Le 31 octobre 1999 le Cardinal Cassidy signait à Augsbourg une « Déclaration Commune sur la Justification » avec 124 églises de la Fédération Luthérienne Mondiale. Cette déclaration est un scandale au sens strict, une occasion de chute pour beaucoup. Pour bien saisir l’importance de cette déclaration et le mal foncier qui s’y trouve, il faut d’abord rappeler la doctrine catholique sur la Justification et les hérésies luthériennes opposées ; on verra alors quels prodiges d’ambiguïtés il faut pour faire une déclaration commune ; alors cette déclaration apparaîtra clairement comme un produit typique de cet œcuménisme qui mine la Foi et qui ronge l’Église.
A. La Doctrine catholique
1. Vraie nature de la justification : transformation intérieure de l’état de péché à l’état de grâce
Le premier homme ayant été infidèle à la première grâce reçue et ayant souillé la nature humaine, tout homme né d’Adam est « fils des ténèbres » (1 Th. 5:5) et « fils de la colère » (Éph. 2:3), dans un état de péché séparé de Dieu. A cela, dès l’âge de la raison, chacun ajoute des péchés, plus ou moins grands. Si par lui-même l’homme peut tomber, il ne peut se relever de lui-même par les forces de sa nature seule, ni par la seule aide de la Loi : il a besoin de la grâce de Dieu, qui dans sa miséricorde a envoyé un Sauveur, son propre Fils unique, Notre Seigneur Jésus Christ. C’est principalement par sa Passion et par le Sacrifice de la Croix que Notre Seigneur Jésus Christ nous a sauvé : Il « s’est livré comme Rédemption pour tous les hommes » (1 Tim. 2:6). Mais pas tous les hommes ne sont sauvés, certains seront mis à la gauche du Juge et entendrons ces paroles terribles : « Éloignez-vous de Moi, maudits, dans le feu éternel ! » (Mt 25:41) « Pas tous n’ont obéi à l’Évangile » (Rom. 10:16). Cette rédemption, suffisante pour tous, doit être « reçue » par chaque âme : « à ceux qui L’ont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1:12). Cette réception de Notre Seigneur Jésus Christ est une vraie nouvelle naissance, une transformation intérieure de l’état de péché, de mort spirituelle, séparé de Dieu, à l’état de grâce, état de justice, vie d’enfant de Dieu, membre de Jésus-Christ ; elle comporte et la rémission des péchés et l’infusion de la grâce sanctifiante, vraie union vitale au Christ. C’est cela la justification : « il était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! » (Lc 15:32).
2. Ses causes : Première, la grâce divine, et seconde, la coopération humaine
« Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières, chez qui n’existe aucun changement, ni l’ombre d’une variation » (Jac. 1:17). La justification est dans l’âme l’effet d’une action divine, qui est pur don, aucunement mérité par l’âme : en effet, avant d’être justifiée, l’âme était encore en état de péché et donc, loin de mériter les bienfaits divins, elle méritait les châtiments du Juste Juge ! Cette action divine est une grâce prévenante : « Il nous a aimé le premier » (1 Jn 4:19), mais loin d’exclure une coopération de notre part, cette action divine suscite et exige une réponse de notre part. Si nous défaillons et ne répondons pas à cet amour prévenant de Dieu, la magnifique transformation intérieure qu’est la justification n’arrivera pas. Cette coopération a été exigée par l’Église depuis le début, spécialement dans la préparation au baptême, car sans le baptême, ou au moins le vœu du baptême, il est impossible d’obtenir cette nouvelle naissance. Cette préparation est bonne car elle vient de Dieu, sans être méritoire (car avant d’avoir la charité, il n’y a pas de mérite). Cette coopération est cause seconde de l’effet ultime : passive par rapport à la Cause Première dont elle reçoit l’impulsion et à la vertu de laquelle elle n’ajoute rien, elle est active par rapport à l’effet ultime qu’est la transformation de l’âme : on voit bien cet aspect actif de la préparation dans le retour de l’enfant prodigue : il a reçu le pardon après être retourné chez son père ; s’il n’était pas retourné, il n’aurait pas reçu le pardon, bien que son retour actif n’ait pas mérité au sens strict le pardon.
