Le Rhône croise le Tibre

Comme le mani­feste l’his­toire de ses rap­ports avec le Saint-​Siège, la Fraternité Saint-​Pie X ira à Rome chaque fois que celle-​ci l’appellera ; mais elle y ira sur­tout pour témoi­gner de la Foi, car elle est consciente que c’est sa mis­sion, fût-​ce au prix de sanc­tions cano­niques, fût-​ce au prix d’un iso­le­ment appa­rent dans le pano­ra­ma ecclésial.

Souvent, au seul mot de « Lefebvre », ou pour ceux qui sont plus au fait de la ques­tion, de « Fraternité Saint-​Pie X », viennent immé­dia­te­ment à l’esprit la révolte, le schisme, les attaques envers le Pape, la déso­béis­sance, l’anarchie doc­tri­nale. C’est une grande erreur, bien sûr, car la Fraternité Saint Pie X ne se défi­nit pas par son oppo­si­tion à Rome ni par des batailles doc­tri­nales. Ce que l’histoire a mon­tré, et dont nous trai­te­rons dans cet article, est une consé­quence de fait, mais la congré­ga­tion fon­dée par l’intrépide arche­vêque a sa rai­son d’être bien au-​delà des contin­gences de la crise pro­fonde qui tour­mente l’Eglise depuis cin­quante ans ; il est bon de le rap­pe­ler, afin de gar­der à l’esprit que les membres de la FSSPX se sanc­ti­fient sur­tout dans l’exercice de leur sacer­doce, dans la prière, dans la vie com­mune, dans les fatigues apos­to­liques. Abstraction faite de la crise (et quand un jour, si Dieu le veut, elle fini­ra), la FSSPX est ce qu’elle est à cause de sa fon­da­tion et de ses Statuts : une œuvre de l’Eglise pour la for­ma­tion et la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres.

Cela étant dit, et pour abor­der tout de suite la ques­tion rhé­to­rique, on ne peut pas com­prendre du tout la bataille doc­tri­nale que la Fraternité livre actuel­le­ment à l’égard des erreurs du Concile Vatican II si l’on n’a pas une vision claire de la façon dont cette congré­ga­tion a été vue au sein de l’Eglise, ce qu’elle a dû subir, ce qu’elle a essayé d’entreprendre, dans quelle direc­tion elle est allée chaque fois qu’un choix s’est pré­sen­té. Le sujet n’est pas simple et, disons-​le tout de suite, le déve­lop­pe­ment qui va suivre n’est abso­lu­ment par exhaus­tif : nous n’examinerons cer­tai­ne­ment pas toutes les lettres, toutes les ren­contres avec les auto­ri­tés romaines, mais nous en tra­ce­rons les lignes prin­ci­pales pour cher­cher un « fil rouge » de la pen­sée et de la praxis de l’Archevêque qui a com­bat­tu dans la tem­pête conci­liaire, et des supé­rieurs qui ont ensuite mar­ché dans ses pas.

Le statu quo

« Le jeu­di 22 novembre 2018, l’abbé Davide Pagliarani, Supérieur géné­ral de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, s’est ren­du à Rome, à l’invitation du car­di­nal Luis Ladaria Ferrer, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. […] Au cours de l’entretien avec les auto­ri­tés romaines, il a été rap­pe­lé que le pro­blème de fond est bel et bien doc­tri­nal, et que ni la Fraternité ni Rome ne peuvent l’éluder. C’est à cause de cette diver­gence doc­tri­nale irré­duc­tible que toute ten­ta­tive d’élaborer une ébauche de décla­ra­tion doc­tri­nale accep­table par les deux par­ties, n’a pu abou­tir depuis sept ans. C’est pour­quoi la ques­tion doc­tri­nale reste abso­lu­ment pri­mor­diale. Le Saint Siège ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme solen­nel­le­ment que l’établissement d’un sta­tut juri­dique pour la Fraternité ne pour­ra se faire qu’après la signa­ture d’un docu­ment de carac­tère doc­tri­nal. Tout pousse donc la Fraternité à reprendre la dis­cus­sion théo­lo­gique, bien consciente que le Bon Dieu ne lui demande pas néces­sai­re­ment de convaincre ses inter­lo­cu­teurs, mais de por­ter devant l’Eglise le témoi­gnage incon­di­tion­né de la foi. […] » Ainsi est rédi­gé le com­mu­ni­qué de la Maison géné­ra­lice de la Fraternité daté du 23 novembre 2018. Pour par­ler sim­ple­ment, la recherche d’une solu­tion cano­nique tout court au sta­tut juri­dique de la FSSPX semble impos­sible tant que n’est pas réso­lue la ques­tion doc­tri­nale, ce que nous laisse devi­ner la men­tion de la reprise des dis­cus­sions théo­lo­giques. Aujourd’hui, en 2020, notre congré­ga­tion est, aux yeux de ses membres, comme déjà aux yeux de son Fondateur, plei­ne­ment membre de l’Eglise catho­lique romaine ; aux yeux des auto­ri­tés romaines (au « net », s’entend, des innom­brables dif­fé­rences de vue entre cha­cun de ses inter­lo­cu­teurs) elle est, bien que désor­mais exempte de toute sanc­tion canonique((Voir le décret de levée des excom­mu­ni­ca­tions du 21 jan­vier 2009 par le Pape Benoît XVI.)), encore « non en pleine com­mu­nion », quel que soit concrè­te­ment le sens de cette expression.

