Non, la falsification dont nous allons parler ne vient pas de la NASA, mais porte sur l’idée tenace et néanmoins fausse d’un Moyen-Âge platiste, et les dessous idéologiques de ce mythe.
Le récent couronnement de Charles III nous a donné à voir une image semblant surgir d’un livre d’histoire : le nouveau roi Charles III tenant en sa main les insignes du pouvoir royal, dont l’orbe crucigère, c’est-à-dire la sphère surmontée d’une croix, symbolisant la Terre rachetée par la Croix de Jésus-Christ. Cet orbe est d’usage très ancien. On le retrouve durant tout le Moyen-Âge, en particulier dans des représentations du Christ, tenant l’orbe dans sa main ou sous ses pieds. L’orbe présente un hémisphère délimité en trois parties en raison des trois continents connus à l’époque. Un fait s’impose donc : on représente la Terre comme une sphère bien avant la découverte de l’Amérique. Ceci devrait éveiller un questionnement sur un mythe extrêmement répandu, à savoir que « au Moyen-Âge on croyait que la Terre était plate ». On entend cela dans la bouche de journalistes, d’intellectuels, de ministres comme Marlène Schiappa ou Claude Allègre, et jusque dans des films historiques, des livres d’histoires et des manuels scolaires, même récents. Dans une émission de « C Jamy » en 2022, patronnée par le célèbre Jamy Gourmaud, l’intervenant affirmait : « Au XVe siècle, à l’époque de Christophe Colomb, nombreux sont ceux qui pensent que la Terre est plate. Ils se basent sur ce qu’affirme la Bible [image de saint Thomas d’Aquin], mais Christophe Colomb n’y croit pas une seule seconde. » [1] Et si nous consultons le baromètre de la pensée dominante, à savoir ChatGPT, celui-ci nous dit : « Au Moyen Âge, les gens pensaient généralement que la Terre était plate […] Les théories scientifiques sur la forme de la Terre, telles que celles développées par les anciens Grecs, étaient connues, mais elles étaient souvent considérées comme controversées ou hérétiques par l’Église. » [2] D’où l’on voit que le supposé platisme médiéval est associé à la foi catholique qui aurait dogmatisé cette idée naïve en se basant sur la Bible contre le savoir des Grecs païens. Sauf que cela fait déjà plusieurs décennies que des études sérieuses ont clairement montré que toute cette histoires n’est qu’un mythe [3].
Des preuves innombrables
Outre l’argument iconographique, il suffirait d’ouvrir quelque livre savant d’un ecclésiastique catholique de cette vaste période pour mettre fin au mythe du platisme médiéval. On sait que Christophe Colomb a notamment basé son audacieuse entreprise sur un ouvrage inachevé du pape Pie II († 1458), l’Historia rerum ubique gestarum, que l’explorateur avait annoté. Dès les premières lignes de cet ouvrage qui se veut encyclopédique, Pie II affirme : « À peu de choses près, tout le monde s’accorde à dire que la forme du monde [4] est sphérique [rotundam] ; on s’accorde de même au sujet de la Terre ». Dans le même ouvrage, le Pape traite des mesures de la circonférence terrestre par Eratosthène (IIIe s. avant JC) et Ptolémée (IIe s.). Christophe Colomb avait également annoté un ouvrage du cardinal Pierre d’Ailly († 1420), l’Imago mundi. Le savant cardinal y discourait sur le rayon et le volume de la sphère terrestre, les zones climatiques en fonction de la latitude, ou encore sur les pôles. Il y affirme par exemple par conclusion logique, que « ceux qui habiteraient le Pôle auraient pendant la moitié de l’année le soleil au-dessus de leur horizon, et pendant l’autre moitié, une nuit continuelle »[5], ce qui est d’une remarquable exactitude. Pierre d’Ailly s’inspirait du Traité de la Sphère de Nicolas Oresme († 1322), évêque de Lisieux et conseiller de Charles V. Le titre de l’ouvrage est suffisamment évocateur. Le même Oresme s’inspire d’un ouvrage éponyme, le Traité de la Sphère du moine anglais Jean de Sacrobosco († 1256) qui fut une grande réussite pédagogique rééditée, complétée