Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 19 avril 1984

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Ce n’est pas sans rai­son que la Sainte Église demande à l’évêque de consa­crer les saintes Huiles en ce jour du Jeudi Saint. Nous avons eu l’occasion, au cours de cette retraite, d’évoquer la pen­sée de saint Thomas d’Aquin, sur ce que sont en véri­té les sacre­ments ins­ti­tués par Notre Seigneur Jésus-​Christ. Saint Thomas nous rap­pelle qu’il y a trois élé­ments fon­da­men­taux dans la pen­sée et la défi­ni­tion des sacrements.

Une réfé­rence au pas­sé, dit saint Thomas, réfé­rence tou­jours vivante, tou­jours réelle, réfé­rence à la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ qui est la cause de la grâce de ces sacre­ments. Cause et source d’où découle la grâce du sacrement.

Le deuxième élé­ment est un élé­ment actuel, un élé­ment qui nous touche de près, qui touche toutes les âmes qui sont atteintes par les bien­faits de la Rédemption : la grâce. La grâce sanc­ti­fiante, ce don extra­or­di­naire qui nous est fait, grâce à la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Enfin, troi­sième élé­ment, dit saint Thomas, c’est la gloire. Car en défi­ni­tive, pour­quoi la pré­sence du Saint-​Esprit dans les âmes sanc­ti­fiées ? C’est pour la gloire, pour être un jour glo­ri­fié dans le Ciel et par­ta­ger la gloire de Dieu.

Nous com­pre­nons mieux alors, pour­quoi ce rap­pro­che­ment de la consé­cra­tion des saintes Huiles qui servent essen­tiel­le­ment aux sacre­ments, avec cette pré­pa­ra­tion de la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, car nous sommes à la veille de l’immolation de l’Agneau pas­cal, veille de la fête de la Pâque.

Et c’est en cette soi­rée que Notre Seigneur Jésus-​Christ va fon­der le sacer­doce ; va par consé­quent ins­ti­tuer cette conti­nua­tion de sa Rédemption, cette conti­nua­tion de sa Passion, en fai­sant ses prêtres et en leur confiant les sacrements.

Et Notre Seigneur a vou­lu que ces sacre­ments, que sa grâce, que son Esprit, son Esprit Saint, nous soit com­mu­ni­qué par des signes sen­sibles ; des signes sen­sibles aux­quels Il a don­né ce pou­voir extra­or­di­naire de com­mu­ni­quer la grâce.

Et puisqu’il s’agit de la vie divine, il s’agit donc d’un élé­ment mys­té­rieux, sublime. On com­prend alors pour­quoi toute cette solen­ni­té pour consa­crer ces saintes Huiles qui vont être por­teuses de la vie divine dans les âmes.

Ces saintes Huiles sont en effet employées dans presque tous les sacre­ments. Et elles servent aus­si même, par l’institution de l’Église alors, à la consé­cra­tion. Elles ser­vaient à la consé­cra­tion des rois, des pro­phètes. Elles servent aus­si à la consé­cra­tion de ceux qui touchent de plus près à la réa­li­sa­tion des sacre­ments, comme la consé­cra­tion du calice, la consé­cra­tion de la patène, la consé­cra­tion de la pierre d’autel, la consé­cra­tion du temple de Dieu, de l’église. Tout cela parce que ces objets ont aus­si un carac­tère divin. Ces objets servent à la trans­mis­sion de la vie divine en nous. Quelle mer­veille, quelle splen­deur, quelle muni­fi­cence de la part de Dieu, de nous don­ner ain­si à tra­vers ces créa­tures, sa vie divine.

Et je vou­drais insis­ter sur ce qui est pré­sent dans les élé­ments du sacre­ment. Certes nous devons tou­jours pen­ser à la Passion de Notre Seigneur, à son Cœur sacré, ouvert, duquel ont cou­lé le Sang et l’eau qui sont les sources de la grâce de nos sacre­ments. Mais c’est tout de même pour nous actuel­le­ment la grâce sanc­ti­fiante qu’il importe d’avoir dans nos cœurs, afin d’être agréables à Dieu.

