Dieu, la Science, les preuves : quelques réserves

Présenté comme un « livre évè­ne­ment » et « l’aube d’une révo­lu­tion », ce livre impo­sant apporte des élé­ments inté­res­sants au niveau scien­ti­fique mais appelle tou­te­fois des réserves.

L’objectif du livre est clai­re­ment défi­ni : prou­ver l’existence de Dieu à l’aide des don­nées de la cos­mo­lo­gie scien­ti­fique moderne. La conclu­sion est tran­chante : « le maté­ria­lisme n’a tou­jours été qu’une croyance ; il est désor­mais une croyance irra­tion­nelle ». Une conclu­sion qui rap­pelle celle du RP. Garrigou-​Lagrange en 1914 qui pla­çait le lec­teur devant cette alter­na­tive : « Le vrai Dieu ou l’absurdité radi­cale » [1]. Mais le grand domi­ni­cain du siècle der­nier uti­li­sait dans sa démons­tra­tion les seules don­nées de la phi­lo­so­phie, les « cinq voies » déjà for­ma­li­sées par saint Thomas d’Aquin et qui ont fait la preuve de leur péren­ni­té mal­gré les attaques de Kant. Tandis que Dieu, la Science, les preuves se situe au niveau des sciences phy­siques actuelles. En par­ti­cu­lier : le Big Bang, la ther­mo­dy­na­mique et l’ordre « mathé­ma­tique » de l’univers. Cette démarche n’est pas sans rap­pe­ler un fameux dis­cours du pape Pie XII à l’Académie Pontificale des Sciences, le 22 novembre 1951, où le pape envi­sa­geait exac­te­ment les mêmes pistes que le pré­sent livre, sans tou­te­fois pou­voir conclure.

Le livre impo­sant est publié sous la plume de deux auteurs qui ont tra­vaillé durant plus de trois années avec la contri­bu­tion de plu­sieurs spé­cia­listes de domaines divers. Olivier Bonnasies est poly­tech­ni­cien et fon­da­teur d’Aleteia. Il a décou­vert la foi grâce à un excellent clas­sique : Y a‑t-​il une véri­té ? de Jean Daujat. Michel-​Yves Bolloré est ingé­nieur en infor­ma­tique et indus­triel, comme son frère Vincent. Les auteurs ne manquent d’ailleurs pas de moyens de dif­fu­sion dans cette tâche qu’ils veulent cer­tai­ne­ment évan­gé­li­sa­trice. Un docu­men­taire est d’ores et déjà pré­vu, ain­si que des débats sur le sujet, à l’image de ce qui se fait déjà aux Etats-​Unis, où ce sujet est déjà bien connu et occupe de longs débats entre athées et pro­tes­tants, en par­ti­cu­lier avec William Lane Craig.

On peut noter favo­ra­ble­ment le retour d’une apo­lo­gé­tique basée sur la rai­son. En effet, le moder­nisme n’a jamais été l’exaltation de la rai­son, mais au contraire sa déchéance. Le moder­niste, influen­cé par Kant, pense que la rai­son est inca­pable de connaître l’existence de Dieu, ce qui est une héré­sie contraire au dogme défi­nit lors du Concile Vatican I. L’apologétique post­con­ci­liaire a donc sur­tout consis­té en des argu­ments sen­ti­men­taux et vita­listes, fon­dés sur l’expérience per­son­nelle et le témoi­gnage. Ici, l’approche se veut tout à fait ration­nelle, mais elle se limite à la science, à l’ex­clu­sion de la phi­lo­so­phie, ce qui consti­tue la grande fai­blesse du livre [2].