3. La première justification
Le premier élément de cette transformation intérieure, c’est la Foi. La vie intérieure étant essentiellement une vie toute spirituelle, et rien ne pouvant être dans la volonté sans être auparavant dans l’intelligence, il est manifeste que c’est d’abord par la réception de la vérité surnaturelle dans l’intelligence que peut commencer cette vie. Sans la vraie Foi, adhésion de l’intelligence à la Vérité révélée, il est absolument impossible d’être justifié (Concile de Trente, VI, 7). D’où la nécessité du catéchuménat pour apprendre les vérités de Foi. L’âme prend d’abord connaissance de Dieu, de sa Bonté, de sa vocation à Le voir au Ciel, puis de sa misère par le péché, puis de l’œuvre rédemptrice du Christ, de la miséricorde qui lui est offerte par Notre Seigneur, et touchée par la grâce, elle se repent d’avoir offensé Dieu, espère en sa Miséricorde et s’ouvre à « la charité qui est répandue dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous est donné » (Rom. 5:5). La Foi étant le début et le fondement de la justification, saint Paul parle de « justification par la Foi » (Rom. 5:1); mais le même saint Paul nous avertit bien que avec la Foi seule, sans la charité, nous ne sommes rien (1 Cor. 13:1) et saint Jacques que la Foi seule, sans les œuvres de la charité, est morte (Jac. 2:17,26).
4. Développement ultérieur de la justification
La justification est donc le début de la vie spirituelle, d’enfants de Dieu : celle-ci est appelée à grandir et à fructifier. Loin d’exempter le chrétien de l’obligation de la Loi, la grâce qu’il a reçue lui donne les moyens d’observer la Loi, car « la charité est la plénitude de la Loi » (Rom. 13:10). Saint Augustin explique que le chrétien n’est pas « sous la loi », car depuis que par la grâce du Christ il observe la loi, celle-ci ne l’écrase plus sous ses condamnations ; mais il est « avec la loi » (1 Cor. 9:21) car celle-ci est une lumière (Prov. 6:23) amie qui lui montre le chemin du Ciel, sur lequel il court le cœur dilaté (voir Ps. 118:32). La pratique régulière des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, associée à une vraie vie de prière et les œuvres de la charité donne au fidèle non seulement la possibilité d’observer fidèlement les Dix Commandements, mais encore de gravir les degrés de sainteté. Ainsi à ceux qui font fructifier les dons reçus par les bonnes œuvres de la charité, le Ciel est donné comme une récompense ; mais ceux qui ne font pas fructifier les dons reçus « iront dans les ténèbres extérieures » (parabole des talents Mt 25:14–30). Le salut proprement dit est à la fin de la vie spirituelle (« celui qui persévèrera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » Mt 24:13) ; il ne peut y avoir de mérite avant la justification car sans charité pas de mérite ; mais il ne peut y avoir de salut pour les adultes sans mérite acquis après la justification.
La vie chrétienne ici-bas est un combat (Job 7:1), non seulement contre le monde (1 Jn 2:15) et contre le démon (Eph 6:12), mais aussi contre la chair (Gal. 5:17), c’est-à-dire contre les tendances au péché qui demeurent en nous même après la rémission des péchés, tendances qui viennent du péché et mènent au péché, mais ne sont pas formellement péché en elles-mêmes (Concile de Trente V, 5). Dans ce combat même les justes sont parfois légèrement blessés et tombent dans des péchés véniels, pour lesquels ils prient tous les jours « pardonnez-nous nos offenses » (Mt 6:12)) sans pour autant cesser d’être justes (Prov. 24:16).
Cette vie nouvelle peut malheureusement être perdue par n’importe quel péché mortel après la justification. Il est alors nécessaire de recevoir à nouveau la justification par le sacrement de pénitence, qui est comme une résurrection spirituelle, qui requiert une pénitence vraie, donc une coopération de notre part, puisque la « matière » même du sacrement, sans laquelle il serait invalide, sont trois actes du pénitent, à savoir la contrition, la confession et la satisfaction.
