Une nouvelle traduction du Missel

En 2021, va être pro­gres­si­ve­ment mise en appli­ca­tion en France la tra­duc­tion de la ver­sion du Missel (de Paul VI) parue en… 2002. La Croix du 26 mai 2016 annon­çait pour­tant sa mise en appli­ca­tion pour… 2017 : soit au pre­mier dimanche de Carême, soit au pre­mier dimanche de l’Avent. Le même article sou­li­gnait qu’une pre­mière ver­sion de la tra­duc­tion avait été refu­sée par Rome en… 2007 ! Il aura donc fal­lu presque vingt ans pour arri­ver enfin à une édi­tion fran­çaise de cette ver­sion du Missel.

Nous inter­ve­nons ici à titre, en quelque sorte, d’observateurs exté­rieurs, puisque, pour notre part, nous célé­brons exclu­si­ve­ment la litur­gie tra­di­tion­nelle, et jamais la litur­gie de Paul VI, et ceci pour de solides rai­sons. Cependant, cet épi­sode de la tra­duc­tion du Missel de Paul VI nous semble inté­res­sant pour sai­sir les actuelles évo­lu­tions de l’Église, et de la litur­gie qui y est mas­si­ve­ment célébrée.

Quelques raisons purement pratiques à ce retard

Certaines rai­sons pure­ment pra­tiques expliquent en par­tie ce long retard. Il en existe trois prin­ci­pales. La pre­mière rai­son est que toute l’ère fran­co­phone est impli­quée, avec des habi­tudes de lan­gage dif­fé­rentes : telle expres­sion peut avoir un sens en France, un sens peu ou prou dif­fé­rent en Belgique, un autre sens au Québec, etc. La deuxième rai­son est qu’il faut que chaque confé­rence épis­co­pale de chaque pays fran­co­phone valide tant les états inter­mé­diaires que le résul­tat final, ce qui garan­tit un pro­ces­sus très aléa­toire : on l’a bien vu en 2004 lors du vote sur la Constitution euro­péenne, où vingt- cinq pays dif­fé­rents devaient vali­der le trai­té, ce qui n’a pas été le cas (la France et les Pays-​Bas ayant voté contre). La troi­sième rai­son est que les confé­rences épis­co­pales qui s’occupent des divers états du texte sont renou­ve­lées par l’arrivée de nou­veaux évêques, en sorte que, tous les trois ans envi­ron, lorsque le texte est sou­mis à l’examen des évêques, une ving­taine de nou­veaux évêques en France, par exemple (chiffre de La Croix du 25 mai 2016), doivent prendre connais­sance de l’ensemble de ce dos­sier com­plexe, ce qui ne faci­lite pas la rapi­di­té de prise de décision.

La véritable raison : une bataille en coulisses

Mais ces trois rai­sons, et peut-​être d’autres qui pour­raient être appor­tées sur le plan pra­tique, ne sont nul­le­ment l’explication der­nière d’un aus­si impres­sion­nant retard. En réa­li­té, une bataille à la fois feu­trée et féroce s’est dérou­lée en cou­lisses durant ces deux décen­nies. Elle oppo­sait la Congrégation du Culte divin et le noyau diri­geant de l’épiscopat français.

La réa­li­té de cette guerre se mani­feste par la paru­tion presque simul­ta­née de deux pré­sen­ta­tions de la nou­velle tra­duc­tion. Le noyau diri­geant de l’épiscopat fran­çais a tiré le pre­mier, essayant de pré­emp­ter le débat pour le tour­ner à son avan­tage. Il a ain­si publié en novembre 2019, chez Desclée Marne, un ouvrage inti­tu­lé Découvrir la nou­velle tra­duc­tion du Missel romain, où il semble que rien n’a chan­gé ni ne doive chan­ger. Mais le car­di­nal Sarah, alors Préfet de la Congrégation pour le Culte divin (sa démis­sion vient d’être accep­tée par le Pape), pas vrai­ment déci­dé à se lais­ser mar­cher sur les pieds, a publié le 5 juin 2020, chez Artège, un ouvrage inti­tu­lé Présentation du nou­veau Missel romain en langue fran­çaise, où il mani­feste clai­re­ment ce qui a chan­gé, et pour­quoi cela devait changer.

