Le pape François condamne fréquemment et énergiquement le prosélytisme des catholiques. Ce thème revient très souvent dans ses communications orales et écrites.
Pourquoi une telle insistance ? Quelle est la doctrine catholique en la matière ?
1. Le sens du mot prosélytisme
Ce terme dérive de « prosélyte », qui signifie étymologiquement « nouveau venu dans un pays étranger ». Ce mot est utilisé dans la Bible pour désigner les gentils, ou non-juifs, qui vivaient de manière stable avec le peuple d’Israël et qui se proposaient d’entrer dans l’Alliance et d’observer la loi de Moïse. De là, il est passé au langage chrétien. Le prosélytisme est l’attitude de personnes cherchant à convertir d’autres personnes à leur foi. De nos jours, le terme a une connotation négative et désigne un comportement souvent agressif, dénué de tout respect d’autrui. Il est assimilé à une propagande intempestive et même à une certaine violence destinées à faire de nouveaux adeptes. L’usage courant du mot demande de faire les distinctions suivantes.Quant au mode, il faut distinguer un bon prosélytisme, qui use de douceur et cherche à convaincre en respectant la liberté de l’interlocuteur ; et le mauvais prosélytisme, qui est agressif violent et menaçant.
Quant au but recherché, il faut distinguer le prosélytisme louable, qui vise le bien de la personne ; et le condamnable, qui cherche à exploiter le prochain au profit d’une secte.
Il est évident que les deux significations négatives du mot (quant au mode et quant au but) ne correspondent pas à l’esprit catholique. Tout catholique doit rejeter ces prosélytismes-là. L’esprit missionnaire s’inspire de la charité théologale et rejette l’agressivité sectaire.
Mais si l’on entend prosélytisme sans connotation péjorative, comme simple tentative de convaincre autrui de se convertir au catholicisme, grâce à des arguments rationnels, ce comportement est-il catholique ? Le pape François répond par la négative, comme les citations ci-dessous le montrent.
2. Ce que dit François
Dans l’avion du retour du Bangladesh, le 2 décembre 2017, le pape François dit : « La paix se brise quand commence le prosélytisme. Il y a différentes manières de faire du prosélytisme, mais ce n’est pas l’Évangile ».
Lors des Journées mondiales de la jeunesse, à Cracovie, un jeune l’a interrogé sur la conduite à tenir avec « un ami athée pour qu’il se convertisse ». « La dernière chose à faire est de dire quelque chose ! », lui a répondu le pape du tac-au-tac. « Tu vis l’Évangile, et s’il te demande pourquoi tu agis comme cela, alors tu lui expliques et tu laisses l’Esprit Saint l’activer » [1]. La conversion ne peut venir que « de la force et de la douceur de l’Esprit Saint » ; non d’une tentative de « convaincre l’autre mentalement, par l’apologétique ou la raison » [2].
Le pape François déclare aussi dans sa conférence de presse du 21 juin 2018 : « Dans le mouvement œcuménique, nous devons ôter du dictionnaire un mot : prosélytisme. C’est clair ? Il ne peut y avoir d’œcuménisme s’il y a du prosélytisme, il faut choisir : ou tu as un esprit œcuménique, ou tu es “prosélyte”». Il dit de même au Maroc le 31 mars 2019 : « Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme, qui conduit toujours à une impasse. (…) S’il vous plaît, pas de prosélytisme ! L’Église croît non par prosélytisme mais par le témoignage ».
Dans son discours du 20 mai 2019, le pape a mis en garde contre une confusion possible entre évangélisation et prosélytisme. « L’évangélisation est le témoignage de Jésus-Christ, mort et ressuscité. C’est lui qui attire. (…) Il ne s’agit pas de chercher de nouveaux membres pour cette “société catholique”, non ; c’est faire voir Jésus : qu’il se fasse voir dans ma personne, dans mon comportement ; et ouvrir à travers ma vie des espaces à Jésus ».
L’évangélisation libère alors que le prosélytisme assujettit, a‑t-il précisé en septembre 2019 [3].
Cet enseignement n’est pas nouveau. Benoît XVI, dans une homélie du 13 mars 2007 au Brésil, disait : « L’Église ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par « attraction » : comme le Christ « attire chacun à lui » par la force de son amour, qui a culminé dans le sacrifice de la Croix, de même, l’Église accomplit sa mission dans la mesure où, associée au Christ, elle accomplit chacune de ses œuvres en conformité spirituelle et concrète avec la charité de son Seigneur ».