Ce que nous sou­hai­tons appro­fon­dir ici, c’est com­ment on en est arri­vé à cette situa­tion. Sans aucune pré­ten­tion de rigueur chro­no­lo­gique abso­lue, nous pen­sons pou­voir iden­ti­fier quatre grands moments dans notre récit, en sui­vant pas à pas le déve­lop­pe­ment des rela­tions ardues et déli­cates entre nous et Rome.

Le premier moment : la fondation et le Decretum laudis (1970–1974)

Il n’y a aucun doute que le début de l’œuvre de la FSSPX fut mar­qué par la plus lim­pide et trans­pa­rente léga­li­té juri­dique – non que ce point fût un élé­ment de bon­té abso­lue et recher­ché en tant que tel par Marcel Lefebvre : les faits démon­tre­ront que, plus que jamais, c’est la défense de la Foi catho­lique qui sera le phare qui lui per­met­tra de tra­ver­ser avec séré­ni­té les plus ter­ribles tem­pêtes en fait d’accusations et de per­sé­cu­tions – tou­te­fois avant même de savoir ce que la Providence lui réser­ve­rait, le cou­ra­geux pré­lat ne vou­lut entre­prendre aucune œuvre ecclé­sias­tique sans en avoir d’abord obte­nu la per­mis­sion, comme un véri­table fils de l’Eglise le sait bien((N’oublions pas en effet que pen­dant des années, et même pen­dant des décen­nies, le Fondateur avait ser­vi le Saint Siège dans diverses et impor­tantes charges, entre autres diplo­ma­tiques, dans des pays de mis­sion et à la tête de la congré­ga­tion des Pères du Saint-​Esprit, rôles qui lui per­mirent d’acquérir une grande expé­rience en fait de fon­da­tions d’œuvres ecclé­sias­tiques.)) ; voi­ci donc que le 1er novembre 1970, il obtint l’érection cano­nique de la congré­ga­tion avec l’approbation des Statuts par l’Evêque de Lausanne, Genève et Fribourg, S. E. Mgr François Charrière. Il faut ajou­ter que, peu de temps avant, l’un de ses vieux amis et confrères dans l’épiscopat Mgr Nestor Adam, Evêque de Sion dans le Valais (dio­cèse dans lequel se trouve Ecône) avait déjà auto­ri­sé le dérou­le­ment d’une « année de spi­ri­tua­li­té » pro­pé­deu­tique aux études ecclé­sias­tiques, pré­ci­sé­ment au sémi­naire d’Ecône. Il est évident que l’appui ne serait-​ce que d’une petite par­tie de l’épiscopat ne pou­vait qu’encourager le pré­lat et ses sémi­na­ristes encore peu nom­breux, évi­tant ain­si l’illusion d’un apos­to­lat personnel.

Mais ce n’est pas tout, car le Saint Siège s’intéressa tout de suite à l’œuvre : le 18 février 1971, le Card. Wright, pré­fet de la Sacrée Congrégation du Clergé, envoya une lettre d’encouragement et d’éloge à la congré­ga­tion nouveau-​née. Tout, en somme, sem­blait faire pré­sa­ger le meilleur, face à un mur­mure dif­fus (voi­ci à l’horizon les nuages annon­cia­teurs de tem­pête dans un ciel encore lim­pide) sur­tout dans l’épiscopat fran­çais contre le « sémi­naire sau­vage », comme il fut défi­ni alors.((Voir les évé­ne­ments racon­tés dans B. Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre : Une Vie, Ed. Clovis.))

Le deuxième moment : début de la persécution et premières sanctions (1974–1988)

Le mur­mure de l’épiscopat fran­çais fut écou­té à Rome, et la pré­oc­cu­pa­tion à l’égard d’un sémi­naire qui refu­sait de célé­brer les rites du Novus Ordo Missae ne put que sus­ci­ter une réac­tion offi­cielle de la part des auto­ri­tés romaines : en novembre 1974 fut annon­cée la visite cano­nique à Ecône de deux ecclé­sias­tiques, Mgr Descamps et Mgr Onclin, qui après trois jours de dis­cours ambi­gus aux sémi­na­ristes et aux pro­fes­seurs, lais­sèrent stu­pé­faits les membres de la congré­ga­tion par les moda­li­tés de leur visite, leur com­por­te­ment et les buts bien peu ami­caux de leur venue.((Ibidem, op. cit)) Ces évé­ne­ments abou­tirent à l’impérissable, célèbre et tou­jours actuelle Déclaration du 21 novembre 1974, une sorte de mani­feste de la bataille doc­tri­nale de la Fraternité Saint Pie X, qui affirme : « Nous adhé­rons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catho­lique, gar­dienne de la foi catho­lique et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi, à la Rome éter­nelle, maî­tresse de sagesse et de véri­té. Nous refu­sons par contre et avons tou­jours refu­sé de suivre la Rome de ten­dance néo-​moderniste et néo-​protestante qui s’est mani­fes­tée clai­re­ment dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues ».

