Après les ralliements sonnera l’heure de vérité

Ces réflexions de Mgr Lefebvre illus­trent avec quelle clair­voyance il a abor­dé des pro­blèmes tou­jours aus­si brû­lants d’ac­tua­li­té : la Rome de ten­dance néo-​moderniste ne veut pas de la Tradition.

Voir la Charte de la Fraternité Saint-​Pie X dans la crise de l’Eglise actuelle

Le texte publié est celui d’une confé­rence don­née au Séminaire Saint-​Curé-​d’Ars à Flavigny en décembre 1989.

Avec l’an 1989 la Fraternité Saint-​Pie X est entrée dans sa ving­tième année d’existence. Ce n’est que le 1er novembre 1970 qu’elle a été recon­nue, mais le pre­mier regrou­pe­ment de sémi­na­ristes remonte à 1969. De cette pre­mière année qui comp­tait neuf sémi­na­ristes, il n’en reste plus que deux, Mgr Tissier de Mallerais et M. l’abbé Aulagnier. Il faut dire que ce sont deux colonnes de la Fraternité et que l’on peut vrai­ment comp­ter sur eux. Que d’é­vé­ne­ments sont sur­ve­nus au cours de ces vingt ans ! On peut presque dire que l’histoire de la Fraternité et de la Tradition, c’est l’histoire des sépa­ra­tions, des déchi­re­ments, des divi­sions. Mais je pense que c’est l’épreuve réser­vée à toute œuvre de Dieu. Il éprouve et fait por­ter la Croix. Quoi qu’il en soit et mal­gré ceux, qui en nous quit­tant, assu­raient que notre œuvre était finie, la Fraternité a conti­nué de se déve­lop­per contre vents et marées. En tout j’ai tou­jours essayé de faire la volon­té du Bon Dieu. Je n’ai pas fon­dé Ecône pour moi per­son­nel­le­ment. Je ne l’ai pas fait pour me faire plai­sir et si telle avait été la volon­té du Bon Dieu, Ecône aurait fermé.

Quand on mesure aujourd’hui le che­min par­cou­ru depuis les pre­miers pas accom­plis à Fribourg, la Fraternité compte aujourd’­hui 220 prêtres et 250 sémi­na­ristes répar­tis dans six sémi­naires. On ne peut que rendre grâce au Bon Dieu d’avoir béni une œuvre qui n’a été fon­dée que pour Le ser­vir et pour le salut des âmes. Certains nous ont quit­tés parce que nous avions des dif­fi­cul­tés avec Rome, d’autres parce qu’ils trou­vaient que nous ne nous sépa­rions pas assez du pape. Cela a été notam­ment le cas aux Etats-​Unis où en 1983, 12 de nos 19 prêtres se sont sépa­rés de nous pour affir­mer leur sédé­va­can­tisme. Sur le moment cela a consti­tué une grave et dou­lou­reuse épreuve pour la Fraternité. Mais tout cela a été sur­mon­té. Le nombre de nos prieu­rés s’est accru ain­si que notre influence.

Et puis il y a eu les sacres.

On aurait pu craindre – et cer­tains l’a­vaient pré­dit – une vague de défec­tions. Mais il est admi­rable de consta­ter com­bien fina­le­ment les fidèles ont réagi avec un sens extra­or­di­naire du devoir. Ils ont mani­fes­té ain­si qu’ils avaient véri­ta­ble­ment le sens de l’Eglise. Sans doute y a‑t-​il eu par­fois quelques trem­ble­ments, quelques hési­ta­tions, mais fina­le­ment ils ont par­fai­te­ment com­pris qu’il n’y avait pas d’autre solu­tion que celle que j’avais adop­tée. Car s’il n’y avait plus d’évêques, il n’y aurait plus de prêtres, plus rien. Il n’y aurait plus de Tradition.

Il n’est pas pos­sible de s’en remettre aux évêques avec leur cha­ris­ma­tisme, leur œcu­mé­nisme, leurs abo­mi­na­tions au point de vue du culte litur­gique, leurs idées de plus en plus invrai­sem­blables. Après les avoir quit­tés, on ne peut pas main­te­nant reve­nir avec eux.

Peu de défections

Le nombre des fidèles qui nous ont quit­tés est donc infime. Une famille sur 200 ou 300. C’est regret­table, mais insi­gni­fiant, alors que par contre beau­coup nous ont rejoints, parce qu’ils ont pen­sé avec juste rai­son que la conti­nui­té est main­te­nant assu­rée dans la Fraternité et dans la Tradition. Il y a main­te­nant des évêques fermes qui gardent la foi, qui pro­tègent la foi des jeunes enfants. Deo gra­tias ! Si de leur côté les fidèles ont bien com­pris, en revanche nous avons eu des déchi­re­ments avec quelques-​uns de nos prêtres. C’est en fait rela­ti­ve­ment peu de chose. Nous le regret­tons bien sûr. Mais le car­di­nal Gagnon pen­sait que nous per­drions 80 % de nos fidèles, de nos prêtres et de nos sémi­na­ristes. En fait nous avons per­du 15 prêtres, dont 12 ont rejoint la Fraternité Saint-​Pierre. Sur 220 prêtres, cela repré­sente moins de 7 %. Quant aux sémi­na­ristes, il y en a eu une quin­zaine sur 250. A Ecône per­sonne n’a quit­té, ni en Argentine, ni aux Etats-​Unis. Les défec­tions dans les sémi­naires sont inter­ve­nues à Zaitzkofen et à Flavigny. C’est tou­jours ennuyeux bien sûr, mais c’est vrai­ment peu impor­tant par rap­port à l’en­semble. Cela n’a pas vrai­ment secoué nos séminaristes […]