et commentée pendant plusieurs siècles. À la même époque, saint Thomas d’Aquin, dans les toutes premières pages de la Somme Théologique, voulant montrer que l’on peut arriver à une même conclusion par des chemins différents, illustre son propos ainsi : « Ainsi est-ce bien une même conclusion que démontrent l’astronome et le physicien, par exemple, que la terre est ronde » [6]. C’est donc une banalité admise par les divers savants de cette époque. Au tournant du IIe millénaire, Gerbert d’Aurillac († 1003), qui fut élu pape sous le nom de Sylvestre II, réalise un globe terrestre et, comme beaucoup de docteurs de l’époque, il commente Macrobe [7] († 400), lequel affirme la sphéricité. Ajoutons encore saint Bède le Vénérable († 735) qui nous dit que « La Terre est semblable à un globe », saint Isidore de Séville († 636), qui parle du « globe terrestre » dans ses fameuses Etymologies, Boèce († 524) qui évoque la « masse arrondie de la Terre » [8], saint Grégoire de Nysse († 395) qui nous décrit une éclipse par la projection de la « forme sphérique » [9] de la Terre sur la Lune, etc [10]. Bien entendu, la cosmologie ancienne affirme aussi une Terre immobile au centre d’un cosmos sphérique fermé, mais ces erreurs sont reprises des Grecs.
Les dessous du mythe
On pourrait n’accorder que peu d’importance à tout cela. Après tout, le chrétien peut sauver son âme quelle que soit la forme qu’il attribue à la Terre. L’essentiel n’est-il pas cette effrayante diminution de l’espérance de vie d’aujourd’hui qui n’est plus que de 85 ans alors qu’elle fut au Moyen-Âge l’espérance de la vie éternelle ? Certes, mais ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas la forme de la terre ou la science des temps anciens ; c’est l’origine du mythe contemporain et ce qu’il nous dit de notre époque. Ce mythe a longtemps servi de formule toute faite pour ridiculiser d’un trait la sottise supposée d’une période chrétienne condensée sous le vocable réducteur de « Moyen-Âge ». Or, cet « obscurantisme » supposé se retourne contre les propagateurs du mythe, d’autant plus fortement que l’accès au savoir est incomparablement meilleur aujourd’hui qu’au temps ou l’imprimerie n’existe pas encore. Il est aisé de défaire le mythe du platisme médiéval, alors qu’une énergie considérable a été nécessaire au Moyen-Âge pour conserver le savoir des anciens. Dans un livre salutaire paru en 2021, La Terre plate, généalogie d’une idée fausse [11], deux universitaires retracent l’origine de ce mythe tenace. Doit-on s’étonner d’y découvrir que le principal auteur du mythe n’est autre que Voltaire ?
Lactance et Comas
Il y a bien quelques éléments qui ont permis de fonder le mythe, en particulier l’apologète chrétien Lactance († 325) qui est la seule exception occidentale en faveur d’une Terre plate. Mais son opinion n’a été suivie par personne et il n’a jamais été compté parmi les Pères de l’Église. En orient, on trouve un certain Cosmas Indicopleustes († vers 550) qui a rédigé une Topographie chrétienne platiste. Cet illustre inconnu, dont le nom même est incertain, semble être un marchand de langue grecque issu du schisme nestorien. La première traduction latine de sa Topographie remonte à 1707. Est-il nécessaire de préciser qu’il est donc totalement inconnu de l’occident médiéval ? Voltaire cite pourtant Lactance et Cosmas comme représentant la position de tous les Pères : « Les Pères regardaient la Terre comme un grand vaisseau entouré d’eau ; la proue était à l’orient, et la poupe à l’occident ». [12] C’est là manquer à une élémentaire remise en contexte jaugeant la transmission des idées. Avec de tels amalgame, on pourrait aussi bien dire que le IIIe millénaire est platiste si l’on en juge par certaines vidéos présentes sur internet : c’est prendre une thèse marginale pour la norme. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de voir citer Cosmas comme la référence qu’il n’a jamais été.