Au cœur du différend : l’instruction Liturgiam authenticam

Au départ du conflit, il y a Cinquième Instruction pour la cor­recte Application de la Constitution sur la sainte Liturgie du Concile Vatican II, publiée le 28 mars 2001 sous le titre « Liturgiam authen­ti­cam ». Cette ins­truc­tion assez détaillée porte exclu­si­ve­ment sur la ques­tion de la tra­duc­tion du texte ori­gi­nal dans les diverses langues ver­na­cu­laires. Elle donne aus­si bien des prin­cipes de tra­duc­tion (deuxième par­tie) que des règles juri­diques pour l’élaboration et la pro­mul­ga­tion d’une tra­duc­tion (troi­sième par­tie). Les prin­cipes de tra­duc­tion sont dis­tin­gués selon, par exemple, qu’il s’agit de la Bible, des Prières eucha­ris­tiques, du Credo, des rubriques, etc.

Le pas­sage de cette Instruction qui a prin­ci­pa­le­ment entraî­né une forme de « blo­cage » avec les « Français » est le sui­vant : « Les textes litur­giques du Rite romain latin, tout en pui­sant dans l’expérience qu’a eue l’Église de la trans­mis­sion de la foi, qu’elle a reçue des Pères, sont aus­si le fruit du récent renou­veau litur­gique. Afin qu’un tel patri­moine et tant de richesses soient conser­vés et trans­mis au long des siècles, on doit prê­ter atten­tion en pre­mier lieu au prin­cipe sui­vant lequel la tra­duc­tion des textes de la Liturgie romaine ne sont pas une œuvre de créa­ti­vi­té, mais qu’il s’agit plu­tôt de rendre de façon fidèle et exacte le texte ori­gi­nal dans une langue ver­na­cu­laire. Même s’il est per­mis de recou­rir à des mots, de même qu’à la syn­taxe et au style, qui peuvent pro­duire un texte facile à com­prendre dans la langue du peuple, et qui soit conforme à l’expression natu­relle d’une telle langue, il est néces­saire que le texte ori­gi­nal ou pri­mi­tif soit, autant que pos­sible, tra­duit inté­gra­le­ment et très pré­ci­sé­ment, c’est-à-dire sans omis­sion ni ajout, par rap­port au conte­nu, ni en intro­dui­sant des para­phrases ou des gloses. Il importe que toute adap­ta­tion au carac­tère propre et au génie des diverses langues ver­na­cu­laires soit réa­li­sée sobre­ment et avec pru­dence » (numé­ro 20).

L’héritage français des choix (très contestables) des années 60

Or, depuis les années 60, les « Français » ont sou­vent opté pour des expres­sions qui sont des gloses, voire des for­mules à peu près étran­gères au texte latin nor­ma­tif. Et ils rechignent à reve­nir à une tra­duc­tion plus lit­té­rale des textes litur­giques, mal­gré les objur­ga­tions de Rome. Ils mènent donc une gué­rilla per­ma­nente pour conser­ver le sta­tu quo, traînent les pieds, pro­posent de nou­veau (même sous une forme légè­re­ment modi­fiée) ce que Rome a déjà clai­re­ment refu­sé, etc.

Entendons-​nous : il ne s’agit évi­dem­ment pas de faire du « lit­té­ra­lisme » contraire au génie de la langue fran­çaise. Et ce n’est d’ailleurs nul­le­ment ce que demande l’Instruction Liturgiam authen­ti­cam. Bien sûr, les mots latins doivent être ren­dus par des mots fran­çais, les phrases latines doivent être ren­dues par des phrases fran­çaises, c’est-à-dire res­pec­tant la syn­taxe fran­çaise, la gram­maire fran­çaise, l’esprit de la langue fran­çaise. Mais néan­moins, à la fin, la tra­duc­tion fran­çaise doit trans­mettre le conte­nu du texte latin ori­gi­nal, et non lui sub­sti­tuer des gloses, des for­mules nouvelles.

L’exemple de l’Orate fratres

Un exemple immé­dia­te­ment évident de cette option de l’épiscopat fran­çais dans les années 60 est celui de l’Orate fratres. La tra­duc­tion à peu près lit­té­rale serait : « Priez, mes frères, pour que mon sacri­fice qui est aus­si le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-​puissant. Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacri­fice pour la louange et la gloire de son Nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église ». La for­mule fran­çaise choi­sie depuis plus d’un demi-​siècle s’en éloigne for­te­ment, per­dant au pas­sage une grande richesse de sens : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacri­fice de toute l’Église. Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

Pourtant, la for­mule « mon sacri­fice qui est aus­si le vôtre » est par­fai­te­ment fran­çaise ; et la for­mule « le sacri­fice de toute l’Église » ne lui est nul­le­ment équi­va­lente. Nous ne disons pas, d’ailleurs, que la for­mule « le sacri­fice de toute l’Église » ne soit pas une belle for­mule : nous disons tout sim­ple­ment que ce n’est pas la for­mule du Missel romain, mais une inven­tion. Et nous disons encore que la for­mule du Missel romain « mon sacri­fice qui est aus­si le vôtre » pos­sède une grande richesse, qu’il n’y a aucune rai­son de perdre et de faire dis­pa­raître au pro­fit d’une autre for­mule, si inté­res­sante soit- elle, et même issue de la fan­tai­sie de cer­velles épis­co­pales françaises.