Evidemment nous avons souf­fert à l’occasion des sacres parce qu’il y a eu des départs qui nous ont tou­chés pro­fon­dé­ment. Ce qui est curieux c’est que ceux qui nous ont quit­tés, comme Dom Gérard et les moines du Barroux, étaient d’accord pour les sacres. Dom Gérard l’a écrit. Il a pro­non­cé un ser­mon dans lequel il a expo­sé les cinq rai­sons qui mili­taient en faveur des sacres1 . Pourquoi a‑t-​il ensuite cru bon de nous quit­ter et pra­ti­que­ment de se mettre dans les mains de la Rome pro­gres­siste ? C’est un mys­tère triste et dou­lou­reux. De même pour ceux de nos prêtres qui sont par­tis. C’est dom­mage, comme il est regret­table que des per­sonnes comme Romain Marie et Jean Madiran, qui avaient tou­jours été avec nous, qui ont été des amis, ont cru cette fois qu’ils ne pou­vaient pas nous suivre et ont pré­fé­ré suivre Dom Gérard dans sa décision.

Nous sou­hai­tons vive­ment qu’ils se rendent compte de la situa­tion réelle.

S’ils n’ont pas dit expli­ci­te­ment : nous accep­tons le Concile et tout ce que Rome pro­fesse actuel­le­ment, impli­ci­te­ment ils le font. En se met­tant entiè­re­ment dans les mains de l’autorité de Rome et des évêques, ils seront pra­ti­que­ment obli­gés d’en arri­ver à être d’accord avec eux. Dom Gérard ne peut pas être contre l’é­vêque d’Avignon. Ce n’est pas pos­sible, or l’évêque d’Avignon, comme le car­di­nal Decourtray, à pro­pos de l’abbé Laffargue et le car­di­nal Mayer, ain­si que d’autres évêques ont bien expli­ci­té leur pen­sée. Ils ont dit : « Il ne s’agit pas seule­ment de leur don­ner la litur­gie, ils doivent accep­ter le Concile, se sou­mettre inté­gra­le­ment et sans conces­sion au Concile »1 .

Une contradiction inévitable

Ils vont se trou­ver rapi­de­ment en pleine contra­dic­tion, car s’ils acceptent le Concile ils devront en accep­ter les consé­quences. Or les consé­quences sont, entre autres, la réforme liturgique.

On a vu que les choses n’étaient pas si simples quand il s’est agi de l’or­di­na­tion des cinq Dominicains de Chéméré du père de Blignières à Fontgombault. L’évêque de Bourges se serait oppo­sé à ce que ce soit le car­di­nal Mayer qui pro­cède à des ordi­na­tions. Et c’est Mgr de Milleville, un Spiritain, ancien arche­vêque de Conakry en Guinée et que j’ai bien connu, qui a fait les ordi­na­tions. Je ne vois pas pour ma part qu’il y ait une dif­fé­rence, à moins que l’évêque de Bourges ait exi­gé que Mgr de Milleville uti­lise le nou­veau rite. C’est de toute façon sin­gu­lier d’i­ma­gi­ner qu’une céré­mo­nie d’ordination selon l’an­cien rite puisse se dérou­ler à Fontgombault avec l’ancienne messe, alors que l’é­vêque de Bourges la refuse aux moines et les ordonne selon le nou­veau rituel. Le car­di­nal Mayer serait venu de Rome pour ordon­ner des Dominicains à Fontgombault, devant et avec le concours de moines béné­dic­tins pour une céré­mo­nie qu’ils dési­rent et qu’ils ne peuvent pas avoir.

Ce sont là des contra­dic­tions invraisemblables.

En tout cas, cela pose pro­blème, car les évêques ne veulent pas de ces tra­di­tio­na­listes soi-​disant ral­liés. Ils ne veulent pas de ces gens-​là dans leur dio­cèse, où ils ris­que­raient de semer le désordre. Que va-​t-​on en faire ? Les mettre dans les paroisses ? Les gens vont se divi­ser. On ne veut pas de cette messe ancienne, on est habi­tué à la nou­velle. On ne veut pas de latin. Laissez-​nous tran­quilles. On veut la com­mu­nion dans la main.

Qu’est-​ce que va faire l’évêque de Laval avec les cinq Dominicains qui vont se pro­me­ner un peu par­tout dans son dio­cèse ? Que va-​t-​il se pas­ser ? Ou bien ils vont eux-​mêmes dire la nou­velle messe, don­ner la com­mu­nion dans la main et se ral­lier com­plè­te­ment. Ou bien ils vont dire : « Ah non, nous avons l’autorisation de dire l’an­cienne messe et nous ne vou­lons pas don­ner la com­mu­nion dans la main. » Que va faire le curé ? Il va se retour­ner vers l’é­vêque : « Qu’est-​ce que je fais ? Je les reçois, ou je ne les reçois pas ? Ils vont mettre le trouble dans la paroisse. »

C’est impos­sible. Ils sont dans une situa­tion qui n’est pas viable. Les évêques se rendent bien compte de cela et c’est pour cela que mécon­tents ils mani­festent leur désac­cord avec Rome.

