Sermon de Mgr Lefebvre – Pâques – Prise d’habit – 18 avril 1976

Mes bien chers frères,

Au cours de ces der­nières jour­nées de la Semaine Sainte nous avons vécu des heures inou­bliables, en essayant de par­ti­ci­per aux sen­ti­ments que Notre Seigneur Jésus-​Christ avait Lui-​même au cours des der­nières jour­nées de sa vie.

Le Jeudi Saint, c’était les dou­leurs que Notre Seigneur éprou­vait par la tra­hi­son de l’un de ses apôtres : Judas. Et bien­tôt dans la soi­rée, par l’abandon de ses apôtres eux-​mêmes que pour­tant Il venait de faire prêtres, prêtres pour l’éternité, pour les­quels Il avait offert le pre­mier Sacrifice, au cours de la Cène.

Ses apôtres l’abandonnent. Nouvel aban­don, nou­velles dou­leurs pour Notre Seigneur Jésus-​Christ. Le len­de­main, au cours de la jour­née du Vendredi Saint, la mort de Notre Seigneur ; c’est le déchi­re­ment du cœur de Jésus de voir que son peuple bien- aimé, le peuple d’Israël, qu’il a choi­si pour naître ici-​bas ; qu’il a choi­si pour accom­plir son œuvre de Rédemption, le cru­ci­fie, le renie, le rejette.

Nouveau déchi­re­ment pour Notre Seigneur. Et enfin, comme si Notre Seigneur Lui-​même vou­lait avant de mou­rir, pou­voir dire qu’il a tout don­né à son Père, qu’il n’a rien gar­dé pour Lui, Notre Seigneur voyant sa mère au pied de la Croix, la remet entre les mains de saint Jean. Notre Seigneur peut vrai­ment dire qu’il a tout don­né, que tout est consom­mé. Il n’a plus rien, rien ici-​bas, mais tout au Ciel.

Au moment même où les portes de l’enfer qui ont réus­si à Le fla­gel­ler, qui ont réus­si à réduire son Corps, sem­blable à celui d’un lépreux, qui ont réus­si à Le faire mou­rir, c’est le moment de la vic­toire de Notre Seigneur.

De même lorsque le Pharaon croyant pou­voir rame­ner les juifs en Égypte pour les réduire à nou­veau en escla­vage. Dieu englou­tit dans les eaux de la Mer rouge les armées du Pharaon dont il se glo­ri­fiait. Ainsi les gardes qui étaient auprès du tom­beau de Notre Seigneur ont été ter­ras­sés. Et Notre Seigneur, mal­gré les armes dont se glo­ri­fient les princes de ce monde, a triom­phé et Il est main­te­nant comme Il est tou­jours, ce que ce matin, dans la nuit, nous disions de Notre Seigneur : Christus heri, hodie et in sæcu­lo : « Le Christ hier, aujourd’hui et dans tous les siècles ». Principium et Finis : « Il est le com­men­ce­ment et la fin ». Alpha et Oméga. « Il est l’alpha et l’oméga. » À Lui, sont tous les temps. Ipsius sunt tem­po­ra et sæcu­la (béné­dic­tion du cierge pas­cal). Le temps et l’éternité lui appar­tiennent. Ipsi glo­ria et impe­riumm per uni­ver­sa æter­ni­ta­tis sæcu­la (op. cit.).

À Lui sont la gloire et le com­man­de­ment : impe­rium. Maintenant et dans tous les siècles. Voilà ce qu’est Notre Seigneur.

Ainsi Notre Seigneur a fait Lui aus­si son tran­si­tas, sa Pâque, son pas­sage de ce monde d’ici-bas dans lequel les puis­sances des ténèbres ont essayé de l’écraser, ont essayé de l’empêcher d’accomplir son œuvre. À tra­vers toutes ces dif­fi­cul­tés. Notre Seigneur est mon­té au Ciel glo­rieux, triom­phant, comme les Hébreux ont triom­phé aus­si du pha­raon, faible image de la Pâque de Notre Seigneur, de ce pas­sage à l’éternité, de ce pas­sage à son Père.

C’est là un exemple pour nous. Nous devons, si nous vou­lons par­ti­ci­per à la gloire de Notre Seigneur ; si nous vou­lons par­ti­ci­per à sa Résurrection, par­ti­ci­per à sa Rédemption, nous devons Le suivre. Il l’a dit :

Exemplum dedi vobis, ut que­mad­mo­dum ego fecit vobis, ita et vos facia­tis (Jn 13,15) : « Je vous ai don­né l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fas­siez aus­si vous-​mêmes ». Il nous a dit : suivez-​moi, sui­vez mon exemple, suivez-​moi en por­tant votre croix et alors, vous par­ti­ci­pe­rez aus­si à ma gloire. Voilà ce que Notre Seigneur nous dit aujourd’hui à cha­cun d’entre nous.