Ces paroles enflam­mées ne jetèrent pas d’eau sur l’incendie, pour uti­li­ser un euphé­misme ; la tem­pête ne fai­sait que com­men­cer, et cha­cun aigui­sait ses armes. Mais il est inté­res­sant de noter que Mgr Lefebvre n’avait aucune inten­tion de rompre les rela­tions avec le Saint Siège, et on aurait tort de cher­cher dans la vie du pré­lat une telle inten­tion. Quoi qu’il en soit au cours de cette phase, l’Archevêque essaya, en allant à Rome en février et en mars 1975, de ren­con­trer les trois car­di­naux chefs des Congrégations des Séminaires, du Clergé et des reli­gieux, qui consti­tuaient une sorte de « com­mis­sion d’accusation » à son encontre ; le pré­lat vou­lait défendre la posi­tion de la Fraternité contre les accu­sa­tions issues de la visite du mois de novembre pré­cé­dent, accu­sa­tions qui n’avaient pas été offi­ciel­le­ment noti­fiées et dont il n’y avait pas de trace.

Mais à pré­sent une sorte de conju­ra­tion est en marche, et le 6 mai 1975, Mgr Mamie, suc­ces­seur de Mgr Charrière au siège épis-​copal de Fribourg, noti­fie à Mgr Lefebvre l’acte de sup­pres­sion de la Fraternité Saint Pie X, qui avait bien été éri­gée dans le dio­cèse, mais qui – de l’avis de Mgr Lefebvre lui-​même, fon­dé sur de solides rai­sons cano­niques – ne pou­vait être sup­pri­mée que par le Saint Siège. Voilà pour­quoi le pré­lat a recours au tri­bu­nal de la Signature apos­to­lique, mais sans suc­cès ; il lui est dit que la sup­pres­sion est le résul­tat de l’enquête conduite par les car­di­naux qui avaient écou­té Monseigneur quelques mois plus tôt. Et où étaient les actes de ce « pro­cès » ? Où étaient les enre­gis­tre­ments des entre­tiens ? Monseigneur les deman­da, mais en vain ; il ne les obtint jamais. C’est entre autres pour cela qu’il consi­dé­ra tou­jours la sup­pres­sion de la Fraternité non seule­ment injuste mais nulle ; et ain­si, cou­ra­geu­se­ment et mal­gré les invi­ta­tions de Paul VI lui-​même à fer­mer le sémi­naire, il conti­nua. Et ses sémi­na­ristes le suivirent.Un autre coup dur arri­ve­ra l’année sui-​vante, la célèbre année 1976 : après des ren­contres et des entre­tiens répé­tés qu’il serait trop long de citer, il fut encore inti­mé à l’Archevêque, au cours de cette année, d’interrompre l’œuvre d’Ecône et d’accepter le Concile qui, comme le lui dira le Pape Paul VI, « sous cer­tains aspects est plus impor­tant que le Concile de Nicée ».

Une der­nière menace lui arri­va le 25 juin, avec une lettre de Mgr Benelli, Substitut à la Secrétairerie d’Etat, lequel lui inti­mait de man­da­to spe­cia­li Summi Pontifici de ne pas pro­cé­der aux ordi­na­tions pré­vues pour le 29, pour ne pas encou­rir les cen­sures pré­vues par les canons. Benelli lui pro­pose au contraire de trou­ver une solu­tion pour ses sémi­na­ristes, sous réserve, bien enten­du, que ceux-​ci soient « sérieu­se­ment pré­pa­rés à un minis­tère pres­by­té­ral dans l’authentique fidé­li­té à l’Eglise conci­liaire »((Op. cit.)).Pour la pre­mière fois appa­raît cette expres­sion bizarre que, d’un côté, Monseigneur refuse en tant qu’ecclésiologiquement erro­née (« Je confesse que je ne connais pas l’Eglise conci­liaire, je ne connais que l’Eglise catho­lique », dit-​il dans une inter­view à une radio fran­çaise le 5 août 1976)((Vidéo dis­po­nible sur inter­net)) ; mais d’un autre côté il l’emploiera, en par­tie comme argu­ment ad homi­nem, et en par­tie pour dési­gner non pas une église au sens strict, mais un esprit erro­né qui s’est intro­duit jusque dans l’Eglise et qui, ayant infec­té sa hié­rar­chie, semble se confondre avec elle, à l’instar d’une mala­die dans un corps, qui ne repré­sente cer­tai­ne­ment pas en elle-​même ce corps, mais sa dégé­né­res­cence clinique.((Voir l’excellent article de l’abbé Jean-​Michel Gleize sur ce sujet, publié en fran­çais dans le Courrier de Rome n° 553 de février 2013))

