Mgr Darboy, martyr de la Commune

Natif de la Haute-​Marne, de parents issus de la petite bour­geoi­sie, Georges Darboy vient au monde le 16 jan­vier 1813. Il est l’aîné d’une fra­trie de quatre enfants ; ses parents, chré­tiens convain­cus, tiennent une épicerie-mercerie.

Remarqué par le curé de l’école com­mu­nale, il entre au petit sémi­naire en 1827 puis au grand sémi­naire de Langres. L’Église de France est à peine remise (l’a‑t-elle jamais été ?) de la Révolution et les études ecclé­sias­tiques peinent à retrou­ver un niveau conve­nable : les biblio­thèques ont été ven­dues, brû­lées, dis­per­sées, les sémi­naires fer­més pen­dant de longues années, les congré­ga­tions chas­sées, les prêtres per­sé­cu­tés. Le mal intel­lec­tuel est consi­dé­rable. Et ce n’est pas le pre­mier qu’on s’avisera de répa­rer. Le jeune abbé ne fait donc pas son sémi­naire au meilleur moment. Son pro­fes­seur de phi­lo­so­phie est d’ailleurs un dis­ciple de Lamennais. Tout le contraire de son pro­fes­seur de théo­lo­gie, atta­ché aux doc­trines romaines, comme son évêque, Mgr Parisis, grande figure de l’ultramontanisme.

L’abbé Darboy peut donc faire un choix mais, mal­heu­reu­se­ment, il s’oriente d’emblée vers les idées de L’Avenir((La revue de Lamennais.)). Jeune prêtre, il s’enthousiasmera pour le libé­ral Lacordaire, ce que ver­ra d’un mau­vais œil son évêque qui lui inter­di­ra d’aller écou­ter le célèbre prédicateur.Ordonné prêtre le 17 décembre 1836, le jeune prêtre fait ses pre­mières armes dans le minis­tère pas­to­ral d’une grosse paroisse. Il est éga­le­ment aumô­nier d’un asile d’aliénés. Deux ans plus tard, il est nom­mé pro­fes­seur de phi­lo­so­phie au sémi­naire. Il en est fort heu­reux, car « Le minis­tère pas­to­ral aus­si a tant de désa­gré­ments quelque part qu’on l’exerce, que j’ai cru bien faire en accep­tant une place au grand sémi­naire » écrit-​il à un de ses amis. On se demande ce que ce prêtre, si vite las­sé des âmes, a pu trans­mettre comme zèle apos­to­lique à ses séminaristes. 

L’abbé Darboy est un homme d’étude, de bureau, de tem­pé­ra­ment aus­tère et d’une pié­té sévère ; c’est un homme intègre et un bour­reau de tra­vail qui se révé­le­ra un admi­nis­tra­teur avi­sé et efficace. 

Prêtre à Paris

En 1845, l’abbé Darboy quitte son poste de sémi­naire pour Paris. Ses rap­ports avec son évêque deve­naient d’ailleurs dis­ten­dus, celui-​ci trou­vant le jeune abbé libé­ral et trop indé­pen­dant de carac­tère. Et puis, il sou­haite voir ses talents recon­nus à la capi­tale. Il devient rapi­de­ment aumô­nier au lycée Henri IV. « Ainsi me voi­là casé dans Paris » écrit-​il, sou­la­gé, après sa nomination.