De même, l’effacement pur et simple de la for­mule « soit agréable à Dieu le Père tout-​puissant » est une perte qui n’est jus­ti­fiée par aucune rai­son lin­guis­tique et cultu­relle sérieuse. Il en est de même de la sup­pres­sion du mot « sacri­fice » dans la réponse des fidèles, comme est inutile et non jus­ti­fiée la trans­for­ma­tion de la for­mule « pour la louange et la gloire de son Nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église » en cette for­mule fan­tai­siste et inven­tée de toute pièce : « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

Quelques brefs aperçus sur ce combat silencieux

Ce com­bat dans les cou­lisses, com­bat achar­né, mais se dérou­lant dans un silence média­tique presque total, a néan­moins connu quelques éclairs spo­ra­diques, si du moins on fai­sait l’effort de lire exhaus­ti­ve­ment et avec atten­tion le jour­nal La Croix. Sans remon­ter jusqu’au déluge, un article du 26 mai 2016 expli­quait qu’une pre­mière ver­sion pro­po­sée par les évêques fran­co­phones avait été reje­tée par Rome en 2007 : il n’avait été effec­tué que quelques chan­ge­ments cos­mé­tiques, en espé­rant que le Siège apos­to­lique « ava­le­rait la pilule » sans faire de difficultés.

Cependant, l’Instruction Liturgiam authen­ti­cam avait pré­ci­sé­ment pour but de cou­per court à ces « traductions/​trahisons », et donc il n’était pas ques­tion pour Rome d’en res­ter au désas­treux sta­tu quo. Une nou­velle com­mis­sion fran­co­phone s’était donc mise au tra­vail, nous révèle le jour­na­liste du quo­ti­dien « catho­lique ». Cette com­mis­sion finit par « accou­cher » d’un texte qui fut sou­mis à la révi­sion romaine en 2015 et 2016. Les « Français » espé­raient bien l’emporter, cette fois, et, pour essayer de mettre le car­di­nal devant le fait accom­pli, firent annon­cer que la nou­velle ver­sion fran­çaise du Missel paraî­trait sans faute en 2017. Mais les auto­ri­tés romaines, et au pre­mier chef le car­di­nal Sarah, n’entendaient nul­le­ment se lais­ser tordre le bras. En sorte que le blo­cage persista.

Magnum Principium, objet d’interprétations contraires

Le 19 jan­vier 2017, le même jour­na­liste révé­lait dans La Croix que le Pape François venait de consti­tuer une com­mis­sion au sein de la Congrégation du Culte pour « dépas­ser les blo­cages », ce que le jour­na­liste tra­duit (de façon tout à fait par­tiale) par « assou­plir les règles de tra­duc­tion liturgique ».

Le 9 sep­tembre 2017, La Croix révé­lait que le Pape avait pro­mul­gué le Motu pro­prio Magnum Principium pour, pré­ten­dait la jour­na­liste, « ren­for­cer l’autorité des évêques en matière litur­gique ». Ce n’est pour­tant nul­le­ment ce qui res­sort de la lec­ture atten­tive de ce Motu pro­prio. Non pas que l’autorité des évêques, dans son ordre, soit dimi­nuée ; mais celle de la Congrégation pour le Culte divin, comme juge ultime, ne l’est pas non plus. Le Pape écrit, en effet : « Je demande, avec l’autorité qui m’a été confiée, que la dis­ci­pline cano­nique actuel­le­ment en vigueur dans le canon 838 du CIC soit cla­ri­fiée, afin que, comme expli­ci­té dans la Constitution Sacrosantum Concilium, en par­ti­cu­lier aux articles 36 § 3 et 4, 40 et 63, et dans la lettre apos­to­lique en forme de Motu pro­prio Sacram Liturgiam, numé­ro IX, appa­raisse plus clai­re­ment la com­pé­tence du Siège apos­to­lique en matière de tra­duc­tion des livres litur­giques et des adap­ta­tions plus pro­fondes, par­mi les­quelles puissent y figu­rer éga­le­ment de nou­veaux textes, éta­blis et approu­vés par les Conférences épis­co­pales ». Il est tout à fait faux et mal­hon­nête de pré­tendre que ce texte par­fai­te­ment balan­cé (« à la romaine ») consa­cre­rait la vic­toire des confé­rences épis­co­pales sur la Congrégation du Culte divin.

