En 2021, va être progressivement mise en application en France la traduction de la version du Missel (de Paul VI) parue en… 2002. La Croix du 26 mai 2016 annonçait pourtant sa mise en application pour… 2017 : soit au premier dimanche de Carême, soit au premier dimanche de l’Avent. Le même article soulignait qu’une première version de la traduction avait été refusée par Rome en… 2007 ! Il aura donc fallu presque vingt ans pour arriver enfin à une édition française de cette version du Missel.
Nous intervenons ici à titre, en quelque sorte, d’observateurs extérieurs, puisque, pour notre part, nous célébrons exclusivement la liturgie traditionnelle, et jamais la liturgie de Paul VI, et ceci pour de solides raisons. Cependant, cet épisode de la traduction du Missel de Paul VI nous semble intéressant pour saisir les actuelles évolutions de l’Église, et de la liturgie qui y est massivement célébrée.
Quelques raisons purement pratiques à ce retard
Certaines raisons purement pratiques expliquent en partie ce long retard. Il en existe trois principales. La première raison est que toute l’ère francophone est impliquée, avec des habitudes de langage différentes : telle expression peut avoir un sens en France, un sens peu ou prou différent en Belgique, un autre sens au Québec, etc. La deuxième raison est qu’il faut que chaque conférence épiscopale de chaque pays francophone valide tant les états intermédiaires que le résultat final, ce qui garantit un processus très aléatoire : on l’a bien vu en 2004 lors du vote sur la Constitution européenne, où vingt- cinq pays différents devaient valider le traité, ce qui n’a pas été le cas (la France et les Pays-Bas ayant voté contre). La troisième raison est que les conférences épiscopales qui s’occupent des divers états du texte sont renouvelées par l’arrivée de nouveaux évêques, en sorte que, tous les trois ans environ, lorsque le texte est soumis à l’examen des évêques, une vingtaine de nouveaux évêques en France, par exemple (chiffre de La Croix du 25 mai 2016), doivent prendre connaissance de l’ensemble de ce dossier complexe, ce qui ne facilite pas la rapidité de prise de décision.
La véritable raison : une bataille en coulisses
Mais ces trois raisons, et peut-être d’autres qui pourraient être apportées sur le plan pratique, ne sont nullement l’explication dernière d’un aussi impressionnant retard. En réalité, une bataille à la fois feutrée et féroce s’est déroulée en coulisses durant ces deux décennies. Elle opposait la Congrégation du Culte divin et le noyau dirigeant de l’épiscopat français.
La réalité de cette guerre se manifeste par la parution presque simultanée de deux présentations de la nouvelle traduction. Le noyau dirigeant de l’épiscopat français a tiré le premier, essayant de préempter le débat pour le tourner à son avantage. Il a ainsi publié en novembre 2019, chez Desclée Marne, un ouvrage intitulé Découvrir la nouvelle traduction du Missel romain, où il semble que rien n’a changé ni ne doive changer. Mais le cardinal Sarah, alors Préfet de la Congrégation pour le Culte divin (sa démission vient d’être acceptée par le Pape), pas vraiment décidé à se laisser marcher sur les pieds, a publié le 5 juin 2020, chez Artège, un ouvrage intitulé Présentation du nouveau Missel romain en langue française, où il manifeste clairement ce qui a changé, et pourquoi cela devait changer.
Au cœur du différend : l’instruction Liturgiam authenticam
Au départ du conflit, il y a Cinquième Instruction pour la correcte Application de la Constitution sur la sainte Liturgie du Concile Vatican II, publiée le 28 mars 2001 sous le titre « Liturgiam authenticam ». Cette instruction assez détaillée porte exclusivement sur la question de la traduction du texte original dans les diverses langues vernaculaires. Elle donne aussi bien des principes de traduction (deuxième partie) que des règles juridiques pour l’élaboration et la promulgation d’une traduction (troisième partie). Les principes de traduction sont distingués selon, par exemple, qu’il s’agit de la Bible, des Prières eucharistiques, du Credo, des rubriques, etc.