En 1986, Jean-Paul II s’adressait en ces termes aux participants à un colloque théologique judéo-chrétien : « Votre colloque peut aider à éviter la méprise du syncrétisme, la confusion de notre identité réciproque de croyants, l’ombre et la suspicion du prosélytisme. Vous mettez effectivement en œuvre les perspectives du concile Vatican II, qui ont été aussi le thème des Documents postérieurs de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme » [4]. Il écrivait aussi le 28 juin 2003 : « En même temps, je veux une fois encore assurer les pasteurs, ainsi que nos frères et sœurs des Églises orthodoxes, que la nouvelle évangélisation ne peut en aucune manière être confondue avec le prosélytisme, restant sauf le devoir de respecter la vérité, la liberté et la dignité de toute personne » [5].
Ces citations montrent que le pape François, dans la ligne de ses deux prédécesseurs, n’est pas opposé à l’évangélisation. Il encourage même les catholiques à être missionnaires, comme on le lit dans Evangelii Gaudium (ch. 5), mais il entend le mot évangélisation dans un sens restreint : montrer l’exemple d’une vie catholique, être un témoin de l’Évangile par son comportement. En revanche, il ne veut pas que les catholiques usent d’arguments pour convaincre, pour persuader les non-catholiques d’embrasser le catholicisme. En d’autres termes, si quelqu’un veut se convertir au catholicisme, sa démarche doit être spontanée, sans qu’un catholique l’ait occasionnée par une discussion. L’usage de l’apologétique pour favoriser une conversion est condamné.
Remarquons que le pape Jean-Paul II est allé plus loin en condamnant non seulement la tentative de conversion par des arguments apologétiques, mais même toute tentative de conversion à l’égard des juifs : « Chacune de nos religions [chrétienne et juive], dans la pleine conscience des liens qui l’unissent à l’autre, et en premier lieu de ce lien dont parle le Concile, veut être reconnue et respectée dans son identité propre, au-delà de tout syncrétisme et de toute appropriation équivoque » [6]. Il dit aussi aux juifs : « Oui, par ma voix, l’Église catholique […] reconnaît la valeur du témoignage religieux de votre peuple » [7]. « Est-il besoin de préciser, surtout pour ceux qui demeurent sceptiques, voire même hostiles, que ce rapprochement ne saurait se confondre avec un certain relativisme religieux et moins encore avec une perte d’identité ? […] Que Dieu donne aux chrétiens et aux juifs de se rencontrer davantage, d’échanger en profondeur et à partir de leur propre identité, sans jamais l’obscurcir d’un côté comme de l’autre, mais en cherchant vraiment la volonté de Dieu qui s’est révélé » [8].
Benoît XVI dit exactement la même chose aux juifs : « Dans ce qui nous distingue les uns des autres de par notre intime conviction de foi nous devons nous respecter et nous aimer mutuellement » [9].
3. En pratique
Cet enseignement des papes récents ne reste pas purement théorique. Il est mis en œuvre dans l’apostolat. Déjà en 1993, les représentants de l’Église catholique s’étaient engagés à ne pas chercher à convertir les schismatiques orthodoxes. Voici ce qu’a signé le Saint Siège dans les accords de Balamand (n°22) : « Nous le rejetons [l’uniatisme] comme méthode de recherche d’unité. (…) L’action pastorale de l’Église catholique tant latine qu’orientale ne tend plus à faire passer les fidèles d’une Église à l’autre ; c’est-à-dire ne vise plus au prosélytisme parmi les orthodoxes. Elle vise à répondre aux besoins spirituels de ses propres fidèles et n’a aucune volonté d’expansion aux dépens de l’Église orthodoxe » [10].
La même pratique est enseignée à l’égard des juifs : il ne faut plus chercher à les convertir au catholicisme. C’est ce qu’on lit dans le document de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, daté du 10 décembre 2015 : « L’Église catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs » [11].
C’est donc clair : même s’il y a un témoignage, ce n’est pas pour convertir.