Et m’adressant par­ti­cu­liè­re­ment à ces chères pos­tu­lantes qui, dans quelques ins­tants, vont revê­tir l’habit reli­gieux, je vou­drais, d’une cer­taine manière, leur dire com­ment concré­ti­ser cet appel de Notre Seigneur Jésus-​Christ à Le suivre. Oh, certes, cela peut ser­vir pour nous tous. Nous avons besoin tou­jours de l’exemple de Notre Seigneur dans toutes les condi­tions dans les­quelles nous sommes. Tous les fidèles, tous ceux qui sont chré­tiens, qui s’honorent de ce nom de chré­tien, qui sont donc les dis­ciples de Notre Seigneur Jésus-​Christ, doivent Le suivre. Et il me semble que l’on peut concré­ti­ser d’une manière plus effec­tive, d’une manière plus évi­dente, cette suite de Notre Seigneur Jésus-​Christ en reli­sant les Béatitudes.

De même que Notre Seigneur est né pauvre, Il a vou­lu mou­rir pauvre. On lui a tout enle­vé, jusqu’à déchi­rer son propre Corps, jusqu’à faire cou­ler tout son Sang. On lui a tout enle­vé. Il est mort pauvre, comme Il est né pauvre. Beati pau­peres spi­ri­tu quo­niam ipso­rum est regnum cœlo­rum (Mt 5,3).

Bienheureux les pauvres en esprit, parce qu’à eux appar­tien­dra le royaume des Cieux.

Voilà ce que Notre Seigneur nous enseigne.

Mais qu’est donc cette pau­vre­té ? Peut-​être trop faci­le­ment nous le com­pre­nons comme une pau­vre­té maté­rielle. C’est bien plus que cela ! C’est beau­coup plus beau que cela, beau­coup plus grand que cela cette pau­vre­té dont nous parle Notre Seigneur.

La pau­vre­té c’est en trois mots : la doci­li­té, la dis­po­ni­bi­li­té et le détachement.

Dans notre esprit et dans notre intel­li­gence, être pauvre c’est nous rem­plir de la Vérité pour que nous soyons rem­plis de la Vérité qu’est Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car, désor­mais, nous n’avons plus rien d’autre ici-​bas que Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous n’avons plus d’autre Dieu ; nous n’avons plus d’autre voie ; nous n’avons plus d’autre véri­té ; nous n’avons plus d’autre secours ; nous n’avons plus d’autre sou­tien, d’autre salut, que Notre Seigneur Jésus-Christ.

Il est donc tout pour nous. Tout pour nos intel­li­gences aus­si. Alors, il faut vider nos intel­li­gences de nous-​mêmes. Dans la mesure où nous sommes atta­chés à nos propres idées, alors nous ne sommes pas avec Notre Seigneur Jésus-​Christ. Dans cette mesure aus­si, nous n’avons pas Notre Seigneur JésusChrist en nous. Il faut ouvrir nos âmes, nos esprits à Notre Seigneur Jésus-​Christ, à la Vérité. Et à cette Vérité, pré­ci­sé­ment, que Notre Seigneur Jésus-​Christ est notre Roi ; que Notre Seigneur Jésus-​Christ est Dieu ; que Notre Seigneur Jésus-​Christ est. Lui, la seule source de notre salut.

Et c’est pour­quoi nous sommes angois­sés aujourd’hui. Nous sommes anxieux et c’est pour­quoi nous fai­sons tant de réserves à tout ce qui se dit, à tout ce qui se fait aujourd’hui, à tous ceux qui vou­draient nous arra­cher la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ. On vou­drait nous la dimi­nuer ; on vou­drait dimi­nuer le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Comme je l’ai enten­du dire de la bouche d’un pré­lat très éle­vé, que le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ n’était plus pos­sible ; qu’il ne fal­lait plus y pen­ser. Est-​ce pos­sible ? Est-​ce possible ?

Pour nous, nous croyons au règne social de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Il est Roi. Il doit être Roi. Et quand bien même tous les États seraient laï­ci­sés ; quand bien même toutes les Sociétés seraient maçon­niques ; quand bien même toutes les Sociétés se lève­raient contre Notre Seigneur Jésus-​Christ, comme le disaient d’ailleurs nos prières, au cours de la Semaine Sainte :

Astiterunt reges terræ et prin­ci­pi­bus conve­ne­runt in unm adver­sus Dominum, et adver­sus Christum ejus (Ac 4,26) : « Les rois se sont levés contre Notre Seigneur Jésus-​Christ, les puis­sances de ce monde se sont levées contre Notre Seigneur Jésus-​Christ », est-​ce que nous serons d’accord avec cela ? Non ! Nous croyons au royaume de Notre Seigneur Jésus-​Christ ; nous le vou­lons pour nous per­son­nel­le­ment ; nous le vou­lons pour nos familles ; nous le vou­lons pour nos cités.

Notre Seigneur a le droit de régner sur nous. Il régne­ra dans l’éternité, mais Il doit régner ici-​bas aus­si. Ne prononçons-​nous pas tous les jours : Pour que votre règne arrive ? Ne prononçons-​nous pas tous les jours : Pour que votre volon­té, Ô Notre Seigneur Jésus-​Christ, soit faite ici-​bas comme au Ciel ?

