Le pape Jean-Paul II à Assise, le 27 octobre 1986
Trente ans après la première réunion interreligieuse du 27 octobre 1986, le pape François s’inscrit dans la continuité de ses deux prédécesseurs, les papes Jean-Paul II et Benoît XVI.
En 1986, le pape Jean-Paul II convoquait la première rencontre interreligieuse à l’occasion de l’année internationale de la paix proclamée par l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.). Les trente années écoulées, émaillées de conflits incessants sur tous les continents, où les décombres de la guerre civile, les victimes du terrorisme et le nombre des chrétiens persécutés n’ont cessé de croître, témoignent de l’échec de ces manifestations et de telles prières.
L’allocution du pape François pour la paix est révélatrice de l’esprit irénique qui inspire désormais les autorités de l’Eglise. Il est vrai que les hommes aspirent à la paix plutôt qu’à la guerre, et il est très vrai que la paix est un don de Dieu. Mais il est vrai aussi que parfois la guerre est rendue nécessaire, ne serait-ce que pour assurer la paix, ou par légitime défense. Ainsi en alla-t-il de la première croisade, convoquée par le pape Urbain II pour protéger les Lieux saints et défendre les chrétiens maltraités, tués, spoliés ou asservis par les Turcs. Mille ans plus tard, la situation des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient, au Nigéria ou au Soudan, en Orissa ou au Pakistan, n’est fondamentalement pas si différente… Le slogan pacifiste « non à la guerre ! » ne saurait ignorer qu’il existe des guerres justes.
Mais si la paix est un don de Dieu, si le Christ a en effet édicté la béatitude des artisans de paix comme l’un des plus beaux fruits du don de Sagesse, Il a pris soin de préciser qu’Il était Lui-même la véritable paix : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; je ne la donne pas comme le monde la donne… » (Jn 14, 27).
Le louable dessein de proclamer « le lien indissoluble entre le grand bien de la paix et un authentique engagement religieux » est voué à l’échec car il fait l’économie de la foi. Que peut signifier « un authentique engagement religieux » sans Jésus-Christ ? « Le salut n’est en aucun autre, car il n’y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes » enseigne saint Pierre (Ac 4, 12). « Sans la foi, nul ne peut plus plaire à Dieu » renchérit saint Paul (He 11, 6). Comment Dieu dispensateur de tout bien exaucerait-il une assemblée où son Fils, l’unique Seigneur qui est « voie, vérité et vie » (cf. Jn 14, 6), n’est plus qu’une option parmi d’autres chemins ? La religion du Christ voisine avec les idoles et les fausses religions, la vérité qui sauve et procure la vie éternelle côtoie les erreurs qui perdent les âmes.
C’est par Jésus-Christ, Fils unique du Père, engendré de toute éternité et fait chair dans le sein de la Vierge Marie, que le don de la paix nous est offert – Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonæ voluntatis chantent les anges dans la nuit de Noël (Lc 2, 14). Il est illusoire de penser obtenir de Dieu le don de la paix sans passer par son Fils unique, plein de grâce et de vérité (Jn 1, 14), unique médiateur donné par Dieu aux hommes (1 Tm. 2, 5 ; He 9, 15 et 12, 24).
On objectera sans doute que la situation du monde fournit une raison valable pour exhorter les fidèles de chaque religion à ne pas recourir au terrorisme, à la haine et à la violence aveugle. Cela concerne en particulier les sectateurs de Mahomet ou les extrémistes hindous. Par ailleurs une certaine concorde humaine est nécessaire pour favoriser la conversion et faciliter le travail des missionnaires. Pour autant on ne saurait attribuer « de l’autorité à une religion fausse, entièrement étrangère à la seule Eglise du Christ » (Pie XI), ni transformer la ville de saint François en une sorte de Panthéon des religions. C’est ici que réside le scandale, contre lequel les papes avant Vatican II avaient mis en garde.
A l’origine de l’esprit d’Assise
Un premier Parlement des religions se tint en 1893 à Chicago, aux Etats-Unis. Les catholiques libéraux entendaient déjà combattre la violence et bâtir un monde de paix. Mgr Redwood, archevêque de Nouvelle Zélande, affirma : « pour détruire les barrières de haine qui existent dans le monde, nous devons respecter les éléments de vérité et de moralité contenus dans toutes les religions ». Le recteur de l’Université catholique de Washington, Mgr Keane, expliqua que, à défaut de s’entendre sur les croyances, il fallait « s’entendre sur la charité » et reconnaître « le vrai dans toutes les religions ». Pensait-il que cela suffisait à les rendre vraies, agréables à Dieu et aptes à procurer le salut ? Le pape Léon XIII condamna cette réunion de toutes les religions au motif que la charité ne saurait être favorisée au détriment de la foi et de son intégrité (cf. Lettre au cardinal Satolli, 15 septembre 1895 puis Lettre Testem benevolentiæ au cardinal Gibbons, 22 janvier 1899).