5. Confiance sans certitude présomptueuse du salut
Le fait que Notre Seigneur soit mort sur la Croix pour nous sauver en général est une vérité de Foi dont il n’est permis à personne de douter ; mais l’application des bienfaits de Son Sacrifice à notre âme en particulier n’est pas révélée, nous ne pouvons en avoir qu’un signe dans la mesure où nous sommes fidèles à sa Loi, comme on juge un arbre à ses fruits : cela ne peut nous donner de certitude absolue de notre état de grâce, encore moins de notre persévérance finale. Il faut donc comme le dit saint Paul, « faire notre salut avec crainte et tremblement » (Phil 2:12), avec pourtant une pleine confiance en l’aide miséricordieuse de notre Père qui est dans les cieux, qui nous soutient comme « une mère tient son enfant sur son sein » (Is. 66:12).
Le modèle parfait de cette vie nouvelle dans le Christ Jésus est la Très Sainte Vierge Marie, dont la coopération à l’œuvre du Christ est manifeste dans son Fiat, et sa compassion au pied de la Croix (voir Lc 1:38 et Rom. 8:17) et qui rend toute gloire à Dieu (Magnificat, Luc 1:46–55).
6. Conclusion
Le Concile de Trente a fixé pour toujours cette magnifique doctrine dans sa célèbre sixième session, où le décret fut approuvé avec une parfaite unanimité. Cette unanimité a fortement frappé tous les Pères du Concile, qui y ont vu un miracle moral et un signe tangible de l’assistance du Saint Esprit. Le Concile dit dans son prologue que c’est là « la doctrine que le Christ a enseignée, que les Apôtres ont transmise et que l’Église catholique a perpétuellement tenue. » (Dz. 792a) Dans sa conclusion, le Concile affirme encore que « si quelqu’un ne tient pas fidèlement et fermement cette doctrine il ne peut être justifié », et qu’il faut « non seulement tenir (cette doctrine) mais aussi éviter et fuir les (erreurs opposées) » anathématisées dans les canons qui suivent.
B. Les hérésies de Luther
1. Erreur sur la nature de la justification : imputation extrinsèque de la justice du Christ
Le point fondamental de son hérésie est de prétendre que la justification n’est pas une transformation intérieure du pécheur qui efface son péché et en fait vraiment un juste, mais seulement une imputation extérieure des mérites du Christ, en considération desquels Dieu accepte de ne plus punir le pécheur. La comparaison donnée est celle d’un voleur qui, n’ayant pas de quoi rembourser, voit sa peine remise parce qu’un riche paye la dette pour lui, sans que le voleur n’ait rien à faire, simplement parce qu’il a confiance dans le riche qui le sauve. N’arrivant pas à obéir à la Loi du Christ, Luther a préféré prétendre qu’il n’avait pas besoin d’être changé intérieurement, qu’il pouvait continuer à désobéir tout en étant « réputé juste » extérieurement, simplement parce qu’il faisait confiance aux promesses du Christ.
2. Erreur sur les causes : refus de toute coopération
Luther considère que les dégâts du péché originel sont tels que la liberté de l’homme est rendue incapable de coopérer pour se préparer à la justification. Loin de voir combien cela s’oppose à la pratique évangélique de la préparation exigée avant le Baptême, il prétend que cela sauvegarde l’honneur de Dieu, car pour lui, l’action de Dieu exclut l’action de l’homme : si la justice vient de Dieu, elle ne vient pas de l’homme ; ce qui vient de l’homme est comme « volé » à l’honneur de Dieu. Luther en conclut que l’homme ne peut aucunement mériter, et aucunement coopérer à son salut. C’est ne pas saisir la transcendance de Dieu, Cause première, qui loin de supprimer les causes secondes, leur donne et d’exister et de causer dans la dépendance d’Elle-même.
3. Erreur sur les conséquences : destruction de toute vie chrétienne
L’homme en est si vicié qu’il reste encore vraiment pécheur même après la justification, de telle sorte qu’il est « simul iustus et peccator – à la fois juste et pécheur », juste par la déclaration divine extérieure à lui en vertu des mérites du Christ, pécheur par la réalité du péché qui reste en lui.
N’étant pas vraiment transformé, il reste incapable de suivre les Dix Commandements après comme avant sa justification, et n’y est pas tenu : il lui suffit d’avoir encore confiance dans ce riche qui continuera à payer les dettes qu’il continuera à encourir.
La foi consiste ainsi essentiellement, non dans l’adhésion de l’intelligence à la vérité révélée, mais dans cette confiance d’être sauvé par les mérites du Christ, qui doit être absolue, et donc avec certitude absolue du salut.
