Le pape s’est rendu à la synagogue de Rome, dans l’après-midi du dimanche 17 janvier. Dans son discours devant les autorités de la communauté juive italienne, il s’est clairement situé dans la ligne de son prédécesseur, Jean-Paul II, rappelant la visite de ce dernier à la synagogue de Rome, le 13 avril 1986, et citant intégralement son message de repentance au Mur des Lamentations lors du pèlerinage qu’il effectua en Terre sainte, en mars 2000 : « Nous sommes profondément blessés par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire, vous ont fait souffrir et nous demandons pardon (…) ». Benoît XVI a placé toutes ces ouvertures en direction du judaïsme dans le cadre du dialogue interreligieux promu par le document conciliaire Nostra Aetate (1965). Il a ainsi parlé d’un « chemin irrévocable de dialogue, de fraternité et d’amitié ».
C’était la troisième visite de Benoît XVI dans une synagogue, après Cologne en août 2005 et New York en avril 2008. Ce qui fait écrire à Jean-Marie Guénois dans Le Figaro du 18 janvier : « Aucun pape n’aura visité autant de synagogues ». De plus, en mai 2009, lors de son voyage en Terre sainte, le pape s´était rendu, à Jérusalem, sur les traces de Jean-Paul II, au mémorial de la Shoah, le Yad Vashem, et au Mur des Lamentations. A cette occasion, il avait également visité le Grand Rabbinat de Jérusalem.
Répondant aux questions de l’agence romaine I.Media, le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, principal organisateur de cette visite, a déclaré : « J´attends un engagement sérieux du pape à aller de l´avant dans le respect en cherchant à comprendre les positions et la sensibilité de l´autre, j´attends qu´il s´engage à continuer le dialogue ». Et d’ajouter : « Si le théologien Ratzinger a une théologie compliquée, il y a de la place dans cette théologie pour un profond respect des racines juives du christianisme. Ce n´est pas fréquent, surtout dans la pensée moderne des Eglises en général. Ratzinger, sur ce point, est très ouvert à la discussion avec la tradition juive, qu´elle soit ancienne ou récente. Sa théologie à l´égard des juifs possède malheureusement quelques points problématiques comme les questions du salut, de la vérité, de la conversion ou de l´accomplissement. Ce sont des problèmes qui ne peuvent pas nous remplir d´enthousiasme. »
En fait, lors du discours à la synagogue, Benoît XVI n’a abordé aucun des « points problématiques », ne souhaitant manifester, comme il l’avait déclaré au cours de l’Angélus de ce dimanche, que « l´engagement commun à valoriser ce qui unit » les deux communautés : « la foi en un Dieu unique, avant tout, mais aussi la protection de la vie et de la famille, l´aspiration à la justice sociale et à la paix ».
Le 13 janvier, le cardinal Walter Kasper, président de la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme, annonçait lors d’une conférence de presse ce qui se trouve dans l’allocution pontificale du 17, à savoir l´importance, aux yeux du pape, de donner à un monde sécularisé le témoignage d´une « foi partagée » par les juifs et les chrétiens « en un Dieu unique, (et) dans le Décalogue ».
Comme le remarque Frédéric Mounierdans La Croix du 18 janvier : « Riccardo Pacifici, président de la communauté juive de Rome, sera le seul à mentionner le nom de Pie XII, que Benoît XVI ne prononcera pas, et à demander l’ouverture des archives (du Vatican sur la Deuxième Guerre mondiale, ndlr) : ‘Le silence de Pie XII devant la Shoah fait encore mal, comme un acte manqué. Peut-être n’aurait-il pas arrêté les trains de la mort, mais il aurait transmis un signal, une parole de réconfort, de solidarité humaine, envers nos frères transportés vers Auschwitz.’ Peu avant, il avait salué les religieuses qui ont sauvé tant de juifs. » En réponse, le pape a simplement évoqué d’une phrase « l’action de secours, souvent cachée et discrète, du Siège apostolique » pour sauver des juifs pendant la guerre.
Cette visite avait une portée politique hautement symbolique, ce que n’ont pas manqué de souligner les autorités juives qui l’avait organisée. Dès lors, il n’est pas surprenant que la diplomatie seule ait pu entrer dans la synagogue, laissant la théologie à la porte. (DICI du 18/01/10 – Sources : vatican.va/KTO/ IMedia/Le Figaro/La Croix)
Commentaire
Benoît XVI a insisté, lors de son allocution à la synagogue, sur ce qui selon lui unit le judaïsme et le catholicisme, invitant – à la suite de Jean-Paul II – les catholiques à « vivre une authentique fraternité avec le peuple de l’Alliance », et affirmant que « les chrétiens et les juifs ont une grande partie de patrimoine spirituel en commun, qu’ils prient le même Seigneur, qu’ils ont les mêmes racines, mais qu’ils demeurent souvent inconnus les uns des autres ».
Certes ce discours est en parfaite continuité avec la Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II, mais guère avec l’enseignement du premier pape. En effet, devant le peuple d’Israël, saint Pierre s’exprimait en ces termes : « Vous êtes les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a établie avec nos pères, en disant à Abraham : ‘En ta race seront bénies toutes les familles de la terre’. C’est pour vous premièrement que Dieu a suscité son Fils, et il l’a envoyé pour vous bénir, afin que chacun se convertisse de son iniquité. » (Actes, 3, 25–26) Mais il précisait, s’adressant aux princes du peuple et aux anciens : « C’est lui (Jésus-Christ) qui est la pierre rejetée par vous les constructeurs, et qui est devenu la pierre d’angle, et il n’y a de salut en aucun autre : car aucun autre nom sous le ciel n’a été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes, 4, 11–12)
Et saint Paul ajoutait : « Sachez-le donc, frères : c’est par lui (Jésus-Christ) que la rémission des péchés vous est annoncée. Et de tout ce dont vous n’avez pu être justifiés par la loi de Moïse, c’est par lui que quiconque croit en obtient la justification. » (Actes, 13, 38–39)
A l’instar des saints Pierre et Paul, on ne peut que vouloir que soit annoncé aux juifs le salut apporté par Jésus-Christ à tous les hommes. Mais il est impossible de concevoir que ce salut puisse leur être annoncé par une prédication foncièrement différente de celle des apôtres qui sont les deux colonnes de l’Eglise catholique.
Source : DICI du 18 janvier 2010