Alors si la royau­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ doit être aus­si belle, aus­si grande ici-​bas qu’au Ciel, que pouvons-​nous dési­rer davan­tage ? Voilà quel est notre pro­gramme, le pro­gramme que Notre Seigneur Jésus-​Christ nous a don­né. Voilà quelle est notre Vérité et nous ne vou­lons pas que l’on nous l’enlève ; nous ne vou­lons pas que l’on nous la dimi­nue. Nous y tenons jusqu’au plus pro­fond de notre âme. Nous sommes prêts à don­ner notre sang pour le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ, comme l’ont fait tous les mar­tyrs, tous les saints.

Docilité à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Disponibilité, dis­po­ni­bi­li­té de notre volon­té à celle de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Disponible. Que voulez-​vous que je fasse, comme le dit saint Paul, ter­ras­sé par la puis­sance de Notre Seigneur Jésus-​Christ : « Que voulez-​vous que je fasse, ô Seigneur ? » « Que votre volon­té soit faite » : Fiat volun­tas tua.

Voilà ce que nous devons tou­jours avoir dans nos cœurs et dans nos volon­tés. La volon­té de Dieu, qu’elle soit faite, la volon­té de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Être dis­po­nible, par consé­quent ne rien oppo­ser à la volon­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ et ne jamais s’opposer à sa sainte Volonté. C’est la per­fec­tion. Nous devrions recher­cher cette per­fec­tion et cher­cher en nous tout ce qui peut être un obs­tacle à l’accomplissement de la sainte Volonté de Dieu et de Notre Seigneur en nous. Disponibilité.

Enfin, dans les choses maté­rielles : déta­che­ment, sui­vant les condi­tions dans les­quelles nous vivons. User des biens de ce monde, sui­vant notre condition.

Et pour vous, mes bien chères pos­tu­lantes, qui allez deve­nir bien­tôt aux yeux du monde, des reli­gieuses par l’habit que vous por­te­rez, soyez com­plè­te­ment déta­chées, com­plè­te­ment déta­chées des biens de ce monde, de tous les biens de ce monde. N’ayez plus d’autres pen­sées, dans vos intel­li­gences, dans vos cœurs, dans vos âmes, que celle de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Qu’il soit votre amour ; qu’il soit votre pré­oc­cu­pa­tion ; qu’il soit votre sou­ci ; qu’il soit Celui auquel vous pen­sez nuit et jour. Suivez-Le !

Dans quelques ins­tants, vous allez faire aus­si votre tran­si­tas, vous allez faire aus­si votre pas­sage, votre pas­sage appa­rem­ment de ce monde, à la vie reli­gieuse. Par le fait même, vous mon­te­rez de vos places jusqu’à l’autel. Vous ferez ce pas­sage. Vous quit­te­rez le monde ; vous quit­te­rez vos familles ; vous quit­te­rez tout ce à quoi vos avez été atta­chée plus ou moins indû­ment jusqu’à pré­sent, pour vous atta­cher uni­que­ment à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Voilà ce que nous apprend la fête de Pâques, mes bien chers frères. La pau­vre­té. Beati pau­peres.

Telle est la pau­vre­té. Pauvreté de nos intel­li­gences qui se tra­duit par la doci­li­té ; pau­vre­té dans la volon­té qui se tra­duit par la dis­po­ni­bi­li­té, pau­vre­té dans le déta­che­ment des biens de ce monde.

Quæ sur­sum sunt guæ­rite, ubi Christus est in dex­te­ra Dei sedens : quæ sur­sum sunt sapite, non quæ super ter­ram (Col 3,1–2). Cherchez les choses d’en haut. Ne cher­chez pas les choses de la terre. Voilà ce que nous chan­tons aujourd’hui même à l’occasion du triomphe de Notre Seigneur Jésus-​Christ sur tous les élé­ments de ce monde.

Bien chères pos­tu­lantes, vous deman­de­rez à la très Sainte Vierge Marie, de vous aider à com­prendre ces choses, de prendre une réso­lu­tion ferme aujourd’hui de vous atta­cher à Notre Seigneur Jésus-​Christ, d’être vrai­ment les épouses de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Que plus rien dans votre cœur ne puisse s’opposer à ce que Notre Seigneur veut de vous. Et alors vous serez de véri­tables religieuses.

Car ne croyez pas que la vie reli­gieuse est une vie sans croix. Puisque Notre Seigneur a vou­lu que tout le monde porte sa croix. Il est bien nor­mal que tous ceux qui sont plus près de Lui, en portent davan­tage. C’est nor­mal. Vous aurez vos croix à por­ter ; vous les por­te­rez courageusement.

Et aus­si, vous serez un exemple pour le monde. Pour ce monde qui ne sait plus ce qu’est la Vérité ; qui ne sait plus ce que c’est que de faire la volon­té de Dieu ; qui ne sait plus ce que c’est que le déta­che­ment des biens de ce monde, qui est en train de se perdre et de se livrer aux puis­sances de l’enfer.

Alors vous serez un exemple et une pré­di­ca­tion conti­nuelle par votre atti­tude, par votre com­por­te­ment, par vos prières.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.