Quoi qu’il en soit, pour toute réponse aux inti­mi­da­tions du Pontife, le Fondateur de la FSSPX pro­cé­da, le 29 juin sui­vant, aux habi­tuelles ordi­na­tions sacer­do­tales, conscient désor­mais de l’arrivée immi­nente des sanc­tions cano­niques ; en effet, le 22 juillet, le Secrétaire de la Congrégation des Evêques lui noti­fie la sus­pense a divi­nis, peine qui devait le pri­ver de l’exercice de tout acte sacra­men­tel. Quelle fut la réponse à cela ? Nous pour­rions la défi­nir comme une double réponse : sur le plan de la pro­fes­sion de foi publique, le 29 août de la même année, le pré­lat célé­bra une messe dans la ville de Lille en France devant sept mille fidèles, ce qui sus­ci­ta la colère et la stu­pé­fac­tion à Rome ; ces évé­ne­ments furent connus sous le nom d’ « été chaud ». A cette occa­sion, les paroles du Prélat furent à la fois mémo­rables et très dures : « Le mariage entre l’Eglise et la Révolution […] est une union adul­tère. De cette union adul­tère ne peuvent venir que des bâtards. Le rite de la nou­velle messe est un rite bâtard. Les sacre­ments sont des sacre­ments bâtards, […] les prêtres qui sortent des sémi­naires sont des prêtres bâtards […] ».((B. Tissier de Mallerais, op. cit.)) Mais encore une fois, il n’y avait pas de volon­té de rup­ture avec le Saint Siège, car on réus­sit à arran­ger une ren­contre entre Mgr Lefebvre et Paul VI le 11 sep­tembre de cette même année 1976 ; l’idée de Monseigneur, qu’il expri­ma au Pontife, était de deman­der que l’on laisse faire « l’expérience de la Tradition » : une façon de par­ler, bien sûr, puisque la Tradition qui avait duré presque deux mille ans n’avait rien à expé­ri­men­ter ni à prou­ver, tou­te­fois cet argu­ment ad homi­nem fut lan­cé pour créer une brèche dans la men­ta­li­té libé­rale du Pape régnant, mais cette fois encore sans résultat.

Il fau­dra attendre quelques années pour voir Monseigneur encore une fois aux prises avec une ren­contre romaine : le 18 novembre 1978, en effet, il fut reçu en audience par le nou­vel­le­ment élu Jean-​Paul II en qui au début – mais seule­ment au début – furent pla­cés quelques faibles espoirs de com­pré­hen­sion (étant don­né peut-​être l’anticommunisme de ce Pape), mais le ter­rain glis­sa sur le sujet du Concile « com­pris à la lumière de la Tradition », selon l’invitation du même Jean-​Paul II ; cette phrase, que Monseigneur vou­lait pou­voir orien­ter dans une sens doc­tri­na­le­ment cor­rect (comme il le disait lui-​même : reje­ter ce qui est erro­né, conser­ver ce qui est juste, inter­pré­ter dans un sens tra­di­tion­nel les pas­sages ambi­gus) se révé­la avec le temps un pro­cé­dé dan­ge­reux, car il était de plus en plus clair que l’ambiguïté de cer­tains pas­sages du Concile (au-​delà de ceux qui étaient mani­fes­te­ment erro­nés et – au moins – proches de l’hérésie) était vou­lue et non acci­den­telle. Il y eut donc de moins en moins de sens à essayer de « for­cer » les notions ambi­guës du Concile dans le bon sens, puisqu’il appa­rais­sait avec évi­dence que celles-​ci étaient là volon­tai­re­ment ; du reste Monseigneur n’effectua jamais concrè­te­ment ce « for­çage ». Mais la situa­tion cano­nique de la Fraternité (étant don­né aus­si son « inquié­tant » déve­lop­pe­ment dans le monde) conti­nuait à tenir les organes du Saint Siège sur des char­bons ardents, et Monseigneur dut se sou­mettre à un nou­veau pro­ces­sus, cette fois devant le Saint Office, en jan­vier 1979((Op. cit.)), pro­ces­sus au cours duquel Monseigneur deman­da à Rome un sta­tut juri­dique offi­ciel, une recon­nais­sance cano­nique, pour pou­voir conti­nuer son œuvre sans per­sé­cu­tions, et aus­si la visite d’un car­di­nal ; le tout, bien enten­du, lui fut refusé.

Pendant ce temps-​là les années pas­saient et l’Archevêque se voyait vieillir, et un sou­ci pres­sant en vint même à lui faire perdre le som­meil : com­ment l’œuvre de la Fraternité allait-​elle conti­nuer après sa mort ? Il ne voyait qu’une seule solu­tion : s’assurer une suc­ces­sion dans l’épiscopat pour pou­voir conti­nuer à ordon­ner des prêtres selon la tra­di­tion de l’Eglise, but prin­ci­pal de la Fraternité Saint Pie X. Les négo­cia­tions qui sui­virent avec le Saint Siège et les nom­breuses ren­contres qui se suc­cé­dèrent eurent lieu dans ce but. On arri­va ain­si au fati­dique prin­temps 1988, pen­dant lequel fut fina­le­ment mis au point un brouillon de recon­nais­sance cano­nique de la part du Saint Siège, repré­sen­té dans cette phase par le Card. Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le pro­to­cole d’accord pré­voyait la pleine récon­ci­lia­tion de la Fraternité avec le Saint Siège, et aus­si la conces­sion d’un évêque pour la Fraternité, mais à une date non encore défi­nie. Toutefois les jeux sem­blaient faits, et on atten­dait impa­tiem­ment de tous côtés la recon­nais­sance juri­dique de la Fraternité : le 5 mai 1988, au prieu­ré d’Albano, eut lieu la signa­ture du pro­to­cole d’accord avec le Saint Siège, et la ques­tion sem­bla défi­ni­ti­ve­ment résolue.Cette nuit-​là, Monseigneur dor­mit très peu, et le len­de­main matin il arri­va tard au petit déjeuner.

