Sermon de Mgr Lefebvre – Diaconat – Ordres mineurs – 3 avril 1976

Mes bien chers frères,

Avant de pro­non­cer quelques mots d’exhortation aux futurs ordon­nés, je tiens à dire à ceux qui sont ici pré­sents, que les ordi­na­tions que nous don­nons, nous les jugeons comme tout à fait fon­dées cano­ni­que­ment. Je l’ai expli­qué aux sémi­na­ristes eux-​mêmes, afin que dans la per­sé­cu­tion que nous subis­sons actuel­le­ment, per­sé­cu­tion dont seul Dieu connaît les tenants et les abou­tis­sants, nous vou­lons cepen­dant, dans toute la mesure où cela est lais­sé pos­sible, demeu­rer dans la plus par­faite légalité.

D’autre part, nous ne devons pas oublier que toute loi, que ce soit la loi civile, que ce soit la loi ecclé­sias­tique, est faite pour la vie, est faite pour com­mu­ni­quer, pour pro­té­ger et aider la vie, soit la vie natu­relle, soit la vie sur­na­tu­relle, à se répandre. La loi est au ser­vice de la vie. La loi, par consé­quent, est au ser­vice de la foi, au ser­vice de la grâce, au ser­vice de la vie sur­na­tu­relle. Et s’il arri­vait que cette loi fut uti­li­sée comme il arrive mal­heu­reu­se­ment sou­vent dans les légis­la­tions civiles, que cette loi fut uti­li­sée pour faire avor­ter la vie, pour faire avor­ter la vie spi­ri­tuelle, alors il est clair que nous ne pou­vons pas nous sou­mettre à des lois qui au lieu d’être uti­li­sées pour la fin pour laquelle elles ont été faites et créées par Dieu, seraient au contraire uti­li­sées contre Dieu.

C’est pour­quoi, dans cer­taines cir­cons­tances, nous nous trou­vons dans l’obligation de ne pas obéir à cer­taines lois. Vous le savez très bien pour des lois civiles et cela peut arri­ver mal­heu­reu­se­ment pour des lois ecclé­sias­tiques aussi.

Par consé­quent, c’est en toute sin­cé­ri­té, en toute sécu­ri­té de conscience, en toute objec­ti­vi­té que, aujourd’hui, je n’hésite pas à confé­rer les ordres à ceux qui se pré­sentent pour les rece­voir et qui ont été jugés dignes de les recevoir.

Mes chers amis, je m’adresserai par­ti­cu­liè­re­ment à ceux d’entre vous qui, dans quelques ins­tants, vont rece­voir l’ordre du dia­co­nat, car cet ordre a déjà une très grande impor­tance en lui-​même, parce que – comme le dit le Pontifical – vous êtes les Comministri et coope­ra­tores san­gui­nis et cor­po­ris Jésus Christi.

C’est cela qui fait la digni­té des ordres, dans la mesure où ces ordi­na­tions vous donnent un pou­voir sur le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, cet ordre est d’autant plus digne et d’autant plus grand.

Et parce que vous deve­nez vrai­ment des coopé­ra­teurs et des ministres du Corps et du Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, alors vrai­ment vous devez réflé­chir à la digni­té que le Bon Dieu veut vous confé­rer aujourd’hui.

En effet, vous pou­vez éven­tuel­le­ment, non pas d’une manière ordi­naire, mais éven­tuel­le­ment, tou­cher le Corps et le Sang du Christ et, éven­tuel­le­ment, dans les cas extra­or­di­naires, les dis­tri­buer. Vous êtes les ministres extra­or­di­naires du sacre­ment de l’Eucharistie. Et vous pou­vez por­ter Notre Seigneur Jésus-​Christ publi­que­ment. Vous le faites par exemple et vous le ferez lorsque vous expo­se­rez le Saint Sacrement. Vous serez donc les gar­diens du Corps et du Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Quelle digni­té et quelle sublimité !

Et le Pontifical vous donne comme exemple le diacre saint Étienne. Le Pontifical insiste sur la pure­té, sur la per­fec­tion, sur la sain­te­té du diacre qui doit imi­ter saint Étienne.

Saint Étienne était Plenus gra­tia et for­ti­tu­dine disent les Actes des Apôtres : plein de grâce et de force (Ac 6,5).