Après la grande guerre, le pape Pie XI mit en garde le monde catholique contre certaines initiatives prises sous apparence de bien. En effet, le désir de paix et de fraternité entre les nations, pour légitime qu’il soit, ne saurait se réaliser au détriment de l’ordre établi par Dieu. La paix n’est-elle pas, selon la définition de saint Augustin, « la tranquillité de l’ordre » ?
Dans sa Lettre encyclique Mortalium animos (6 janvier 1928), Pie XI dénonce les efforts entrepris par certains pour amener les peuples, en dépit de leurs dissensions religieuses, à s’unir dans « la profession de certaines doctrines admises comme un fondement commun de vie spirituelle ». Le pape juge que ces congrès, réunions, conférences, où sont invités « tous les hommes indistinctement, les infidèles de toute catégorie, les fidèles, et jusqu’à ceux qui ont le malheur de s’être séparés du Christ ou qui nient âprement et obstinément la divinité de sa nature et de sa mission », ne sauraient être approuvés par les catholiques car ils « s’appuient sur la théorie erronée que toutes les religions sont plus ou moins bonnes et louables, en ce sens qu’elles révèlent et traduisent toutes également – quoique de manières différentes – le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu et nous incline avec respect devant sa puissance. Outre qu’ils s’égarent en pleine erreur, les tenants de cette opinion repoussent du même coup la religion vraie ; ils en faussent la notion et versent peu à peu dans le naturalisme et l’athéisme. Il est donc parfaitement évident que c’est abandonner entièrement la religion divinement révélée que de se joindre aux partisans et aux propagateurs de pareilles doctrines ».
Parmi ces doctrines figure l’erreur des « panchrétiens » pour qui la prière du Christ « Qu’ils soient un » (Jn 17, 21) serait demeurée lettre morte. Le pape Pie XI rétablit la vérité d’une Eglise une de par sa nature et son fondement, bâtie sur Pierre, et unique dépositaire de la Révélation. Malheureusement le pape François semble considérer, à la fin de sa méditation au cours de la prière œcuménique, que cette unité est encore en chemin.
Finalement, les réunions interreligieuses reposent sur l’équivoque et aboutissent à l’impiété, quelles que soient leurs bonnes intentions. On ne saurait prier Dieu pour en obtenir le don de la paix – ou de l’unité – tout en favorisant ou accueillant toutes les religions et les sectes indistinctement, alors qu’elles détournent les âmes de la religion authentique et du seul vrai Dieu, qu’au demeurant elles offensent. L’enseignement des papes est constant. Pie XI le résume ainsi : « il n’est pas de vraie religion en dehors de celle qui repose sur la Révélation divine : cette révélation, commencée à l’origine du monde, poursuivie sous la Loi ancienne, le Christ Lui-même l’a parachevée dans la Loi nouvelle ». Et Il a institué son Eglise comme une société parfaite, « ayant pour but de procurer dans l’avenir le salut du genre humain ». Tel est le but et la mission de l’Eglise, auquel est liée la charge apostolique de paître le troupeau du Christ.
Où conduit la Rencontre d’Assise ?
Le pape François a beau condamner à raison, et avec le sens de la formule, « le paganisme de l’indifférence », et se défendre de tout syncrétisme ou relativisme, de fait la véritable paix, celle que le Christ est venu apporter au monde, se trouve rangée parmi les bienfaits que toutes les religions du monde pourraient également obtenir. N’est-ce pas un outrage autant qu’un blasphème pour le Fils de Dieu d’être ainsi mêlé aux idoles qui ont pour père Satan, le prince du mensonge (cf. Ps 95, 5) ? A quoi aboutit le spectacle de ces représentant de toutes les religions, même païennes, sinon à la réunion des contraires et à la désorientation des esprits ? Tant de credos rassemblés ne peuvent que conduire au scepticisme ou au relativisme.
Saint Pie X, le dernier pape canonisé par l’Eglise avant Vatican II, dénonçait ce mortel respect des erreurs les plus hétérodoxes, duquel ne peut résulter qu’un « généreux idéalisme », « une construction purement verbale et chimérique », « une agitation tumultueuse et stérile ». « Le résultat de cette promiscuité en travail, continuait-il, le bénéficiaire de cette action sociale cosmopolite ne peut être qu’une démocratie qui ne sera ni catholique, ni protestante, ni juive ; une religion (…) plus universelle que l’Eglise catholique, réunissant tous les hommes devenus enfin frères et camarades dans « le règne de Dieu » » (Lettre Notre Charge apostolique, 25 août 1910). Un prétendu règne de Dieu qui, en réalité, débouche sur ce « grand mouvement d’apostasie organisée, dans tous les pays, pour l’établissement d’une Eglise universelle qui n’aura ni dogmes, ni hiérarchie, ni règle pour l’esprit, ni frein pour les passions… ». – Une Eglise diluée dans un monde globalisé.
Sources : Vatican/radiovatican/zenit/courrierderome – n°341 du 30/09/16/La Porte Latine du 30 septembre 2016