Troisième moment : la rupture et les excommunications (1988–2000)

La nuit, on le sait, porte conseil, et le fait que la consé­cra­tion d’un évêque ne fût pas pré­vue à une date pré­cise (un évêque choi­si par qui ?) trou­blait beau­coup Monseigneur, qui, après voir pru­dem­ment réflé­chi, fit marche arrière et écri­vit au Card. Ratzinger en lui signi­fiant un ulti­ma­tum pour la com­mu­ni­ca­tion de la date des consé­cra­tions épis­co­pales ; le car­di­nal répon­dit que cela allait prendre encore du temps, mais cela mena inévi­ta­ble­ment à la rup­ture des trac­ta­tions : l’ « accord » avait sau­té. La pru­dence de cette marche arrière fut prou­vée par le fait qu’au cours d’entretiens ulté­rieurs avec le Cardinal, l’hypothèse d’une date pour le sacre d’un évêque était tou­jours davan­tage repous­sée, et Monseigneur n’était pas cer­tain qu’en réité­rant la signa­ture d’un pro­to­cole, il aurait obte­nu un ou plu­sieurs évêques pour la Noël de cette année. A la fin la déci­sion finale de Monseigneur fut annon­cée : « Je pro­cè­de­rai moi-​même aux consé­cra­tions épis­co­pales ». Et la date fut annon­cée : le 30 juin 1988.

Cette nou­velle, évi­dem­ment, ne plut pas du tout à Rome qui, bien loin de se sen­tir ain­si « déchar­gée » du pro­blème, crai­gnait for­te­ment que l’opposition interne du monde tra­di­tio­na­liste, avec de nou­veaux évêques qui assu­re­raient la suc­ces­sion de Mgr Lefebvre, ne se pour­suive après la mort du pré­lat, et c’était assu­ré­ment une fausse note, étant don­né que, comme l’avait affir­mé Mgr Lefebvre lui-​même en sep­tembre 88, l’intention de Ratzinger et du Saint Siège n’était cer­tai­ne­ment pas de favo­ri­ser la Tradition en lui accor­dant des pri­vi­lèges, mais bien de lui tendre un véri­table piège en la met­tant en cage dans leur uni­vers moderniste.((Conférence de Mgr Lefebvre rap­por­tée dans Fideliter, n° 66 (septembre-​octobre 1988), pp. 12–14.)) Quoi qu’il en fût, à la veille des sacres Monseigneur reçut la visite d’un envoyé de la Nonciature de Berne qui vou­lut in extre­mis le faire chan­ger d’avis. Rien à faire, les dés étaient jetés et l’Archevêque ne céda pas. Le len­de­main matin, des mil­liers de fidèles et des cen­taines de prêtres, ras­sem­blés sur la pelouse d’Ecône devant la célèbre tente, assis­tèrent à l’opération sur­vie de la Fraternité ; sur­vie qui fut aus­si, disons-​le serei­ne­ment, celle de la Messe de tou­jours, de la Tradition, et, ajouterons-​nous sans scru­pules – l’avenir nous don­ne­ra rai­son – celle de la Sainte Eglise. Laquelle, depuis ce matin du 30 juin 1988, avait désor­mais quatre nou­veaux évêques, LL​.EE. Mgrs Fellay, Tissier de Mallerais, de Galarreta, Williamson.

Le len­de­main matin, comme pré­vu, le bureau de presse du Saint Siège décla­ra que Mgr Lefebvre et ses quatre nou­veaux évêques encou­raient ipso fac­to l’excommunication latae sen­ten­tiae pré­vue par le code de droit cano­nique, lequel pré­voit aus­si que l’on n’encourt aucune sanc­tion lorsqu’on agit, dans ce cas comme dans tous les autres pré­vus par les canons, pour des rai­sons de grave néces­si­té même seule­ment pré­su­mée. Telle est en effet la rai­son cano­nique pour laquelle la Fraternité a tou­jours reje­té ces excom­mu­ni­ca­tions comme inva­lides, alors que le motif théo­lo­gique, plus impor­tant encore, se trouve dans l’état de néces­si­té de sau­ve­gar­der le sacer­doce catho­lique mena­cé par le moder­nisme. Mais les manœuvres de Rome ne s’arrêtèrent pas là, et une autre bar­rière fut dres­sée dans le but (jamais atteint) d’étouffer la révolte pré­su­mée et iso­ler Mgr Lefebvre : le 2 juillet, le Pape Jean-​Paul II ins­ti­tua la com­mis­sion Ecclesia Dei par un Motu pro­prio, pour ras­sem­bler les prêtres et les fidèles qui vou­laient main­te­nir les tra­di­tions litur­giques anciennes tout en res­tant « en com­mu­nion » avec le Saint Siège : ce fut, en pra­tique, la nais­sance de la Fraternité Saint Pierre.