4. Destruction du reste de la foi catholique
Utilisant ce faux principe d’une justification essentiellement extérieure comme « critère » (DC 18.), Luther tire comme conclusion la négation de nombreux points du Dogme catholique. Il rejette tout ce qui est une œuvre, par laquelle nous nous unissons au Christ ; il nie la réalité du Corps Mystique du Christ, la Communion des saints ; il rejette (avec une profusion de blasphèmes) le saint Sacrifice de la Messe, l’efficacité « ex opere operato » des sacrements, le pouvoir d’ordre et de juridiction et par là toute la structure de l’Église catholique (il a d’horrible blasphèmes contre le Pape), les vœux de religion, la vie monastique, les indulgences, le purgatoire, etc. Au niveau moral, de ces principes faux les premiers réformateurs ont tiré toute une série de conclusions plus blasphématoires les unes que les autres, telles que « pèche fortement, pourvu que tu croies plus fortement encore », ou bien « toutes les bonnes œuvres sont des péchés mortels », etc. Les fruits d’immoralité de la Réforme furent tragiques.
Par la suite, certains, moins pervers, se sont crus obligés par la force des arguments catholiques à réintroduire certains éléments de doctrine catholique (telle qu’une certaine sanctification intérieure, qu’ils appellent conséquence de la justification, sans que pour eux la justification ne consiste essentiellement dans cette transformation intérieure), mais ils ont été attaqués par ceux qui voulaient rester dans la ligne de Luther ; d’autres au contraire en suivant la permissivité ouverte par Luther en sont allés à nier de plus en plus de dogmes jusqu’à ce que leur protestantisme libéral s’évanouisse dans un rationalisme et qui mène à un athéisme complet. Nombreux furent les protestants parmi les grands anticléricaux du XIX siècle.
Le cardinal Billot dit très justement de cette hérésie de la justification purement extrinsèque, que cela fait des « sépulcres blanchis » (Mt 23:27). On voit par cet exposé parallèle combien radicalement incompatibles sont ces deux doctrines : « Quel rapport en effet entre la justice et l’impiété ? Quelle union entre la lumière et les ténèbres ? » (2 Cor. 6:14) Seule une vraie conversion, rejetant l’hérésie et embrassant pleinement la vérité catholique peut faire rentrer les protestants dans l’unité de l’Église.
C. La Déclaration Commune sur la Justification : prodige d’ambiguïté
Cependant, « porté par la conviction que de nouvelles appréciations adviennent dans l’histoire de nos Églises et y génèrent des évolutions qui non seulement permettent mais exigent que les questions séparatrices et les condamnations soient vérifiées et réexaminées sous un angle nouveau » (DC 7), l’effort œcuménique commencé à Vatican II est arrivé trente ans après à cette déclaration commune. « Elle exprime un consensus sur les vérités fondamentales de la doctrine de la justification et montre que les développements qui demeurent différents ne sont plus susceptibles de provoquer des condamnations doctrinales. » (DC 5) « L’enseignement des Églises luthériennes présenté dans cette déclaration n’est plus concerné par les condamnations du Concile de Trente » (DC 41). Est-ce vrai ?
1. Les erreurs de Luther s’y trouvent encore
On y trouve positivement certains points que rejetait Luther tels que l’existence d’une transformation intérieure et la possibilité de refuser la grâce (DC 21), mais on n’y trouve pas de renonciation aux principes mêmes de Luther ; au contraire on y voit plusieurs fois affirmés les points suivants :
- La justification « conçue de manière forensique » comme « déclaration de pardon » (DC 23), « acceptation par Dieu » qui est toujours parfaite et non susceptible de croissance (DC 39); « la justice du Christ étant notre justice » (DC 23) comme si la justice du croyant n’était pas formellement inhérente à l’âme, comme l’a défini le Concile de Trente (VI, 7 et can. 10). (Voir aussi SD 4.7).
- Le rejet de toute coopération à la justification, la personne humaine étant « incapable de coopérer à son salut,… ne pouvant que recevoir la justification mère passive » (DC 21), celle-ci étant « libre de toute coopération humaine » (DC 23, 24, 27, SD 4.1).
- La justification par la foi seule (DC 26, SD 3).