La question des antipodes
Dans la Cité de Dieu, saint Augustin dit qu’il ne faut pas croire ceux qui affirment l’existence d’antipodiens [13], c’est-à-dire d’habitants du côté opposé de la Terre, car cette théorie se fonde sur des conjectures incertaines et non des récits probants. Saint Augustin fait là preuve d’une exigence empirique qu’on pourrait difficilement lui reprocher et qui ne concerne pas la forme de la Terre. De cela, Voltaire a pourtant conclu que le grand docteur de l’Église niait la sphéricité de la Terre ! Voltaire affirme également qu’« Alonso Tostado, évêque d’Avila, sur la fin du XVe siècle, déclare, dans son Commentaire sur la Genèse, que la foi chrétienne est ébranlée pour peu qu’on croie la Terre ronde. » Or, pour peu qu’on ouvre le livre en question, on y découvre d’emblée le mensonge de Voltaire, car cet évêque parle de la « Terre sphérique », ou de « notre hémisphère » [14]. En revanche, Tostado pense, comme saint Augustin que les antipodes ne sont pas habités. Pierre d’Ailly, dans l’ouvrage cité plus haut, qualifie d’« opinions » les différentes thèses sur l’habitation des antipodes. Nous sommes là très loin du dogme. C’est à cette question marginale des « antipodiens » que l’exploration de Christophe Colomb vient apporter une réponse. Il s’est ensuite créé la légende d’un Christophe Colomb venant briser le dogme platiste sur le récif de l’expérience, spécialement dans une biographie produite par Washington Irving, qui a très largement contribué au mythe.
La Bible est-elle platiste ?
Dans le tribunal du platisme, Voltaire appelle bien sûr la Sainte Écriture au banc des accusés. Il écrit avec l’ironie venimeuse qui le caractérise : « Le juste respect pour la Bible, qui nous enseigne tant de vérités plus nécessaires et plus sublimes, fut la cause de cette erreur universelle parmi nous. On avait trouvé dans le psaume 103, que Dieu a étendu le ciel sur la Terre comme une peau » [15]. Certainement, si l’on veut soutirer à l’Ecriture un aveu de platisme, on pourra toujours plaquer cette idée préconçue sur un verset qui s’y accommode tant bien que mal [16]. L’opposé est d’ailleurs également possible puisque la Vulgate désigne régulièrement la Terre par le mot d’« orbis » que l’on traduirait volontiers par « globe » [17]. Mais plutôt que de mener ces débats stériles, rappelons ce principe catholique bien connu que l’Écriture doit se lire à la lumière du magistère et des Pères. Or Voltaire n’est pas un Père de l’Église. Laissons plutôt la parole à la remarquable sagesse de saint Basile de Césaré († 379) :
Des physiciens qui ont traité du monde, ont beaucoup parlé de la figure de la terre, ils ont examiné si c’est une sphère ou un cylindre, si elle ressemble à un disque, et si elle est arrondie de toutes parts, ou si elle a la forme d’un van, et si elle est creuse au milieu ; car telles sont les idées qu’ont eues les philosophes, et par lesquelles ils se sont combattus les uns les autres [18] : pour moi, je ne me porterai pas à mépriser notre formation du monde parce que le serviteur de Dieu, Moïse, n’a point parlé de la figure de la terre, qu’il n’a point dit qu’elle a de circonférence 180 000 stades [19] ; parce qu’il n’a point mesuré l’espace de l’air dans lequel s’étend l’ombre de la terre lorsque le soleil a quitté notre horizon ; parce qu’il n’a pas expliqué comment cette même ombre, approchant de la lune, cause des éclipses. Parce qu’il a gardé le silence sur ces points qui – nous étant inutiles – ne nous intéressent pas, me faudra-t-il déprécier, en les comparant à la folle sagesse [du monde], les enseignements de l’Esprit Saint ? Ou plutôt ne glorifierons-nous pas Celui qui, loin d’amuser notre esprit à des vanités, a voulu que tout fût écrit pour l’édification et le salut de nos âmes. Faute, me semble-t-il, de l’avoir compris, certains ont tenté par des altérations du sens et des interprétations figurées, d’attribuer d’eux-mêmes aux Écritures une profondeur d’emprunt. Mais c’est là se faire plus sage que les oracles de l’Esprit Saint, et, sous couleur d’interprétation, introduire dans le texte des pensées personnelles. Prenons donc [ces oracles] tels qu’ils sont écrits.