En Allemagne, l’é­vêque d’Augsbourg a main­te­nant dans son dio­cèse le sémi­naire alle­mand de la Fraternité Saint-​Pierre que dirige M. l’abbé Bisig qui a été le direc­teur de notre sémi­naire de Zaitzkofen. Ils se sont ins­tal­lés à Wigratzbad. C’est un lieu de pèle­ri­nage en Allemagne, situé près de Bregenz. Il y aurait eu là un per­son­nage qui aurait reçu des mes­sages de la Sainte Vierge. C’est un lieu de pèle­ri­nage assez fré­quen­té dans le dio­cèse d’Augsbourg, où un moment nous avions son­gé à y ins­tal­ler notre sémi­naire. Mais devant les réti­cences de l’é­vêque nous avons pré­fé­ré Zaitzkofen. L’évêque d’Augsbourg les a auto­ri­sés à uti­li­ser une petite cha­pelle qui était la pre­mière du pèle­ri­nage, mais il a ajou­té : « Si vous allez dans la grande église (qui a été construite il y a une dizaine d’années) je vous inter­dis d’y aller en sou­tane, allez‑y en cler­gy­man. » Première vexa­tion ! Et puis l’abbé Bisig a deman­dé au car­di­nal Mayer de bien vou­loir venir ordon­ner un des sémi­na­ristes qui nous a quit­tés et qui était diacre. Le car­di­nal avait accep­té de venir faire cette ordi­na­tion après celles qu’il devait faire à Fontgombault des Dominicains de Chéméré. Mais l’évêque d’Augsbourg s’y est oppo­sé : « Je ne veux pas que vous fas­siez cette ordi­na­tion chez moi. » Alors ils ont pris un car et ils sont allés à Rome où a eu lieu l’ordination.

Les évêques en désaccord avec Rome

C’est une situa­tion invrai­sem­blable, Rome est en train de se mettre à dos les évêques dio­cé­sains. Or les évêques dio­cé­sains, ce sont main­te­nant les confé­rences épis­co­pales. Les évêques ne réagissent plus d’eux-​mêmes. Si l’é­vêque de Bourges et si l’évêque d’Augsbourg ont pris ces déci­sions, c’est après avoir consul­té leurs confrères. « Si jamais il y a un pro­blème avec Rome, vous me sou­tien­drez ». Les évêques sont contre ces auto­ri­sa­tions don­nées de dire la messe ancienne, contre ces prêtres dont ils ne savent que faire. Mgr Schwery, l’é­vêque de Sion et pré­sident de la confé­rence épis­co­pale suisse a fait une lettre très dure contre Rome à ce sujet. Il a dit : « Nous pré­fé­rons encore voir les prêtres d’Ecône, ceux-​là ne nous gênent pas. On ne s’oc­cupe pas d’eux. Mais que l’on ne nous oblige pas à avoir des prêtres qui disent la messe de saint Pie V et qui gardent l’an­cienne litur­gie. Nous n’en vou­lons pas. » Alors si l’assemblée des évêques suisses, l’assemblée des évêques alle­mands, l’as­sem­blée des évêques de France ont pris fait et cause pour les évêques qui ont inter­dit les messes du car­di­nal Mayer, ce n’est tout de même pas rien. Le car­di­nal Mayer est pré­fet de la Congrégation des rites. L’empêcher de faire des ordi­na­tions en France et en Allemagne, il faut avoir de l’audace !

Si Rome s’impose, il va sûre­ment y avoir des dif­fi­cul­tés. Ils vont se mettre les confé­rences épis­co­pales à dos. Mais géné­ra­le­ment lorsque les confé­rences épis­co­pales se pré­sentent en bloc et disent : non, nous refu­sons, Rome cède et c’est fini. Le prin­cipe de la col­lé­gia­li­té triomphe. Ce sont les évêques, les confé­rences épis­co­pales qui commandent.

On l’a bien vu pour le caté­chisme en France : les obser­va­tions du car­di­nal Ratzinger n’ont pas été sui­vies d’effet. Rome a cédé et « Pierres vivantes » conti­nue d’empoisonner nos enfants. Pour la théo­lo­gie de la libé­ra­tion au Brésil et en Amérique du Sud, les évêques se sont insur­gés contre la condam­na­tion de Boff et Rome a recu­lé. C’est chaque fois la même chose.

Le sémi­naire Mater Ecclesiae qui avait ouvert ses portes à Rome, les a fer­mées au bout de deux ans. Ce sont les évêques de France qui ont dit : « Nous ne vou­lons pas de ces prêtres chez nous. Il ne faut pas les ordon­ner. Gardez-​les si vous vou­lez, mais nous, nous n’en vou­lons pas. » Devant l’op­po­si­tion des évêques Rome a fer­mé le sémi­naire et ren­voyé les sémi­na­ristes dans les sémi­naires diocésains.

C’est ce qui arri­ve­ra tôt ou tard au sémi­naire de Wigratzbad. Pour ne pas avoir d’ennuis avec les évêques, Rome leur conseille­ra sûre­ment de ren­trer dans leurs dio­cèses. Si encore ils avaient été plus nom­breux, s’il y avait eu par exemple un sémi­naire entier de la Fraternité qui soit pas­sé chez eux, alors peut-​être auraient-​ils fait un plus grand effort.

Voilà quelques élé­ments qui montrent bien la dif­fi­cul­té de la situa­tion dans laquelle Rome se trouve par rap­port aux évêques.

Rome ne veut pas soutenir la Tradition

En réa­li­té Rome ne veut ni sou­te­nir, ni pour­suivre la Tradition. On veut ame­ner tout dou­ce­ment ces jeunes et ces prêtres au Concile. C’est évident.

Au cours des der­niers contacts que j’ai eus à Rome, j’ai plu­sieurs fois vou­lu son­der leurs inten­tions, mesu­rer s’il y avait un véri­table chan­ge­ment. Cela n’apparaissait pas impos­sible après le constat des échecs catas­tro­phiques et désas­treux qui ont sui­vi le Concile et après aus­si la visite du car­di­nal Gagnon et de Mgr Perl qui avaient eux-​mêmes consta­té les fruits du bon tra­vail de la Fraternité. Ils auraient dû nor­ma­le­ment conclure : « Il faut se rendre à l’évidence, ces tra­di­tio­na­listes accom­plissent véri­ta­ble­ment un tra­vail d’Eglise. Pourquoi ne pas les sou­te­nir ? Pourquoi ne pas mener une action très forte en leur faveur ? ». En dis­cu­tant avec Rome, j’ai consta­té qu’il n’en était rien. D’abord on n’a rien vou­lu me dire des résul­tats de cette visite cano­nique. En ter­mi­nant j’ai dit : « C’est tout de même inad­mis­sible. C’est moi qui demande cette visite, qu’on nous dise au moins si nous fai­sons bien ou si nous fai­sons mal. Si nous fai­sons mal, que l’on nous fasse des remarques et si l’on fait bien qu’on nous le dise ». Non, pas un mot !

