L’abstinence

Le temps du Carême est le moment pro­pice pour nous poser des ques­tions sur ce com­man­de­ment de l’Église.

Le temps du Carême est le moment pro­pice pour pré­ci­ser les com­man­de­ments de l’Église concer­nant la pra­tique de la péni­tence. Ces com­man­de­ments sont au nombre de deux : celui concer­nant le jeûne et celui concer­nant l’abstinence. Je ne m’intéresserai ici qu’à celui qui concerne l’abstinence et qui s’énonce ain­si : « Tu ne man­ge­ras pas de viande les ven­dre­dis et les jours fixés par l’Église ».

Ce com­man­de­ment ne pose pas de dif­fi­cul­tés. Nous pou­vons cepen­dant à son pro­pos nous poser quelques questions.

Quels sont les aliments interdits par ce commandement ?

Ce com­man­de­ment inter­dit la consom­ma­tion de viande. Il est par contre auto­ri­sé de man­ger du pois­son, des pro­duits lai­tiers, des œufs, des plats pré­pa­rés avec de la graisse ani­male, des crus­ta­cés et, heu­reu­se­ment pour les Dombistes, des gre­nouilles. Les cou­tumes locales auto­risent par­fois à man­ger cer­tains gibiers d’eau. Autrefois, l’abstinence était pra­ti­quée tous les jours du carême de manière stricte, d’où les jours du car­na­val pour finir les restes de viande avant le Mercredi des Cendres et les œufs de Pâques pour fêter le retour des œufs dans l’alimentation.

En quoi une telle privation est-​elle une œuvre de pénitence ?

La viande est une nour­ri­ture plus sub­stan­tielle et plus savou­reuse que les autres. Elle est en géné­ral d’un coût plus éle­vé. Supprimer cet ali­ment consti­tue donc une péni­tence facile à mettre en œuvre et d’une por­tée qua­si uni­ver­selle. L’Église impose cette péni­tence en par­ti­cu­lier le ven­dre­di, jour de la mort de Notre Seigneur sur la croix, pour nous faire hono­rer la pas­sion de notre Sauveur.

Qui est concerné par cette obligation ?

Ce sont tous les bap­ti­sés catho­liques qui ont atteint l’âge de sept ans et qui n’en sont point exemptés.

Certaines personnes peuvent-​elles être exemptées de la loi de l’abstinence ?

Oui, cer­taines per­sonnes peuvent en être exemp­tées car elles sont dans l’incapacité de res­pec­ter cette obli­ga­tion, soit phy­si­que­ment, soit mora­le­ment. Un ancien caté­chisme donne les exemples suivants :

« Les malades, les conva­les­cents, les per­sonnes dont l’estomac débile ne peut res­pec­ter le maigre, les pauvres qui men­dient de porte en porte.
Les ouvriers occu­pés à des tra­vaux très pénibles dans les mines, les ver­re­ries, les fon­de­ries.
Les mili­taires en gar­ni­son ou en cam­pagne.
Les voya­geurs qui ne trouvent pas dans les hôtel­le­ries des ali­ments maigres, à la condi­tion qu’ils aient deman­dé sérieu­se­ment et ins­tam­ment de s’en faire ser­vir.
Les femmes et les enfants qui auraient à encou­rir la colère de leur mari ou de leurs parents, pour­vu que l’usage de la viande ne leur soit pas impo­sé par mépris […] de la religion ».

Le simple fait d’être en voyage ne dis­pense donc pas de la règle de l’abstinence.

Le pape, les évêques et les curés peuvent accor­der une dispense.

Si une fête importante tombe un vendredi, faut-​il quand même respecter l’abstinence ?

L’abstinence n’est levée que par une fête d’obligation, soit actuel­le­ment : la Toussaint, Noël ou l’Assomption. Les autres fêtes ne dis­pensent pas de l’abstinence.

Quelle est la gravité de cette obligation ?

Les théo­lo­giens, par exemple le Père Merkelbach dans sa Somme de théo­lo­gie morale (1935), enseignent que le pré­cepte de l’abstinence oblige gra­ve­ment ceux qui y sont tenus, mais que la faute contre ce com­man­de­ment admet la par­vi­té de matière. Cela signi­fie que celui qui mange en toute connais­sance de cause une por­tion notable ou même habi­tuelle de viande com­met un péché grave et que celui qui mange une petite quan­ti­té de matière com­met un péché véniel. Celui qui mange plu­sieurs petites por­tions dans la jour­née peut atteindre la matière grave.

Quels sont les jours d’abstinence à respecter selon le code de droit canonique de 1917 ?

Ces jours sont :

  • tous les ven­dre­dis de l’année,
  • les mer­cre­dis, ven­dre­dis et same­dis des Quatre-Temps,
  • le Mercredi des Cendres et les same­dis de Carême,
  • les vigiles de la Nativité, de la Pentecôte, de l’Assomption et de la Toussaint (si ces vigiles ne tombent par un dimanche).

Quels sont les jours d’abstinence à respecter selon le code de 1983 publié par le pape Jean-​Paul II ?

Le code de 1983 ne retient que les ven­dre­dis et le Mercredi des Cendres pour la pra­tique de l’abstinence. Il apporte encore deux modi­fi­ca­tions : la confé­rence épis­co­pale peut chan­ger l’abstinence de viande dans l’abstinence d’une autre nour­ri­ture, elle peut éga­le­ment rem­pla­cer l’abstinence par une autre forme de pénitence.

Le nou­veau code fait com­men­cer l’obligation de res­pec­ter l’abstinence à 14 ans.

Que penser de ces modifications ?

Ces modi­fi­ca­tions dimi­nuent nota­ble­ment les jours de l’année consa­crés à la pra­tique de la péni­tence et dimi­nuent ain­si chez les fidèles l’amour de cette ver­tu indis­pen­sable : « Si vous ne faites péni­tence, vous péri­rez tous » Luc XIII, 5.

La pos­si­bi­li­té lais­sée aux confé­rences épis­co­pales de chan­ger l’abstinence de viande en abs­ti­nence d’une autre nour­ri­ture ou de la rem­pla­cer par une autre forme de mor­ti­fi­ca­tion fait croire aux catho­liques que cette loi ne les oblige plus et qu’ils peuvent s’abstenir… de l’observer. De fait, beau­coup de catho­liques conci­liaires consi­dèrent l’abstinence comme une pra­tique facultative.

Faut-​il revendiquer la possibilité de pratiquer l’abstinence dans les cantines publiques ?

Alors que les musul­mans n’hésitent pas à récla­mer des plats sans viande de porc dans les can­tines, que les végans exigent des plats sans ali­ments d’origine ani­male, les catho­liques bien sou­vent se contentent de ce qui est ser­vi et font ain­si trop faci­le­ment fi d’une obli­ga­tion grave. Ils ne doivent pas hési­ter à récla­mer, avec cour­toi­sie mais fer­me­ment, la pos­si­bi­li­té de res­pec­ter leur reli­gion en ayant à leur dis­po­si­tion des plats sans viande. Comme le rap­pe­lait Pie XI aux catho­liques : la force des méchants vient sou­vent de la fai­blesse des bons. Dans tous les cas, il est pos­sible de trou­ver une solu­tion qui nous per­mette d’être fidèle à la loi de l’Église et d’offrir à Dieu ces quelques petites péni­tences pour nous unir à sa Passion.

Source : Le Monsieur Vincent n° 133