Homélies sur l’Hexameron, h. IX.
On trouve une remarque semblable chez saint Augustin, au sujet du mouvement des astres :
Jamais l’Évangile ne met sur les lèvres du Seigneur des paroles comme celles-ci : “Je vous envoie le Paraclet pour vous enseigner la course de la lune et du soleil.” Jésus-Christ voulait faire des chrétiens et non des mathématiciens. Sur ces matières, les hommes n’ont besoin que des enseignements qui leur sont donnés dans les écoles.
Contre Félix le manichéen, l. I
L’Église est-elle « sphériste » ?
L’Église n’a donc pas plus affirmé la platitude que la rotondité parce qu’elle n’affirme rien à ce sujet. Tous les Pères, les théologiens et les papes qui affirment que la Terre est sphérique ne fondent pas leur pensée sur la foi, parce qu’ils l’estiment muette sur ce sujet. Systématiquement, ils font référence aux « philosophes », aux « physiciens », aux « mathématiciens ». Ils donnent des arguments tirés de la raison et de l’observation : l’ombre de la Terre sur la Lune lors des éclipses, le mât du navire qui disparaît après la coque ou encore les étoiles nouvelles qui apparaissent à l’horizon lors des voyages. C’est un point important, car le mythe cherchait à insinuer que la foi serait exclusive de la science. Le croyant aurait été porté à chercher la vérité dans la seule foi sans laisser aucun interstice à la raison. Telle n’est pas la pensée de l’Eglise. Les Pères de l’Église ont seulement eu à cœur de repousser l’idée de l’éternité du monde véhiculée par la cosmologie ancienne. La cosmologie moderne ne leur en fera pas reproche.
L’inertie d’une falsification
Tous ces éléments pourraient induire en erreur le non-initié, mais ils ne sauraient impressionner un historien quelque peu sérieux. Les premiers propagateurs du mythe ont été les plus coupables. Mais une fois que les premières falsifications sont passées, les suivants répètent le catéchisme voltairien, mu par une foi aveugle dans le progrès, sans regard critique, et avec le temps, la falsification répétée des milliers de fois a pris la valeur d’une vérité historique établie. Michelet, qui mérite davantage le titre de romancier que d’historien, a évidemment repris cette fable, parmi bien d’autres. Elle se trouve également prolongée par Antoine-Jean Letronne, titulaire de la chaire d’histoire au prestigieux Collège de France au XIXe siècle [20]. Le temps a fait qu’un auteur comme Arthur Koestler s’y est trompé, alors même qu’il a contribué à démythifier l’affaire Galilée [21]. On trouve même un livre de 2015 prétendant « fracasser les mythes » qui en véhicule une version légèrement mitigée [22]. Au début, ce mythe est surtout propagée par les milieux anti-catholiques, mais avec le temps, il en arrive rapidement à berner les catholiques.
Des éléments se sont ajoutés par la suite, comme les cartes anciennes, parfois exhibées comme preuve du platisme médiéval. Mais prendre des cartes à plat pour une preuve de platisme est un argument d’une bêtise confondante qui nous ferait ranger les créateurs des cartes Michelin ou les concepteurs de Google Maps parmi les platistes au prétexte qu’ils représentent la surface de la Terre à plat. Quant aux représentations en coupe, qui pourrait constituer une vraie preuve, elles ne sont pas tirées des manuscrits médiévaux mais sont des productions contemporaines destinées à illustrer le mythe ! Le mythe devient ainsi le créateur de ses propres « preuves ». Il s’auto-entretient.
