François, de Jérusalem aux jardins du Vatican

Pape François. Crédit Photo : Antoine Mekary / Godong.

Un an après le Brésil, le pape François a effec­tué son deuxième grand voyage en se ren­dant en Terre sainte, du 24 au 26 mai der­nier. Le sou­ve­rain pon­tife a com­men­cé cet iti­né­raire par la Jordanie ; puis il s’est ren­du en Palestine, pré­ci­sé­ment à Bethléem ; enfin il a visi­té Jérusalem et ses mul­tiples lieux saints. Que peut-​on rete­nir de ce voyage ?

Le sou­ve­rain pon­tife s’est arrê­té, pen­dant quelques jours, sur la terre du Sauveur. En retiendrons-​nous le sou­ve­nir des invi­ta­tions qu’a mul­ti­pliées François à la paix entre les hommes et à la récon­ci­lia­tion ? Le refus (au moins théo­rique) par le pape d’une uni­té entre dis­si­dents orien­taux et catho­liques qui repo­se­rait sur la recherche d’un « plus petit déno­mi­na­teur com­mun » doc­tri­nal (décla­ra­tion du 25 mai) ? La célé­bra­tion œcu­mé­nique dans la basi­lique du Saint-​Sépulcre ? Les appels de François au « droit à la liber­té reli­gieuse » (par exemple dans son dis­cours au roi de Jordanie) – comme si les dis­cri­mi­na­tions, voire les per­sé­cu­tions, subies par les catho­liques au Proche- Orient pou­vaient être évi­tées par le recours à un faux principe ?

Il faut le recon­naître, et c’est une incise qui mérite d’être déve­lop­pée, les voyages qu’ef­fec­tuent les papes depuis envi­ron cin­quante ans consti­tuent une réa­li­té devant laquelle le catho­lique de Tradition peut se trou­ver désar­çon­né par manque d’élé­ments de com­pa­rai­son. Il n’en est pas de même pour le reste des actions pon­ti­fi­cales. Jean XXIII convoque un concile ? Paul VI réforme la litur­gie ? Jean-​Paul II édite un Code de droit cano­nique ? Il nous est pos­sible d’a­bor­der ces actes pon­ti­fi­caux en nous sou­ve­nant de ceux du même genre posés par leurs pré­dé­ces­seurs : car de nom­breux papes ont, aupa­ra­vant, convo­qué des conciles, réfor­mé la litur­gie ou déci­dé du droit. En revanche aucun pape, avant Paul VI, n’a effec­tué des voyages loin­tains qui nous per­met­traient de les com­pa­rer aux voyages des papes actuels et d’u­ser de la règle indi­quée par saint Paul : « Omnia probáte, quod bonum est tenéte », « Examinez toutes choses, rete­nez ce qui est bon » (1 Th 5, 21), donc aus­si met­tez l’i­vraie de côté. Sans doute quelques sou­ve­rains pon­tifes, par exemple au xviiie siècle, ont effec­tué des voyages loin des États pon­ti­fi­caux, mais ces dépla­ce­ments offrent peu de res­sem­blance avec les voyages récents. Et ce, notam­ment en rai­son de la crois­sance extra­or­di­naire des tech­niques de trans­port, qui a carac­té­ri­sé les soixante der­nières années. À quoi il faut ajou­ter l’es­sor sans pré­cé­dent des rela­tions inter­na­tio­nales, essor auquel par­ti­cipe l’État du Vatican.

Une invitation originale

Ce pré­am­bule étant posé, restrei­gnons l’ob­jet de notre inté­rêt au moment peut-​être le plus mémo­rable de ce voyage : l’in­vi­ta­tion que le pape François a faite au pré­sident de l’État d’Israël, Shimon Pérès, et à son homo­logue pales­ti­nien, Mahmoud Abbas, de se rendre au Vatican pour y prier en faveur de la paix – invi­ta­tion for­mu­lée le 25 mai. C’est un bon exemple de ce que le manque d’élé­ments de com­pa­rai­son dans les pon­ti­fi­cats anté­rieurs ne s’a­vère pas tou­jours néces­saire. MM. Pérès et Abbas ont répon­du à l’in­vi­ta­tion. Le 8 juin, une céré­mo­nie de prière pour la paix a donc eu lieu dans les jar­dins du Vatican. Des repré­sen­tants du judaïsme (côté Pérès) ont d’a­bord lu des psaumes et for­mé des prières : prière de la fête du Yom Kippour ; prière du rab­bin ukrai­nien Nahman de Breslav, etc. Puis les chré­tiens ont pris la parole, ortho­doxes et catho­liques mêlés, le patriarche de Constantinople Bartholomée Ier étant pré­sent. Enfin l’on a écou­té les repré­sen­tants musul­mans pro­non­cer diverses prières en langue arabe. Finalement, le pape, Shimon Pérès et Mahmoud Abbas ont tour à tour pris la parole.