Cette ver­sion biai­sée de La Croix a été reprise par Mgr Aubertin, qui écrit : « Un Motu pro­prio du Pape François, Magnum Principium, a modi­fié quelque peu les dis­po­si­tions de l’Instruction Liturgiam authen­ti­cam en don­nant trois prin­cipes de fidé­li­té au texte de l’Editio typi­ca (…). Il revient aux Conférences épis­co­pales d’harmoniser ces trois fidé­li­tés (…). Dès lors que le tra­vail est accom­pli, la Congrégation pour le Culte divin accorde la confir­ma­tio » (Découvrir la nou­velle tra­duc­tion..., p. 8).

Mais l’explication don­née par la Congrégation pour le Culte divin, pour pré­ci­ser la nou­velle ver­sion du canon 838 (rédi­gée pour mettre en œuvre le Motu pro­prio Magnum Principium) est nota­ble­ment dif­fé­rente, et beau­coup plus exacte, à notre avis. « La nou­velle for­mu­la­tion du canon, écrivent-​ils, per­met une dis­tinc­tion plus adé­quate, quant au rôle du Siège apos­to­lique, entre le domaine propre de la recog­ni­tio et celui de la confir­ma­tio : 1) la recog­ni­tio (…) concerne les adap­ta­tions litur­giques légi­times, qui peuvent être sou­hai­tées par les confé­rences épis­co­pales (…). Le Siège apos­to­lique est donc appe­lé à accor­der la recog­ni­tio, c’est-à-dire à revoir et éva­luer de telles adap­ta­tions, en vue de la sau­ve­garde de l’unité sub­stan­tielle du rite romain. 2) la confir­ma­tio concerne les tra­duc­tions des textes litur­giques. (…) Le Siège apos­to­lique inter­vient donc pour confir­mer, après un exa­men attentif- ce qui n’est donc pas un simple acte for­mel – les textes pré­pa­rés et approu­vés aupa­ra­vant par les évêques » (Présentation du nou­veau Missel Romain…, pp. 57–58).

Les principes qui encadrent cette nouvelle traduction

Un des inter­ve­nants du livre de l’épiscopat fran­çais, le père Henri Delhougne, « coor­di­na­teur du chan­tier de tra­duc­tion », a clai­re­ment expli­qué les prin­cipes qui devaient gui­der cette nou­velle tra­duc­tion. Le pre­mier prin­cipe posé par l’Instruction Liturgiam authen­ti­cam, écrit-​il, « a des accents dif­fé­rents de ceux de l’Instruction sur la tra­duc­tion des textes litur­giques pour la célé­bra­tion avec le peuple, pro­mul­guée par la même Congrégation le 25 jan­vier 1969. (…) La dif­fé­rence a été for­mu­lée de manière syn­thé­tique par l’actuel secré­taire de la Congrégation : entre le texte à tra­duire et sa tra­duc­tion, on est pas­sé du prin­cipe d’une équi­va­lence dyna­mique (1969) à celui d’une équi­va­lence for­melle. En d’autres termes, la tra­duc­tion doit se rap­pro­cher davan­tage du texte latin du Missel romain. (…) Le motif prin­ci­pal de cette inflexion (…) est la volon­té de mieux sau­ve­gar­der l’unité de la litur­gie romaine dans la diver­si­té des langues locales » (Découvrir la nou­velle tra­duc­tion..., pp. 29–30).

Le car­di­nal Sarah, pour sa part, a ajou­té la remarque sui­vante : « La tra­duc­tion actuelle a donc été revue avec grand soin de façon à être plus fidèle à l’original latin, tout en tenant compte des caractéris­tiques propres de la langue fran­çaise. L’effort du Dicastère que je pré­side est de mettre en évi­dence la sacra­li­té, la digni­té et la splen­deur de la litur­gie » (Présentation du nou­veau Missel Romain…, p. 7).

