La communion sur la langue : juste un petit caprice ?

Reçu le same­di 17 avril sur Radio-​Notre-​Dame pour son entre­tien heb­do­ma­daire, Mgr Aupetit, arche­vêque de Paris, a décla­ré que rece­voir la com­mu­nion sur la langue ou dans la main n’a­vait aucune impor­tance. L’usage tra­di­tion­nel adop­té par l’Église n’a-​t-​il donc aucun sens ? Les fidèles qui y sont atta­chés ne seraient-​ils que de petits capricieux ?

Propos de Mgr Aupetit sur Radio Notre-​Dame le 17 avril 2021

Pourquoi la communion sur la langue ?

Au cours de son his­toire jus­qu’à la réforme litur­gique de Paul VI, l’Église a pris la déci­sion de tran­cher pour une cer­taine façon de dis­tri­buer la com­mu­nion, la sainte Eucharistie n’étant tou­chée que par les mains des ministres consa­crés et reçue par les fidèles dans la bouche. Les rai­sons de ce choix sont objec­tives, fon­dées et tou­jours valables.

Assurer le respect du Saint-Sacrement

La pre­mière moti­va­tion que l’on peut attri­buer à l’établissement de cette forme de dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion est d’ordre pra­tique, à savoir assu­rer le res­pect du Saint-Sacrement.

Les textes des Pères, des conciles et des écri­vains ecclé­sias­tiques, à l’époque où la com­mu­nion pou­vait encore être don­née dans la main, insistent très for­te­ment sur la néces­si­té de veiller à la moindre par­celle (comme des pépites d’or, selon une image com­mune), d’éviter tous les sacri­lèges invo­lon­taires (par une dévo­tion mal éclai­rée) et plus encore les sacri­lèges volontaires.

Veiller à la moindre parcelle

Si, comme l’enseigne la foi de l’Église, et en repre­nant les mots de saint Thomas d’Aquin dans le Lauda Sion, « le Christ est tout entier sous chaque frag­ment comme sous l’hostie entière », il est néces­saire de veiller avec soin, autant que le peuvent les forces humaines, à ce qu’aucune par­celle, aucun frag­ment ne se perde, ne tombe à terre, ne soit fou­lé aux pieds.

Or, la remise de l’hostie dans la main de chaque fidèle, avec toutes les mani­pu­la­tions affé­rentes, mul­ti­plie à l’évidence les risques de perte invo­lon­taire de frag­ments d’hostie. D’autant que le fidèle n’est pas for­cé­ment adroit, n’a pas obli­ga­toi­re­ment les mains propres, n’est pas tou­jours suf­fi­sam­ment for­mé pour manier avec res­pect et atten­tion le Saint-Sacrement.

Pour réduire le plus pos­sible ces risques dans la pra­tique, l’Église a fini par opter pour un rite qui éli­mine la source même des dif­fi­cul­tés, en sup­pri­mant la mani­pu­la­tion des saintes espèces par le fidèle. Désormais, la sainte Eucharistie passe direc­te­ment de la main du ministre sacré à la bouche du com­mu­niant. Le res­pect de la moindre par­celle est mise sous la res­pon­sa­bi­li­té immé­diate du ministre sacré, lequel est for­mé et man­da­té pour cela.

Évidemment, la mise en place pro­gres­sive, en Orient, de la pra­tique de la com­mu­nion par intinc­tion (l’hostie étant trem­pée dans le pré­cieux Sang) ren­dait rigou­reu­se­ment obli­ga­toire cette évo­lu­tion, le risque de perte d’un frag­ment par écou­le­ment étant deve­nu extrê­me­ment important.

Éviter toute profanation

Le deuxième dan­ger que pointent les textes antiques est le sacri­lège, soit invo­lon­taire par l’effet d’une dévo­tion mal ins­pi­rée, soit volontaire.

Il existe, en effet, un risque non ima­gi­naire que le com­mu­niant emporte les saintes espèces pour en faire un usage incon­trô­lé, depuis la véné­ra­tion per­son­nelle dans sa mai­son, l’utilisation comme amu­lette, jusqu’à la pro­fa­na­tion sacri­lège et sata­nique. Les textes de l’époque abondent en mises en garde insis­tantes sur ce point, preuve que, mal­heu­reu­se­ment, de telles pra­tiques étaient nom­breuses. Surtout après la fin des per­sé­cu­tions, lorsque les chré­tiens, dont cer­tains n’étaient qu’imparfaitement conver­tis des rites païens, furent deve­nus extrê­me­ment nombreux.

