La promulgation du Novus Ordo Missae a‑t-​elle abrogé celle du Vetus Ordo ?

L’intention de Paul VI est par­fai­te­ment claire. Le mis­sel de saint Pie V devient un mal toléré.

La pro­mul­ga­tion du Novus Ordo Missae est-​elle « légi­time » ? Au sens éty­mo­lo­gique, est légi­time ce qui est conforme à la loi, celle-​ci étant l’acte par lequel l’autorité donne l’expression des moyens requis à l’obtention du bien com­mun. Au sens propre, la légi­ti­mi­té qua­li­fie l’acte de l’autorité du point de vue de sa cause finale et elle est donc morale : l’acte de l’autorité est légi­time dans la mesure pré­cise où il donne les moyens néces­saires et suf­fi­sants en vue du bien com­mun. Au sens élar­gi, la légi­ti­mi­té qua­li­fie l’acte de l’autorité du point de vue de sa cause effi­ciente et elle est alors pure­ment légale : l’acte de l’autorité est légi­time dans la mesure pré­cise où sa pro­mul­ga­tion juri­dique est accom­plie selon les formes requises. Le deuxième sens élar­gi sup­pose tou­jours le pre­mier sens propre : toute légi­ti­mi­té légale doit être morale, bien que l’inverse ne soit pas tou­jours vrai. 

Un acte pro­mul­gué par l’autorité selon les formes juri­diques, mais qui met­trait obs­tacle au bien com­mun est appa­rem­ment mais non réel­le­ment légi­time : il consti­tue un abus de pou­voir, c’est à dire un acte tyran­nique. En ce sens, le Novus Ordo Missae de 1969 (abré­gé en NOM) n’est pas réel­le­ment légi­time, puisqu’il met de graves obs­tacles au bien com­mun de la sainte Eglise. Et des études assez sérieuses ont prou­vé qu’il n’était même pas légi­time de manière appa­rente, au sens où sa pro­mul­ga­tion ne pré­sente pas les garan­ties juri­diques requises[1].

C’est pour­quoi Mgr Lefebvre s’est tou­jours refu­sé à affir­mer la légi­ti­mi­té de ce NOM, non seule­ment la légi­ti­mi­té morale du rite pris en lui-​même, mais même la légi­ti­mi­té pure­ment légale de sa pro­mul­ga­tion. Il déclare ce refus le plus expli­ci­te­ment dans la confé­rence spi­ri­tuelle don­née à Ecône du 2 décembre 1982 : « Pratiquement [ils me demandent] de recon­naître la légi­ti­mi­té, la catho­li­ci­té, par consé­quent la bon­té de ces messes dites fidè­le­ment selon le Nouvel Ordo, par consé­quent même les tra­duc­tions. C’est une chose pour nous abso­lu­ment impos­sible ».

2. La pro­mul­ga­tion du Novus Ordo Missae a‑t-​elle abro­gé le rite de la messe de saint Pie V ? La réponse à la ques­tion pré­cé­dente donne la réponse à celle-​ci. Non, car pour abro­ger un rite légi­time, il eût fal­lu que le NOM fût lui-​même légi­time. Or, le NOM n’est pas légi­time. Donc, il n’a pu abro­ger le rite de la messe de saint Pie V. 

Quelle fut cepen­dant l’intention de Paul VI ? Le livre de l’abbé Barthe donne des élé­ments his­to­riques pour répondre à la ques­tion[2]. Celle-​ci est brû­lante, puisque, dans le Motu pro­prio Summorum pon­ti­fi­cum du 7 juillet 2007, Benoît XVI affirme que l’ancien rite de la messe de saint Pie V n’a pas été abro­gé par la réforme de Paul VI[3]. Est-​ce exact ? L’Instruction de la sacrée Congrégation pour le culte divin du 20 octobre 1969 pré­cise que le nou­veau Missel réfor­mé doit entrer en vigueur le 30 novembre 1969 et qu’à comp­ter du 28 novembre 1971 il serait obli­ga­toire. Les ques­tions ne man­quèrent pas. « Les demandes sur le carac­tère obli­ga­toire ou non du nou­vel Ordo Missae se mul­ti­pliant, la Secrétairerie d’Etat, domi­née par le car­di­nal Benelli, Substitut de ten­dance modé­rée, fit en sorte, pour ne pas enve­ni­mer les polé­miques, qu’il n’y ait pas de réponse, notam­ment de la part de la Commission pour l’interprétation des docu­ments du Concile »[4]. Cependant, le 17 octobre 1973, Mgr Bugnini adres­sa, comme Secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, une réponse offi­cielle à Mgr Sustar, Secrétaire du Conseil des Conférences épis­co­pales d’Europe, affir­mant qu’il fal­lait inter­pré­ter la clau­sule finale de la Constitution Missale roma­num comme indi­quant l’abrogation du mis­sel de saint Pie V. 