Et vous savez qu’après le dis­cours véhé­ment et plein de zèle et de cha­ri­té que saint Étienne adres­sait à ses adver­saires et à ses bour­reaux, les Actes des Apôtres disent : Dissecabantur in cor­di­bus eorum. Audientes autem hæc dis­se­ca­ban­tur cor­di­bus suis, et stri­de­bant den­ti­bus in eum : « À ces paroles ils entrèrent dans une rage qui leur déchi­rait le cœur, et ils grin­çaient des dents contre lui ».

Ils rageaient en quelque sorte dans leur cœur, en voyant saint Étienne rem­pli du Saint-​Esprit. Et stri­de­bant den­ti­bus suis : Et leurs dents grin­çaient de colère, d’entendre par­ler saint Étienne. Et, comme le disent encore les Actes des Apôtres, ils étaient stu­pé­faits et ne pou­vaient rien faire devant la force du Saint-​Esprit qui l’animait.

Et voi­ci que tout à coup, saint Étienne voit la gloire de Dieu et il dit : « Je vois les Cieux ouverts et le Fils de l’homme assis à la droite de Dieu le Père tout-​puissant ». Alors ils ne tinrent plus et pre­nant des pierres, ils le lapidèrent.

Eh bien, mes chers amis, je crois qu’il y a là un exemple qui vous est don­né par le rite de l’ordre du dia­co­nat et qui est un exemple à retenir.

Pourquoi l’Église insiste-​t-​elle pour que vous res­sem­bliez à saint Étienne, que vous ayez aus­si, vous, des cœurs purs, que vous ayez le désir de vous déta­cher des choses de ce monde, pour être atta­chés à Dieu, pour être atta­chés à Notre Seigneur Jésus-Christ ?

Étant ain­si pré­pa­rés, étant ain­si dis­po­sés dans vos cœurs et dans vos intel­li­gences, ayant puri­fié vos intel­li­gences et vos cœurs, vous ver­rez la gloire de Dieu, vous aus­si. Vous devez la voir. Vous devez voir Notre Seigneur Jésus-​Christ, à la droite de son Père, dans les Cieux. Vous devez Le voir dans la Sainte Eucharistie. Vous devez Le voir dans le Saint Sacrifice de la messe. Il faut que vous contem­pliez dans le Saint Sacrifice de la messe, la pré­sence de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et c’est cela pré­ci­sé­ment que Notre Seigneur a vou­lu nous don­ner. Il a vou­lu que le Ciel soit sur la terre. Il a vou­lu faire des­cendre le Ciel sur la terre, en des­cen­dant Lui-​même par­mi nous. En étant par­mi nous, le Ciel est sur la terre. Et lorsque nous Le rece­vons, le Ciel est dans notre cœur.

Vous, diacres désor­mais, qui avez le pou­voir sur le Corps et sur le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, vous devez voir cela. Vous devez croire à la gloire du Dieu tout-​puissant. Vous devez croire à la gloire de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Vous devez croire à la gloire de Notre Seigneur Jésus-​Christ pré­sent dans la Sainte Eucharistie.

Et c’est pré­ci­sé­ment cela que Notre Seigneur a vou­lu. Il a vou­lu par son Sacrifice, nous apprendre à vivre en chré­tiens ; nous apprendre à nous unir à Lui ; nous apprendre ce qu’est la civi­li­sa­tion chrétienne.

Tout est dans le Saint Sacrifice de la messe. On y trouve toutes les ver­tus, ver­tus per­son­nelles, ver­tus sociales, ver­tus fami­liales. Tout se trouve dans le Saint Sacrifice de la messe. Le Saint Sacrifice de la messe est une école, une école de pure­té, une école de chas­te­té, école de res­pect, école d’adoration, école de charité.

Si nous com­pre­nions tout ce que Dieu a vou­lu nous don­ner par le Saint Sacrifice de la messe, alors nous com­pren­drions mieux aus­si ce qu’est le Saint Sacrifice de la messe, sa valeur divine, sa valeur per­pé­tuelle, sa valeur qui a une péren­ni­té comme celle de Dieu Lui-​même, car c’est Dieu sur terre. Le Saint Sacrifice de la messe, c’est Dieu sur terre, par son Saint Sacrifice, par sa Croix. Regnavit a ligno 

Deus : « Dieu régne­ra par la Croix, par le Sacrifice de la Croix. »

Notre Seigneur nous apprend, par consé­quent, en venant sur nos autels, tout ce qu’il est. Il est le Roi. Il est le Créateur. Il est le Dieu tout-​puissant et éter­nel. Per quem omnia fac­ta sunt : Par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait. Il est le Verbe de Dieu. Il a donc tout pou­voir sur nos âmes, sur les familles, sur la Cité, sur toute la terre, sur toutes les choses maté­rielles, spi­ri­tuelles. Il est le Roi de toutes choses. Et c’est cela que nous apprend le Saint Sacrifice de la messe.