- La foi comme confiance (DC 25, 26, SD 4.3) ; et même : « Avec le Concile Vatican II, les catholiques affirment : ‘croire signifie se confier pleinement en Dieu’ » (DC 36). Le Concile de Trente avait défini : « Si quelqu’un dit que la foi qui justifie n’est rien d’autre que la confiance en la miséricorde divine qui remet les péchés par égard pour le Christ, ou qu’elle est seulement la confiance par laquelle nous sommes justifiés, qu’il soit anathème ! » (VI, can. 11).
- Il reste dans le justifié « une aversion envers Dieu » qui est « véritablement péché » (DC 29) ; et donc « le croyant est à la fois juste et pécheur… totalement pécheur » (ibid.) (ADC 2.A)
- La Loi « a été dépassée en tant que chemin du salut » (DC 31) ; expression très ambiguë qui laisse la porte ouverte à l’hérésie Luthérienne selon laquelle l’observance de la Loi n’est plus obligatoire, bien qu’elle soit « une orientation » de l’action du chrétien.
- Le croyant en la certitude de son salut (DC 34, 35).
- La doctrine de la justification est « guide et juge pour tous les autres domaines de la doctrine chrétienne » (DC 1), « critère indispensable » (DC 18, SD 3), « pierre de touche » (ADC 3) ; quand on se souvient que le principe protestant, non rejeté dans cette déclaration, est à la racine de tant de négations de dogmes catholiques, réaffirmer cette position de « critère » pour cette doctrine est absolument inacceptable.
Ces points sont souvent exprimés d’une manière telle qu’on pourrait leur donner une interprétation compatible avec la doctrine catholique, mais ce qui est certain c’est qu’on peut aussi leur laisser l’interprétation protestante originelle. Les expressions sont soigneusement calculées pour ne pas rejeter les thèses de Luther, sans pour autant nier ouvertement le dogme catholique. Un tel prodige d’ambiguïtés et de silences calculés est loin de satisfaire aux exigences du Concile de Trente qui demande non seulement de « recevoir fidèlement et fermement » la doctrine de la justification telle qu’il l’a exposée, mais encore « d’éviter et de fuir » (Dz 810) les erreurs condamnées dans ses canons : le moindre qu’on puisse dire, c’est que cette déclaration ne les évite pas et les fuit encore moins. Dissimuler une erreur sous une formule ambiguë, ce n’est pas l’éviter !
2. Ambiguïté et insuffisance des explications « catholiques »
Pour chaque point de cette déclaration commune, il est donnée une clarification de la position luthérienne et une clarification de la position catholique. Même cette dernière est loin d’éviter et de fuir les erreurs condamnées par le Concile de Trente ! Donnons des exemples : « la grâce justifiante ne devient jamais une possession de la personne dont cette dernière pourrait se réclamer face à Dieu » (DC 27) ; en tant que cela signifie que la grâce sanctifiante n’est pas quelque chose qui ne viendrait pas de Dieu, c’est vrai ; mais cela laisse à croire que la grâce sanctifiante n’est pas inhérente à l’âme (la négation portant directement sur « possession de la personne » et seulement « obliquement » sur la proposition relative) ; de plus l’expression « se réclamer face à Dieu » est aussi ambiguë, comme si on ne pouvait pas prier Dieu, en s’appuyant sur ses dons déjà reçus comme garanties de son amour pour nous et gages de nouvelles bénédictions, ainsi que le Saint Esprit Lui-même nous enseigne à prier : « Juge-moi, Yahvé, selon ma justice et selon mon intégrité » (Ps. 7:9). La vérité est que la grâce sanctifiante est une possession de la personne, inhérente à son âme, mais dont elle est redevable de la Bonté divine par Notre Seigneur Jésus Christ, et donc elle ne peut s’en glorifier « comme si elle ne l’avait pas reçue » (1 Co 4:7).
Autre exemple : « le renouvellement de la vie par la grâce sanctifiante est toujours dépendant de la gratuité de la grâce de Dieu sans produire une contribution à la justification dont nous pourrions nous enorgueillir devant Dieu » (DC 27). Toujours dépendant de la grâce de Dieu, oui. Sans produire une contribution, attention ! Bien au contraire, ce renouvellement de la vie produit une contribution : déjà avant l’infusion de la grâce, cette contribution était requise en tant que préparation à la grâce, bien qu’elle ne la mérite pas ; et après l’infusion de la grâce, cette contribution est requise et mérite vraiment une augmentation de cette grâce sanctifiante. Mais évidemment, cette contribution n’est pas telle qu’on puisse s’en enorgueillir ni devant Dieu ni devant les hommes, car elle est elle-même un don de Dieu par le Christ Jésus. De plus si la première grâce est absolument gratuite, et que de nombreuses grâces subséquentes sont aussi absolument gratuites, il est faux de dire que toute grâce subséquente est absolument gratuite, comme si nos bonnes œuvres ne pouvaient pas mériter vraiment une augmentation de la grâce. Qui ne voit comment de telles phrases sont ambiguës et insuffisantes ?