Ce risque de sacri­lège est aujourd’hui tou­jours d’actualité, et même plus que jamais, dans la socié­té mul­ti­cul­tu­relle où nous vivons. La décla­ra­tion récente du père José Marie de Antonio, res­pon­sable de la pas­to­rale des migrants des Hautes-​Pyrénées, en est la preuve tan­gible((Libération du 15 août 2009, p. 13)) : « [Des Tamouls non bap­ti­sés] com­mu­nient [à Lourdes]. J’ai vu un jour un homme mettre l’hostie dans sa poche. Il m’a dit : « Je suis hin­douiste, mais je la prends pour l’amener à Paris à ma mère qui est très malade, car c’est une nour­ri­ture divine » ».

Pour évi­ter ces risques objec­tifs, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques de l’époque ont mul­ti­plié les demandes de pré­cau­tion. Par exemple, les conciles rap­pellent l’obligation que le fidèle consomme immé­dia­te­ment l’hostie, devant le prêtre, lequel doit contrô­ler effec­ti­ve­ment cette consommation.

Mais même cela n’a pas suf­fi pour réduire à un niveau tolé­rable les risques de pro­fa­na­tion. Et, sui­vant la pente nor­male des choses, l’Église a ren­du obli­ga­toire une pro­cé­dure qui, dans la pra­tique, réduit au mini­mum les pos­si­bi­li­tés d’une uti­li­sa­tion de l’Eucharistie non res­pec­tueuse de sa réa­li­té sainte. En dépo­sant direc­te­ment l’hostie dans la bouche du com­mu­niant, il devient, sinon impos­sible, du moins réel­le­ment dif­fi­cile pour ce der­nier de la récu­pé­rer et de l’utiliser d’une autre façon que pour la com­mu­nion elle-même.

Dans le registre du « symbolique »

Le pre­mier motif du choix du rite de com­mu­nion est donc pra­tique. Ce motif pos­sède une cer­taine impor­tance, bien sûr, mais il n’est ni le seul, ni peut-​être le plus essen­tiel. Si nous nous arrê­tions exclu­si­ve­ment à des consi­dé­ra­tions pra­tiques concer­nant la com­mu­nion, des solu­tions « inno­vantes », issues des tech­niques com­mer­ciales modernes (pour la dis­tri­bu­tion) et des pro­cé­dures sécu­ri­taires (pour empê­cher les pro­fa­na­tions), pour­raient faci­le­ment être trouvées.

Toutefois le rite de dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion, au-​delà de son aspect pra­tique (qui existe, évi­dem­ment : il faut bien que, dans la pra­tique, les com­mu­niants reçoivent la sainte Eucharistie), pos­sède un autre aspect beau­coup plus impor­tant : il s’agit d’exprimer par cer­tains gestes, atti­tudes ou paroles la réa­li­té de la sainte Eucharistie, de mani­fes­ter (et de for­mer, à cer­tains égards) les sen­ti­ments inté­rieurs de ceux qui s’approchent de la communion.

Nous sommes ici, comme pour toute la litur­gie, dans l’univers du « sym­bo­lique » plus que dans celui de l’action pure­ment pra­tique. Le registre sym­bo­lique exprime, par des posi­tions du corps ou des expres­sions ver­bales, les sen­ti­ments inté­rieurs de l’âme, sans qu’il existe for­cé­ment, de façon paral­lèle, une uti­li­té pra­tique immé­diate à ce geste. Lorsque l’ancien com­bat­tant dépose une gerbe de fleurs au monu­ment aux morts le 11 novembre, lorsque le maire lit les noms de ceux qui sont « morts au champ d’honneur », cela n’a aucune uti­li­té pra­tique pour ces défunts. Il s’agit en réa­li­té d’exprimer sym­bo­li­que­ment l’hommage des vivants à ceux qui sont tom­bés pour la patrie.

C’est prin­ci­pa­le­ment à la lumière du sym­bo­lisme qu’il convient d’examiner le rite adop­té par l’Église, lorsqu’elle donne la com­mu­nion dans la bouche et non plus dans la main. Tel est le vrai cri­tère litur­gique. Et il faut juger ce rite en fonc­tion des élé­ments les plus fon­da­men­taux de la foi chré­tienne, non en fonc­tion de consi­dé­ra­tions étran­gères, pro­fanes, qui peuvent sans doute avoir leur inté­rêt en d’autres domaines, mais qui n’ont pas lieu de se mani­fes­ter ici.

Exprimer la présence réelle et la révérence due au sacrement

Dans le rite de com­mu­nion, le pre­mier point à expri­mer sym­bo­li­que­ment est la pré­sence réelle du Christ sous les voiles de l’hostie, et en consé­quence la révé­rence due à ce sacre­ment très saint.