4. Une insistance étonnante
Si le prosélytisme est très répandu chez les musulmans et dans les sectes, il ne l’est pas chez les catholiques du 21e siècle, d’où une légitime interrogation sur la pertinence des propos du pape. Le vaticaniste Sandro Magister commente avec justesse : « Si par “prosélytisme”, le pape François entend une activité missionnaire exercée à outrance, forcée, qui se mesure au nombre de nouveaux baptisés, où a‑t-il donc été chercher qu’il s’agirait d’un réel “danger” qui “refait surface” au sein de l’Église catholique ? Mystère. Parce que s’il y a bien une réalité incontestable dans l’Église de ces cinquante dernières années, ce n’est pas l’excès mais plutôt l’effondrement de l’élan missionnaire » [12].
5. Un enseignement qui n’est pas catholique
Le mot prosélytisme n’est habituellement pas utilisé dans l’Église. On parle plutôt d’esprit missionnaire ou d’apostolat. Mais si l’on considère la réalité désignée par ce mot, il est aisé de constater que le prosélytisme a été pratiqué par de nombreux saints. Pensons par exemple, au 2e siècle après Jésus-Christ, à saint Justin, esprit ouvert et bon connaisseur des philosophes de son temps. Après sa conversion au christianisme, il dépensa toute son énergie, par sa parole et par sa plume, à convertir les non-chrétiens, et notamment les juifs, à la religion du Christ. Il suffit de lire son Dialogue avec le juif Triphon pour constater avec quelle ardeur il argumente pour convaincre que seule la religion chrétienne est la vraie. Il fut arrêté à Rome pour prosélytisme et exécuté en l’an 166 parce qu’il ne voulait pas renier sa foi. Mentionnons aussi saint François de Sales qui, par son prosélytisme, convertit la quasi-totalité du Chablais protestant au catholicisme. Et que dire des saints Martin, Boniface, François Xavier, Pierre Canisius, Josaphat, etc. ? On raconte que saint Dominique, en 1204, fut confronté dans le Languedoc à l’hérésie des Albigeois. Il se sentait ému d’une profonde compassion pour ces âmes abusées, marchant vers leur perte éternelle. Un soir, dans une auberge de Toulouse, il s’aperçut que son hôte était cathare. Il l’obligea alors à rendre raison de sa croyance. Toute la nuit, oublieux de la fatigue de la route qu’il reprendrait le lendemain matin, Dominique le pressa de ses questions brûlantes. Le pauvre homme exposa la doctrine cathare. « Dominique sut débrouiller ces inconséquences et ces confusions. Avec force, il discuta sans défaillance. Avec amour, il sut persuader. L’homme ne put résister à l’Esprit qui parlait par cette bouche convaincue. Lorsque le jour parut, il se rendit à la lumière. Dominique s’en alla joyeux d’avoir gagné son frère, bouleversé du contact intime pris avec l’hérésie, tout animé par ce premier succès apostolique hors des frontières de sa Castille » [13]. Il est à craindre que le pape François condamnerait ce zèle de saint Dominique pour convertir ses frères.
6. Que dit saint Thomas d’Aquin ?
S’interrogeant sur les débats publics entre catholiques et hérétiques, le Docteur angélique écrit : « Il ne faut pas disputer dans les choses qui sont de foi comme si on avait des doutes à leur sujet, mais avec le dessein de manifester la vérité et de réfuter les erreurs. Pour la confirmation de la foi, il faut en effet de temps en temps disputer avec les infidèles. Tantôt c’est bien pour la défense même de la foi, selon le mot de saint Pierre “Toujours prêts à donner satisfaction à toute personne qui vous demande raison de l’espérance et de la foi qui est en vous”. Tantôt c’est pour convaincre ceux qui sont dans l’erreur, selon le mot de saint Paul : “Qu’il soit vaillant pour exhorter dans la saine doctrine et pour réfuter les contradicteurs” [14].
Saint Thomas, fidèle écho de la Tradition, reconnaît ici le bien-fondé de la discussion et du débat dans le but de convaincre l’hérétique de la vérité du catholicisme.
7. Que dit le Magistère de l’Eglise ?
Le pape Pie IX, dans Mortalium animas, a bien montré que le seul œcuménisme catholique consiste non dans un dialogue inter-religieux mutuellement enrichissant, mais dans le souci du retour des égarés à l’unique bercail : « L’union des chrétiens ne peut être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner ». Et saint Pie X écrit dans la Lettre sur le Sillon en 1910 : « Si Jésus a été bon pour les égarés et les pécheurs, il n’a pas respecté leurs convictions erronées, quelque sincères quelles parussent. Il les a tous aimés pour les instruire, les convertir et les sauver ». Cet enseignement se fonde sur une vérité que les papes ont souvent rappelée, et sur laquelle Pie IX est revenu à maintes reprises : « Nous connaissons parfaitement le dogme catholique, à savoir qu’en dehors de l’Église catholique personne ne peut être sauvé » [15]. C’est cette conviction qui a poussé les apôtres et, après eux, des milliers de catholiques, à évangéliser les infidèles, à risquer leur vie et même à verser leur sang pour détourner les égarés de leurs erreurs et leur transmettre l’enseignement de l’Église. Telle est la réponse à l’ordre du Christ : « Allez évangéliser les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé » [16].