Les origines du platisme contemporain
Ironiquement, la naissance du véritable phénomène platiste actuel est à chercher au XIXe siècle, peu après les « lumières », dans l’essor du rationalisme, au sein d’une communauté socialiste utopique. En effet, vers 1839, Samuel Rowbotham, secrétaire de l’éphémère communauté utopique Manea Fen d’inspiration Oweniste [23], se livre à des expériences sur la rivière Bedford dont il conclut que la Terre est plate. Il rédige un pamphlet sous le titre d’« Astronomie Zététique » (1849) pour défendre son étrange conclusion en faisant appel à sa méthode « zététique » [24] basée sur la seule raison. Il produit par la suite un ouvrage plus important (1881) en ajoutant quelques passages bibliques interprétés d’une manière très personnelle, en ne faisant appel ni aux Pères, ni à Cosmas, ni au Moyen-Âge, et certainement pas au magistère, car c’est un protestant qui se semble rattaché à aucune dénomination. Ses idées sont ensuite reprises par une secte protestante, la Christian Catholic Apostolic Church, qui n’a évidemment rien de catholique malgré son nom, puis par la fameuse Flat-Earth Society qui perdure encore aujourd’hui.
Conclusion
Il est inquiétant et révélateur de constater qu’une erreur aussi grossière soit encore aussi répandue. Si un tel mythe a pu encombrer les manuels scolaires pendant deux siècles, combien d’autres se cachent encore dans les représentations contemporaines de la chrétienté médiévale ? C’est l’interdiction supposée de la dissection [25], l’histoire absurde de la discussion sur l’âme des femmes [26], le mythe du droit de cuissage que Voltaire ne craint pas d’attribuer aux Évêques [27], etc. La réalité se révèle encore plus difficile à trouver quand ce sont des faits réels qui ont subi le mélange d’une part de mythe comme la chasse aux sorcières, l’inquisition ou l’affaire Galilée. Tous ces mythes se sont implantés d’autant plus durablement qu’ils venaient conforter les idées préconçues des anticléricaux de tous bords, qu’ils soient révolutionnaires ou protestants, alors même qu’ils avaient sans cesse à la bouche la « lutte contre les préjugés ». C’est dans cet état d’esprit qu’il faut trouver la cause principale de ces mythes : on juge la période médiévale irrationnelle parce que l’on porte un regard irrationnel dessus. On projette sa propre irrationalité sur le passé pour mieux conforter l’orgueil d’un présent jugé « illuminé » par la raison : le passé est « obscurantiste », et nous sommes enfin « éclairés », dit-on avec un orgueilleux manichéisme. Mais l’« éclairage » du IIIe millénaire n’est pas si clair : ne voit-on pas des personnes haut placées s’interroger sérieusement sur l’opportunité de placer des hommes dans les prisons pour femmes ou dans les compétitions sportives pour femmes, simplement parce que ces hommes ont déclarés se sentir femme. Ne voit-on pas des élus qui plaident pour la préservation des « surmulots » de Paris ? Vraiment, notre monde ne tourne pas rond. La perte de la foi ne serait-elle pour quelque chose dans cette perte de raison ? Par l’oubli cette verticalité religieuse qui fait tendre l’homme vers Dieu, la Terre d’aujourd’hui a perdu une de ses dimensions : elle est devenue spirituellement plate.
