Suffit-il de décréter qu’un enseignement est traditionnel pour qu’il le devienne ?
« 100% gratuit ! » affichent certains sites internet à propos de tel service. Aussitôt, méfiance ! En effet, quand un site propose des services réellement gratuits, son créateur ne ressent pas le besoin de le préciser au moyen d’une mise en page tapageuse et aguichante. Inutile de mettre en avant une gratuité constatable par tout le monde. La présence d’un « gratuit » racoleur révèle le plus souvent de la tentative de séduction à des fins commerciales voire frauduleuses. Paradoxalement, ce « gratuit » signifie généralement qu’il va falloir payer.
Ainsi, lors du Concile Vatican II, la commission en charge de la rédaction du schéma sur la liberté religieuse décida, après bien des remaniements du texte, d’y adjoindre une petite incise afin de vaincre les fortes oppositions : « [la liberté religieuse] ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle » [1]. Précision bien étrange. Pourquoi s’embarrasser de celle-ci, sinon parce que le texte apparaissait – et était bel et bien – contraire à la Tradition ? Mais l’adjonction de cette incise ne faisait pas advenir magiquement la réalité, n’en déplaise au Père de Blignières qui la brandit comme une garantie d’orthodoxie [2]. L’erreur reste une erreur, même quand elle est accompagnée d’un encart promotionnel « Authentique ! », « 100% traditionnel ! ».
La tactique, qui a malheureusement bien fonctionné, a connu dès lors de nombreux emplois. Lorsque plus tard, la nouvelle messe fit scandale, et que le n° 7 de l’Institutio Generalis de 1969 attisait de graves critiques justifiées, Mgr Bugnini fit ajouter au texte en 1970 une introduction avec des titres tels que : « Témoignage d’une foi inchangée », « Manifestation d’une tradition ininterrompue ». Le fidèle voyait la foi malmenée, la Tradition bouleversée, mais on lui disait que ses yeux avaient tort.
En 2018, le Pape François inversait le catéchisme au sujet de la peine de mort. Ce que la doctrine catholique avait toujours admis comme moral devenait soudain immoral. Mais le Pape François nous assurait en même temps que rien n’avait changé : « La tradition a‑t-elle donc changé ? Non, mais la conscience morale évolue, » disait-il. Et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi affirmait avec aplomb : « La nouvelle formulation du n° 2267 du Catéchisme de l’Église Catholique, approuvée par le Pape François, se situe dans la continuité du Magistère précédent et atteste un développement cohérent de la doctrine catholique. » [3] En somme, on changeait tout mais l’on prétendait n’avoir rien changé. On contredisait le passé, mais on se prétendait en continuité avec le passé.
Dernièrement, la très scandaleuse déclaration Fiducia supplicans a donné l’aval des autorités actuelles à la bénédiction des couples homosexuels. Comme à chaque fois, le nouveau document se cherche une conformité artificieuse au passé par des formules de circonstance : « cette déclaration reste ferme sur la doctrine traditionnelle de l’Église concernant le mariage », martèle-t-on. On euphémise : il s’agit simplement de « mieux approfondir, d’un point de vue pastoral » la déclaration de 2021 par l’ajout d’une « contribution spécifique et innovante à la signification pastorale des bénédictions ». Cela ne prête-t-il pas à confusion ? Que neni ! Le document proteste que l’Eglise n’autorise « aucun type de rite liturgique ou de bénédiction similaire à un rite liturgique qui pourrait prêter à confusion ». Il nous faudrait donc croire que la terrible confusion résultante n’est qu’une illusion.
Mais la foi n’est pas une affaire d’illusionnisme ou de prestidigitation. C’est une prérogative de Dieu seul que de faire advenir la réalité par la parole, tel le « fiat lux » originel. Les mots humains ne créent pas la réalité ; ils peuvent tout au mieux exprimer la réalité déjà existante. L’apposition du label « traditionnel » sur une trahison de la doctrine n’annule pas cette trahison première, mais en ajoute une seconde. La continuité avec la Tradition ne se décrète pas, elle se constate… ou ne se constate pas [4].
- Dignitatis Humanæ, n° 1[↩]
- Le Christ roi et la liberté religieuse, article paru sur claves.org le 24 décembre 2023[↩]
- Lettre aux évêques du 1er août 2018[↩]
- Ainsi, quand Pie IX proclamait le dogme de l’Immaculée Conception, il ne s’était pas contenté d’en asséner le caractère traditionnel, mais il avait pris le soin de mettre en évidence, dans le texte même de la proclamation, les faits attestants l’antiquité de cette croyance.[↩]