Puis une chape de silence tom­ba sur cette épi­neuse ques­tion, et les rap­ports entre la Fraternité et le Saint Siège, en toute logique, s’arrêtèrent com­plè­te­ment. L’évêque défi­ni par Rome comme « schis­ma­tique » mou­rut le 25 mars 1991, tan­dis que la congré­ga­tion qu’il avait fon­dée conti­nuait de se déve­lop­per dans le monde entier ; pen­dant plu­sieurs années, avec la Fraternité conduite par l’abbé Franz Schmidberger puis par Mgr Fellay, il n’y eu pra­ti­que­ment plus de rap­ports offi­ciels entre les deux par­ties, jusqu’à l’année jubi­laire 2000. 

La reprise des discussions et les propositions canoniques (2000–2018)

A l’occasion du Jubilé, après deux années de négo­cia­tions, la Fraternité réus­sit à obte­nir de pou­voir prier avec les fidèles venus de toutes les par­ties du monde dans la Basilique Saint Pierre ; ce fut là une belle occa­sion de mon­trer au monde l’attachement de la congré­ga­tion et du monde tra­di­tion­na­liste au siège de Pierre, sur les traces de la « roma­ni­té » tant vou­lue par son Fondateur. Mgr Fellay, Supérieur Général depuis 1994, condui­sit le pèle­ri­nage au cœur de la chré­tien­té. Ce fut l’occasion de reprendre les échanges diplo­ma­tiques avec Rome, repré­sen­tée cette fois par le Card. Castrillon Hoyos, res­pon­sable de la com­mis­sion Ecclesia Dei ; pour résu­mer ces quatre années de rela­tions, rien ne bou­gea de fait, et la recon­nais­sance juri­dique de la Fraternité au sein de l’Eglise était tou­jours subor­don­née à l’acceptation du Concile Vatican II, véri­table nœud de la ques­tion depuis toujours. 

En 2005, le car­di­nal Joseph Ratzinger qui avait contri­bué au pre­mier chef à l’excommunication de Mgr Lefebvre mon­ta sur le trône pon­ti­fi­cal, et accep­ta de ren­con­trer Mgr Fellay en août de cette année, pro­ba­ble­ment en sou­hai­tant, comme il l’avait dit quelques années plus tôt dans un de ses livres, que « […] se referme la bles­sure ouverte avec le mou­ve­ment des lefé­bristes ». Le Pape alle­mand sou­hai­tait assu­ré­ment quelque chose, car il pro­mul­gua le 7 juillet le célèbre Motu pro­prio Summorum Pontificum par lequel il libé­ra­li­sait en par­tie la Messe ancienne((Nous éva­cuons ici le mythe de la bon­té intrin­sèque de Summorum Pontificum comme acte de pleine adhé­sion du Pape à la Tradition. La satis­fac­tion ini­tiale de voir fina­le­ment recon­nue la liber­té à la Messe ancienne dis­pa­raît dès qu’on lit la Lettre du Pape aux évêques du monde datée du même 7 juillet : il y affirme qu’au fond, adhé­rer au rite ancien de la Messe est la même chose qu’adhérer au nou­veau car ce sont deux expres­sions de la même lex cre­den­di ; en outre, la condi­tion indis­pen­sable pour pou­voir la célé­brer est, para­doxa­le­ment, de recon­naître la bon­té du Novus Ordo (« Evidemment, pour vivre la pleine com­mu­nion, les prêtres des com­mu­nau­tés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par prin­cipe, exclure la célé­bra­tion selon les nou­veaux livres », lit-​on dans cette lettre). En pra­tique, les seuls à ne vrai­ment pas pou­voir célé­brer cette Messe seraient ces prêtres qui le feraient en rai­son d’une authen­tique moti­va­tion doc­tri­nale, c’est-à-dire le refus du Novus Ordo : par exemple les prêtres de la Fraternité Saint Pie X…)), défi­nie « jamais abro­gée », même si elle était consi­dé­rée comme forme extra­or­di­naire par rap­port à la forme ordi­naire qui, cela va de soi, était celle du Novus ordo Missae. Mais le par­cours de rap­pro­che­ment était en quelque sorte en action, et la néces­si­té d’entrer pour la pre­mière fois dans un débat théo­lo­gique offi­ciel avec le Saint Siège com­por­tait deux pré­sup­po­sés, sur demande expli­cite des supé­rieurs de la Fraternité : la liber­té pour la Messe de tou­jours (obte­nue, même sous la moda­li­té boi­teuse que nous venons d’énoncer, avec Summorum Pontificum) et la sup­pres­sion des sanc­tions cano­niques qui pesaient depuis des années sur la congré­ga­tion. Cela aus­si fut accor­dé, et là aus­si de façon non plei­ne­ment satis­fai­sante : le 21 jan­vier 2009, en effet, une lettre du Préfet de la Congrégation des Evêques levait les excom­mu­ni­ca­tions des quatre évêques de la Fraternité, fai­sant ces­ser leurs effets juri­diques, tout en sou­hai­tant (de façon cano­ni­que­ment contra­dic­toire) « la réa­li­sa­tion de la pleine com­mu­nion avec l’Eglise de toute la Fraternité Saint Pie X ». Quoi qu’il en soit, après la courte paren­thèse du célèbre « cas Williamson », com­men­cèrent les dis­cus­sions doc­tri­nales tant atten­dues entre les deux par­ties : pour la Fraternité Saint Pie X, l’équipe était com­po­sée de Mgr de Galarreta et des abbés de Jorna, Gleize et de la Roque ; pour le Saint Siège il y avait Mgr Guido Pozzo et les pères Charles Morerod, Ocariz et Becker. Les dis­cus­sions, avec des ren­contres bimes­trielles, durèrent envi­ron deux ans, au terme des­quels com­men­ça la longue série d’échanges de pré­am­bules doc­tri­naux et de pro­po­si­tions de solu­tions cano­niques, ren­voyées pour modi­fi­ca­tions de part et d’autre jusqu’à fin 2017 ; mais en sub­stance, la ques­tion doc­tri­nale ne fut de de fait nul­le­ment réso­lue, en ce sens que, une fois expri­mées les posi­tions réci­proques, on se ren­dit compte « offi­ciel­le­ment » que ces posi­tions étaient et sont incon­ci­liables : d’un côté la FSSPX affirme que l’esprit géné­ral du Concile Vatican II, ain­si que dif­fé­rents points par­ti­cu­liers, sont contraires à la Foi catho­lique expri­mée par le Magistère éter­nel ; de l’autre le Saint Siège affirme que l’assemblée conci­liaire étant en quelque sorte l’expression du Magistère de l’Eglise, elle ne peut errer, et qu’il ne peut donc, par prin­cipe comme dans les faits, rien s’y trou­ver de contraire à la Foi. Comme on le voit, on est à un point de non-retour.