- Evan Adelinet, C Jamy du 22 avril 2022. On retrouve la même erreur de la part de Jamy Gourmaud dans un autre épisode de l’émission[↩]
- Réponse de ChatGPT à la question « Quelle forme avait la terre selon les gens du Moyen-Âge ? ». A noter que si l’on pose la question plus spécifique « Que disent les études récentes au sujet de l’idée que au “Moyen-Âge, on croyait la terre plate ?” », on obtient une réponse diamétralement opposée qui démonte le mythe. D’où l’on voit cette IA a été « entraînée » avec des données contradictoires dont la majorité reprenait le mythe. La première question, plus large, obtient ainsi la réponse qui correspond à la majorité des textes, donc l’opinion dominante. La seconde question vise à orienter la réponse vers les études spécifiques sur cette idée reçue.[↩]
- Cf. Inventing the Flat Earth, Jeffrey Burton Russel, 1991[↩]
- Le « monde » n’est pas la Terre, mais fait référence à la cosmologie ancienne d’un univers fermé et sphérique. La confusion entre les deux est fréquente, même dans les ouvrages des historiens. Nous nous sommes bien attachés à lever cette équivoque tout au long de notre article.[↩]
- Ymago mundi de Pierre d’Ailly, traduit et commenté par Edmond Buron, tome 1, Maisonneuve frères, 1930.[↩]
- ST, Ia pars, q. 1, a. 1, ad. 2um.[↩]
- Commentaire au Songe de Scipion[↩]
- Consolation de la philosophie, II, 13.[↩]
- « Selon les astronomes, en ce monde tout rempli de lumière, l’ombre [sur la Lune] est formée par l’interposition du corps de la terre. Mais l’ombre, d’après la forme sphérique de celle-ci, est enfermée sur la partie arrière par les rayons du soleil et prend la forme d’un cône. Le soleil, lui, plusieurs fois plus grand que la terre, l’encercle de toutes parts de ses rayons et, à la limite du cône, réunit entre eux les points d’attache de la lumière. » La Création de l’homme, Sources Chrétiennes n° 6, ch. 21, p. 181.[↩]
- Saint Ambroise affirme la sphéricité du « monde » ainsi que du soleil et de la Lune, mais il est difficile de trouver une mention exacte pour la Terre, car ce n’est pas le genre de question qui intéresse les Pères. Cependant, sa cosmologie suppose fortement la sphéricité de la Terre (cf. P. L. XIV, col. 133). Il en va de même pour Eusèbe de Césarée (Collectio Nova Patrum et Scriptorum, ed. Montfaucon, t. 1, p. 460) ou saint Jérôme (Commentaire de l’épître aux Ephésiens, Trad. Abbé Bareille).[↩]
- Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony, Ed. Les Belles Lettres, 2021. Nous nous sommes fortement basés sur cet ouvrage.[↩]
- Dictionnaire philosophique (1764), article Figure. Cf. aussi les articles « Ciel matériel » et « Ciel des Anciens »[↩]
- La Cité de Dieu, l. XVI, ch. IX.[↩]
- Alphonsi Tostati Episcopi Abulensis, Opera omnia, Commentaria in Genesim, Venise, 1728, p. 71–72.[↩]
- Voltaire a ajouté les mots « sur la Terre » qui ne se trouvent pas dans le verset cité.[↩]
- Certains invoquent Isaïe (40, 22) parlant du Seigneur « assis sur le cercle [gyrum] de la Terre. » Mais le fait de placer Dieu en position assise étant manifestement un anthropomorphisme à prendre au sens métaphorique, on ne peut évidemment pas s’appuyer sur un tel verset pour en tirer un sens littéral propre. Nous avons aussi ce passage d’un psaume « Moi, j’ai affermi ses colonnes » (Ps 74, 4), mais saint Ambroise dit clairement de ce passage « nous ne pouvons pas estimer qu’il s’agisse de vraies colonnes, mais de cette vertu par laquelle [Dieu] affermit et soutient la substance de la Terre » (P. L. XIV, col. 133) [↩]
- Cf. l’Introït de la Pentecôte : « L’Esprit du Seigneur a rempli l’orbe des terres [orbem terrarum] » (Sg 1, 7). Le latin orbis est ambigu en ce qu’il peut signifier « cercle » ou « sphère ». C’est la même ambiguïté que le mot « rond » : on parle de la « Terre ronde » pour désigner une sphère, mais on parle aussi d’une « table ronde » pourtant plate. Le dictionnaire latin de F. Gaffiot traduit ainsi l’expression « orbis terræ » : « disque de la terre d’après les idées anciennes, pour nous globe terrestre ». Mais il est clair que M. Gaffiot est tributaire du mythe. Si l’on regarde les textes des Pères, on voit par exemple saint Ambroise parler indifféremment d’orbis lunæ et de globus lunæ, ce qui indique que l’orbis est bien un globe (P. L., t. XIV, col. 127 et 200). Au XVIe s., le savant et poète Jean-Pierre de Mesmes n’hésite pas à faire cette application : « Il faut donc arrêter que la masse terrestre est ronde, puisque son ombre est ronde : ce que les Saints Prophètes confessent, appelant la Terre en mains endroits Orbis terræ. » (Institutions astronomiques, chap. 18, p. 54–55) [↩]