Surtout, Paul VI inter­vint lui-​même encore plus clai­re­ment dans son dis­cours au Consistoire du 24 mai 1976, en visant impli­ci­te­ment l’attitude de Mgr Lefebvre : « L’adoption du nou­vel Ordo Missae n’est pas du tout lais­sée au libre-​arbitre des prêtres ou des fidèles. L’Instruction du 14 juin 1971 a pré­vu la célé­bra­tion de la messe selon l’ancien rite avec l’autorisation de l’Ordinaire uni­que­ment pour les prêtres âgés ou malades qui offrent le sacri­fice divin sine popu­lo. Le nou­vel Ordo a été pro­mul­gué pour être sub­sti­tué à l’ancien après une mûre réflexion et à la suite des ins­tances du Concile Vatican II. Ce n’est pas autre­ment que notre saint pré­dé­ces­seur Pie V avait ren­du obli­ga­toire le mis­sel réfor­mé sous son auto­ri­té. Avec la même auto­ri­té suprême qui nous vient du Christ Jésus, nous exi­geons la même dis­po­ni­bi­li­té à toutes les autres réformes litur­giques, dis­ci­pli­naires, pas­to­rales, mûries ces der­nières années en appli­ca­tion des décrets conci­liaires »[5]. L’intention de Paul VI est donc par­fai­te­ment claire. Paul VI vou­lait abro­ger le rite de l’ancienne messe. Cette volon­té s’est-elle expri­mée suf­fi­sam­ment, à tra­vers les formes juri­diques requises, pour revê­tir au moins l’apparence d’une légi­ti­mi­té, à défaut d’une légi­ti­mi­té réelle ? L’Instruction du 24 juin 1971 et la décla­ra­tion de Paul VI au consis­toire, le 24 mai 1976, ont-​elles la valeur juri­dique d’une abro­ga­tion ? C’est aux cano­nistes d’en disputer.

3. Nous vou­drions atti­rer l’attention du lec­teur sur deux points. Premièrement, la rai­son pro­fonde pour laquelle l’on doit dire que l’ancien mis­sel n’a pas été abro­gé est que la réforme litur­gique de 1969 est dépour­vue de toute légi­ti­mi­té. Ce n’est pour­tant pas ce que dit le Motu pro­prio de Benoît XVI, qui, tout en affir­mant que l’ancien mis­sel n’a pas été abro­gé, affirme la légi­ti­mi­té par­faite du Novus Ordo. 

Deuxièmement, lors d’un entre­tien accor­dé aux jour­na­listes au cours du vol qui le menait en France pour son voyage apos­to­lique, le 12 sep­tembre 2008, le même Pape Benoît XVI a décla­ré que « ce Motu pro­prio [Summorum Pontificum] est sim­ple­ment un acte de tolé­rance, dans un but pas­to­ral pour des per­sonnes qui ont été for­mées dans cette litur­gie, l’aiment, la connaissent, et veulent vivre avec cette litur­gie. C’est un petit groupe parce que cela sup­pose une for­ma­tion en latin, une for­ma­tion dans une culture cer­taine. Mais pour ces per­sonnes avoir l’amour et la tolé­rance de per­mettre de vivre avec cette litur­gie cela me semble une exi­gence nor­male de la foi et de la pas­to­rale d’un évêque de notre Eglise. Il n’y a aucune oppo­si­tion entre la litur­gie renou­ve­lée par le Concile Vatican II et cette litur­gie »[6].

Un acte de tolé­rance : voi­là qui rejoint l’esprit de l’Instruction du 24 juin 1971, ain­si que l’intention de Paul VI. On tolère un mal, ou un incon­vé­nient, en vue d’un plus grand bien. Ici, le mal tolé­ré serait la loi d’une prière (celle du mis­sel de saint Pie V) qui n’est pas l’expression adé­quate de la loi de la croyance (celle de Vatican II). Et le plus grand bien serait, comme l’explique Jean-​Paul II dans le Motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta, l’intégration des fidèles atta­chés à l’ancienne litur­gie dans l’unité ecclé­siale, fon­dée sur l’adhésion aux ensei­gne­ments de Vatican II. Et dès lors que l’on estime que le mal tolé­ré devient plus grand que le bien en vue duquel il est tolé­ré, au point de le com­pro­mettre, la tolé­rance n’est plus de mise. Y aurait-​il là l’explication de la déci­sion prise par le Pape François dans son Motu pro­prio Traditionis cus­todes ? En tout état de cause, prise dans son prin­cipe, cette expli­ca­tion ne serait pas en contra­dic­tion, loin de là, avec l’intention de Benoît XVI.

Abbé Jean-​Michel Gleize

Source : Courrier de Rome n°645

Notes de bas de page
  1. Cf le livre de Louis Salleron, La Nouvelle Messe celui de Xavier Arnaldo Da Silveira, La Nouvelle Messe de Paul VI, qu’en pen­ser ? ain­si que les études de l’abbé des Graviers.[]
  2. Claude Barthe, La Messe de Vatican II, Via Romana, 2018, p. 121–125.[]
  3. « Proinde Missae Sacrificium, jux­ta edi­tio­nem typi­cam Missalis Romani a B. Ioanne XXIII anno 1962 pro­mul­ga­tam et num­quam abro­ga­tam, uti for­mam extra­or­di­na­riam Liturgiae Ecclesiae, cele­brare licet ».[]
  4. Barthe, p. 123–124.[]
  5. AAS, t. 68 (1976), p. 374.[]
  6. AAS, t. 100 (2008), p. 719–720.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.