Cette approche scien­ti­fique et son déve­lop­pe­ment lais­se­ront dubi­ta­tif ceux qui connaissent bien la phi­lo­so­phie pérenne comme ceux qui connaissent bien la cos­mo­lo­gie scien­ti­fique. Bien des ques­tions se posent à l’issue de la lec­ture qui risquent de trou­ver une réponse néga­tive. Est-​il oppor­tun de faire de Dieu une théo­rie scien­ti­fique ? La preuve d’un être imma­té­riel peut-​elle appar­te­nir au domaine d’une science qui étu­die le maté­riel ? Peut-​on réel­le­ment prou­ver que l’univers a eu un com­men­ce­ment abso­lu ? La science ne risque-​t-​elle pas de se contre­dire dans le futur par une grande révo­lu­tion concep­tuelle comme elle l’a fait dans le pas­sé ? Les modèles scien­ti­fiques actuels, comme le « modèle stan­dard » sont-​ils suf­fi­sam­ment cer­tains et complets ?

Michel Bastit, un phi­lo­sophe aris­to­té­li­cien sérieux qui est aus­si très bon connais­seur de la cos­mo­lo­gie moderne, a récem­ment étu­dié avec pré­ci­sion les argu­ments qui sont repris dans ce livre. Or il montre qu’il est impos­sible en l’état des sciences de conclure à un com­men­ce­ment abso­lu du temps et de la matière [3]. Il s’en tient dans son livre à la preuve par le mou­ve­ment (pre­mière voie de St Thomas). Même ver­dict chez un domi­ni­cain tho­miste amé­ri­cain, Fr. Thomas Davenport OP, Docteur en phy­sique théo­rique des par­ti­cules et diplô­mé de Stanford : impos­sible de conclure à un com­men­ce­ment. Il est tou­te­fois ver­ti­gi­neux de consta­ter que ce débat sur le com­men­ce­ment du temps qui oppo­sait déjà des grands théo­lo­giens à l’époque de saint Thomas d’Aquin refait sur­face de nos jours. La thèse de l’ab­bé Grégoire Celier, prêtre de la Fraternité Saint-​Pie X, sur Saint Thomas et la pos­si­bi­li­té d’un monde créé sans com­men­ce­ment, loin d’ex­po­ser une que­relle réser­vée aux âges pré­ten­du­ment obs­curs, est d’une brû­lante actua­li­té. Le récent livre reprend d’ailleurs un argu­ment pour­tant réfu­té par saint Thomas d’Aquin à pro­pos de l’im­pos­si­bi­li­té sup­po­sée d’un temps infi­ni dans le pas­sé [4]. Même à l’heure de la théo­rie du Big Bang, la thèse du Docteur Angélique risque bien de res­ter la meilleure aux yeux des phi­lo­sophes et théologiens. 

La par­tie sur le Big Bang garde tout de même un réel inté­rêt rhé­to­rique. En effet, si la théo­rie du Big Bang a mis des années à être reçue, ce n’est pas parce qu’elle aurait contre­dit le récit biblique [5], mais au contraire, parce qu’elle a sem­blé confir­mer le « fiat lux » [6] biblique, comme Pie XII l’avait déjà remar­qué. Un cha­pitre du livre montre d’ailleurs l’op­po­si­tion par­fois vio­lente qui s’est mani­fes­tée contre cette thèse à cause de pré­sup­po­sés maté­ria­listes. Alors que l’on nous mar­tèle les pon­cifs habi­tuels sur l’affaire Galilée et l’an­ti­no­mie sup­po­sée entre science et foi, n’est-il pas éton­nant que la plus impor­tante théo­rie cos­mo­lo­gique des temps modernes ait été éla­bo­rée par un prêtre catho­lique, le cha­noine belge George Lemaitre ? N’est-il pas éton­nant que cette « science de curé », reje­tée d’abord sur l’a prio­ri maté­ria­liste de l’é­ter­ni­té du monde, soit fina­le­ment deve­nue la thèse uni­ver­sel­le­ment acceptée ?

Deux autres cha­pitres sur le « réglage fin de l’univers » et en bio­lo­gie sur la « com­plexi­té irré­duc­tible du vivant » méritent plus d’at­ten­tion. Nous avons là des faits scien­ti­fiques notables qui peuvent don­ner une illus­tra­tion frap­pante de l’ordre de l’u­ni­vers. A tra­vers cet ordre se révèle une fina­li­té et donc la néces­si­té d’une intel­li­gence ordon­na­trice (cin­quième voie de St Thomas). Certes, cette illus­tra­tion par­ti­cu­lière n’a jamais été néces­saire car l’ordre et la fina­li­té se révèlent déjà à tra­vers toute la créa­tion : « les cieux pro­clament la gloire de Dieu » (Psaume 19). Mais ces « réglages » pro­di­gieux viennent éveiller chez les scien­ti­fiques cet éton­ne­ment qui consti­tue le début de la phi­lo­so­phie. Cette fameuse « cause finale » dont ils avaient cru pou­voir se débar­ras­ser semble leur sau­ter aux yeux.