Autre exemple : « le don divin de la grâce demeure, dans la justification, indépendant de la coopération humaine » (DC 24). Si on entend « don divin » pour signifier la décision de Dieu de justifier tel homme, c’est vrai, car « Il nous a aimé le premier » (1 Jn 4:19), la cause première ne dépend pas de la cause seconde ; mais si on entend « don divin » pour signifier le bien donné, c’est faux, car l’effet ultime dépend non seulement de la cause première, mais aussi de la cause seconde.
Autre exemple : « les catholiques peuvent dire que Christ n’est pas un nouveau législateur comparable à Moïse » (DC 33). Halte là ! La sainte Église a toujours enseignée que le Christ nous a donné la Loi Nouvelle, Il est un nouveau législateur, mais incomparablement supérieur à Moïse, car non seulement Il nous donne une loi plus parfaite (et plus exigeante, voir Mt 5), mais encore les moyens de l’accomplir.
3. Les explications « luthériennes » tombent encore sous les anathèmes de Trente
Ces quatre exemples sont pris des clarifications « catholiques », les clarifications luthériennes sont encore beaucoup plus éloignées de la vraie doctrine, et même parfois absolument incompatibles avec la doctrine du Concile de Trente. Le point le plus directement opposé au Concile de Trente est celui du « simul justus et peccator – à la fois juste et pécheur » : l’expression est explicitement reprise, et l’explication luthérienne insiste sur le fait qu’il reste une « aversion de Dieu [qui] est en tant que telle véritablement péché » dans le croyant « justifié » à la mode luthérienne. Trente avait définit : « Si quelqu’un affirme que tout ce qui a vraiment et à proprement parler caractère de péché n’est pas enlevé, mais seulement rasé ou non imputé, qu’il soit anathème » (Session 5, can 5).
A la lumière de cet anathème, il est scandaleux que les représentants catholiques affirment que la concupiscence « est objectivement aversion envers Dieu » (DC 30), sachant que la définition thomiste du péché est « aversion de Dieu par conversion à la créature ». On mesure la gravité de cette affirmation quand on se réfère aux sources en annexe où il est dit : « un rapprochement fondamental et significatif est obtenu lorsque le document Les anathèmes du XVIe siècle décrit la concupiscence qui demeure dans le justifié comme ‘aversion envers Dieu’ et la qualifie ainsi de péché » (SD 4.4).
De plus, les catholiques ne sont pas toujours conscient des fausses définitions de certains mots chez les protestants. Par exemple le mot sanctification. Le professeur luthérien Gerhard O. Forde, le définit ainsi : « la meilleure définition de la sanctification, si elle signifie autre chose que la justification [extrinsèque], est l’art de s’accoutumer à la justification inconditionnelle, œuvre de la grâce de Dieu par égard pour Jésus. » En d’autres termes, c’est l’art de s’accoutumer à la pensée qu’on est « sauvé » malgré le fait qu’on continue de pécher, comme il l’explique dans le reste du chapitre ! « Croissance dans la foi » (DC 39) veut ainsi dire pour le luthérien s’accoutumer de plus en plus à cette pensée absolument pas catholique. Pour le luthérien, le « justifié » continue de pécher : « il demeure totalement pécheur, le péché habite encore en lui, il ne cesse de placer sa confiance dans de faux dieux » (DC 29). On retrouve cette justification inconditionnelle dans la Déclaration Commune : « Par la justification nous sommes inconditionnellement mis en communion avec Dieu » (ADC 2.D) ; ceci est explicitement contraire à l’Écriture elle-même : « nous sommes cohéritiers du Christ si cependant nous souffrons avec Lui afin d’être glorifié avec Lui. » (Rom 8:17) ; « la bonté de Dieu envers toi, pourvu que tu demeures en cette bonté ; autrement tu seras retranché toi aussi. » (Rom. 11:22).