Le passage de cette Instruction qui a principalement entraîné une forme de « blocage » avec les « Français » est le suivant : « Les textes liturgiques du Rite romain latin, tout en puisant dans l’expérience qu’a eue l’Église de la transmission de la foi, qu’elle a reçue des Pères, sont aussi le fruit du récent renouveau liturgique. Afin qu’un tel patrimoine et tant de richesses soient conservés et transmis au long des siècles, on doit prêter attention en premier lieu au principe suivant lequel la traduction des textes de la Liturgie romaine ne sont pas une œuvre de créativité, mais qu’il s’agit plutôt de rendre de façon fidèle et exacte le texte original dans une langue vernaculaire. Même s’il est permis de recourir à des mots, de même qu’à la syntaxe et au style, qui peuvent produire un texte facile à comprendre dans la langue du peuple, et qui soit conforme à l’expression naturelle d’une telle langue, il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses. Il importe que toute adaptation au caractère propre et au génie des diverses langues vernaculaires soit réalisée sobrement et avec prudence » (numéro 20).
L’héritage français des choix (très contestables) des années 60
Or, depuis les années 60, les « Français » ont souvent opté pour des expressions qui sont des gloses, voire des formules à peu près étrangères au texte latin normatif. Et ils rechignent à revenir à une traduction plus littérale des textes liturgiques, malgré les objurgations de Rome. Ils mènent donc une guérilla permanente pour conserver le statu quo, traînent les pieds, proposent de nouveau (même sous une forme légèrement modifiée) ce que Rome a déjà clairement refusé, etc.
Entendons-nous : il ne s’agit évidemment pas de faire du « littéralisme » contraire au génie de la langue française. Et ce n’est d’ailleurs nullement ce que demande l’Instruction Liturgiam authenticam. Bien sûr, les mots latins doivent être rendus par des mots français, les phrases latines doivent être rendues par des phrases françaises, c’est-à-dire respectant la syntaxe française, la grammaire française, l’esprit de la langue française. Mais néanmoins, à la fin, la traduction française doit transmettre le contenu du texte latin original, et non lui substituer des gloses, des formules nouvelles.
L’exemple de l’Orate fratres
Un exemple immédiatement évident de cette option de l’épiscopat français dans les années 60 est celui de l’Orate fratres. La traduction à peu près littérale serait : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice pour la louange et la gloire de son Nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église ». La formule française choisie depuis plus d’un demi-siècle s’en éloigne fortement, perdant au passage une grande richesse de sens : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église. Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Pourtant, la formule « mon sacrifice qui est aussi le vôtre » est parfaitement française ; et la formule « le sacrifice de toute l’Église » ne lui est nullement équivalente. Nous ne disons pas, d’ailleurs, que la formule « le sacrifice de toute l’Église » ne soit pas une belle formule : nous disons tout simplement que ce n’est pas la formule du Missel romain, mais une invention. Et nous disons encore que la formule du Missel romain « mon sacrifice qui est aussi le vôtre » possède une grande richesse, qu’il n’y a aucune raison de perdre et de faire disparaître au profit d’une autre formule, si intéressante soit- elle, et même issue de la fantaisie de cervelles épiscopales françaises.
De même, l’effacement pur et simple de la formule « soit agréable à Dieu le Père tout-puissant » est une perte qui n’est justifiée par aucune raison linguistique et culturelle sérieuse. Il en est de même de la suppression du mot « sacrifice » dans la réponse des fidèles, comme est inutile et non justifiée la transformation de la formule « pour la louange et la gloire de son Nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église » en cette formule fantaisiste et inventée de toute pièce : « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Quelques brefs aperçus sur ce combat silencieux
Ce combat dans les coulisses, combat acharné, mais se déroulant dans un silence médiatique presque total, a néanmoins connu quelques éclairs sporadiques, si du moins on faisait l’effort de lire exhaustivement et avec attention le journal La Croix. Sans remonter jusqu’au déluge, un article du 26 mai 2016 expliquait qu’une première version proposée par les évêques francophones avait été rejetée par Rome en 2007 : il n’avait été effectué que quelques changements cosmétiques, en espérant que le Siège apostolique « avalerait la pilule » sans faire de difficultés.