La Congrégation pour le Culte divin explique l’esprit dans lequel a été effec­tuée cette nou­velle tra­duc­tion. « Le point de départ de la nou­velle tra­duc­tion est le texte latin du Missale roma­num. L’ensemble du Missel a été retra­duit à par­tir des direc­tives conte­nues dans l’instruction Liturgiam authen­ti­cam. Celle-​ci insiste sur des tra­duc­tions exactes, fidèles au texte latin de l’édition typique, et donc pré­cises. Le Missel a dû être tra­duit inté­gra­le­ment et très pré­ci­sé­ment, c’est-à-dire sans omis­sion, ni ajout, par rap­port au conte­nu, ni en intro­dui­sant des para­phrases ou des gloses. Les tra­duc­tions ont été réa­li­sées à l’aide de mots qui devaient être faci­le­ment com­pré­hen­sibles, mais, en même temps, res­pec­taient la digni­té et la beau­té ain­si que le conte­nu doc­tri­nal exact des textes. (…) La tra­duc­tion actuelle a donc été revue avec grand soin de façon à être plus fidèle à l’original latin, tout en tenant compte du génie de la langue fran­çaise » (Présentation du nou­veau Missel Romain…, pp. 63–64).

En passant, des rappels utiles et opportuns

L’ouvrage de la Congrégation pour le Culte divin, Présentation du nou­veau Missel romain en langue fran­çaise (Artège, 2020), outre le fait qu’il fait décou­vrir la nou­velle tra­duc­tion, ses prin­cipes et ses impli­ca­tions, offre de pré­cieux et utiles rap­pels sur un cer­tain nombre de points.

Il sou­ligne ain­si en sa page 40 que, selon la doc­trine expo­sée par le pape Benoît XVI en 2007, il exis­te­rait deux formes du rite romain, la forme « ordi­naire » et la forme « extra­or­di­naire » (une affir­ma­tion que, par ailleurs, nous contes­tons for­mel­le­ment ; mais pas­sons !). La nou­velle tra­duc­tion, qui ne concerne donc que la forme « ordi­naire », ne doit pas faire oublier la pré­sence tou­jours plus vivace de la forme « extra­or­di­naire » dans la litur­gie de l’Église. L’ouvrage de l’épiscopat fran­çais, sans sur­prise, ne fait aucune men­tion de la forme « extra­or­di­naire », sym­bole bien clair de l’hostilité mili­tante de son noyau diri­geant à l’égard de la litur­gie traditionnelle.

La Congrégation pour le Culte divin pro­pose d’autres véri­tés essen­tielles : le fait que « la messe peut tou­jours être célé­brée en langue latine » (p. 41) ; le fait que « le chant gré­go­rien doit occu­per la pre­mière place dans les actions litur­giques » (p. 42) ; le fait que « grâce à la réfé­rence à l’édition typique en langue latine de cha­cune des tra­duc­tions, le Missel pro­mul­gué dans les diverses langues ver­na­cu­laires reflète l’unité de l’Église » (p. 44) ; tous points évi­dem­ment omis dans l’autre ouvrage.

Il a fallu, bon gré mal gré, revoir les traductions litigieuses

Après cette guerre de presque vingt années, et devant la résis­tance obs­ti­née et bien fon­dée de la Congrégation du Culte divin, les « Français » ont quand même dû se résoudre à aller (au moins en bonne par­tie) à Canossa, et à man­ger leur cha­peau. Plusieurs for­mules réel­le­ment liti­gieuses, qui dépa­raient depuis un demi-​siècle la litur­gie, ont dû être modi­fiées, bon gré mal gré, pour rendre enfin le sens de la ver­sion latine ori­gi­nelle. Et c’est le cas en par­ti­cu­lier pour le Pater et pour le Credo.

Modification du Pater et du Credo

Depuis un demi-​siècle, en effet, les deux prin­ci­pales for­mules de la vie du chré­tien, à savoir la Prière du Seigneur et le Symbole de la Foi, étaient gre­vées d’une tra­duc­tion tout à fait défectueuse.

Pour le Pater nos­ter, la sixième demande posait un réel pro­blème théo­lo­gique et moral, en envi­sa­geant que Dieu puisse nous « sou­mettre à la ten­ta­tion », donc être l’auteur direct de ce mal. Même si l’énoncé ara­méen ori­gi­nal, sous-​jacent au texte grec, est par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile à tra­duire dans des caté­go­ries occi­den­tales, la ver­sion rete­nue en 1965 était spé­cia­le­ment inap­pro­priée. Il est donc heu­reux qu’en 2017, cette mal­heu­reuse tra­duc­tion ait enfin été modifiée.

