L’anneau conciliaire, tout un symbole

Toutes sortes d’événements mar­quants peuvent ponc­tuer la vie d’un homme. Mais la pre­mière confron­ta­tion concrète avec le mys­tère de la mort revêt pour cha­cun d’entre nous une dimen­sion par­ti­cu­lière, indélébile. 

Pour ma part,je me sou­viens, il y a juste cin­quante ans, m’être retrou­vé pour la pre­mière fois face à un homme mort. J’avais un peu plus de dix ans. Cet homme était assez jeune, cinquante-​cinq ans, c’était un évêque, car­di­nal de la Sainte Église catho­lique de plus. Un res­pon­sable de mon col­lège, le col­lège Stanislas, m’avait conduit avec deux ou trois cama­rades en ce jeu­di 15 février 1968 rue Barbet de Jouy dans le VIIe arron­dis­se­ment. C’est là que la dépouille mor­telle de Mgr Pierre Veuillot, arche­vêque de Paris, était expo­sée à la prière des fidèles. Il était mort la veille, une leu­cé­mie fou­droyante l’avait emporté.Dans cette immense salle de ; la rési­dence offi­cielle des évêques de Paris,le pré­lat repo­sait, revê­tu de tousses insignes épiscopaux.

Au doigt de sa main droite il por­tait l’anneau d’or du Concile offert par le pape Paul VI à tous ceux qui avaient par­ti­ci­pé. Car Mgr Veuillot fut bien en véri­té un évêque conci­liaire et il reven­di­quait ce titre haut et fort. S’il n’était assis sur le siège de Paris que depuis un an à peine, il avait été aupa­ra­vant pen­dant de très longues années intime col­la­bo­ra­teur du futur pape Paul VI à la Secrétairerie d’État. Sacré évêque en 1959, il par­ti­ci­pe­ra acti­ve­ment à toutes les ses­sions du concile Vatican II en tant qu’évêque coad­ju­teur de Paris au côté du car­di­nal Feltin à qui il suc­cé­da. Son rôle fut tout spé­cial dans le débat sur le thème ; de la col­lé­gia­li­té épis­co­pale qui devien­dra un élé­ment clef de la nou­velle orga­ni­sa­tion de l’Église conci­liaire.

Le terme « Église conci­liaire » employé ici en a peut être fait sur­sau­ter quelques-​uns. Il est de bon ton, en effet, par les temps qui courent de repro­cher aux catho­liques fidèles à la Tradition l’utilisation du terme « Église conci­liaire ». Certains pré­fèrent l’usage du terme plus « soft » d’« Église offi­cielle ». « Oh ! ces dis­tinc­tions sub­tiles par les­quelles on s’efforce de détour­ner la consé­quence pra­tique d’une déno­mi­na­tion », s’exclamait Louis Veuillot, le grand oncle de notre car­di­nal défunt, dans son excellent livre L’illusion libé­rale !

Mais pen­ser ain­si c’est oublier deux choses. La pre­mière est que le terme « Église conci­liaire » n’a pas été inven­té par les tra­di­tio­na­listes. Mgr Pierre Veuillot, avait insis­té dans un entre­tien inter­view don­né au jour­nal Panorama Chrétien en 1966 sur le fait que désor­mais le Concile étant clos, le chré­tien se devait ; d’être un « membre actif d’une Église post-​conciliaire en pleine recherche ! ». Et voi­ci com­ment il défi­nis­sait ce chré­tien post-​conciliaire : « Ce n’est ni l’homme d’un ghet­to, ni le pri­vi­lé­gié d’un salut per­son­nel qui le dis­pen­se­rait de por­ter avec ses frères les res­pon­sa­bi­li­tés d’un monde plus humain à construire ». On connaît aus­si la célèbre remarque faite à Mgr Lefebvre par Mgr Benelli, le très proche et très écou­té col­la­bo­ra­teur du pape Paul VI à la Secrétairerie d’État lui aus­si. Mgr Benelli, dans sa lettre du 25 juin 1976, y décla­rait en effet ;qu’il n’y aurait d’avenir envi­sa­geable pour les sémi­na­ristes d’Écône que « s’ils ;étaient sérieu­se­ment pré­pa­rés à un minis­tère pres­by­té­ral dans la fidé­li­té véri­table à l’Église conciliaire… ».