Car, hélas, il faut affir­mer ces véri­tés de notre foi. Ces véri­tés qui ont été affir­mées d’une manière solen­nelle – je dirai – par saint Paul lui-​même, dans le trei­zième cha­pitre de son Épître aux Corinthiens, lorsqu’il fait cette magni­fique des­crip­tion de la cha­ri­té. Mais avant de dire ce qu’est la cha­ri­té, saint Paul rap­pelle que sans la cha­ri­té nous ne sommes rien. Nihil sum ! Nous sommes des cym­bales son­nantes, qui ne signi­fient rien si nous n’avons pas la cha­ri­té, si nous n’avons pas la grâce en nous. Nous pou­vons don­ner notre corps à brû­ler ; nous pou­vons don­ner tous nos biens ; nous pou­vons faire tous les actes que nous vou­lons, les plus sublimes, les plus extra­or­di­naires, nous don­ner nous-​mêmes, tout cela ne sert à rien : nihil est, s’il n’y a pas la cha­ri­té, s’il n’y a pas la grâce en nous.

Pourquoi cela ? Parce que désor­mais, après le péché ori­gi­nel, seul Dieu peut rendre gloire à Dieu. Seul Notre Seigneur Jésus-​Christ – le Verbe de Dieu – incar­né venant en nous, pre­nant pos­ses­sion de notre âme, par Lui-​même, par son Esprit et par la pré­sence du Père, par la pré­sence de la Sainte Trinité, peut chan­ter la gloire du Bon Dieu et être agréable à Dieu. Sans lui, nous ne pou­vons rien. Sans Notre Seigneur Jésus-​Christ nous ne pou­vons plus rien pour la gloire du Bon Dieu. Ainsi Il l’a vou­lu, ain­si Il l’a déci­dé. D’où le prix de la grâce, d’où la néces­si­té de la grâce.

Alors nous qui avons cet immense pri­vi­lège de rece­voir la grâce de Notre Seigneur au jour de notre bap­tême et d’avoir fait sans doute tous nos efforts pour la gar­der, cette grâce, gar­der en nous la pré­sence du Saint-​Esprit, gar­der en nous la pré­sence de Dieu, afin d’être agréable à Dieu, afin que tous nos actes soient non seule­ment agréables, mais méritent aus­si, méritent la vie éter­nelle, méritent la gloire, non seule­ment pour nous, mais pour les autres. Alors esti­mons ce don précieux.

Si scires donum Dei (Jn 4,10), dit Notre Seigneur à la Samaritaine : « Si tu connais­sais le don de Dieu ». Et Notre Seigneur donne une image de ce qu’est ce don de Dieu. C’est une source, une fon­taine vivante qui irrigue nos âmes et qui donne ain­si nais­sance à toutes les ver­tus, à toutes les ver­tus chré­tiennes, à tous les dons du Saint-​Esprit, aux béa­ti­tudes, à tout ce qui fait fleu­rir nos âmes et qui les rend agréables au Bon Dieu.

Cette image de la fon­taine vivante, me rap­pelle des sou­ve­nirs du désert. Ayant eu par­fois l’occasion de visi­ter des oasis, on com­prend mieux l’image de Notre Seigneur. Dans un désert inté­gral, où rien ne pousse, aucune herbe ne vient au jour, où se trouvent tout à coup, comme par miracle, quelques hec­tares de terre où l’on voit sur­gir ces fon­taines, bien sou­vent sur les­quelles on a posé des pierres, afin qu’elles ne soient pas trop jaillis­santes. Mais l’eau coule en abon­dance, une eau claire, lim­pide, qui irrigue par des petits canaux tous les envi­rons de cette source. Et des mer­veilles poussent : pal­miers, oran­gers, man­da­ri­niers, du blé, du maïs, tout pousse à sou­hait dans ce désert inté­gral, où aus­si loin que la vue peut s’étendre, il n’y a rien, rien, rien. Eh bien, je pense que cette image que Notre Seigneur donne, signi­fie bien ce que sont les cœurs qui ont reçu la grâce du Bon Dieu. Cette eau, cette source, cette fon­taine de vie qui jaillit vers le Ciel, pro­duit en nous toutes ces ver­tus chré­tiennes dont nous avons besoin et qui nous pré­parent à la gloire du Ciel.