Dans le Credo, la tra­duc­tion du « consub­stan­tia­lem Patri » par « de même nature que le Père » s’écartait réso­lu­ment de l’orthodoxie catho­lique, pour laquelle tant de Docteurs et de mar­tyrs s’étaient bat­tus dans les pre­miers siècles de l’Église. Cette grave atté­nua­tion de l’affirmation de la foi avait pro­vo­qué, à la fin des années 60, une contro­verse théo­lo­gique où s’étaient illus­trées de grandes figures catho­liques comme les phi­lo­sophes Étienne Gilson et Jacques Maritain.

La réflexion de Maritain

Ce que poin­tait Jacques Maritain – et, avec lui, beau­coup d’autres théo­lo­giens et chré­tiens du rang – c’était l’ambiguïté fon­cière de cette nou­velle tra­duc­tion. « La tra­duc­tion fran­çaise de la messe, disait l’éminent phi­lo­sophe, met dans la bouche des fidèles, au Credo, une for­mule qui est erro­née de soi, et même, à stric­te­ment par­ler, héré­tique ». Et il ajou­tait avec humour et per­ti­nence : « Je suis de même nature que M. Pompidou [Président de la République à l’époque], je ne lui suis pas consubstantiel ».

En effet, en latin comme en grec, la pro­fes­sion de foi du concile de Nicée (325) affirme que le Fils est « consub­stan­tiel » au Père. Or, cela désigne une uni­té beau­coup plus forte que le « de même nature ». Un père et un fils ici-​bas sont « de même nature » : ils par­tagent la même nature humaine, mais sont évi­dem­ment deux hommes bien dis­tincts. Le Père et le Fils, quant à eux, non seule­ment par­tagent la même nature divine, mais sont un seul et même Dieu, une même sub­stance divine unique (qu’ils par­tagent encore avec le Saint-​Esprit). Saint Athanase et saint Hilaire, pour ne citer qu’eux, s’é­taient déjà bat­tus au IVe siècle contre une for­mule assez proche de ce « de même nature », dont ils sou­li­gnaient à rai­son qu’elle n’exprimait tout sim­ple­ment pas la foi de l’Église catho­lique : ce qui est tout de même gênant pour une for­mule de pro­fes­sion de cette foi.

Enfin le consubstantiel dans le Credo

Il est donc heu­reux qu’enfin, après un demi-​siècle d’errements, « la tra­duc­tion actuelle de “consub­stan­tia­lem Patri” par “de même nature que le Père” soit rem­pla­cée par “consub­stan­tiel au Père” » (Présentation du nou­veau Missel Romain…, p. 88). La Congrégation du Culte divin donne l’explication sui­vante pour cette modi­fi­ca­tion : « Voici le sens de ces deux mots : sub­stance, ce qui existe en soi ; nature, ensemble des pro­prié­tés qui font la spé­ci­fi­ci­té d’un être vivant. Si deux êtres humains sont de même nature, ils ne sont pas pour autant consub­stan­tiels : ils ne sont pas un, mais ils sont évi­dem­ment deux indi­vi­dus bien dis­tincts. Dire que le Fils est de même nature que le Père est très insuf­fi­sant, car cela ne carac­té­rise en rien l’u­ni­té divine. En effet, nous croyons en un seul Dieu en trois Personnes : le Père, le Fils et le Saint-​Esprit. En d’autres termes, les trois Personnes de la très sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-​Esprit, ont la même sub­stance divine. Ainsi, plus que de même nature, le Fils est consub­stan­tiel au Père, ou de même sub­stance que le Père » (Ibid., pp. 88–89). Mgr de Kerimel, évêque du dio­cèse de Grenoble et pré­sident de la Commission épis­co­pale pour la litur­gie et la pas­to­rale sacra­men­telle, qui recon­naît dans ce chan­ge­ment « une for­mule plus affi­née sur le plan théo­lo­gique », la com­mente cepen­dant avec une incroyable légè­re­té (La Croix du 5 novembre 2019) : « Pour les fidèles, cela change peu de chose ». Professer, chaque dimanche, la for­mule de la vraie foi de l’Église plu­tôt qu’une for­mule dou­teuse est bien loin d’être « peu de chose » pour les fidèles : c’est même plu­tôt pour eux le cœur d’une vie chré­tienne authentique.

Abbé Grégoire Célier

Source : Lettre à nos frères prêtres n°89 de mars 2021.