L’autre élé­ment à rap­pe­ler, c’est com­bien le concile Vatican II est la racine de toute la trans­for­ma­tion dont l’Église a été l’objet depuis le début des années 60. Il ins­pire toute caté­chèse, toute pré­di­ca­tion, il donne les règles de l’organisation hié­rar­chique dans ; l’Église, il est la cause de ; la ; réforme de tous les sacre­ments et spé­cia­le­ment de la réforme œcu­mé­nique de la ; Messe. Et puisque l’Eucharistie est le centre la vie de l’Église, une messe conci­liaire ne ; peut faire croître qu’une Eglise conci­liaire. Aujourd’hui toute la for­ma­tion des futurs prêtres est basée, cen­trée, per­fu­sée par le concile Vatican II. Pour cano­ni­ser les nou­veaux saints on pri­vi­lé­gie la recherche dans la vie de cha­cun d’eux des ver­tus conci­liaires. Il semble même que le simple fait d’avoir été un pape conci­liaire ouvre direc­te­ment la porte à une cano­ni­sa­tion qua­si auto­ma­tique. Le code de droit cano­nique lui-​même qui régit la vie de l’Église a été réfor­mée en 1983 « pour être un moyen effi­cace pour que l’Église puisse pro­gres­ser dans l’esprit de Vatican II » selon l’aveu offi­ciel que fit le pape Jean-​Paul II dans la consti­tu­tion apos­to­lique qui pro­mulgue cette nou­velle légis­la­tion. Tous les ordres reli­gieux et congré­ga­tions reli­gieuses ont ; vu leur règle réfor­mée de fond en comble selon les cri­tères du Concile.

L’Église d’aujourd’hui est bien une Église conci­liaire et le but prin­ci­pal qu’elle recherche c’est l’enracinement des prin­cipes de Vatican II dans la vie de ; tout chré­tien. Pour prendre une com­pa­rai­son bien moderne, on pour­rait dire que le concile Vatican II a été le Tchernobyl de l’Église, que tout dans l’Église a été irra­dié par les erreurs libé­rales du Concile et tout ce qui est depuis offi­ciel dans l’Église ; est deve­nu radio­ac­tif… ! Gare à celui qui s’en approche de trop près. Il serait donc inquié­tant que chez les tra­di­tio­na­listes aujourd’hui appa­raisse une ten­dance à faire oublier ou mécon­naître com­bien le Concile dans son ensemble comme dans son détail est sub­ti­le­ment sub­ver­sif et qu’une déci­sion offi­cielle peut être maté­riel­le­ment bonne tout en res­tant pro­fon­dé­ment radio­ac­tive… Il y a aujourd’hui dans les jar­dins déserts de Tchernobyl des arbres frui­tiers aus­si beaux qu’avant catas­trophe mais.…

Mais reve­nons à l’anneau du Concile. Le pape Paul VI l’offrit à tous les évêques du monde le 6 décembre 1965, avant-​veille de la clô­ture de Vatican II. Beaucoup se mirent à le por­ter à la place de leur anneau épis­co­pal. Le pape lui-​même le por­ta jusqu’à sa mort aban­don­nant le tra­di­tion­nel anneau du pécheur. C’était tout un sym­bole : tout l’épiscopat col­lé­gia­le­ment avec son chef s’unissait pour impo­ser la réforme conci­liaire à des ; fidèles perplexes.

Comme tous ceux qui avaient pris part aux débats conci­liaires, Mgr Lefebvre, lui aus­si avait reçu cet anneau. Après son décès en 1991 à Écône, nous l’avons retrou­vé, enfoui dans ses archives per­son­nelles. L’auteur de J’accuse le Concile, ne l’avait jamais porté !

Abbé Denis Puga, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Le Chardonnet n° 337 d’a­vril 2018 /​La Porte Latine du 8 mai 2018