Ainsi lorsqu’on prend non les définitions catholiques, mais les définitions luthériennes des mots justification, sanctification, grâce, péché, etc., il ne fait pas de doute que les textes de cette Déclaration Commune tombent encore sous les anathèmes du Concile de Trente.
Il faudrait des centaines de pages pour manifester toutes les ambiguïtés de cette déclaration ; toutefois les exemples ci-dessus illustrent suffisamment la méthode œcuménique. Pourquoi de telles ambiguïtés ?
D. La Déclaration Commune : œuvre typique de l’œcuménisme moderne
1. But : une unité autre que celle que Notre Seigneur Jésus Christ a donnée à son Église.
Ce qui fait l’unité d’un corps, c’est l’unité de vie qui anime tous les membres du corps ; de même ce qui fait l’unité de l’Église, Corps Mystique du Christ, c’est avant tout l’unité de vie, la vie du Christ participée par la grâce, qui anime tous les membres vivants et animait les membres morts non encore séparés du Corps : cette vie intérieure est une vie de Foi (« le juste vit de la Foi » Rom. 1:17), une vie d’espérance et de charité, car « Dieu est Charité et celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 4:16). Cette vie intérieure de l’Église est manifestée par l’unité de profession de Foi, unité de culte, conséquence de l’espérance, spécialement par les sacrements dont le premier et la porte est le baptême, et enfin unité dans l’obéissance hiérarchique, conséquence de la charité. L’unité de l’Église est donc une unité dans la plénitude de la vie du Christ, non dans un minimum commun. Celui qui perd la grâce sanctifiante par le péché mortel, peut encore demeurer vrai membre de l’Église, mais membre mort, et donc ne participant qu’imparfaitement à l’unité de l’Église.
Pour assurer cette unité à son Église, Notre Seigneur Jésus Christ l’a dotée d’une structure hiérarchique par le sacrement de l’Ordre, avec une tête visible, le Pape, et lui a donné les pouvoirs d’enseignement de la Foi et de sanctification par le culte. En enseignant la vraie Foi avec la plénitude de son magistère infaillible, en « confirmant ses frères » dans la Foi, le Pape assure cette unité de Foi, protégeant les âmes contre le mal de l’erreur par les « canons », i.e. ce qui définit la règle de la Foi. L’enseignement de la vérité fait luire la lumière sur la montagne (Mt 5:14), et attire les âmes qui ont soif de vérité, amenant les infidèles et hérétiques à rentrer dans l’unité de l’Église par la conversion, c’est-à-dire par la renonciation à leurs erreurs et la profession de la vraie Foi : combien de convertis pendant le pontificat de Pie XII illustrent l’efficacité de l’enseignement total de la Foi pour ramener les brebis égarées à l’unique bercail du Christ !
L’œcuménisme quant à lui considère cette unité comme trop difficile à obtenir ; les définitions dogmatiques, avec leurs anathèmes nécessairement annexes, sont considérées comme « séparatrices d’Églises » (sic ! DC 1). Il recherche une autre unité vers laquelle il marche, comme si l’Église Catholique ne possédait pas depuis sa fondation par Notre Seigneur Jésus Christ cette unité, que Notre Seigneur lui a donnée et qu’elle ne peut jamais perdre. Les âmes individuellement peuvent déchoir de cette unité en se séparant de l’Église, mais l’Église elle-même ne peut la perdre.
L’œcuménisme veut une unité sans conversion de l’hérétique. C’est là un manque grave à la charité, car comment peut-on amener au salut ces âmes égarées si ce n’est en les ramenant à l’unique bercail du Christ, qui est la sainte Église catholique ? A moins que l’œcuméniste ne croit plus que l’Église catholique soit l’unique Église fondée par Notre Seigneur Jésus Christ, en dehors de laquelle il n’y a pas de salut.
Quelle est cette autre unité que recherche l’œcuménisme ? Elle n’est surtout pas doctrinale ; c’est une « unité dans la diversité » pourvu que « les différences qui demeurent soient réconciliées et ne donnent plus motif à division. » (ADC 3) Cette unité non définie, l’étude des textes montre que c’est une unité dans la « praxis » ; on veut pouvoir arriver à une action commune, « un témoignage commun » (ADC 3), « faire ses preuves dans la vie et l’enseignement des Églises » (DC 43), action qui ne peut être commune qu’au niveau humain « en référence aux préoccupations tant individuelles que sociales de notre temps, » (ADC 3) action pour la paix et la justice sociale, et non au niveau surnaturel pour le vrai salut des âmes. Ainsi le fait même d’une déclaration commune est beaucoup plus important que son contenu pour les œcuménistes.