Cette pré­sence du plus sacré des mys­tères dans l’hostie, la pré­sence de Dieu même, de Notre Seigneur Jésus-​Christ en per­sonne, est par­ti­cu­liè­re­ment bien expri­mée sym­bo­li­que­ment lorsque seuls les ministres sacrés, qui ont été consa­crés tout spé­cia­le­ment par le rite de l’ordination, touchent de leurs mains les saintes espèces. Il y a là un rite sym­bo­lique remar­qua­ble­ment effi­cace pour expri­mer la dif­fé­rence entre le pain ordi­naire (que tout le monde a l’habitude de tou­cher dans la vie de chaque jour) et le pain eucha­ris­tié, le pain sacré, que les ministres consa­crés touchent seuls. Tout le monde com­prend spon­ta­né­ment le sens de ce rite, y com­pris l’enfant qui ne sait pas encore lire.

C’est là, sans aucun doute, le motif prin­ci­pal de la déci­sion prise par l’Eglise en faveur de cette pra­tique il y a plus d’un mil­lé­naire : expri­mer de façon plus vive et plus évi­dente la foi de l’Église dans la pré­sence réelle du Christ.

Les Pères de l’Eglise, qui voyaient autour d’eux le rite antique de la dis­tri­bu­tion dans la main, insistent énor­mé­ment dans leurs textes sur le res­pect, la foi, la dévo­tion, la véné­ra­tion, l’adoration qui sont dus à ce Corps pré­cieux du Christ. Ces recom­man­da­tions reviennent comme un leit­mo­tiv, ce qui tend à mon­trer que le rite antique n’avait sans doute pas toute l’efficacité sym­bo­lique requise pour expri­mer par lui-​même ce dogme cen­tral de la foi. Et, fina­le­ment, l’Église a opté pour un rite qui signi­fie plus clai­re­ment ce point, en réser­vant aux seules mains consa­crées des ministres sacrés, de manière sym­bo­lique, la mani­pu­la­tion des saintes espèces.

Manifester la « réception » du sacrement

Le deuxième point à expri­mer sym­bo­li­que­ment est le carac­tère « reçu » et non « dû » du sacre­ment. Sans aucun doute, ce carac­tère « reçu » n’est pas tota­le­ment absent du rite de la com­mu­nion dans la main, dans la mesure où le com­mu­niant ne se sert pas lui-​même, mais reçoit du ministre sacré l’hostie, qu’il porte ensuite à sa bouche.

Mais, évi­dem­ment, ce carac­tère « reçu » est expri­mé sym­bo­li­que­ment de façon beau­coup plus forte lorsque le sacre­ment est don­né aux fidèles « comme à des enfants nouveau-​nés », pour reprendre l’expression de la pre­mière épître de saint Pierre (1 P 2, 2) qui consti­tue l’introït du dimanche de Quasimodo où la litur­gie, pré­ci­sé­ment, parle aux nou­veaux bap­ti­sés de la communion.

Le choix de l’Église indivise

Telles sont quelques-​unes des prin­ci­pales rai­sons qui ont pous­sé l’Église à choi­sir défi­ni­ti­ve­ment, il y a plus d’un mil­lé­naire, la pra­tique de la com­mu­nion don­née direc­te­ment dans la bouche du bap­ti­sé par le ministre sacré.

Et lorsque nous disons l’Église, il faut la com­prendre en toutes ses com­po­santes. Malgré la varié­té des rites usi­tés dans les diverses Églises d’origine apostolique((Les Églises orien­tales)) actuel­le­ment exis­tantes, on constate qu’aujourd’hui, lors de la com­mu­nion durant la célé­bra­tion litur­gique, aucun fidèle laïc ne touche jamais de ses mains la sainte Eucharistie, mais qu’il la consomme tou­jours direc­te­ment des mains du ministre sacré. Il y a là un fait mas­sif et indis­cu­table, qui doit nous faire réfléchir.

D’autant qu’une bonne par­tie de ces Églises d’origine apos­to­lique ont conser­vé, à la dif­fé­rence de l’Église latine, la com­mu­nion sous les deux espèces, ou encore uti­lisent le pain fer­men­té. C’est donc que ces Églises, sans aucune excep­tion, ont dis­cer­né una­ni­me­ment dans le fait de don­ner la sainte Eucharistie au com­mu­niant direc­te­ment « dans la bouche » (selon diverses formes) une manière plus oppor­tune et plus conve­nable de faire, tant pra­ti­que­ment que symboliquement.

Source : Lettre à nos frères prêtres n°43 /​Radio Notre-​Dame du 17 avril 2021