Au nom de Dieu, je ne peux parler !

Personne n’a le droit de deman­der à un prêtre de tra­hir son Dieu.

« Massa dam­na­ta » (une masse dam­née), voi­là ce qu’était, selon saint Augustin, l’humanité après le péché ori­gi­nel et, pen­dant des siècles, le peuple élu vécut avec le sen­ti­ment de cette répro­ba­tion, sou­te­nu néan­moins par l’espérance du Sauveur pro­mis par Dieu. De cette longue et intense attente, ponc­tuée par les annonces des Prophètes, nous trou­vons un écho dans les belles paroles d’Isaïe que nous chan­tons en ces dimanches de l’Avent :

« Cieux, répan­dez d’en haut votre rosée, et que les nuées fassent pleu­voir le Juste : que la terre s’ouvre et quelle enfante le Sauveur. » [1]

Quand vint la plé­ni­tude des temps, Dieu envoya sur terre son propre Fils, Jésus-​Christ, un Messie souf­frant qui a offert son sang, répan­du sur la croix, pour la rédemp­tion de tous les hommes. Notre-​Seigneur confia à son Église les sacre­ments, pour qu’elle pût appli­quer aux âmes les mérites de sa Passion, c’est-à-dire les puri­fier du péché ori­gi­nel et de leurs fautes per­son­nelles et entre­te­nir ou res­tau­rer en elles la vie de la grâce. En par­ti­cu­lier, le chré­tien qui, age­nouillé au confes­sion­nal, avoue d’un cœur contrit ses péchés à un prêtre et reçoit l’absolution, retrouve la grâce et peut s’acheminer allè­gre­ment vers le Ciel. A ce sacre­ment tout par­ti­cu­liè­re­ment s’appliquent les paroles de Notre-​Seigneur : « Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. » [2]

Confessionnal – Eglise Saint-Nicolas-du-Chardonnet 

Voici pour­quoi le démon a tou­jours fait son pos­sible pour détruire la confes­sion et en éloi­gner les âmes. Dès les débuts du chris­tia­nisme, il a sus­ci­té des héré­sies, comme celles des mon­ta­nistes et des nova­tiens qui croyaient cer­tains péchés impar­don­nables. Plus tard les pro­tes­tants, en affir­mant qu’il leur suf­fi­sait d’avoir foi en Jésus-​Christ pour qu’il cou­vrît leurs tur­pi­tudes du man­teau pudique de ses mérites, nièrent l’existence même du sacrement.

Dans l’âme de chaque catho­lique Satan souffle alter­na­ti­ve­ment le chaud et le froid : au moment de la ten­ta­tion, il pousse au mal en pré­ten­dant qu’il sera facile de se confes­ser ensuite ; une fois le péché com­mis, il attise le res­pect humain et la peur de la confession.

A notre époque de déchris­tia­ni­sa­tion, il n’a aucun mal à recru­ter des sup­pôts, scé­lé­rats mani­pu­la­teurs ou igno­rants dont les inten­tions pour­raient paver l’enfer. Ainsi, pour lut­ter contre cer­tains crimes, des États laïques veulent sup­pri­mer le secret de confes­sion qui inter­dit à tout prêtre, sous peine d’excommunication, de révé­ler les fautes qui lui ont été avouées au saint tri­bu­nal. En Italie, en février 2017, la Cour de Cassation a déci­dé que les reli­gieux appe­lés à témoi­gner dans un pro­cès pour abus sexuels et qui se refu­se­raient à le faire en invo­quant le sceau sacra­men­tel, pour­raient être pour­sui­vis pour « faux témoi­gnage [3]». En Australie, le Territoire de Canberra a adop­té une loi obli­geant les prêtres à bri­ser le secret de confes­sion lorsqu’il s’agit d’abus sexuels com­mis sur des enfants [4].

Ce n’est pas la pre­mière fois dans l’histoire de l’Église que des déten­teurs du pou­voir poli­tique tentent d’exiger la vio­la­tion du secret de confes­sion. En Italie, dans la ville où je suis né, on vénère le Bienheureux père Lombardi, mis à mort au XVe siècle — tel un nou­veau saint Jean Népomucène — par Pandolfo Malatesla, sei­gneur de Rimini, parce qu’il refu­sait de révé­ler ce que la femme du poten­tat avait accu­sé en confession.

Au Mexique, en 1927, le géné­ral Eulogio Ortiz, exas­pé­ré par le refus du père Mateo Correa Magallanes de lui rap­por­ter ce qu’avaient confes­sé les cris­te­ros empri­son­nés et condam­nés à mort, le tua d’une balle de son pis­to­let d’ordonnance.

Personne n’a le droit de deman­der à un prêtre de tra­hir son Dieu.

Moins connu, le père Pedro Marie Luz Garcés, reli­gieux camil­lien péru­vien, était, pen­dant la guerre d’indépendance du Pérou, aumô­nier des armées du vice-​roi d’Espagne, com­man­dées par le bri­ga­dier José Ramon Rodil y Campillo et assié­gées dans la for­te­resse de Callao. En sep­tembre 1825, une conspi­ra­tion fut décou­verte et treize offi­ciers sus­pects arrê­tés. Le géné­ral Rodil ordon­na de les fusiller et envoya le père Marie Luz entendre leurs confes­sions. Il convo­qua ensuite l’aumônier et lui deman­da de lui révé­ler ce qu’il avait enten­du en confes­sion au sujet du com­plot. Le Père Marie Luz refu­sa fer­me­ment, invo­quant le sceau sacra­men­tel. Le com­man­dant de la place l’accusa de tra­hir son roi, sa patrie et son général.

— Je suis fidèle au roi, au dra­peau et à mes supé­rieurs, répon­dit le prêtre, mais per­sonne n’a le droit de me deman­der de tra­hir mon Dieu. Sur ce point, je ne peux vous obéir.

Rodil fit age­nouiller le reli­gieux devant un pelo­ton de quatre sol­dats, prêts à tirer et hurla :

— Au nom du Roi, je te le demande pour la der­nière fois : parle !

— Au nom de Dieu, je ne peux par­ler, répon­dit tran­quille­ment le père avant de tom­ber, frap­pé à mort, mar­tyr du secret de confession.

Le géné­ral, quant à lui, fit une belle car­rière poli­tique et devint… Grand-​Maître de la Franc-​Maçonnerie [5].

Méditons sur ces évé­ne­ments, adve­nus en d’autres époques mais qui nous rap­pellent que, comme le disait le père Marie Luz, per­sonne n’a le droit de deman­der à un prêtre de tra­hir son Dieu. Alors que le ministre fran­çais de l’intérieur déclare qu’« il n’y a aucune loi au-​dessus de celles de la République [6]», il est plus que jamais oppor­tun de rap­pe­ler que, certes, toute auto­ri­té vient de Dieu — saint Paul nous le dit —, mais elle doit s’exercer confor­mé­ment au but pour lequel elle a été don­née, c’est-à-dire pour le bien com­mun, dans le res­pect des lois natu­relle et divine. Une pré­ten­due loi humaine qui s’oppose à la loi de Dieu n’a en réa­li­té aucune force de loi et ne peut requé­rir aucune obéissance.

Source : Le Chardonnet n° 372

Notes de bas de page
  1. Isaïe, 45, 8[]
  2. Jn 12, 31[]
  3. Sentence n° 6912 du 14/​02/​2017[]
  4. 07/​07/​2019[]
  5. Corrispondenza Romana, 31/​12/​2018[]
  6. Le Monde, 13/​10/​2021[]