Il se met à publier quelques ouvrages de patris­tique, ou d’exégèse biblique, jamais de théo­lo­gie, matière qu’il semble peu goû­ter. Ses posi­tions doc­tri­nales le confirment assez. Polémiste remar­quable, il entre au Correspondant et fré­quente le milieu libé­ral de Paris, côtoie Montalembert, Falloux, Ozanam, l’abbé Maret et l’abbé Bautain pour lequel il a une pro­fonde estime, lequel sera condam­né par Rome. En 1848, lors de la chute de Louis-​Philippe, il est répu­bli­cain : « je crois à la République » confie-​t-​il en juillet 1848, avant de deve­nir deux ans plus tard un indé­fec­tible sou­tien de l’empereur…

En juin 1848, Mgr Affre, arche­vêque de Paris est tué d’une balle per­due (?) sur une bar­ri­cade en cher­chant à s’interposer entre les forces publiques et les mani­fes­tants de la Révolution. Le décès de son évêque, qui avait sa confiance, prive l’abbé Darboy d’un pro­tec­teur, d’un appui, d’un mar­che­pied. Et il le sait. « … j’allais, au mois d’octobre, chan­ger de posi­tion s’il eût vécu encore ».

Mgr Sibour monte alors sur le siège de Paris. C’est un admi­ra­teur de la République, un ami de la liber­té. L’abbé Darboy s’entendra bien avec cet évêque. En effet, Mgr Sibour le nomme en 1852 vicaire géné­ral hono­raire. Il accom­pagne son évêque à Rome, y fait d’utiles ren­contres mais n’apprécie pas du tout la sale­té de la Ville Éternelle et le carac­tère négli­gé des Romains, sur­tout pen­dant les offices. Le grave abbé n’est pas sen­sible aux par­fums de Rome. Décidément, il ne sera pas romain. Il est tout de même flat­té d’être nom­mé pro­no­taire apos­to­lique. « C’est le der­nier pas qui me rap­proche de l’épiscopat, et deux car­di­naux m’ont fait la gra­cieu­se­té de me dire que j’y serai appelé. »

Devenu vicaire géné­ral, il se dévoue avec éner­gie et com­pé­tence à l’administration du dio­cèse de Paris, ville en pleine expan­sion et trans­for­ma­tion. Comme il fai­sait par­tie des prêtres qui col­la­borent avec le pou­voir impé­rial, Rouland, ministre des cultes, le pro­pose comme coad­ju­teur de Paris en 1858. Mais le nonce Chigi s’y oppose, trou­vant le can­di­dat arri­viste. Surtout, il le sait gal­li­can et libéral.

Mgr Darboy est fina­le­ment nom­mé évêque de Nancy. Ce qui vexe ce der­nier… de n’avoir pas été nom­mé à Paris. Durant cette période, le jeune évêque – il a 45 ans – se révèle un pré­lat éner­gique, zélé pour son dio­cèse, aus­si chaud par­ti­san de la poli­tique ita­lienne de la France que dis­cret défen­seur du pou­voir tem­po­rel du Saint-Siège.En 1863, le car­di­nal de Paris, Mgr Morlot, meurt. La place est libre et Rouland entend bien la don­ner à Darboy. Après une nou­velle oppo­si­tion de Chigi, Mgr Darboy monte tou­te­fois sur le siège de Paris. Dont il tra­vaille à réfor­mer l’administration des paroisses avec un sens pra­tique évident.

Il œuvre à la res­tau­ra­tion des études au sein des sémi­naires et n’oublie pas ses paroisses qu’il visite atten­ti­ve­ment comme il l’avait fait à Nancy. Il écrit de nom­breux man­de­ments et tient à lut­ter vigou­reu­se­ment contre l’impiété, l’irréligion et l’ignorance reli­gieuse. Si la popu­la­tion pari­sienne croît net­te­ment, le cler­gé connaît une forte aug­men­ta­tion : 1000 en 1863 ‑1369 en 1870 avec un cler­gé régu­lier cinq fois plus nom­breux que le cler­gé sécu­lier, ce qui n’ira pas sans conflit entre l’archevêque.

Un libéral

Lorsque paraît en 1864 le Syllabus de Pie IX, l’archevêque conseille en sous-​main au ministre des cultes d’en faire inter­dire la publi­ca­tion en France, conseil para­doxal pour un libé­ral, nor­ma­le­ment atta­ché à la sépa­ra­tion des pouvoirs !