Cependant, l’Instruction Liturgiam authenticam avait précisément pour but de couper court à ces « traductions/trahisons », et donc il n’était pas question pour Rome d’en rester au désastreux statu quo. Une nouvelle commission francophone s’était donc mise au travail, nous révèle le journaliste du quotidien « catholique ». Cette commission finit par « accoucher » d’un texte qui fut soumis à la révision romaine en 2015 et 2016. Les « Français » espéraient bien l’emporter, cette fois, et, pour essayer de mettre le cardinal devant le fait accompli, firent annoncer que la nouvelle version française du Missel paraîtrait sans faute en 2017. Mais les autorités romaines, et au premier chef le cardinal Sarah, n’entendaient nullement se laisser tordre le bras. En sorte que le blocage persista.
Magnum Principium, objet d’interprétations contraires
Le 19 janvier 2017, le même journaliste révélait dans La Croix que le Pape François venait de constituer une commission au sein de la Congrégation du Culte pour « dépasser les blocages », ce que le journaliste traduit (de façon tout à fait partiale) par « assouplir les règles de traduction liturgique ».
Le 9 septembre 2017, La Croix révélait que le Pape avait promulgué le Motu proprio Magnum Principium pour, prétendait la journaliste, « renforcer l’autorité des évêques en matière liturgique ». Ce n’est pourtant nullement ce qui ressort de la lecture attentive de ce Motu proprio. Non pas que l’autorité des évêques, dans son ordre, soit diminuée ; mais celle de la Congrégation pour le Culte divin, comme juge ultime, ne l’est pas non plus. Le Pape écrit, en effet : « Je demande, avec l’autorité qui m’a été confiée, que la discipline canonique actuellement en vigueur dans le canon 838 du CIC soit clarifiée, afin que, comme explicité dans la Constitution Sacrosantum Concilium, en particulier aux articles 36 § 3 et 4, 40 et 63, et dans la lettre apostolique en forme de Motu proprio Sacram Liturgiam, numéro IX, apparaisse plus clairement la compétence du Siège apostolique en matière de traduction des livres liturgiques et des adaptations plus profondes, parmi lesquelles puissent y figurer également de nouveaux textes, établis et approuvés par les Conférences épiscopales ». Il est tout à fait faux et malhonnête de prétendre que ce texte parfaitement balancé (« à la romaine ») consacrerait la victoire des conférences épiscopales sur la Congrégation du Culte divin.
Cette version biaisée de La Croix a été reprise par Mgr Aubertin, qui écrit : « Un Motu proprio du Pape François, Magnum Principium, a modifié quelque peu les dispositions de l’Instruction Liturgiam authenticam en donnant trois principes de fidélité au texte de l’Editio typica (…). Il revient aux Conférences épiscopales d’harmoniser ces trois fidélités (…). Dès lors que le travail est accompli, la Congrégation pour le Culte divin accorde la confirmatio » (Découvrir la nouvelle traduction..., p. 8).
Mais l’explication donnée par la Congrégation pour le Culte divin, pour préciser la nouvelle version du canon 838 (rédigée pour mettre en œuvre le Motu proprio Magnum Principium) est notablement différente, et beaucoup plus exacte, à notre avis. « La nouvelle formulation du canon, écrivent-ils, permet une distinction plus adéquate, quant au rôle du Siège apostolique, entre le domaine propre de la recognitio et celui de la confirmatio : 1) la recognitio (…) concerne les adaptations liturgiques légitimes, qui peuvent être souhaitées par les conférences épiscopales (…). Le Siège apostolique est donc appelé à accorder la recognitio, c’est-à-dire à revoir et évaluer de telles adaptations, en vue de la sauvegarde de l’unité substantielle du rite romain. 2) la confirmatio concerne les traductions des textes liturgiques. (…) Le Siège apostolique intervient donc pour confirmer, après un examen attentif- ce qui n’est donc pas un simple acte formel – les textes préparés et approuvés auparavant par les évêques » (Présentation du nouveau Missel Romain…, pp. 57–58).