Nous devons reti­rer de notre pré­sence au Saint Sacrifice de la messe, cette conscience que nous sommes unis à Celui qui est Tout, nous qui ne sommes rien. Et reti­rer de notre contact avec Notre Seigneur Jésus-​Christ, des sen­ti­ments que nous avons vécus des heures du Ciel, des heures du Paradis et que nous nous y pré­pa­rons. Que nous devons être rem­plis d’humilité, rem­plis d’esprit d’adoration devant Celui qui est notre tout.

Et je vou­drais vous lire la tra­duc­tion de l’hymne de la fête du Christ-​Roi, qui exprime cela d’une manière admi­rable. Ce sont là les sen­ti­ments que nous devons avoir lorsque nous assis­tons au Saint Sacrifice de la messe :

« Ô Prince de tous les siècles. Ô vous Christ, Roi des Nations, nous vous décla­rons le seul maître de nos esprits et de nos cœurs.

« La foule scé­lé­rate crie : Nous ne vou­lons pas du Christ-Roi.

« Nous, joyeux, nous vous pro­cla­mons Roi-​Suprême de tous les hommes.

« Ô Christ, vrai Prince de la paix. Soumettez-​vous les cœurs rebelles, et par votre amour, ras­sem­blez les errants dans le seul bercail.

« C’est pour­quoi sur la Croix san­glante vous pen­dez, les bras grands ouverts dévoi­lant ouvert par la lance un cœur tout embra­sé de flammes.

« C’est pour­quoi, pré­sent sur l’autel sous les signes du Pain et du Vin, vous ver­sez sur nous le salut jailli de votre cœur ouvert.

« Puissent les gou­ver­nants des peuples, vous offrir un culte public, maîtres, juges, vous hono­rer, arts et lois chan­ter votre gloire.

« Que les dra­peaux se glo­ri­fient de se voir consa­crés à vous. Soumettez à votre doux règne la Patrie et tous ses foyers.

« Jésus à vous soit toute gloire, arbitre des pou­voirs du monde comme au Père et au Saint-​Esprit tout au long des siècles sans fin ».

Voilà ce qu’est la pré­sence de Notre Seigneur Jésus-​Christ sur nos autels. Il est notre Roi. Et nous devons dési­rer avant tout son Règne. Son règne en nous-​mêmes, son règne dans les familles, son règne dans la Cité.

Et c’est pré­ci­sé­ment parce que tout ce que nous res­sen­tons actuel­le­ment de ces chan­ge­ments qui sont inter­ve­nus dans l’Église, nous sous­traient toute cette théo­lo­gie, toute cette Vérité, toute cette réa­li­té divine, toute cette pré­sence du Ciel par­mi nous et nous fait ren­trer – en quelque sorte – dans le temps, alors nous mon­tons dans l’éternité. Et que le Bon Dieu a vou­lu venir par­mi nous, pour nous faire déjà par­ti­ci­per à l’éternité en venant dans nos cœurs ; voi­ci que tout à coup, on nous fait ren­trer dans le temps et dans le milieu des hommes et que ces réunions de culte, res­semblent de plus en plus à une réunion humaine qu’à une réunion divine, qu’à une réunion avec Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et c’est cela je pense, le pro­blème fon­da­men­tal de ce qui doit nous pré­oc­cu­per aujourd’hui. Si ce n’est plus le Ciel qui est sur nos autels, si ce n’est plus le Ciel qui est don­né dans nos cœurs, alors nous retom­bons dans le temps, entre hommes.

Et l’on aura beau par­ler de digni­té humaine, on aura beau par­ler d’hommes adultes, on aura beau par­ler du « culte de l’homme », tout cela n’y fera plus rien, tout cela sera vide de sens, vide de la réa­li­té divine.

Et c’est pour­quoi la civi­li­sa­tion chré­tienne ne peut plus se déve­lop­per, ne pour­ra plus se déve­lop­per. C’est pour­quoi il n’y a plus de voca­tions sacer­do­tales. C’est pour­quoi il n’y a plus de voca­tions reli­gieuses. Parce que Dieu n’est plus pré­sent par­mi nous. Là où Dieu est pré­sent, Dieu sus­cite les voca­tions. Les âmes prennent contact avec le Ciel, ont un désir du Ciel.