2. Moyens de l’œcuménisme
Il faut à tout prix « écarter toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir » pour nos frères séparés. On évitera donc tout exposé clair et précis de la Doctrine, surtout tel que la théologie scolastique le fait ; on prétendra revenir à une approche plus biblique pour éviter ces précisions. On divise la vérité révélée en « vérités fondamentales », dénominateur commun, sur lesquelles on prétend être arrivé à un consensus, et « développements qui demeurent différents » (DC 5), mais considérés de peu d’importance, comme si on pouvait nier des points soit-disant secondaires de la Foi (par exemple l’Immaculée Conception) sans perdre totalement la vertu de foi. On évitera surtout toute condamnation : ils seront satisfaits d’être « dans leurs différences, ouverts les uns aux autres » (DC 40). On trouve alors ces chef‑d’œuvre d’ambiguïtés et de silences calculés, qui ne peuvent que tromper les âmes : car y a‑t-il vraiment unité lorsqu’un même texte est entendu d’une manière différente par chaque parti ?
Ces silences sont des manques coupables au devoir de professer la Foi : « Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira, lorsqu’il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges » (Lc 9:26). Notre Seigneur Jésus Christ a donné mission à ses Apôtres d’enseigner la Foi (Mt 28:19), non pas de mettre la lumière sous le boisseau (Mt 5:15). Considérer l’enseignement de la vérité dans sa forme la plus solennelle, à savoir les canons infaillibles d’un Concile dogmatique, comme « séparateur d’Églises » (DC 1) est un scandale pour les fidèles : car comment ceux-ci auront « l’amour de la vérité » s’ils voient leurs pasteurs avoir si peu d’estime pour elle ? Ce manque d’amour de la vérité est un grand danger pour le salut, car saint Paul parle de « ceux qui sont voués à la perdition pour n’avoir pas accueilli l’amour de la vérité qui leur aurait valu d’être sauvés » (2 Th. 2:10).
Les mots ne sont pas appréciés à leur valeur de vérité, mais à leur valeur pratique pour plaire à chaque partie. Ainsi pour plaire à tous, on écrit que cette déclaration « ne désavoue pas le passé de chacune de nos traditions ecclésiales », mais elle est porteuse de « nouvelles appréciations et d’évolutions » (DC 7) qui permettent de réexaminer les condamnations passées ; on retrouve là le style de la déclaration Dignitatis Humanæ du Concile Vatican II, disant qu’ « elle laisse intacte la doctrine catholique traditionnelle » (DH 1) tout en s’y opposant formellement !
La pratique même du dialogue est plus importante que ce qui est dit. Or qui dit dialogue, dit égalité des parties. Ainsi dans une telle déclaration commune, des représentants de l’Église catholique se mettent sur pied d’égalité avec les sectes hérétiques, « partenaires dotés de droits égaux » (ADC 4), et prétendent même avoir une « foi commune » (DC 15) avec des hérétiques !
Conclusion
Cette déclaration commune sur la justification « sent l’hérésie – sapit haeresim ». Elle est un scandale et pour les catholiques qui y perdent leur amour de la vraie doctrine, et pour les luthériens qui sont endormis dans leurs erreurs. Elle va mener à une pratique commune, augmenter les « inter-communions » sacrilèges. Elle va faire perdre la Foi à beaucoup.
En face de ces péchés contre le premier Commandement, contre la vertu la plus fondamentale, il est de notre devoir de fortifier notre Foi, en l’étudiant mieux, en la professant sans compromis, en la mettant en pratique avec ferveur. Il est aussi de notre devoir de travailler à la conversion des égarés, par la prière, le bon exemple, et le témoignage de la vraie Foi. Il faut reconvertir des peuples entiers : priez le Maître de la moisson pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson ! Confions ces intentions à la très sainte Vierge Marie, Vierge Fidèle, et à saint Joseph, patron de l’Église.
FSSPX – Maison Générale