J’aurais bien signé un accord défi­ni­tif après avoir signé le pro­to­cole, si nous avions eu la pos­si­bi­li­té de nous pro­té­ger effi­ca­ce­ment contre le moder­nisme de Rome et des évêques. Il était indis­pen­sable que cette pro­tec­tion existe. Autrement nous aurions été pris par Rome d’un côté et par les évêques de l’autre, qui auraient essayé de nous influen­cer, de nous faire accep­ter le Concile évi­dem­ment, en fait de faire dis­pa­raître la Tradition.

Que fallait-​il pour être pro­té­gés de Rome et des évêques ? Moi, je vou­lais une com­mis­sion à Rome qui soit com­po­sée entiè­re­ment de tra­di­tio­na­listes et qui aurait été comme une délé­ga­tion de la Tradition à Rome. Quand des dif­fi­cul­tés sur place seraient sur­ve­nues, on aurait pu s’adresser à cette com­mis­sion ayant la pos­si­bi­li­té de nous défendre puisque com­po­sée de gens de la Tradition. Cette com­mis­sion devait com­prendre sept membres. Moi, je deman­dais que les sept membres soient de la Tradition. Ils n’ont pas vou­lu, ils ont dit : « Deux seule­ment, cinq pour nous, dont la pré­si­dence et la vice-​présidence et deux pour vous ».

Ensuite, j’ai deman­dé trois évêques pour que soient assu­rées les ordi­na­tions et les confir­ma­tions. Ils ont dit : non, un seul. Nous étions alors au début du mois de mai. J’ai dit au car­di­nal Ratzinger : « Je le veux pour le 30 juin. J’ai les dos­siers en mains. Je vous les donne. Vous avez deux mois pour voir sur les trois celui que vous choi­si­rez. »
« — Ce n’est pas pos­sible, m’a-​t-​il dit, c’est trop tôt.
— Deux mois, tout de même, c’est suf­fi­sant ! Alors pour le 15 août ?
— Ah non, à Rome on ne tra­vaille pas au mois de juillet et au mois d’août, on est en vacances.
— Bien, alors pour le 1er novembre ?
— Ah je ne sais pas. Vous savez c’est dif­fi­cile.
— Mais au moins pour Noël. D’ici à Noël vous auriez le temps.
— Je ne peux pas vous répondre. Je ne peux rien vous dire. »

Ce n’était pas pos­sible de conti­nuer ain­si. La volon­té de Rome de ne pas aider la Tradition, de ne pas vou­loir lui faire vrai­ment confiance était évidente.

J’ai com­pris que l’on ne vou­lait pas nous don­ner cet évêque et j’ai écrit une lettre mena­çante2 disant : si vous ne me don­nez pas cet évêque pour le 30 juin, je ferai moi-​même des évêques. Devant cette menace, alors ils m’ont dit : « Bon, bon, on va vous le don­ner pour le 15 août, mais il faut que vous ajou­tiez d’autres dos­siers. Il faut que le Pape puisse vrai­ment choi­sir quel­qu’un qui lui convienne par­mi les tra­di­tio­na­listes ». Il aurait fal­lu que j’a­joute encore quatre ou cinq dos­siers et ils m’auraient sûre­ment dit : « Il faut étu­dier ces dos­siers et on n’a pas assez de temps. Le 15 août c’est trop proche. Il va fal­loir remettre à plus tard. » Peut-​être m’aurait-​on dit aus­si : « Les gens que vous pré­sen­tez ne plaisent pas au Pape. Il faut encore ajou­ter des dos­siers ». Et ils m’auraient encore mené en bateau indé­fi­ni­ment. C’était clair. D’ailleurs le car­di­nal Ratzinger ne s’est pas caché pour le dire : « Mais vous n’avez pas besoin d’évêque. Une fois que vous serez recon­nus, vous pou­vez deman­der à n’im­porte quel évêque de faire vos ordinations. »

Je sen­tais très bien une nette oppo­si­tion. Nous n’avions déjà qu’un évêque au lieu de trois et deux places à la com­mis­sion sur sept. Ce n’était pas pos­sible de conti­nuer ain­si. La volon­té de Rome de ne pas aider la Tradition, de ne pas vou­loir lui faire vrai­ment confiance était évidente.

Tout cela je l’ai expo­sé à Dom Gérard lors­qu’il est venu me voir à Ecône et je n’ai pas été peu sur­pris de le voir six semaines après négo­cier avec Rome et dire : moi, je marche avec vous.
Il va voir lui-​même les ennuis qu’il va avoir. Car ils ne le lâche­ront pas. Ils iront dou­ce­ment, len­te­ment, mais sûre­ment. Maintenant que son monas­tère est recon­nu, il est vrai­sem­blable que des prêtres du dio­cèse vien­dront faire retraite chez lui. Il est évident qu’il devra les lais­ser dire la nou­velle messe. Il ne pour­ra pas obli­ger les prêtres qui vien­dront chez lui à dire l’ancienne messe. Ils ne savent plus la dire et ils auront le sou­tien de l’évêque qui dira : lais­sez ces prêtres dire leur messe habi­tuelle. Reconnu par l’évêque, le monas­tère est ouvert à tout le monde et les gens vont venir. Ils deman­de­ront la com­mu­nion dans la main. Si on la leur refuse que se passera-t-il ?