L’ouvrage appelle tou­te­fois des réserves pour ce qui est de la deuxième par­tie du livre, où sont abor­dés des sujets dits « non scien­ti­fiques » : la Bible, Jésus, le peuple juif, le miracle de Fatima, et quelques cha­pitres plus phi­lo­so­phiques. L’argumentation y est par­fois dou­teuse. La teneur des sujets montre que l’apologétique du livre dépasse les preuves de l’existence de Dieu, bien que les auteurs s’en défendent. Mais, mal­gré un cha­pitre appré­ciable sur Fatima, on s’arrête en che­min vers un simple chris­tia­nisme « sans éti­quette ». Le cha­pitre sur « les véri­tés humai­ne­ment inat­tei­gnables de la Bible » est très dis­cu­table dans son argu­men­ta­tion et typique de l’apologétique pro­tes­tante : là où le catho­lique cherche à mon­trer l’excellence de l’Église, le pro­tes­tant cherche à mon­trer l’excellence de la seule Bible.

Plus pro­blé­ma­tique, un cha­pitre cherche à répondre aux objec­tions sur les sup­po­sées « erreurs de la bible ». L’intention est louable, car l’Église a tou­jours cher­ché à défendre l’inerrance des Écritures mais la défense est plus que mal­adroite. Une com­pa­rai­son très dou­teuse des textes de la Bible avec la fable « Le cor­beau et le renard » rétro­grade des pans entiers de l’histoire sainte à de pieuses fables, ce qui n’est pas catho­lique [7] et détruit le rai­son­ne­ment du cha­pitre précédent.

Un son­dage mon­trait récem­ment que l’on a fran­chit, en France, le seuil sym­bo­lique des 51 % de per­sonnes qui disent ne pas croire en Dieu. Cet ouvrage vient donc répondre à une réelle néces­si­té sans doute avec suc­cès car il plai­ra à cette géné­ra­tion par son approche un peu sen­sa­tion­nelle et exces­si­ve­ment scien­ti­fique… au détri­ment d’une phi­lo­so­phie et d’une théo­lo­gie solide.

Comme on l’a vu, il y a des fai­blesses de rai­son­ne­ment. Mais, à tra­vers le mys­tère de la liber­té humaine, il n’est pas dit que ce sont les argu­ments les plus démons­tra­tifs qui arrivent le mieux à leur fin. Ne dit-​on pas que « Dieu écrit droit avec des lignes courbes » ?

Notes de bas de page
  1. Dieu, son exis­tence et sa nature, Beauchêne, 1914[]
  2. Quelques argu­ments phi­lo­so­phiques sont don­nés en fin d’ou­vrage. Leur empla­ce­ment, et une intro­duc­tion dédai­gneuse montrent le peu d’es­time qu’en ont les auteurs[]
  3. Le prin­cipe du monde, Les presses uni­ver­si­taires de l’IPC [Institut de Philosophie Comparée, 2018, 2e édi­tion[]
  4. Somme Théologique, Ia, q. 46, a. 2, ad 6. L’argument est abor­dé plus en détail dans le livre de l’ab­bé Celier[]
  5. Cf. la réponse de la Commission Biblique du 30 juin 1909 sous saint Pie X, ques­tion n°8 : le mot hébreu « yom » dési­gnant les six jours de la créa­tion dans la Genèse peut dési­gner une période indé­ter­mi­née de temps et pas néces­sai­re­ment vingt-​quatre heures[]
  6. « Que la lumière soit »[]
  7. Cf. l’en­cy­clique Providentissimus Deus de Léon XIII[]