« En présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l’Église et du Saint-Siège, et contre la personne sacrée du Vicaire de Jésus-Christ ; Nous nous humilions devant Dieu, et, réunissant dans notre amour l’Église et notre Patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés. Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus- Christ le pardon de nos fautes, ainsi que les secours extraordinaires qui peuvent seuls délivrer le Souverain Pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France, nous promettons de contribuer à l’érection à Paris d’un sanctuaire dédié au Sacré- Cœur de Jésus. »
Comme le peuple juif de l’Ancien Testament qui, après ses infidélités et les châtiments qui y étaient liés, revenait à Dieu, ainsi la France a appris dans son histoire que lorsqu’elle abandonnait son Dieu, le châtiment était l’outil utilisé par Dieu pour provoquer son relèvement.
Le 24 juillet 1873, après des débats houleux, l’Assemblée nationale proclame d’utilité publique la construction d’une église dédiée au Sacré Cœur de Jésus sur la butte Montmartre, en réparation pour toutes les fautes nationales. Le texte est voté par 382 voix contre 138 et 160 abstentions.
« Article premier. – Est déclarée d’utilité publique la construction d’une église sur la colline de Montmartre, conformément à la demande qui en a été faite par l’archevêque de Paris dans sa lettre du 5 mars 1873 adressée au ministre des Cultes. Cette église, qui sera construite exclusivement avec des fonds provenant de souscriptions, sera à perpétuité affectée à l’exercice public du culte catholique. […] » Texte de loi voté le 24 juillet 1873 et paru le 31 au Journal Officiel.
Durant les dix années précédentes, les malheurs se sont succédé dans l’Église et la patrie. Les États Pontificaux ont été spoliés avec l’approbation tacite de la France et en 1870, le Pape se déclare prisonnier à Rome après la chute de sa capitale. Les troupes qui ont défendu les territoires de l’Église sont désarmées et renvoyées dans leur pays d’origine. Parmi elles, une majorité de Français, Vendéens ou Bretons. Ils reviennent en France entrée en guerre contre la Prusse pour s’enrôler dans l’armée française. La République française ne renâcle pas à incorporer ces hommes aguerris et accepte même que ce corps garde son organisation, à condition cependant qu’il change de nom : les Volontaires de l’Ouest sont nés.
Ils s’illustreront en particulier sous les ordres du général de Sonis à la bataille de Loigny où ce corps sera anéanti aux deux tiers. C’est à cette occasion que la dévotion française pour le Sacré Cœur se manifestera. Les Visitandines de Paray-le-Monial (celles de Sainte Marguerite-Marie) avaient brodé une bannière du Sacré-Cœur, destinée à être arborée sur les remparts de Paris pour protéger la capitale contre l’ennemi. Cependant, cette bannière ne pourra parvenir à Paris, mais sera confiée au chef des Volontaires de l’Ouest, le Lieutenant-Colonel de Charette via le « saint homme de Tours » Léon Dupont. Charette fit part de l’histoire de cette bannière à son supérieur, le Général de Sonis qui décida d’arborer cette bannière au cours de la bataille du lendemain, à Loigny. C’est ainsi que le 2 décembre 1870, cette bannière du Sacré Cœur se retrouvera tachée du sang de ceux qui, après avoir combattu pour l’Église, combattaient pour leur patrie.
Cette dévotion pour le Sacré Cœur que la France manifeste dans la personne de ses soldats est exprimée dans le même temps par deux personnes influentes à Paris qui veulent que la France soit consacrée au Sacré-Cœur de Jésus. Il s’agit de Hubert Rohault de Fleury et d’Alexandre Legentil qui rédigent le vœu cité au début de cet article.
Cette idée de construction d’un sanctuaire fait son chemin et le vœu appelé Vœu National s’affine au fur et à mesure des soutiens dont celui de Pie IX le 26 février 1871.
Le 14 avril 1872, Mgr Guibert organise et préside une cérémonie de lancement du Vœu national à Notre-Dame de Paris. Le Père Jacques Monsabré, prédicateur à la cathédrale, encourage les Français à répondre à son appel. Son discours est un long commentaire de l’inscription qui doit figurer au frontispice de la basilique : Christo ejusque Sacratissimo Cordi, Gallia poenitens et devota, « Au Christ et à son Sacré Cœur, la France pénitente et consacrée ».
« Nous avons péché et, comme c’est l’amour du Christ que nous avons méconnu et outragé, c’est à l’amour du Christ, c’est à son Sacré-Cœur, symbole naturel de son amour, que nous devons élever le monument de son expiation. […] Le Christ aime les Francs ! Et c’est à eux, Messieurs, qu’il a montré son Cœur ; c’est à eux qu’il a promis le triomphe de son amour ; la dévotion au Sacré Cœur fut une dévotion française avant d’être une dévotion catholique. Est-il donc étonnant qu’elle se montre avec éclat à l’heure de nos grandes infortunes et que nous fassions au Christ, qui nous a tant aimés, amende honorable pour nos ingratitudes ?