A Flavigny, au monas­tère béné­dic­tin, Dom Augustin a com­men­cé par refu­ser. Maintenant il est obli­gé d’accepter. Quand Mgr Balland est venu ordon­ner ses prêtres, il a invi­té ses dio­cé­sains à venir assis­ter à la céré­mo­nie d’ordination, ce qui est nor­mal. Dom Augustin a bien été obli­gé de concé­lé­brer. Et quand les fidèles se sont pré­sen­tés pour com­mu­nier dans la main, devant l’é­vêque qui donne la com­mu­nion dans la main dans sa cathé­drale et dans les paroisses, il n’a pas pu refu­ser. Il a don­né la com­mu­nion dans la main aux fidèles du diocèse.

C’est un cercle vicieux. On ne peut pas en sor­tir. Ils se sont mis dans la main des évêques et sont ou seront bien contraints d’en pas­ser par ce que font les évêques habi­tuel­le­ment. C’est une situa­tion dou­lou­reuse et l’on aurait pu ima­gi­ner qu’à Rome on se serait mon­tré plus apostolique.

A l’époque où pen­dant onze ans je suis allé voir chaque année le pape Pie XII que je connais­sais bien, j’avais chaque fois l’occasion d’être reçu par le car­di­nal Tardini et par les car­di­naux pré­fets des dif­fé­rentes congré­ga­tions. Je sen­tais alors que j’avais affaire à des pas­teurs, à des gens qui avaient le sens mis­sion­naire et le sou­ci du bien des âmes et de l’Eglise. Désormais, on a affaire à des admi­nis­tra­tions. Il n’y a pas une réflexion au sujet du bien des âmes et de l’Eglise. C’est froid et bureaucratique.

L’absence d’esprit missionnaire

S’ils avaient un petit peu d’esprit mis­sion­naire, de sou­ci des âmes, après la visite du car­di­nal Gagnon, ils auraient dû dres­ser un constat, ne pas fer­mer les yeux, faire quelque chose pour ces âmes qui font du bien, pour ces sémi­naires qui sont de bons sémi­naires. Lors de cette visite on nous a com­pli­men­té : « Ah c’est mer­veilleux ces sémi­naires. Comment faites-​vous ? C’est extra­or­di­naire ». Aux sœurs de Fanjeaux, Mgr Perl (il est pour­tant très mau­vais, c’est lui qui nous per­sé­cute à pré­sent) a dit : « C’est sur des bases comme celles-​là qu’il faut recons­truire l’Eglise ». On ne pou­vait faire un plus beau compliment !

Et après cela, on cherche à nous faire dis­pa­raître ! C’est cela le bien des âmes ? C’est cela l’Eglise ? C’est une secte qui s’est empa­rée de Rome, des leviers de com­mande de l’Eglise et ils se servent de leur auto­ri­té pour détruire l’Eglise du pas­sé. Ils ont l’esprit mal for­mé et se figurent que ce mon­dia­lisme, cet uni­ver­sa­lisme, cet œcu­mé­nisme qu’ils sont en train de déve­lop­per, c’est la reli­gion du futur et que c’est cela qui va redon­ner vie à l’Eglise. On ne se sou­cie plus des âmes ; on ne s’oc­cupe que de ces grandes réunions qui sont plus poli­tiques qu’ec­clé­sias­tiques ou spi­ri­tuelles. Cette situa­tion est lamen­table et l’on ne voit pas quand, ni com­ment cela pour­rait finir. Les esprits sont tel­le­ment défor­més, tel­le­ment oppo­sés à la Tradition, donc au pas­sé de l’Eglise. Ils n’ont pas chan­gé d’a­vis après cette visite des éta­blis­se­ments de la Fraternité et des com­mu­nau­tés tra­di­tion­nelles et il y a peu d’espoir main­te­nant de voir les choses se modifier.

Et pour­tant rien n’a été caché au car­di­nal Gagnon et à Mgr Perl. Ils ont pu visi­ter tout ce qu’ils ont vou­lu, poser les ques­tions comme ils l’entendaient. Le car­di­nal Gagnon a certes été d’une grande ama­bi­li­té. Ils nous a fait des com­pli­ments que nous ne deman­dions même pas. Par exemple, il a dit à Ecône, dans le der­nier petit toast avant son départ : « Nous sommes très contents. Nous sommes satis­faits de voir le tra­vail qui se fait dans les sémi­naires ». Et à pré­sent il tire sur nous à bou­lets rouges. Il dit : Mgr Lefebvre n’a rien com­pris aux rela­tions avec Rome. Rome veut la récon­ci­lia­tion, lui il veut la recon­nais­sance de ses œuvres. Nous, nous vou­lons la récon­ci­lia­tion. Qu’est-ce que la récon­ci­lia­tion ? C’est la recon­nais­sance de ses erreurs. Voilà la conclu­sion de la visite ! C’est incroyable ! Je n’in­vente rien. C’était écrit en toutes lettres dans les jour­naux. « La recon­nais­sance de ses erreurs » et cela après nous avoir fait tous ces com­pli­ments ! J’ignore quelle influence romaine a pu ain­si les retour­ner, après ce qu’ils nous avaient déclaré.

