Sur le site du journal La Croix, Jean-Eudes Fresneau, prêtre du diocèse de Vannes, conteste l’affirmation du St-Siège selon laquelle « le secret inviolable de la Confession provient directement du droit divin révélé » [1].
Il affirme au contraire que l’Église a le droit de modifier sa discipline sur le sujet. Ce secret n’est en effet pas déclaré par l’Église comme faisant partie des quatre éléments nécessaires, indispensables et structurant du sacrement (contrition, confession, satisfaction et absolution).
Et l’auteur de l’article de conclure : « Il n’est absolument plus possible pour l’Église de se faire objectivement la complice des crimes en les cachant sous une fausse miséricorde. »
Il nous faut donc nous interroger : l’obligation qu’a le confesseur de garder le secret le plus strict sur les péchés entendus en confession, relève-t-elle seulement d’une loi ecclésiastique, ou bien a‑t-elle Dieu pour auteur ? Dans le premier cas, le pape pourrait la modifier. Dans le second, le pape n’aurait pas de pouvoir sur elle car, comme le dit saint Thomas : « Le pape n’a pas le pouvoir de dispenser de la loi divine » [2].
Rappelons que le droit divin est double. Le premier est le droit naturel, il se fonde sur la nature des choses. Le second est positif, ou révélé, et se fonde sur la Révélation, soit dans l’ancien, soit dans le nouveau Testament.
Le secret de confession est une obligation de droit divin naturel, puisque le droit naturel interdit de révéler des informations intimes et honteuses concernant le prochain. Ce serait détruire sa réputation. C’est ce qu’on appelle un secret naturel. C’est aussi une obligation de droit divin naturel en vertu d’un contrat implicite entre le pénitent et le confesseur appelé secret commis. Tacitement, le pécheur avoue ses péchés au prêtre à condition que celui-ci s’engage à ne jamais les révéler. Si le prêtre trahit son pénitent, il manque à sa parole. Il faut donc conclure que l’interdiction de trahir le pénitent relève, à deux titres, du droit divin naturel. Cependant, le secret naturel comme le secret commis admettent des exceptions, dans des situations extrêmes. C’est en effet un droit, et même un devoir, de révéler un secret, lorsque la vie d’autrui ou le bien commun sont en jeu. Voilà pourquoi notre réflexion doit aller plus loin pour savoir si, en plus des obligations qui relèvent du droit divin naturel, l’obligation du secret de confession relève aussi du droit divin positif.
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de se souvenir de l’institution du sacrement de pénitence par Notre-Seigneur Jésus Christ. Le soir du dimanche de Pâques, comme le rapporte l’évangéliste saint Jean au chapitre vingtième de son évangile, le Christ apparut à ses apôtres et leur dit : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez ; les péchés seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez ». Ce passage montre que le pouvoir d’enlever les péchés doit s’exercer par mode de jugement. En effet, le Christ parle de remettre ou de retenir les péchés. Retenir, ou saisir, ou tenir, d’après le verbe original grec, dit bien plus que « ne pas remettre ». Ce n’est pas une simple omission. C’est un acte qui consiste à maintenir le lien du péché et à empêcher la rémission. Or la décision de remettre ou de retenir ne doit pas être prise de façon arbitraire. Elle nécessite donc de la part des apôtres un vrai jugement. Le Christ a donc institué le sacrement de pénitence par mode de jugement.
Mais comment un juge peut-il juger s’il ne connaît pas la cause ? Il est donc requis, de par la volonté du Christ, que le pénitent accuse ses péchés au confesseur, afin d’être jugé. C’est pourquoi l’Église enseigne que l’obligation de confesser chacun de ses péchés mortels relève du droit divin. Le concile de Trente affirme : « L’Église a toujours compris que l’entière confession des péchés avait été instituée par le Seigneur, et qu’elle était de droit divin nécessaire pour tous ceux qui sont tombés après le baptême » [3].