Les âmes prennent contact avec l’éternité, se détachent du temps. Les âmes qui prennent contact avec Dieu, se détachent des choses créées.

Et c’est cela qui sus­cite en elles ce désir de se don­ner tout entier au Bon Dieu. Voilà la source véri­table des voca­tions. C’est pour­quoi, nous ne devons pas hési­ter à main­te­nir le Saint Sacrifice de la messe tel que l’Église nous l’a don­né depuis des siècles. Parce qu’il est la source de notre sanc­ti­fi­ca­tion, la source de la sanc­ti­fi­ca­tion de l’Église, la source de la sanc­ti­fi­ca­tion des familles et de toute la Société.

Aussi, mes chers amis, ayez tou­jours devant les yeux cette image de saint Étienne. Comme saint Étienne vous ver­rez la gloire du Bon Dieu et la pré­sence de Notre Seigneur à la droite de son Père, pré­sent dans la Sainte Eucharistie, dans le Saint Sacrifice de la messe. Et ain­si, vous serez atta­chés de tout votre cœur, de toute votre âme, à votre fonc­tion de diacre et plus tard à votre fonc­tion sacer­do­tale. Et vous ferez du bien, vous ferez des­cendre Dieu dans les âmes et vous don­ne­rez Dieu aux âmes et vous don­ne­rez l’éternité à ceux qui sont dans le temps, mais qui sont faits pour l’éternité. Voilà ce à quoi vous devez aspirer.

Demandons à la très Sainte Vierge Marie, deman­dons à saint Joseph, deman­dons à saint Jean, l’apôtre saint Jean qui a si bien com­pris ces choses de nous sou­te­nir. Lisez, reli­sez sou­vent ses Épîtres enflam­mées et qui montrent cette dis­tinc­tion fon­da­men­tale entre la Lumière et les ténèbres.

Si saint Étienne a vu cette gloire de Dieu, il a vu la lumière, la Lumière de Dieu. Et lorsque nous disons, au début de la messe : Judica me, Deus, et dis­cerne cau­sam meam de gente non sanc­ta : « Ô Dieu, jugez-​moi et séparez-​moi de ceux qui ne sont pas saints », il semble que nous nous disions les purs et les autres les impurs.

Mais la véri­té est là ! Nous ne pou­vons pas nier qu’il y a ceux qui ne veulent pas de Notre Seigneur Jésus-​Christ, comme je viens de vous le lire dans cet hymne : La foule scé­lé­rate dit : Nous ne vou­lons pas du Christ-Roi.

Nous ne vou­lons pas du Christ-​Roi. Mais elle existe cette foule ; elle est par­tout dans le monde. Plus que jamais on dit cette parole : Nous ne vou­lons pas du Christ-Roi.

Eh bien pour nous, au contraire, nous devons tou­jours affir­mer ce désir, cette volon­té de recher­cher tou­jours le règne de Notre Seigneur, le règne de Notre Seigneur dans nos cœurs, le règne de Notre Seigneur dans toutes les familles, règne de Notre Seigneur dans la Cité.

Comment pour­rons nous alors pro­non­cer les paroles du Pater nos­ter : adve­niat regnum tuum, si nous n’avons pas dans nos cœurs, le désir de répandre son règne par­tout ; qu’il n’y ait pas un endroit ; qu’il n’y ait pas une per­sonne qui ne soit sou­mise à Notre Seigneur Jésus-Christ ?

Et s’il ne se réa­lise pas sur la terre, nous le savons bien, cela se réa­li­se­ra au Ciel. Fiat volun­tas tua sicut in cœlo et in ter­ra : « Que votre volon­té soit faite sur la terre comme au Ciel ».

Au Ciel la volon­té de Dieu sera faite. Au Ciel il n’y aura que Notre Seigneur Jésus-​Christ qui sera le Roi de tous les élus et per­sonne d’autre. Voilà ce que nous devons croire. Voilà ce qui doit être 124

l’objet de notre foi et que jamais per­sonne n’ose ten­ter de dimi­nuer notre foi ; que jamais per­sonne n’ose nous dire que cela n’est pas notre foi et la foi de toute l’Église, la foi que nous devons conser­ver, la foi que nous devons répandre.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.