Cela dit, je crois que nous pou­vons remer­cier le Bon Dieu pour toutes les béné­dic­tions qu’Il nous donne. Car mal­gré tout, les voca­tions sont nom­breuses. Au car­mel, comme chez les sœurs de l’abbaye Saint-​Michel, c’est la pre­mière fois cette année qu’il y a autant de voca­tions. Chez les sœurs domi­ni­caines c’est iden­tique. On ne peut vrai­ment pas dire que les sacres ont arrê­té les jeunes et tari les voca­tions et que tout le monde a peur. C’est le contraire. Les uns et les autres se disent : main­te­nant nous sommes sûrs d’avoir les sacre­ments, sûrs que. nous allons être ordon­nés, que la foi catho­lique sera pré­ser­vée. C’est cela qui est important.

La Fraternité n’est pas une secte attachée à un folklore

Heureusement la Fraternité n’est pas seule. Avec les Dominicains, avec les Dominicaines, les Capucins, les prêtres de l’abbé Lecareux, elle conti­nue l’Eglise. Nous ne disons pas, comme on nous le prête à tort, qu’il n’y a que nous. Nous sommes avec tous ceux qui veulent conti­nuer l’Eglise catho­lique et cela selon ce que les papes ont tou­jours ensei­gné pen­dant dix-​neuf siècles jus­qu’à Vatican II. La Fraternité n’est pas un par­ti, ni une secte atta­ché à un folk­lore. Il ne s’agit pas de cela. La situa­tion est bien plus grave. Ce n’est pas seule­ment la litur­gie que nous vou­lons défendre, la litur­gie bien sûr est l’expression de nôtre foi, et nous ne vou­lons pas qu’elle soit atta­quée ou défi­gu­rée, mais les pro­blèmes de foi sont encore plus importants. 

Les libé­raux ne croient plus à la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ et ils ne veulent plus qu’on y croie. Toutes les notions fon­da­men­tales de l’Eglise sont détruites par les libé­raux. Par exemple, pour eux, la foi, ce n’est pas quelque chose d’ob­jec­tif. C’est le sen­ti­ment reli­gieux. Dans le livre qu’il a écrit, André Frossard rap­porte la défi­ni­tion faite par Jean-​Paul II de sa propre foi : « Ma foi est une pro­duc­tion de ma sub­cons­cience… » C’est exac­te­ment la défi­ni­tion moder­niste. Car si la foi est une mani­fes­ta­tion de notre sub­cons­cience, alors cha­cun peut avoir sa foi. C’est ain­si que l’on est arri­vé à Assise. On res­pecte la foi de celui-​ci parce que sa sub­cons­cience lui dit que Dieu c’est cela. C’est sa sub­cons­cience, son sen­ti­ment. Donc res­pec­tons et véné­rons le sen­ti­ment reli­gieux des musul­mans, des féti­chistes, de tous… C’est une héré­sie ! C’est la trans­for­ma­tion com­plète de la reli­gion. Tandis qu’au contraire, tra­di­tion­nel­le­ment, l’Eglise nous apprend que notre foi est une adhé­sion à l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-​Christ, à la Révélation. Nous n’avons pas à choi­sir la Révélation qui est faite, mais à y adhé­rer avec notre intel­li­gence. La foi c’est cela. Nous devons être sou­mis au Credo, au caté­chisme du Concile de Trente. On ne peut rien à cela.

Nous aurions pu adop­ter plu­sieurs atti­tudes et notam­ment celle d’une oppo­si­tion radi­cale : le Pape admet les idées libé­rales, donc il est héré­tique, donc il n’y a plus de pape. C’est le sédé­va­can­tisme. C’est fini, on ne regarde plus vers Rome. Les car­di­naux qui sont faits par le Pape ne sont pas car­di­naux, toutes les déci­sions qu’il prend sont nulles. C’est une option qu’ont prise le Père Guérard des Lauriers et quelques-​uns des prêtres qui nous ont quit­tés : il n’y a plus de pape.

Le Bon Dieu peut convertir le Pape

Personnellement, j’ai tou­jours pen­sé qu’il s’a­gis­sait d’une logique trop simple. La réa­li­té n’est pas aus­si simple. On ne peut taxer quel­qu’un d’être héré­tique for­mel aus­si faci­le­ment. C’est pour­quoi il m’a sem­blé devoir res­ter en deçà de la réa­li­té éven­tuel­le­ment, et de gar­der un contact avec Rome, de pen­ser qu’à Rome il y avait quand même un suc­ces­seur de Pierre. Un mau­vais suc­ces­seur certes et qu’il ne faut pas suivre parce qu’il a des idées libé­rales et moder­nistes. Mais il est là et dans la mesure où il pour­rait se conver­tir, comme le dit saint Thomas, on a le droit de s’opposer aux auto­ri­tés, publi­que­ment, lorsqu’elles pro­clament et pro­fessent des erreurs. C’est ce que nous fai­sons. Qui sait si la grâce du Bon Dieu ne pour­ra pas le tou­cher ? On me dit quel­que­fois : « C’est uto­pique ! Vous n’arriverez jamais à le conver­tir ! ». Je ne me fais pas beau­coup d’illusions certes, mais ce n’est pas moi qui peut le conver­tir, c’est le Bon Dieu. Alors tout est possible.

La majo­ri­té des fidèles et des prêtres tra­di­tio­na­listes estiment aus­si que c’est la solu­tion pru­den­tielle et sage : recon­naître qu’il y a un suc­ces­seur sur le trône de Pierre et qu’il est néces­saire de s’opposer for­te­ment à lui à cause des erreurs qu’il diffuse.