Plusieurs com­men­ta­teurs catho­liques se sont cho­qués, à la suite de Bernard Antony et d’Yves Daoudal, que l’un des repré­sen­tants musul­mans ait ache­vé sa prière par le der­nier ver­set de la deuxième sou­rate du Coran : « Tu es notre Maître, accorde-​nous donc la vic­toire sur les peuples infi­dèles » (ver­set 286), comme le révèle la retrans­mis­sion de l’é­pi­sode [1]. Comme cha­cun sait, les chré­tiens sont, aux yeux de l’is­lam, des « peuples infi­dèles ». Un imam, dans les jar­dins du Vatican et en pré­sence du vicaire de Notre-​Seigneur, invoque la divi­ni­té pour qu’elle lui donne, mieux que la paix, la vic­toire sur les chré­tiens, grande émo­tion et scan­dale inouï, n’est-​ce pas ?

Le mal vient de plus loin

Il ne fau­drait cepen­dant pas que l’arbre cache la forêt. Se scan­da­li­ser que l’i­mam conclue ain­si sa prière avec une inso­lence tran­quille ; ou que le Vatican ait caché, dans la publi­ca­tion de ces prières qu’il a ordon­née sur son site offi­ciel, cette conclu­sion de la prière de l’i­mam sur les « peuples infi­dèles », est louable. Mais en res­ter là ne suf­fit pas. Car cela laisse entendre que la petite « céré­mo­nie » orga­ni­sée par le pape dans les jar­dins du Vatican, parce qu’elle s’est faite en faveur de la paix, n’a­vait rien de déplo­rable en elle-​même. Il ne faut pas s’é­ton­ner qu’un musul­man appelle, à Rome, à la vic­toire des maho­mé­tans sur les chré­tiens, dès lors qu’on lui donne la parole. Le mal, c’est qu’il ait reçu cette der­nière dans un pareil cadre. Tout cela fait pen­ser aux cris d’or­fraie que d’au­cuns poussent devant les abus de la nou­velle messe, sans recon­naître que la nou­velle messe consti­tue elle-​même un abus. Prononcer devant le pape le ver­set 286 de la deuxième sou­rate n’est qu’un scan­dale ins­crit dans un autre, à la façon d’une pou­pée russe. Comme l’a rap­pe­lé Fideliter dans son numé­ro 200 (mars-​avril 2011, page 14), la morale catho­lique inter­dit d’in­vi­ter autrui à toute prière d’une reli­gion non catholique.

Le pape sou­haite user de son auto­ri­té pour évi­ter de trop grandes souf­frances des peuples orien­taux qui s’entre-​déchirent. Dans un contexte conflic­tuel au plus haut point et dont les catho­liques sont aus­si les vic­times, il invite deux chefs d’État à se ser­rer la main, à échan­ger des sou­rires et de bonnes paroles : pour­quoi pas ? Démunis de repères anté­cé­dents – faut-​il le répé­ter ? – nous gagnons à res­ter cir­cons­pects dans l’ap­pré­cia­tion de ces ini­tia­tives pon­ti­fi­cales. Mais nous béné­fi­cions de suf­fi­sam­ment de repères anté­rieurs pour nous attris­ter de la céré­mo­nie au conte­nu ébou­rif­fant qui s’est faite le 8 juin. L’invite, faite à des musul­mans et à des juifs, à prier dans leurs rites res­pec­tifs reste incon­ce­vable. Le ver­set 286 réci­té auda­cieu­se­ment, le 8 juin, par l’i­mam, est une illus­tra­tion des risques que fait cou­rir le par­te­na­riat inter­re­li­gieux, insou­ciant des prin­cipes les plus éta­blis de la morale catholique.

Sources : Fideliter n° 220 de juillet-​août 2014

Notes de bas de page
  1. Une « prière pour la paix » qui tourne à l’appel à com­battre les infi­dèles[]