Poursuivons le raisonnement. Si le Christ exige de ses enfants qu’ils accusent au prêtre tous leurs péchés, même les plus secrets et les plus honteux, peut-il en même temps permettre au confesseur de les dévoiler ? Ne serait-ce pas, de la part du divin fondateur de l’Église, imposer aux âmes une contrainte excessive et insurmontable ? Qui veut la fin veut les moyens. Si le Christ veut que les fidèles se confessent, il veut aussi nécessairement, bien qu’implicitement, tous les moyens nécessaires pour que cette confession soit humainement possible. Or, si le confesseur n’est pas tenu au secret le plus strict, presque personne ne voudra se confesser. En instituant le sacrement de pénitence par mode de jugement, le Christ a donc en même temps interdit implicitement au confesseur de dévoiler les péchés entendus. Il est clair que cette interdiction est absolue et n’admet aucune exception. En effet, quel pécheur accepterait de se confesser s’il pensait que la loi du secret admettait des exceptions ? Souvenons-nous de plus que le sacrement de pénitence a été institué d’abord et principalement pour effacer les péchés mortels [4], donc les péchés les plus honteux et parfois les plus sévèrement punis par la loi civile. Si le confesseur, dans les cas les plus graves, était autorisé à trahir le pénitent, se confesser deviendrait inhumain.
Le synode de Soisson, en l’an 1524, conclut : « C’est par le même droit divin qu’est interdite la révélation de la confession et qu’est prescrite la confession » [5].
Le docteur angélique donne un deuxième argument démontrant que le secret relève du droit divin positif. Le fait de cacher les péchés est de l’essence du sacrement de pénitence. Tout sacrement est en effet un signe qui réalise ce qu’il signifie. Or la pénitence signifie que les péchés sont détruits, effacés. Il relève donc de la nécessité de ce sacrement que les péchés demeurent cachés et qu’ils ne soient pas révélés par le confesseur [6]. C’est donc l’auteur de ce sacrement qui est aussi l’auteur de la loi du secret.
Néanmoins, il ne faudrait pas conclure de ce dernier argument que le secret entre dans l’essence du sacrement, en sorte que sa violation invaliderait l’absolution. Rappelons que, pour la validité du sacrement de pénitence, il faut, du côté du pénitent, contrition, confession et satisfaction ; et du côté du ministre, il faut qu’il prononce les paroles de la forme. Par conséquent, si le confesseur viole le secret, il commet un sacrilège extrêmement grave, mais la confession n’en devient pas invalide pour autant. Le Père Fresneau, dans l’argument mentionné au début, confond obligation de droit divin révélé et obligation ad validitatem. Nous affirmons la première et nions la seconde.
L’obligation du secret de confession relève donc, bien que virtuellement, du droit divin positif puisqu’elle résulte de l’institution divine et du précepte de confesser ses péchés même occultes. C’est en vertu de la volonté de Jésus-Christ lui-même que le confesseur doit garder le secret sur les péchés entendus dans le confessionnal. Et c’est toujours en vertu de cette même volonté divine que ce secret n’admet pas d’exception. Le Souverain Pontife lui-même, dit saint Thomas, n’a pas le pouvoir de délier un confesseur de la loi du secret [7]. L’histoire de l’obligation du secret peut, elle aussi, nous éclairer sur le fondement de son origine. Si cette discipline est apparue tardivement dans l’Église, elle est nécessairement de droit ecclésiastique. Si en revanche elle existe dès le début, on peut difficilement nier son origine divine. Or, en l’an 459, à Rome, le pape saint Léon le Grand adresse aux Églises de Campanie, du Samnium et du Picenum une lettre, demeurée classique, au sujet de la confession secrète. Il y reprend deux évêques, qui avaient cru bon de publier les péchés de certains fidèles qui s’étaient confessés à eux. Le pape leur écrit : « J’ordonne qu’on doit absolument faire disparaître cette audace contraire à la règle apostolique (apostolicam regulam), qui est commise par certains, je l’ai appris récemment, par une usurpation illicite » [8]. L’expression apostolicam regulam utilisée par le pape mérite notre attention. Elle montre que la loi du secret de confession existait déjà du temps des apôtres.