Les principes qui encadrent cette nouvelle traduction
Un des intervenants du livre de l’épiscopat français, le père Henri Delhougne, « coordinateur du chantier de traduction », a clairement expliqué les principes qui devaient guider cette nouvelle traduction. Le premier principe posé par l’Instruction Liturgiam authenticam, écrit-il, « a des accents différents de ceux de l’Instruction sur la traduction des textes liturgiques pour la célébration avec le peuple, promulguée par la même Congrégation le 25 janvier 1969. (…) La différence a été formulée de manière synthétique par l’actuel secrétaire de la Congrégation : entre le texte à traduire et sa traduction, on est passé du principe d’une équivalence dynamique (1969) à celui d’une équivalence formelle. En d’autres termes, la traduction doit se rapprocher davantage du texte latin du Missel romain. (…) Le motif principal de cette inflexion (…) est la volonté de mieux sauvegarder l’unité de la liturgie romaine dans la diversité des langues locales » (Découvrir la nouvelle traduction..., pp. 29–30).
Le cardinal Sarah, pour sa part, a ajouté la remarque suivante : « La traduction actuelle a donc été revue avec grand soin de façon à être plus fidèle à l’original latin, tout en tenant compte des caractéristiques propres de la langue française. L’effort du Dicastère que je préside est de mettre en évidence la sacralité, la dignité et la splendeur de la liturgie » (Présentation du nouveau Missel Romain…, p. 7).
La Congrégation pour le Culte divin explique l’esprit dans lequel a été effectuée cette nouvelle traduction. « Le point de départ de la nouvelle traduction est le texte latin du Missale romanum. L’ensemble du Missel a été retraduit à partir des directives contenues dans l’instruction Liturgiam authenticam. Celle-ci insiste sur des traductions exactes, fidèles au texte latin de l’édition typique, et donc précises. Le Missel a dû être traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission, ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses. Les traductions ont été réalisées à l’aide de mots qui devaient être facilement compréhensibles, mais, en même temps, respectaient la dignité et la beauté ainsi que le contenu doctrinal exact des textes. (…) La traduction actuelle a donc été revue avec grand soin de façon à être plus fidèle à l’original latin, tout en tenant compte du génie de la langue française » (Présentation du nouveau Missel Romain…, pp. 63–64).
En passant, des rappels utiles et opportuns
L’ouvrage de la Congrégation pour le Culte divin, Présentation du nouveau Missel romain en langue française (Artège, 2020), outre le fait qu’il fait découvrir la nouvelle traduction, ses principes et ses implications, offre de précieux et utiles rappels sur un certain nombre de points.
Il souligne ainsi en sa page 40 que, selon la doctrine exposée par le pape Benoît XVI en 2007, il existerait deux formes du rite romain, la forme « ordinaire » et la forme « extraordinaire » (une affirmation que, par ailleurs, nous contestons formellement ; mais passons !). La nouvelle traduction, qui ne concerne donc que la forme « ordinaire », ne doit pas faire oublier la présence toujours plus vivace de la forme « extraordinaire » dans la liturgie de l’Église. L’ouvrage de l’épiscopat français, sans surprise, ne fait aucune mention de la forme « extraordinaire », symbole bien clair de l’hostilité militante de son noyau dirigeant à l’égard de la liturgie traditionnelle.
La Congrégation pour le Culte divin propose d’autres vérités essentielles : le fait que « la messe peut toujours être célébrée en langue latine » (p. 41) ; le fait que « le chant grégorien doit occuper la première place dans les actions liturgiques » (p. 42) ; le fait que « grâce à la référence à l’édition typique en langue latine de chacune des traductions, le Missel promulgué dans les diverses langues vernaculaires reflète l’unité de l’Église » (p. 44) ; tous points évidemment omis dans l’autre ouvrage.
Il a fallu, bon gré mal gré, revoir les traductions litigieuses
Après cette guerre de presque vingt années, et devant la résistance obstinée et bien fondée de la Congrégation du Culte divin, les « Français » ont quand même dû se résoudre à aller (au moins en bonne partie) à Canossa, et à manger leur chapeau. Plusieurs formules réellement litigieuses, qui déparaient depuis un demi-siècle la liturgie, ont dû être modifiées, bon gré mal gré, pour rendre enfin le sens de la version latine originelle. Et c’est le cas en particulier pour le Pater et pour le Credo.