Pour nous, mes bien chers amis, pour nous prêtres sur­tout, qui devons uti­li­ser sou­vent ces signes sen­sibles que Notre Seigneur a ins­ti­tués pour confé­rer la grâce aux âmes, ayons un pro­fond res­pect, une pro­fonde dévo­tion pour toutes ces ins­ti­tu­tions que Notre Seigneur a faites, afin de don­ner véri­ta­ble­ment la grâce aux âmes. Et pré­pa­rons aus­si les cœurs, afin qu’ils les reçoivent digne­ment et qu’ils reçoivent cette grâce en abondance.

Car s’il est vrai que ces signes pro­duisent leur effet, comme disent les théo­lo­giens : ex operæ ope­ra­to, c’est-à-dire par eux-​mêmes, il n’en est pas moins vrai que les dis­po­si­tions des fidèles comptent aus­si dans l’abondance des bien­faits qui sont don­nés, dans l’abondance de la grâce qui est don­née. Meilleures sont les dis­po­si­tions, plus le cœur est ouvert ; plus le cœur est géné­reux et plus la grâce du Bon Dieu se répand en lui. À nous de les pré­pa­rer. Et à nous d’affirmer jus­te­ment cette véri­té : Que là où il n’y a pas la grâce, rien n’est utile au salut.

Ce sont des véri­tés qu’aujourd’hui on ne veut plus affir­mer, parce qu’elles sont pénibles. On vou­drait, on vou­drait bien que toutes les âmes aient la grâce, évi­dem­ment. Mais nous ne pou­vons pas la don­ner, là où il y a une oppo­si­tion à Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même ; là où il y a une oppo­si­tion à la foi.

On nous ferait croire, à pré­sent, que tous les bap­têmes qui sont don­nés aux pro­tes­tants par exemple, sont fruc­tueux. Je dis fruc­tueux – même s’ils étaient tous valides, ce qui n’est pas tou­jours le cas, hélas – même si tous ces bap­têmes étaient valides, là où il n’y a pas la foi – chez des adultes par exemple – là où il n’y a pas la foi catho­lique, il y a un obs­tacle à la grâce. Le fait de refu­ser une véri­té de notre foi est une oppo­si­tion à Dieu Lui-​même, à l’autorité de Dieu Lui-​même – car c’est Dieu qui révèle – nous oppo­ser à Dieu, empê­cher la grâce de venir dans nos âmes. Il en est de même pour un caté­chu­mène adulte qui est en état de péché mor­tel et qui n’a pas eu de véri­table contri­tion de sa faute.

Demeurant dans l’état de péché mor­tel, il y a en lui un obs­tacle. Et pour­tant le bap­tême est valide. Il aura le carac­tère dans son âme. Mais ce carac­tère ne sera fruc­tueux que le jour où l’obstacle sera levé. Dès lors la foi sera par­faite, dès lors que le péché sera enle­vé de cette âme péche­resse, eh bien la grâce abon­de­ra dans son âme. Mais s’il y a cet obs­tacle, le sacre­ment n’est pas fructueux.

C’est une chose impor­tante. Nous ne pou­vons pas aller à l’encontre des lois divines dans le domaine de la grâce. Ainsi Dieu l’a vou­lu. D’où le désir que nous devons avoir de pré­pa­rer les âmes à la grâce. Faire en sorte que toutes les âmes la reçoivent. Car sans la grâce nous ne pou­vons pas aller au Ciel.

La grâce – encore une fois – c’est la pré­sence du Saint-​Esprit dans nos âmes, et pour nous-​mêmes, quelle leçon aussi.

Soyons tou­jours vigi­lant afin de demeu­rer en état de grâce et deman­dons au Bon Dieu de nous don­ner tout ce dont nous avons besoin pour nous main­te­nir dans cet état de grâce.

Demandons-​le tout par­ti­cu­liè­re­ment à notre bonne Mère du Ciel, elle qui a été pleine de grâce, emplie de grâce par l’Esprit Saint. Qu’elle veuille bien nous aider à demeu­rer dans la grâce et dans l’amour de l’Esprit Saint, dans la cha­ri­té, comme elle y est res­tée, elle, toute sa vie et qu’elle a été main­te­nant glo­ri­fiée dans le Ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.