En tout cas, depuis que Mgr de Castro Mayer et moi, nous nous sommes oppo­sés à lui à l’occasion d’Assise, il n’y a plus de grande réunion comme ce fut le cas et sous sa pré­si­dence. Il y a eu d’autres ras­sem­ble­ments de moins grande enver­gure. Il a reçu les délé­gués, mais il n’a pas pré­si­dé. Il a mis une petite sour­dine. Quand le car­di­nal Ratzinger m’a dit que le Pape avait vu les des­sins que nous avions faits au moment d’Assise, et qu’il n’a­vait pas été très satis­fait, j’ai seule­ment répon­du : « Si seule­ment ces des­sins pou­vaient contri­buer à sau­ver son âme ! J’espère pour lui que ce des­sin ne se réa­li­se­ra pas le jour de sa mort. » C’est cepen­dant la réa­li­té. Il n’y a pas d’œcuménisme au ciel. Si le Pape veut conti­nuer l’œ­cu­mé­nisme au ciel, il se trompe. C’est pour cela que sur le des­sin le Malin dit : « C’est par ici, vous vous trom­pez de route, ce n’est pas au para­dis que se fait la conti­nua­tion d’Assise, c’est chez moi… »
Cette atti­tude que j’ai cru per­son­nel­le­ment devoir prendre est quand même la plus pru­dente, la plus ration­nelle et en même temps la plus apos­to­lique avec l’es­poir de pou­voir conver­tir, qu’à force d’opposition et de mani­fes­ta­tion de nos posi­tions, le Pape finisse par réflé­chir. A l’inverse des sédé­va­can­tistes, nous agis­sons vis-​à-​vis de lui comme vis-​à-​vis du suc­ces­seur de Pierre. Nous nous adres­sons à lui comme tel et nous prions pour lui.

La majo­ri­té des fidèles et des prêtres tra­di­tio­na­listes estiment aus­si que c’est la solu­tion pru­den­tielle et sage : recon­naître qu’il y a un suc­ces­seur sur le trône de Pierre et qu’il est néces­saire de s’opposer for­te­ment à lui à cause des erreurs qu’il dif­fuse. C’est un devoir pour tous ceux qui pro­fessent la foi catho­lique de refu­ser abso­lu­ment ces réformes conci­liaires qui sont contraires au magis­tère de l’Eglise, aux ensei­gne­ments des papes qui ont pré­cé­dé Vatican II.

Alors bien sûr, il y a ceux qui sont comme malades de pen­ser que l’on doit s’opposer à Rome. Ils ne sont pas d’accord. Eh bien c’est qu’ils n’ont pas vu véri­ta­ble­ment le pro­blème de l’in­va­sion libé­rale à Rome.

C’est pour­quoi nous avons publié ces livres « Lettre aux catho­liques per­plexes » et « Ils L’ont décou­ron­né », ain­si que d’autres docu­ments, notam­ment les lettres que nous avons écrites. Il suf­fit de consul­ter ces écrits. Ils aident à la réflexion. Ils n’ont peut-​être qu’une foi sen­ti­men­tale, ceux qui hésitent. Ils n’ont pas le sens doc­tri­nal du magis­tère, de l’Eglise de tou­jours, de la Tradition, de la foi catho­lique. Ils disent : « On n’est pas tout à fait d’ac­cord, mais on ne peut pas se sépa­rer du Pape. On pré­fère être en union au moins légale, cano­nique, régu­lière avec les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques. Nous ne pou­vons pas res­ter ain­si indé­fi­ni­ment sépa­rés des auto­ri­tés romaines et des évêques. Ce n’est pas pos­sible. Mais, vous allez voir, nous allons gar­der la Tradition. Nous allons faire des efforts. Nous ferons ci, nous ferons cela. On ne veut pas se lais­ser avoir ». Tous ceux qui nous ont quit­tés et qui ont dit cela, ont tous lâché. Ils ne pou­vaient pas sup­por­ter d’être trop sépa­rés des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques. Mais qu’on le com­prenne bien, celles-​ci veulent nous impo­ser pro­gres­si­ve­ment l’a­ban­don de la Tradition. Même si vous faites des efforts pour conser­ver la Tradition, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques vous diront : le Concile ! le Concile ! C’est la grande Pentecôte ! Il faut vous sou­mettre. Nous pou­vons vous don­ner l’autorisation de gar­der un peu la Tradition, mais il faut admettre le Concile dans son inté­gra­li­té. Les car­di­naux Mayer et Decourtray ne se sont pas pri­vés de le dire.

Or c’est ce que font l’abbé Bisig, l’abbé Laffargue et Dom Gérard. Ils répondent : « Oui, nous ne sommes pas abso­lu­ment contre le Concile, on peut l’interpréter ». Mais, c’est se pla­cer dans une situa­tion de contra­dic­tion, car c’est bien des prin­cipes du Concile qu’est née la guerre contre la Tradition. Un jour, on leur fera aban­don­ner le peu de Tradition qu’on leur concède aujourd’hui. Pour l’heure il faut accep­ter l’im­pos­sible conci­lia­tion entre le main­tien de la Tradition et l’application du Concile. C’est une situa­tion qui n’est pas viable.

J’ai déjà évo­qué le cas de Dom Augustin. Quand il m’a télé­pho­né pour me dire : « Monseigneur, je ne vien­drai plus pour les ordi­na­tions, c’est main­te­nant l’é­vêque de Dijon qui fera les ordi­na­tions pour les moines du monas­tère ». Il a ajou­té : « Je pense que je ne peux plus res­ter ain­si loin de Rome et des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques. Je veux être dans l’obéissance. Mais je veux gar­der la Tradition. Nous ne nous lais­se­rons pas enva­hir par les réformes conci­liaires ». Si à ce moment-​là on lui avait dit : dans moins de deux ans vous don­ne­rez la com­mu­nion dans la main, vous allez concé­lé­brer avec l’é­vêque de Dijon, il aurait pro­tes­té : « Jamais ! Nous gar­de­rons la Tradition ». Eh bien, main­te­nant c’est pour­tant comme cela que cela se passe. Six mois après, ils disaient la nou­velle messe pour la messe de com­mu­nau­té. A Fontgombault, comme chez Dom Augustin, le nombre des moines auto­ri­sés à célé­brer la messe ancienne en pri­vé a été réduit. Ils ont reçu des ordres dans ce sens.