Sur le plan de la Doctrine, la ques­tion s’arrêtait là ; mais les dis­cus­sions conti­nuèrent, et on se concen­tra sur­tout sur des essais de recon­nais­sance cano­nique pour la Fraternité Saint Pie X. Il serait trop long de par­cou­rir ici l’histoire de ces docu­ments, mais il suf­fi­ra de dire que la chose conti­nua pen­dant toute l’année 2012, année où l’on arri­va à un pas de cette recon­nais­sance. Le texte sur lequel on tra­vaillait pen­dant le mois d’avril sem­blait pour­voir mettre d’accord les deux par­ties, mais cette fois ce fut le Pape Ratzinger qui blo­qua les dis­cus­sions sur un texte déjà pro­blé­ma­tique en soi, en rap­port avec la liber­té reli­gieuse ; pour le Pontife il n’y avait pas encore assez d’acceptation – et celle-​ci était néces­saire – de tout le Concile Vatican II, argu­ment irre­ce­vable pour la Fraternité. La dis­cus­sion, encore une fois, s’enlisa.

L’année 2013 fut celle de l’élection du Pape François au siège pon­ti­fi­cal ; un évé­ne­ment qui sem­blait devoir faire ces­ser défi­ni­ti­ve­ment toute pers­pec­tive de recon­nais­sance cano­nique. Au contraire, éton­nam­ment, le Pape n’interrompit pas les rap­ports avec la Fraternité, mais au contraire, peut-​être parce qu’il la consi­dère comme une « péri­phé­rie exis­ten­tielle » (comme le sup­po­sa Mgr Fellay), il ne dédai­gna pas de ren­con­trer per­son­nel­le­ment les supé­rieurs de la Fraternité, et à faire conti­nuer, bien que de manière infor­melle, les dis­cus­sions avec la com­mis­sion Ecclesia Dei. Deux grands évé­ne­ments sem­blèrent d’ailleurs faire avan­cer les choses dans la direc­tion d’une recon­nais­sance cano­nique défi­ni­tive : en 2015, à l’occasion de l’indiction du Jubilé de la misé­ri­corde, le Pape accor­da à tous les prêtres de la Fraternité Saint Pie X la pos­si­bi­li­té d’absoudre vali­de­ment et lici­te­ment les fidèles qui s’adresseraient à elle((Lettre du Saint Père François au Président du Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Evangélisation, à l’occasion du Jubilée Extraordinaire de la Miséricorde, 1er sep­tembre 2015)) (chose dont la Fraternité n’a jamais dou­té avoir le droit de faire, en rai­son du grave état de néces­si­té, de même qu’elle a tou­jours agi de fait en admi­nis­trant ce sacre­ment sans aucune limite). Le second évé­ne­ment fut la conces­sion à la congré­ga­tion de la pos­si­bi­li­té pour ses prêtres d’être délé­gués par l’autorité dio­cé­saine pour la célé­bra­tion des mariages((Lettre de la Commission Pontificale « Ecclesia Dei » aux Ordinaires des Conférences Episcopales concer­nées au sujet des per­mis­sions pour la célé­bra­tion de mariages de fidèles de la Fraternité Saint Pie X.)): ici aus­si en rai­son de la néces­si­té grave, la Fraternité a pen­dant des années admi­nis­tré le sacre­ment de mariage. Il faut dire tou­te­fois que, à par­tir du moment où accep­ter cette conces­sion ne met aucu­ne­ment en doute la pro­fes­sion de Foi((L’argumentation de ceux qui voient dans l’acceptation de ce docu­ment une adhé­sion au nou­veau Code de Droit Canonique ou même à Vatican II est erro­née : le Saint Siège n’accorde à la FSSPX aucune juri­dic­tion (que les époux ont, comme l’on sait, au moment de l’échange des consen­te­ments) mais seule­ment une délé­ga­tion pour assis­ter aux mariages, ce qui est bien dif­fé­rent)), la pos­si­bi­li­té de rece­voir la délé­ga­tion pour l’assistance aux mariages consti­tue un avan­tage, aujourd’hui, pour les fidèles de la FSSPX.

