Notre-​Dame de laïcité ?

La pre­mière médi­ta­tion du livret du pèle­rin de Notre-​Dame de Chrétienté 2019, sur le thème de la chré­tien­té, a de quoi sur­prendre. On com­prend assez vite ce que la chré­tien­té ne doit pas être : à savoir la Charia, qui confond les pou­voirs spi­ri­tuel et tem­po­rel. Ce qui selon le texte consiste à ne pas garan­tir l’égalité des citoyens de reli­gions dif­fé­rentes et à fri­ser l’idéologie (péché suprême) ; elle ne doit pas non plus être la sépa­ra­tion ou oppo­si­tion entre l’Etat et la reli­gion ; enfin elle ne doit pas – sur­tout pas ! – être le retour au 13e s., qui ne semble pas être en odeur de sain­te­té sous la plume du contem­pla­tif qui nous livre ces lignes : excom­mu­ni­ca­tion de Philippe Auguste, inter­dit jeté sur le royaume, aven­tures de Boniface VIII avec Philippe le Bel, cathares et Montségur, voi­là ce qu’il faut en retenir !

Alors que doit être la chré­tien­té ? « L’harmonie entre notre vie spi­ri­tuelle et nos vies natu­relles » ? Voilà qui est plus net. La digni­té de l’homme, contre toute exploi­ta­tion, sur­tout l’esclavage ? Le zèle pour le bien com­mun ? La res­pon­sa­bi­li­té ? Sans doute il y a là de quoi réflé­chir. Mais, « cela concerne tous les hommes », « quelle que soit notre reli­gion ». Alors que sera une chré­tien­té, « quelle que soit notre religion » ?

Elle sera… ce qui avait échap­pé à ce 13e siècle sur­fait ! Elle sera… tenez-​vous bien ! Elle sera… allez, devinez !

Elle sera… la laï­ci­té ! Saint Pie X n’y avait pas pen­sé – le gou­ver­ne­ment fran­çais de l’époque ne lui en a pas don­né envie – lorsqu’il disait que « la civi­li­sa­tion n’est plus à inven­ter. Elle a été, elle sera, c’est la civi­li­sa­tion chré­tienne, c’est la Cité catho­lique. Omnia ins­tau­rare in Christo. ».

Léon XIII, en exhor­tant au ral­lie­ment à la République avait cru que de dis­tin­guer le mode de gou­ver­ne­ment et le conte­nu des lois pou­vait suf­fire à assai­nir la situa­tion fran­çaise. Lourde erreur. A ce jeu de la répu­blique, les catho­liques ont pen­sé devoir jouer loya­le­ment contre les tri­cheurs qui posaient eux-​mêmes les règles. Ils ont perdu.

Il s’agit aujourd’hui d’un ral­lie­ment à la laï­ci­té. Les prin­cipes de cette curieuse laï­ci­té (« recon­naître Dieu, sa loi morale, le Christ et son Eglise,… et la légi­time auto­no­mie des réa­li­tés ter­restres ») peuvent son­ner juste, mais ils sont déjà réduits en pra­tique à rien par ceux qui répètent imper­tur­ba­ble­ment que la liber­té reli­gieuse est non négo­ciable, et qui se défendent de vou­loir que l’Etat impose des « valeurs confes­sion­nelles » [1]. En ver­tu de quoi il ne reste plus qu’à se réjouir de l’ouverture de nou­velles mos­quées, dans un pays qui n’a pas le droit de dire pour­quoi il n’en veut pas !

Péguy sur les che­mins de Beauce chan­tait à Notre Dame :

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réser­voir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce on fait de ces travaux
Un repo­soir sans fin pour l’âme solitaire.

Deux mille ans, mille ans… Et quelques années d’étourderie pour­raient bien lais­ser faire de Notre Dame de Paris un musée, voire une mos­quée. Notre Dame, au feu !

Source : Abbé Nicolas Cadiet /​La Porte Latine du 19 juin 2019

Notes de bas de page
  1. Commission Théologique Internationale, La liber­té reli­gieuse pour le bien de tous, 21 mars 2019, n°65.[]