Les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques sont convain­cues du bien de leur messe, de leur Concile, de leurs réformes. Lorsque le ving­tième anni­ver­saire de la clo­tûre du Concile a été célé­bré à Rome au cours du Synode de 1985, cela n’a été que louange et éloge du Concile, nou­velle Pentecôte.

Rome ferme les yeux sur les catastrophe engendrées par le Concile

Sans s’attarder sur le fait que beau­coup de choses n’allaient pas, l’accent a été mis sur les grands espoirs que font naître le cha­ris­ma­tique et le pen­te­cô­tisme. A Rome, ils veulent se convaincre de cela. Ils ferment obs­ti­né­ment les yeux sur les catas­trophes engen­drées par le Concile et qu’ils sont en train d’ac­com­plir, sur la ruine à laquelle ils sont en train de conduire l’Eglise. Et ils veulent que nous entrions dans ce cou­rant. Si nous fai­sons un pas dans cette voie, si nous nous sou­met­tons à l’autorité sans garan­tie, à plus ou moins longue échéance, dans deux, trois ou cinq ans, nous per­drons la Tradition. Or nous ne vou­lons pas la perdre. Nous ne pou­vons donc pas nous sou­mettre aux auto­ri­tés qui veulent nous faire perdre la Tradition.

Ainsi que je l’ai déjà expo­sé, si je suis allé dis­cu­ter à Rome, c’est parce que je vou­lais essayer de voir si nous pour­rions réa­li­ser un accord avec les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques, tout en nous met­tant à l’a­bri de leur libé­ra­lisme et en sau­ve­gar­dant la Tradition. Force m’a bien été de consta­ter qu’aucun accord ne pou­vait être réa­li­sé qui nous donne à la fois toute garan­tie et la convic­tion que Rome vou­lait sin­cè­re­ment concou­rir à la pré­ser­va­tion de la Tradition. J’ai atten­du jusqu’au 5 juin pour écrire au Pape : « Je regrette, mais nous ne pou­vons pas nous entendre. Vous n’avez pas le même but que nous. En fai­sant cet accord votre but est de nous rame­ner au Concile. Le mien est au contraire de pou­voir nous main­te­nir en dehors du Concile et de ses influences. »

Nous disons nous, que l’on ne peut pas être sou­mis à l’au­to­ri­té ecclé­sias­tique et gar­der la Tradition. Eux affirment le contraire. C’est trom­per les fidèles.

Ce qui est évi­dem­ment curieux, c’est qu’un mois après, Dom Gérard a cru pou­voir reprendre la main que j’a­vais lâchée, en espé­rant, lui, pou­voir gar­der la Tradition sous les auto­ri­tés hié­rar­chiques. En tout cas, la hié­rar­chie ne cesse de le leur rap­pe­ler : le Concile. Tout le Concile. N’ont-​ils pas compris ?

Alors quelle est notre atti­tude ? Il est clair que tous ceux qui nous quittent ou qui nous ont quit­tés pour sédé­va­can­tisme ou parce qu’ils veulent être sou­mis à la hié­rar­chie actuelle de l’Eglise tout en espé­rant gar­der la Tradition, nous ne pou­vons plus avoir de rap­ports avec eux. Ce n’est pas pos­sible. Nous disons nous, que l’on ne peut pas être sou­mis à l’au­to­ri­té ecclé­sias­tique et gar­der la Tradition. Eux affirment le contraire. C’est trom­per les fidèles. Nous avons beau les esti­mer, il n’est bien enten­du pas ques­tion de les insul­ter, mais nous ne vou­lons pas enta­mer de polé­miques et nous pré­fé­rons ne plus avoir affaire avec eux. C’est un sacri­fice à faire. Mais il n’a pas com­men­cé aujourd’­hui, il dure depuis vingt ans. Tous ceux qui se séparent de nous, nous en sommes très affec­tés, mais on ne peut vrai­ment pas faire d’autre choix si nous vou­lons gar­der la Tradition. Nous devons être indemnes de com­pro­mis­sion tant à l’é­gard des sédé­va­can­tistes qu’à l’é­gard de ceux qui veulent abso­lu­ment être sou­mis à l’autorité ecclésiastique.

Nous vou­lons demeu­rer atta­chés à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Or Vatican II a décou­ron­né Notre Seigneur. Nous, nous vou­lons res­ter fidèles à Notre Seigneur roi, prince et domi­na­teur du monde entier. Nous ne pou­vons rien chan­ger à cette ligne de conduite.

Aussi quand on nous pose la ques­tion de savoir quand il y aura un accord avec Rome, ma réponse est simple : quand Rome recou­ron­ne­ra Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous ne pou­vons être d’accord avec ceux qui décou­ronnent Notre Seigneur. Le jour où ils recon­naî­tront de nou­veau Notre Seigneur roi des peuples et des nations, ce n’est pas nous qu’ils auront rejoint, mais l’Eglise catho­lique dans laquelle nous demeurons.

Mgr Marcel Lefebvre

Flavigny, décembre 1989

Pour gar­der son carac­tère propre à cette confé­rence adres­sée aux amis et bien­fai­teurs du Séminaire Saint-​Curé d’Ars, le style par­lé a été conser­vé. Titre et inter­titres sont de la rédaction.

Source : Fideliter n° 68 – Mars-​Avril 1989.

  1. Cf. Fideliter n° 67 [] []
  2. Cf. Fideliter n° du 29–30 juin 1988 hors-​série []

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.