Modification du Pater et du Credo
Depuis un demi-siècle, en effet, les deux principales formules de la vie du chrétien, à savoir la Prière du Seigneur et le Symbole de la Foi, étaient grevées d’une traduction tout à fait défectueuse.
Pour le Pater noster, la sixième demande posait un réel problème théologique et moral, en envisageant que Dieu puisse nous « soumettre à la tentation », donc être l’auteur direct de ce mal. Même si l’énoncé araméen original, sous-jacent au texte grec, est particulièrement difficile à traduire dans des catégories occidentales, la version retenue en 1965 était spécialement inappropriée. Il est donc heureux qu’en 2017, cette malheureuse traduction ait enfin été modifiée.
Dans le Credo, la traduction du « consubstantialem Patri » par « de même nature que le Père » s’écartait résolument de l’orthodoxie catholique, pour laquelle tant de Docteurs et de martyrs s’étaient battus dans les premiers siècles de l’Église. Cette grave atténuation de l’affirmation de la foi avait provoqué, à la fin des années 60, une controverse théologique où s’étaient illustrées de grandes figures catholiques comme les philosophes Étienne Gilson et Jacques Maritain.
La réflexion de Maritain
Ce que pointait Jacques Maritain – et, avec lui, beaucoup d’autres théologiens et chrétiens du rang – c’était l’ambiguïté foncière de cette nouvelle traduction. « La traduction française de la messe, disait l’éminent philosophe, met dans la bouche des fidèles, au Credo, une formule qui est erronée de soi, et même, à strictement parler, hérétique ». Et il ajoutait avec humour et pertinence : « Je suis de même nature que M. Pompidou [Président de la République à l’époque], je ne lui suis pas consubstantiel ».
En effet, en latin comme en grec, la profession de foi du concile de Nicée (325) affirme que le Fils est « consubstantiel » au Père. Or, cela désigne une unité beaucoup plus forte que le « de même nature ». Un père et un fils ici-bas sont « de même nature » : ils partagent la même nature humaine, mais sont évidemment deux hommes bien distincts. Le Père et le Fils, quant à eux, non seulement partagent la même nature divine, mais sont un seul et même Dieu, une même substance divine unique (qu’ils partagent encore avec le Saint-Esprit). Saint Athanase et saint Hilaire, pour ne citer qu’eux, s’étaient déjà battus au IVe siècle contre une formule assez proche de ce « de même nature », dont ils soulignaient à raison qu’elle n’exprimait tout simplement pas la foi de l’Église catholique : ce qui est tout de même gênant pour une formule de profession de cette foi.
Enfin le consubstantiel dans le Credo
Il est donc heureux qu’enfin, après un demi-siècle d’errements, « la traduction actuelle de “consubstantialem Patri” par “de même nature que le Père” soit remplacée par “consubstantiel au Père” » (Présentation du nouveau Missel Romain…, p. 88). La Congrégation du Culte divin donne l’explication suivante pour cette modification : « Voici le sens de ces deux mots : substance, ce qui existe en soi ; nature, ensemble des propriétés qui font la spécificité d’un être vivant. Si deux êtres humains sont de même nature, ils ne sont pas pour autant consubstantiels : ils ne sont pas un, mais ils sont évidemment deux individus bien distincts. Dire que le Fils est de même nature que le Père est très insuffisant, car cela ne caractérise en rien l’unité divine. En effet, nous croyons en un seul Dieu en trois Personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En d’autres termes, les trois Personnes de la très sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ont la même substance divine. Ainsi, plus que de même nature, le Fils est consubstantiel au Père, ou de même substance que le Père » (Ibid., pp. 88–89). Mgr de Kerimel, évêque du diocèse de Grenoble et président de la Commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle, qui reconnaît dans ce changement « une formule plus affinée sur le plan théologique », la commente cependant avec une incroyable légèreté (La Croix du 5 novembre 2019) : « Pour les fidèles, cela change peu de chose ». Professer, chaque dimanche, la formule de la vraie foi de l’Église plutôt qu’une formule douteuse est bien loin d’être « peu de chose » pour les fidèles : c’est même plutôt pour eux le cœur d’une vie chrétienne authentique.
Abbé Grégoire Célier
Source : Lettre à nos frères prêtres n°89 de mars 2021.