La messe de La Croix, une messe d’autre “foi” ?

Crédit photo : Mateus Campos Felipe / Unsplash

Réponse aux néga­tions doc­tri­nales dif­fu­sées par le jour­nal La Croix.

Dans deux tri­bunes, des 10 février 2022 et 12 juillet 2023, un couple de catho­liques enga­gés, Aline et Alain Weidert, fait part d’une remarque fort judi­cieuse. La reli­gion dont la messe tra­di­tion­nelle est l’acte de culte prin­ci­pal pour­rait bien n’être pas la même que celle de la nou­velle messe ; il s’agit de la « messe d’autre foi », peut-​être pas célé­brée au nom du même Dieu !

La réflexion part de la mul­ti­pli­ca­tion des messes pri­vées, jus­ti­fiée par la mul­tiple appli­ca­tion des mérites de la Croix aux âmes des défunts. Elle abou­tit à la doc­trine de la Messe comme sacri­fice expia­toire. C’est par­fai­te­ment bien vu, à quelques nuances près, et si on fait la part de la cari­ca­ture polé­mique [1]. On sau­ra gré à M. et Mme Weidert d’avoir situé le pro­blème au niveau de la doc­trine. Contrairement à ce qu’on a sou­vent enten­du, le choix de l’ancienne messe n’est pas une ques­tion de cha­risme ou de sen­si­bi­li­té, d’« atta­che­ment posi­tif » qui évite de for­mu­ler des rai­sons, mais bel et bien de foi.

Manifestement M. et Mme Weidert s’orientent vers une her­mé­neu­tique de rup­ture, et non sans rai­son. On ne fait réfé­rence qu’au Concile, un peu au Catéchisme de l’Eglise Catholique ; une cita­tion (mal com­prise) de Benoît XVI [2]. Rien d’étonnant, si c’est pour pro­mou­voir « une figure somme toute inédite du Christ ». Ce qu’ils appellent de leurs vœux, c’est qu’on se défasse enfin des der­niers ves­tiges de l’« autre foi ». Le motif ? Une annonce de la foi qui soit cré­dible, audible : évi­ter « un contre-​témoignage de la foi, une image désas­treuse du Christ. »

Lorsque Jean Paul II écri­vit sa der­nière ency­clique, Ecclesia de Eucharistia (2003), il déplo­rait que se fasse jour « une com­pré­hen­sion très réduc­trice du Mystère eucha­ris­tique. Privé de sa valeur sacri­fi­cielle, il est vécu comme s’il n’al­lait pas au-​delà du sens et de la valeur d’une ren­contre convi­viale et fra­ter­nelle. » Cette notion de la messe sacri­fie une part de la doc­trine « à la seule effi­ca­ci­té de l’an­nonce. » (n°10) 

Avec ces réflexions de chré­tiens enga­gés, on peut dire qu’on est dans le sujet. Car la notion de la messe qu’ils défendent rejette la doc­trine de la satis­fac­tion expia­toire. Elle biffe l’épître aux Hébreux (« sans effu­sion de sang, il n’y a pas de rémis­sion des péchés » [He 9, 22.]), ampute les Evangiles des nom­breuses men­tions de l’enfer, éva­cue le Concile de Trente, ignore la Tradition au pro­fit d’un retour à un Evangile asep­ti­sé, car tout cela n’était que « dérive historique ».

A vrai dire elle va bien au-​delà de Jean-​Paul II et de Benoit XVI, car le Catéchisme de l’Eglise Catholique (super­vi­sé par Joseph Ratzinger et pro­mul­gué par Jean-​Paul II) explique lui-​même la rai­son d’être des messes pour les morts (1371) et la sub­sti­tu­tion vicaire [3], et en défi­ni­tive la nature du salut (nn°612–623). Car s’il y a un salut, il faut bien être sau­vé de quelque chose, qui s’appelle le péché et son châ­ti­ment ! Rappelons que le sacri­fice expia­toire ne consiste pas à satis­faire un goût mor­bide pour le sang et la mort, mais à accom­plir un acte d’amour de Dieu par-​dessus tout jusqu’au don effec­tif de sa propre vie, qui répare l’offense faite à Dieu par une volon­té révol­tée (cf. saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, IIIa q.48 a.3).

En reje­tant toute cette doc­trine, c’est bien une autre reli­gion qu’on veut désor­mais annon­cer, un autre salut. Pour autant cette figure du Christ n’est pas si inédite, elle est plus ou moins celle de la Religion Prétendue Réformée.

C’est bien cher payer pour une annonce de la foi cen­sée plus cré­dible. Contrairement à l’époque de saint Jérôme, le monde catho­lique, du moins celui de La Croix, ne gémit pas et n’est pas stu­pé­fait lorsqu’il se réveille pro­tes­tant ![4] Par contre le suc­cès évident de la messe tra­di­tion­nelle ne suf­fit pas à le réveiller de son som­meil anti­dog­ma­tique. Brave new reli­gion

Notes de bas de page
  1. Le fameux dieu cynique et san­gui­naire, une bizarre dimi­nu­tion des peines « éter­nelles » (sic) pour les âmes du pur­ga­toire, le sobri­quet de « magique » pour la mul­ti­pli­ca­tion des signes de croix dans la célé­bra­tion tra­di­tion­nelle de la Messe…[]
  2. Ce qu’il qua­li­fie de « com­plè­te­ment erro­né » n’est pas la satis­fac­tion vicaire mais l’idée d’une volon­té divine de Jésus qui s’opposerait à celle du Père, puisque c’est une seule et même volon­té, dis­tincte de la volon­té humaine du Christ. Il est vrai que l’explication qu’il en donne n’éclaire pas tel­le­ment. Quant à la satis­fac­tion expia­toire, il la qua­li­fie seule­ment d’incompréhensible pour nos contem­po­rains. Il semble pour­tant que M. et Mme Weidert l’aient suf­fi­sam­ment com­prise pour la reje­ter déli­bé­ré­ment.[]
  3. N° 615 : « Comme par la déso­béis­sance d’un seul la mul­ti­tude a été consti­tuée péche­resse, ain­si par l’obéissance d’un seul la mul­ti­tude sera consti­tuée juste » (Rm 5, 19). Par son obéis­sance jusqu’à la mort, Jésus a accom­pli la sub­sti­tu­tion du Serviteur souf­frant qui « offre sa vie en sacri­fice expia­toire » , « alors qu’il por­tait le péché des mul­ti­tudes » « qu’il jus­ti­fie en s’accablant lui-​même de leurs fautes » (Is 53, 10–12). Jésus a répa­ré pour nos fautes et satis­fait au Père pour nos péchés (cf. Cc. Trente : DS 1529).
    Si le Catéchisme de l’Eglise Catholique reprend cer­taines don­nées dou­teuses du Concile, on peut au moins y pui­ser de nom­breuses réfé­rences per­ti­nentes à l’authentique Tradition de l’Eglise.[]
  4. Note de LPL : Au IVe siècle, devant la pro­pa­ga­tion de l’arianisme qui niait la divi­ni­té du Christ, saint Jérôme eut cette célèbre expres­sion : « Le monde entier gémit, stu­pé­fait de se réveiller arien. »[]