Il faut tou­te­fois ici pré­ci­ser un point : on a par­lé sans trop de dis­tinc­tions de Fraternité Saint Pie X et de Saint Siège, mais si d’un côté, comme il est logique de le sup­po­ser, il n’y eut pas tou­jours une pleine uni­té d’intentions entre les membres de la congré­ga­tion de Mgr Lefebvre (la ques­tion de la recon­nais­sance cano­nique sus­ci­ta beau­coup de per­plexi­té chez cer­tains et même des ten­sions entre prêtres membres et fidèles), il ne faut pas croire non plus que Rome est un mono­lithe, qu’il y a dans le Saint Siège une abso­lue concor­dance de vues dans les trac­ta­tions avec la FSSPX. Des âmes dif­fé­rentes, des conser­va­teurs et des pro­gres­sistes, des divi­sions internes entre les conser­va­teurs eux-​mêmes ont ren­du très dif­fi­cile le tra­vail de la Maison géné­ra­lice de la Fraternité : très sou­vent on ne savait pas réel­le­ment à qui on avait affaire. On eut la preuve finale de cette dimen­sion au prin­temps 2017 : alors que les pro­po­si­tions d’une recon­nais­sance cano­nique conti­nuaient à s’accumuler sur les tables res­pec­tives et à être dis­cu­tées dans le détail, l’intervention du Cardinal Müller, pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, fit s’évanouir tous les doutes. La lettre qu’il envoya à Mgr Fellay au mois de mai conte­nait l’alternative sui­vante : soit la Fraternité Saint Pie X recon­nais­sait la pleine légi­ti­mi­té du Novus Ordo Missae, ain­si que tous les ensei­gne­ments du Concile Vatican II, soit toute recon­nais­sance cano­nique serait défi­ni­ti­ve­ment et caté­go­ri­que­ment exclue. Immédiatement, depuis les cou­loirs des sacrés palais, quelques pré­lats s’empressèrent d’informer ora­le­ment les supé­rieurs de la Fraternité que cette lettre était « un vieux papier » et qu’elle n’était dons pas digne de consi­dé­ra­tion ; cer­tains vou­lurent croire à ces bruits de cou­loir contre l’évidence tou­te­fois du fait que la voix du Card. Müller (et pas seule­ment sa voix, puisqu’il s’agissait d’une lettre écrite et signée) est en quelque sorte la voix même du Pape. Donc, offi­ciel­le­ment, Rome avait par­lé : soit le Concile, soit rien. Comme en 1988. Comme en 1976. Du reste, Mgr Fellay consi­dé­ra cet acte comme un « retour à la case départ », et pen­dant un moment on n’en par­la plus.

L’été 2018 vit, avec le Chapitre géné­ral, le chan­ge­ment des supé­rieurs de la Fraternité Saint Pie X : l’abbé Davide Pagliarani fut élu Supérieur Général, avec pour assis­tants Mgr de Galarreta et l’abbé Bouchacourt. A par­tir de novembre de cette année, les nou­veaux supé­rieurs ren­con­trèrent le Cardinal Ladaria, nou­veau pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (suc­ces­seur de Müller) ; le résul­tat de cette ren­contre fut le com­mu­ni­qué dont nous avons don­né un extrait au début de cet article.

Conclusion

L’histoire de la Fraternité Saint Pie X, avons-​nous dit en com­men­çant, est l’histoire de ses ren­contres avec le Saint Siège ; nous pour­rions tou­te­fois ajou­ter que c’est l’histoire de sa fer­me­té doc­tri­nale, de sa constance à suivre la ligne tra­cée par son Fondateur, et donc de sa fidé­li­té abso­lue au Magistère de l’Eglise de tou­jours et du refus du nou­veau magis­tère de l’église conci­liaire qui, à vrai dire, ne peut pas être consi­dé­ré comme un véri­table magis­tère. Encore une fois le pro­blème, en 2020 comme au temps de Mgr Lefebvre, est et demeure doc​tri​nal​.La Providence, disions-​nous au début, a gui­dé notre congré­ga­tion pen­dant 50 ans et, nous l’espérons, conti­nue­ra de le faire sans l’abandonner. Comme son Fondateur en avait l’habitude, la Fraternité ira à Rome chaque fois que celle-​ci l’appellera ; mais elle y ira sur­tout pour témoi­gner de la Foi, car elle est consciente que c’est sa mis­sion, fût-​ce au prix de sanc­tions cano­niques, fût-​ce au prix d’un iso­le­ment appa­rent dans le pano­ra­ma ecclé­sial. Pour une authen­tique pro­fes­sion publique de la Foi catho­lique de tou­jours, la Fraternité est tou­jours prête à n’importe quel sacrifice.

Abbé Gabriele d’Avino

Source : Courrier de Rome n°635