de la patrie ne relève-​t-​il pas du 4e com­man­de­ment ? La manœuvre est cepen­dant cou­sue de fil blanc. La résis­tance à l’idée d’une Association patrio­tique qui cha­peau­te­rait l’Église catho­lique en Chine et la sépa­re­rait du Saint-​Siège ne tarde pas. La per­sé­cu­tion s’abat alors sur l’Église catho­lique pour écar­ter les uns et ter­ro­ri­ser les autres. A Shanghai, par exemple, le gou­ver­ne­ment fait arrê­ter à l’automne 1955, l’évêque du dio­cèse, 40 des 54 prêtres dio­cé­sains ain­si que 500 à 600 fidèles. Les mis­sion­naires étran­gers sont expul­sés et 300 sémi­na­ristes sont assi­gnés à rési­dence. Les gêneurs ayant été écar­tés, des asso­cia­tions patrio­tiques com­mencent à voir le jour au niveau local. Les auto­ri­tés chi­noises pro­posent alors de les uni­fier au niveau natio­nal en une struc­ture unique. Plusieurs étapes jalonnent ce pro­ces­sus. D’abord, de jan­vier à juillet 1956, des réunions ont lieu entre le Bureau des affaires reli­gieuses et les res­pon­sables des asso­cia­tions patrio­tiques au niveau local et régio­nal. Ensuite, la « Réunion pré­li­mi­naire du Comité pré­pa­ra­toire de l’Association patrio­tique natio­nale » se déroule à Pékin du 19 au 25 juillet 1956. Y par­ti­cipent 36 per­son­na­li­tés catho­liques (dont 4 évêques et 11 vicaires géné­raux ou admi­nis­tra­teurs dio­cé­sains) ori­gi­naires de 23 cir­cons­crip­tions ecclé­sias­tiques sur 139. Enfin, 241 délé­gués se réunissent le 17 juillet 1957 pour mettre la der­nière main aux sta­tuts de l’association patrio­tique natio­nale et rédi­ger une « Déclaration de prin­cipe ». Concrètement, le texte exalte le patrio­tisme, fait l’éloge de la Chine com­mu­niste, cri­tique vio­lem­ment le Vatican et prône l’indépendance et l’autonomie de l’Église chi­noise. L’Association patrio­tique des catho­liques chi­nois (APCC) est fon­dée offi­ciel­le­ment le 2 août 1957 à Pékin. Instrument d’un régime athée, l’APCC fait office de cour­roie de trans­mis­sion des direc­tives poli­tiques à des­ti­na­tion des catho­liques chinois. 

A suivre…

Abbé François Knittel

Sources biblio­gra­phiques :

Source : La Lettre de Saint-​Florent n°273 de sep­tembre 2020