8. La source de cette erreur
Le refus de toute forme de prosélytisme a sa source dans les erreurs ecclésiologiques du concile Vatican II. Refusant le dogme « Hors de l’Église point de salut », les modernistes prétendent que « par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » [17]. Jean-Paul II en conclut : « Dans l’Esprit-Saint, chaque personne et chaque peuple sont devenus, par la croix et la résurrection du Christ, des enfants de Dieu, des participants de la nature divine et des héritiers de la vie éternelle » [18]. Au lieu de dire que l’Église du Christ est l’Église catholique, le Concile écrit que l’Église du Christ « subsiste dans l’Église catholique » [19], laissant entendre que l’Église du Christ s’étendrait en dehors de l’Église catholique, de manière imparfaite, grâce aux éléments d’Église présents dans les autres confessions chrétiennes. Mentionnons enfin cette affirmation inacceptable du Concile : « L’esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles [les Églises et communautés séparées] comme de moyens de salut » [20].
Ces erreurs ont détruit l’esprit missionnaire. Si l’on peut se sauver sans être catholique, à quoi bon se fatiguer pour essayer de convertir les infidèles ? Tout au plus à aider l’homme à prendre conscience de sa dignité divine.
9. Conclusion
Si l’on entend par prosélytisme un zèle ardent pour convertir les âmes au catholicisme, le prosélytisme est catholique. C’est l’esprit missionnaire. C’est l’esprit des apôtres. Il est un effet de la charité envers le prochain. Si mon prochain est dans l’erreur et sur le chemin de la damnation, je vais faire tout ce qui dépend de moi pour l’éclairer et le mettre sur le droit chemin. Pour cela, je vais prier pour lui, lui montrer le bon exemple et même, n’en déplaise au pape François, lui parler et tenter de le convaincre, avec délicatesse et prudence, que le Christ n’a fondé qu’une seule religion, hors de laquelle il n’y a pas de salut.
Source : Courrier de Rome n° 647
- Conférence de presse du 2 décembre 2017 dans l’avion citée par le journal La Croix[↩]
- Ibidem.[↩]
- La Civiltà Cattolica du 26 septembre 2019.[↩]
- « Allocution du 6 novembre 1986 au colloque international judéo-chrétien » dans DC n° 1931 (4 janvier 1987), p. 34[↩]
- Ecclesia in Europa, n° 20.[↩]
- Jean-Paul II, « Discours du 13 avril 1986 lors de sa visite à la synagogue de Rome » dans DC n° 1917, p. 438.[↩]
- Jean-Paul II, « Discours du 9 octobre 1998 à la communauté juive d’Alsace » dans DC n° 1971, p. 1027[↩]
- Jean-Paul II, « Discours du 6 mars 1982 aux délégués des conférences épiscopales pour les relations avec le judaïsme » dans DC n° 1827, p. 34[↩]
- Benoît XVI, « Allocution lors de la visite à la synagogue de Cologne, le 19 août 2005 » dans DC n° 2343, p. 892[↩]
- La Documentation catholique du 1er août 1993, page 711.[↩]
- La Documentation catholique d’avril 2016, page 35[↩]
- Article publié sur le site www.diakonos.be le 22 mai 2019.[↩]
- M. H. Vicaire, Histoire de saint Dominique.[↩]
- Somme théologique, IIa IIae, q. 10 art. 7 ad 3.[↩]
- Encyclique Quanto conficiamur du 10 août 1863 aux évêques d’Italie, Dz 2867.[↩]
- Mat. XXVIII, 19.[↩]
- Gaudium et spes n° 22.[↩]
- Jean-Paul II, Message aux peuples d’Asie du 21 février 1981, La Documentation catholique du 15 mars 1981 page 281.[↩]
- Lumen Gentium n° 8.[↩]
- Unitatis redintegratio n° 3.[↩]