Non seulement la France doit s’humilier et se prosterner devant l’amour qu’elle a méconnu, elle doit encore se vouer à l’amour et obtenir de Dieu qu’il délivre les âmes que possède le démon de la haine et qui méditent contre la société des œuvres de haine. […] Mais en faisant des vœux pour la France, nous ne devons pas oublier l’Église, qui souffre en même temps que sa fille aînée. L’Église, humiliée et captive dans la personne de son chef, attend un sauveur. Partout il y a des enfants qui le plaignent ; aucun pouvoir ne peut ou ne veut lui tendre la main. Si nous pouvions agir, Messieurs, nous agirions, je n’en doute pas ; mais, sans force pour nous-mêmes, nous ne pouvons que joindre dans nos vœux la cause de l’Église à celle de la France. Tout va bien cependant, parce que le Christ, ami des Francs et qui reçoit nos humbles supplications, est aussi l’Époux de l’Église. […] La France, votre fille pécheresse, ne pouvant plus prêter à sa mère l’aide de son bras, lance vers votre Cœur adorable les flèches de son amour repentant et de ses humbles prières. La France fait un appel solennel à l’honneur de votre nom et à l’amour de votre Cœur ! […]
Pour obtenir une si grande grâce, vous comprenez, Messieurs, qu’il faut que votre vœu soit vraiment national. Non pas que nous puissions espérer l’unanimité, ni même la majorité ; mais que tous les vrais catholiques, au moins, prennent part à cette solennelle manifestation dans toute l’étendue du territoire français. Dieu se contentera de leurs suffrages, car ce sont les vœux des justes qu’il agrée pour apaiser sa justice : Vota justorum placabilia. [.] Notre vœu national commencé par la prière doit recevoir sa dernière expression dans un monument. Ce monument répond à un besoin, à une sainte ambition, à un noble sentiment. Dispersés à tous les points de la France, nous voulons un signe matériel de notre union dans le même repentir, le même espoir, la même reconnaissance. Le sanctuaire du Sacré-Cœur, édifié au sein même de notre capitale, sera ce signe. La prière est un acte qui passe, nous voulons en assurer autant que possible la perpétuité ; or, le monument parle pendant que le cœur et les lèvres se taisent : l’église du Sacré-Cœur fera prier ses pierres tout imprégnées de nos larmes et de nos sacrifices, toutes chargées d’inscriptions et de symboles qui rappelleront aux futures générations combien fut grand notre malheur, profond notre repentir, aimable le Cœur de Jésus qui nous a pardonnés et relevés de notre abjection. Enfin toute victoire illustre veut un monument qui témoigne à travers les âges de la reconnaissance des peuples qu’elle a délivrés. Or, ces trois victoires seront inscrites sur le temple du Sacré ‑Cœur : victoire de l’amour pénitent sur nos péchés ; victoire de l’amour fraternel sur la haine sociale ; victoire de l’amour divin sur la justice divine. » Extraits du discours du Père Monsabré à Notre-Dame de Paris.
Nous l’avons dit, ce projet obtiendra l’accord de l’Assemblée nationale et cette basilique de 83 mètres de haut sera inaugurée en 1891. Ainsi, à travers sa capitale, le Sacré-Cœur veille sur la France qui lui appartient à un titre particulier.
Ces phrases du père Monsabré doivent résonner à nos oreilles car leur actualité est frappante malgré les 130 ans qui nous en séparent. « Non seulement la France doit s’humilier et se prosterner devant l’amour qu’elle a méconnu, elle doit encore se vouer à l’amour et obtenir de Dieu qu’il délivre les âmes que possède le démon de la haine et qui méditent contre la société des œuvres de haine. [.] Mais en faisant des vœux pour la France, nous ne devons pas oublier l’Église, qui souffre en même temps que sa fille aînée. »
Cette dévotion et cette consécration au Sacré Cœur a été l’occasion du renouveau de l’Église en France, et ce malgré les tempêtes qui vont se déchaîner contre elle avec la séparation de l’Église et de l’État quelques années plus tard. Cette dévotion aura les mêmes effets sur les individus, les familles et les sociétés si elle est de nouveau pratiquée avec ferveur car le Cœur de Notre Seigneur ne peut rester insensible à la détresse de ses fidèles qui le prient avec confiance. Cœur Sacré de Jésus, nous avons confiance en Vous !
Source : Le Seignadou, juin 2024
Crédit photo : Pascal Deloche/Godong