Pour mieux souligner l’origine divine de cette loi, le docteur angélique envisage une situation tragique. Imaginons qu’un prêtre soit contraint par son supérieur ecclésiastique, sous peine d’excommunication latæ sententiæ, de révéler un péché entendu en confession. Que faire ? Saint Thomas répond que le prêtre est tenu de refuser, et qu’il n’encourrait aucune excommunication, parce qu’aucune autorité humaine ne peut le contraindre à agir contre le droit divin [9].
C’est pourquoi le secret de confession constitue une exception et un cas unique parmi les secrets. Il est le seul qui ne puisse jamais être révélé, même dans les circonstances les plus graves [10].
Le 5 octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), présidée par Jean-Marc Sauvé, rendait public le rapport qui lui avait été commandé par la Conférence des évêques de France (CEF) et par la Conférence des religieux et religieuses de France (COREFF). Voici la 8e recommandation de ce rapport : « Relayer, de la part des autorités de l’Église, un message clair indiquant aux confesseurs et aux fidèles que le secret de la confession ne peut déroger à l’obligation, prévue par le code pénal et conforme, selon la commission, à l’obligation de droit divin naturel de protection de la vie et de la dignité de la personne, de signaler aux autorités judiciaires et administratives les cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable ». Cette préconisation révèle, chez les auteurs de ce rapport, une méconnaissance profonde de la théologie sacramentaire et de la nature du sacrement de pénitence.
Faut-il rappeler que la loi divine est au-dessus de toutes les lois humaines ? Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France, ne s’est donc pas trompé quand il a dit, au micro de France-info, le 12 octobre 2021 : « Le secret de la confession est au-dessus des lois de la République ».
Ceux qui prétendent que l’Église se fait complice de crimes abominables par ce secret de confession font preuve d’un manque de psychologie élémentaire. Quel criminel acceptera de se confesser s’il sait que le confesseur a le droit, et même le devoir, d’aller ensuite le dénoncer à la Justice ? Admettre des exceptions au secret de confession, c’est fermer aux criminels l’accès à la miséricorde divine. C’est donc les pousser au désespoir et à la récidive.
Le Père Jean-Eudes Fresneau écrit dans un tweet : « Le secret n’est qu’un moyen pour servir la vie, si je dois sauver la vie d’un enfant en brisant le secret de la confession, je le fais. C’est une évidence humaine et chrétienne ». Cette affirmation, bien que séduisante à première lecture, conduit fatalement à détourner les âmes du confessionnal. Ce prêtre, en brisant le secret, croira sauver un enfant. En réalité, outre sa grave désobéissance à la loi divine, il scandalisera les fidèles et rendra le sacrement de pénitence odieux. A long terme, il privera les âmes d’une source de grâces inestimable, et contribuera ainsi à la baisse du niveau de moralité. C’est un bon moyen pour voir le nombre de criminels se multiplier. Pour le bien des victimes, actuelles ou potentielles, il est nécessaire de donner aux agresseurs un accès au repentir et à la conversion.
Par conséquent, même si la pression des autorités civiles peut faire hésiter ou chanceler certains intellectuels, les autorités de l’Église, aussi élevées soient-elles, n’ont pas le pouvoir d’adoucir cette sainte et salutaire loi divine du secret.
Source : Courrier de Rome n° 648
- Note de la Pénitencerie apostolique du 29 juin 2019.[↩]
- Quodlibet 4, art. 13.[↩]
- 14e session, Dz 1679.[↩]
- Somme théologique, IIIa pars q. 84 art. 2 ad 3.[↩]
- Cité dans le DTC, art. confession, col. 960[↩]
- Somme théologique, Suppl. q. 11 art. 1.[↩]
- IV Sent. dist. 21 q. 3 art. 2.[↩]
- Lettre « Magna indignatione » du 6 mars 459, Dz 323.[↩]
- IV Sent. dist. 21 q. 3 art.[↩]
- Somme théologique, IIa IIae q. 70 art. 1 ad 2.[↩]