Cent ans déjà

Le 29 décembre 1921 avaient lieu les obsèques d’un car­di­nal qui aura lais­sé une trace non négli­geable dans l’é­pis­co­pat fran­çais : Anatole de Cabrières.

C’était le 29 décembre 1921. Ce jour-​là ont lieu des obsèques hors du com­mun, qui ont presque l’aspect d’un triomphe. 10 000 per­sonnes sont comp­ta­bi­li­sées en gare de Montpellier, pour venir assis­ter aux funé­railles d’un car­di­nal qui aura lais­sé une trace non négli­geable dans l’épiscopat fran­çais : Anatole de Cabrières.

Issu d’une vieille souche gar­doise res­tée fidèle à la foi catho­lique mal­gré l’omniprésence pro­tes­tante en cette région, François Marie Anatole de Rovérié de Cabrières naît à Beaucaire le 30 août 1830. D’origine lan­gue­do­cienne par son père, dau­phi­noise par sa mère, Anatole est éle­vé au col­lège de l’Assomption, à Nîmes, où il est for­mé par le célèbre Père Emmanuel d’Alzon. Devenu prêtre, après diverses charges dans le dio­cèse de Nîmes, il est nom­mé évêque et sacré en 1874. Ses opi­nions sont bien connues : c’est un « Blanc du Midi ». Autrement dit, un catho­lique dont la tra­di­tion fami­liale s’enracine à la fois dans une lutte ferme contre le pro­tes­tan­tisme (en 1622, les pro­tes­tants pillent la mai­son puis mettent à sac le châ­teau des Cabrières) et dans la fidé­li­té à la monar­chie. Les ascen­dants directs de Mgr de Cabrières se sont illus­trés tant dans le ser­vice de la royau­té que pen­dant la Révolution tous les hommes de la famille sont sous les ver­rous. Anatole est donc ber­cé très jeune par des sou­ve­nirs de famille char­gés de sens, et le P. Emmanuel d’Alzon, ancré lui aus­si dans cette ligne, ne se fera pas faute de pour­suivre la trans­mis­sion de cet héri­tage. Dans une note élo­quente des Renseignements sur les évêques d’octobre 1879, le Préfet le pré­sente comme un homme « jeune, actif, intel­li­gent, ultra­mon­tain, légi­ti­miste et clé­ri­cal ardent ».

Homme enra­ci­né dans sa région, Mgr de Cabrières le montre par sa défense de la langue pro­ven­çale, qu’il parle d’ailleurs cou­ram­ment. Également homme de lettres et d’étude toute sa vie, il reprend l’étude du grec alors qu’il est presque nona­gé­naire, et ne part jamais en voyage sans un volume d’un Père de l’Église ou d’un clas­sique latin. Ardent par­ti­san des confré­ries de Pénitents (lui-​même reçu péni­tent blanc de Montpellier dix ans avant son épis­co­pat), Mgr de Cabrières se dis­tingue en cela de ses pré­dé­ces­seurs et orga­nise même la main­te­nance des confré­ries, ce dont les Blancs et les Bleus de Montpellier lui gar­de­ront une vive gratitude.

Du point de vue de la doc­trine, sa fidé­li­té à la foi, son hos­ti­li­té au moder­nisme et sa défense des prin­cipes ne sont jamais prises en défaut. En 1880, c’est l’expulsion de nom­breuses congré­ga­tions reli­gieuses. A Montpellier, la police se pré­sente devant le couvent des Carmes déchaux. Devant leur refus de sor­tir, la porte est atta­quée à la hache et les reli­gieux sont éva­cués par la force. Indigné, Mgr de Cabrières se rend chez le pré­fet de l’Hérault le 16 octobre 1880 et lui annonce… son excom­mu­ni­ca­tion. Un acte qui aura un reten­tis­se­ment natio­nal et qui accroî­tra de beau­coup la sym­pa­thie des Montpelliérains à son égard, tout comme la haine des anti­clé­ri­caux qui se moquent de lui en l’accusant d’être un « évêque res­sus­ci­té du Moyen-​Âge ». Malgré ce coup d’éclat, il ne fau­drait pas croire que l’évêque de Montpellier fut une tête-​brûlée. Modéré dans ses paroles, même lorsqu’il était ferme, il évi­tait les polé­miques et savait faire preuve de conci­lia­tion, en dépla­çant par exemple les prêtres trop agi­tés poli­ti­que­ment, ce qui le fit pas­ser pour un libé­ral aux yeux de cer­tains. Par ailleurs au moment de la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État en 1905, Mgr de Cabrières fut comp­té par­mi les évêques (peu nom­breux) qui inci­tèrent saint Pie X à refu­ser les asso­cia­tions cultuelles… déci­sion qui fut en effet adop­tée par le pape. Sans sur­prise, il fut donc expul­sé de son évê­ché en 1906 et vit ses sémi­naires confis­qués. Cette fidé­li­té au pape et cette fer­me­té face à la per­sé­cu­tion explique sans doute en par­tie son élé­va­tion à la pourpre car­di­na­lice en 1911.

Parfois sur­pre­nant, il accueille­ra les ouvriers viti­coles révol­tés (plus rouges que blancs) en 1907 en leur ouvrant sa cathé­drale et ses églises pour leur per­mettre d’y pas­ser la nuit, fai­sant pièce à l’ordre de Clémenceau de leur refu­ser tout abri… Immense suc­cès qui dépas­sa de loin le cadre des catho­liques pratiquants.

S’il n’était pas un saint, Mgr de Cabrières n’en fut pas moins un évêque pieux, dont les dévo­tions pré­fé­rées étaient celles du Sacré-​Cœur et du Rosaire. Il aimait à pro­lon­ger son action de grâces après la messe, à genoux et par­fois la tête dans les mains… atti­tude qui est repro­duite sur son monu­ment funé­raire dans la cathé­drale de Montpellier.

Comment le résu­mer ? Peut-​être par ces deux phrases du ministre Alexandre Millerand, ancien socia­liste de pas­sage à Montpellier en 1917 : « Pour les catho­liques, c’est un grand évêque. Pour tous, c’est un grand Français ».

Source : Apostol n° 158