La même année, Mgr Darboy devient pre­mier aumô­nier de l’empereur après s’être notam­ment fait remar­quer par un carême où le pré­di­ca­teur n’avait pas hési­té à reprendre la cour de cer­tains défauts. En juin 1864, il par­ti­cipe aux obsèques du maré­chal Magnan, grand maître du Grand Orient. L’année sui­vante, dans un dis­cours au Sénat, l’archevêque défend les articles orga­niques du concor­dat qu’avait impo­sé Napoléon contre le pape ! Pie IX décide d’intervenir et lui écrit une lettre vigou­reuse de reproches.

Pourtant, en 1868, l’État fran­çais fait pres­sion pour que le Saint-​Siège donne le cha­peau de car­di­nal à Darboy. Naturellement, le Saint-​Siège refuse et s’arrange pour que la lettre de Pie IX de 1864 soit diffusée.

Arrive le pre­mier concile du Vatican. L’infaillibilité du pape est à l’ordre du jour, ce qui inquiète Mgr Darboy qui s’efforce de prendre la tête de la mino­ri­té oppo­sée… laquelle rechigne à mar­cher sous sa férule. Lorsqu’il com­prend que la par­tie est per­due, il quitte Rome pour Paris avant le vote final du Concile.

La fin

La guerre de 1870 com­mence le jour de son départ pour Paris. Apprenant la défaite et l’exil de l’empereur, il a toute lati­tude de l’accompagner comme grand aumô­nier ; mais, conscient de ses devoirs, il a le mérite de res­ter avec ses ouailles : « Je suis arche­vêque de Paris avant d’être grand aumô­nier, et si je quitte mon dio­cèse, il ne faut pas que ce soit au jour du dan­ger ». Il apprend la prise de Rome par les armées de Victor-​Emmanuel II et écrit au pape tout son sou­tien et sa « peine » devant cet « atten­tat sacrilège ».

Le 31 mars 1871, on aver­tit l’archevêque que les Communards pré­voient de l’arrêter. On lui pro­pose de s’enfuir. Il refuse. Le 5 avril, il est arrê­té comme otage et conduit avec d’autres prêtres à la pré­fec­ture de Paris, puis à la pri­son de Mazas et enfin le 22 mai, à la pri­son de la Roquette. Une autre occa­sion s’offre de s’échapper. Mgr Darboy de répondre : « C’est inutile, Maximin m’a dit que je serais fusillé ». Trois ans plus tôt en effet, l’archevêque avait ren­con­tré le jeune voyant de La Salette.

– « Votre pré­ten­due Belle Dame, avait dit l’archevêque, il est stu­pide son discours ;

– Monseigneur, répon­dit Maximin avec force, il est aus­si vrai que la Sainte Vierge m’est appa­rue et qu’elle m’a par­lé, qu’il est vrai qu’en 1871 vous serez fusillé par la canaille »((Léon Bloy, Celle qui pleure.)).

L’exécution eut lieu le 24 mai. Ils étaient six, dont l’ab­bé Deguerry, curé de la Madeleine, et l’ab­bé Surat, vicaire géné­ral. Conduit sur le lieu de son mar­tyre, Mgr Darboy s’agenouilla dans une ultime prière tan­dis que l’on pei­nait à regrou­per un peloton.

Avant la décharge, Mgr Darboy eut ces der­niers mots : « Et pour­tant, j’ai aimé la liber­té ». Parole tra­gique qui révèle que les évé­ne­ments poli­tiques ne lui ont pas des­sillé les yeux. Si la Révolution n’épargne pas ses fils, elle épargne encore moins ses sympathisants.

Apprenant sa mort, Pie IX don­ne­ra la conclu­sion de sa vie : « Il a lavé ses fautes dans son sang et il s’est revê­tu de la robe des mar­tyrs »((Cité par Y. Chiron, Pie IX, pape moderne, Clovis, 1995, p. 466.)).

Abbé François-​Marie Chautard

Source : Le Chardonnet n° 366

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.