- Saint Basile évoque ici les opinions des philosophes grecs, car ils ne tiennent pas tous pour la sphéricité. Citons le chanoine Copernic qui nous renseigne sur les auteurs de ces diverses opinions : « La terre n’est pas plate, comme l’ont dit Empédocle et Anaximène, ni en forme de tambourin comme disait Leucippe, ni en forme de bateau, comme disait Héraclite, ni creuse d’une autre manière, comme disait Démocrite. Ni encore cylindroïde, comme disait Anaximandre, ni enracinée dans l’épaisseur infinie de la partie inférieure, comme disait Xénophane, mais absolument sphérique, comme le pensent les Philosophes. » (Copernic, De revolutionibus orbium cœlestium) Ces derniers philosophes sont essentiellement Pythagore, Platon et Aristote. Remarquons que l’imagination humaine va bien au-delà de la dualité réductrice entre disque et sphère.[↩]
- C’est la mesure donnée par Ptolémée dans sa Géographie. Il usait du stade philétairien valant 210 mètres ce qui donne une circonférence de 37 800 km. La valeur réelle étant de 40 070 km. Cf. Pierre Duhem, Le Système du monde, t. II, p. 7.[↩]
- Des opinions cosmographiques des Pères de l’Église, dans la Revue des deux Monde, t. 1, 1834.[↩]
- Les Somnambules, 1955. Koestler n’est pas un historien, mais il a le mérite d’aller souvent chercher dans les sources… sauf pour la période pré-copernicienne où il prend Cosmas pour une autorité incontestée.[↩]
- « Au tout début du Moyen Âge, l’obscurantisme imposé par l’Église catholique fit régner l’idée que la Terre était plate. Mais les contemporains de Christophe Colomb savaient que la Terre n’était pas plate ». Lydia Mammar, C’est vrai ou c’est faux ? 300 mythes fracassés, Paris, L’Opportun, 2015, section Avant Christophe Colomb, tout le monde pensait que la Terre était plate.[↩]
- Du nom de Robert Owen, fondateur du socialisme utopique britannique. Owen voyait dans ces communautés le seul moyen de mener une vie « rationnelle » et fonda la Rational Society pour en promouvoir l’idéologie, prônant entre autres la régulation des naissances et des vues très libérales sur le mariage. Rowbotham chercha l’approbation de la « Rational Society » en faveur de sa communauté, mais sans succès, bien qu’il y eût des soutiens. La communauté défraya la chronique et dura à peine deux années (1839–1841), après lesquelles Rowbotham jugeât celles-ci « blâmables et impraticables ». Cf. “A Monument of Union”: Social Change and Personal Experience at the Manea Fen Community, 1839–1841, John Langdon, 2012.[↩]
- Du grec zeteo, « je cherche ». Comme la plupart de ceux qui, encore aujourd’hui, emploient le terme de zététique, Rowbotham prétend se baser d’abord sur l’expérience alors qu’il tient davantage du théoricien. Il n’est pas l’inventeur de cet usage du terme zététique. En effet, on le retrouve dans la Edinburgh Free Thinkers’ Zetetic Society fondée en 1820 par des libres-penseurs athées issus du petit peuple.[↩]
- Voir l’article de l’abbé Knittel : L’Eglise avait-elle interdit la dissection ?[↩]
- Voir l’article sur la Légende du concile de Mâcon sur Wikipédia.[↩]
- La légende a été reprise par Michelet. Elle n’a bien évidemment aucun fondement historique. Cf. Dictionnaire philosophique, Voltaire, article Cuissage : « Il est étonnant que dans l’Europe chrétienne on ait fait très-longtemps une espèce de loi féodale, et que du moins on ait regardé comme un droit coutumier l’usage d’avoir le pucelage de sa vassale. La première nuit des noces de la fille au vilain appartenait sans contredit au seigneur.… Il est indubitable que des abbés, des évêques, s’attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels ».[↩]