Un groupe d’étudiants de l’Université de Harvard se réunissait régulièrement au Centre d’accueil Saint-Benoît, à Boston, dont l’aumônier était le R. P. Leonard Feeney S. J. Trois professeurs laïques furent exclus du collège des Pères Jésuites par décision du recteur, parce que professant sur la thèse « Hors de l’Eglise pas de salut » des doctrines erronées. Ceux-ci niaient l’existence du baptême de sang et du baptême de désir. Seul le baptême de l’eau aurait un effet salvateur. Le Père Feeney prit fait et cause pour ces professeurs et il les intégrait dans le corps professoral de son Centre et se rebellait contre son supérieur. L’archevêque de Boston, S. Excellence Mgr Cushing, se vit obligé de condamner le Père Feeney et de lui enlever à partir du 1er janvier 1949 les pouvoirs d’entendre les confessions.
Une lettre du Saint-Office dénonçait l’hérésie du Père Feeney, mais celle-ci ne fut pas rendue publique au moment de sa publication en août 1949.
Des sectateurs du Père Feeney existent encore à l’heure actuelle et continuent de répandre cette doctrine gravement erronée. Ils prétendent que la doctrine affirmée dans la présente lettre du Saint-Office est une nouveauté hérétique. Cela est très certainement faux car les preuves anciennes ne manquent pas en faveur du baptême de désir. Citons Pie IX, dans l’encyclique Quanto Conficiamur [1], le Code de Droit Canonique de 1917, canon 737 §1 [2], une lettre d’Innocent II (XIIe s.) qui cite saint Augustin et saint Ambroise à l’appui [3], une lettre d’Innocent III (XIIIe s.) [4], indirectement un canon du Concile de Trente [5], et la Somme Théologique de saint Thomas d’Aquin (s’appuyant notamment sur saint Ambroise) [6].
Nous donnons ici le texte de cette lettre du Saint-Office du 8 août 1949.
Cette Suprême Sacrée Congrégation a suivi très attentivement le commencement et le cours de la sérieuse controverse, soulevée par certains associés du St. Benedict Center et du Boston College, concernant l’interprétation de la maxime : « Hors de l’Eglise point de salut ».
Après avoir examiné tous les documents nécessaires ou utiles sur ce sujet – entre autres le dossier envoyé par votre chancellerie, les recours et rapports ou les associés du St. Benedict Center exposent leurs opinions et leurs réclamations, et en outre beaucoup d’autres documents se rapportant à cette controverse recueillis par voie officielle, – la Sacrée Congrégation a acquis la certitude que cette malheureuse question a été soulevée parce que le principe « hors de l’Eglise point de salut » n’a pas été bien compris ni examiné et que la controverse s’est envenimée par Suite d’un sérieux manquement à la discipline, provenant du fait que certains membres des associations mentionnées ont refusé respect et obéissance aux autorités légitimes.
En conséquence, les Eminentissimes et Révérendissimes Cardinaux de notre Suprême Congrégation ont décrété en session plénière, le mercredi 27 juillet 1949, et le Souverain Pontife, en l’audience du jeudi suivant 28 juillet 1949, a daigné approuver l’envoi des explications doctrinales, de l’invitation et des exhortations suivantes :
Nous sommes obligés par la foi divine et catholique à croire toutes les choses que contient la Parole de Dieu, Ecriture ou Tradition, et que l’Eglise proposé à la foi comme divinement solennelle, mais encore par son magistère ordinaire et universel [7].
Or, parmi les choses que l’Eglise a toujours prêchées et ne cessera pas d’enseigner, il y a aussi cette déclaration infaillible où il est dit qu’il n’y a pas de salut hors de l’Eglise.
Cependant, ce dogme doit s’entendre dans le sens que lui attribue l’Eglise elle-même. Le Sauveur, en effet, a confié l’explication des choses contenues dans le dépôt de la foi, non pas au jugement privé, mais à l’enseignement de l’autorité ecclésiastique.
Or, en premier lieu, l’Eglise enseigne qu’en cette matière il existe un mandat très strict de Jésus-Christ, car il a chargé explicitement ses apôtres d’enseigner à toutes les nations d’observer toutes les choses qu’il avait lui-même ordonnées [8].
Le moindre de ces commandements n’est pas celui qui nous ordonne de nous incorporer par le Baptême au Corps mystique du Christ qui est l’Eglise, et de rester unis avec lui et avec son Vicaire par qui lui-même gouverne ici-bas son Eglise de façon visible.
C’est pourquoi nul ne se sauvera si, sachant que l’Eglise est d’institution divine par le Christ, il refuse malgré cela de se soumettre à elle ou se sépare de l’obédience du Pontife romain, Vicaire du Christ sur la terre.
Non seulement notre Sauveur a‑t-il ordonné que tous les peuples entrent dans l’Eglise, il a aussi décrété que c’est là un moyen de salut sans lequel nul ne peut entrer dans le royaume éternel de la gloire.
Dans son infinie miséricorde, Dieu a voulu que, puisqu’il s’agissait des moyens de salut ordonnés à la fin ultime de l’homme non par nécessité intrinsèque, mais seulement par institution divine, leurs effets salutaires puissent également être obtenus dans certaines circonstances, lorsque ces moyens sont seulement objets de « désir » ou de « souhait ». Ce point est clairement établi au Concile de Trente aussi bien à propos du sacrement de Baptême qu’à propos de la Pénitence [9].
Il faut en dire autant, à son plan, de l’Eglise en tant que moyen général de salut. C’est pourquoi, pour qu’une personne obtienne son salut éternel, il n’est pas toujours requis qu’elle soit de fait incorporée à l’Eglise à titre de membre, mais il faut lui être uni tout au moins par désir ou souhait.
Cependant, il n’est pas toujours nécessaire que ce souhait soit explicite comme dans le cas des catéchumènes. Lorsque quelqu’un est dans une ignorance invincible, Dieu accepte un désir implicite, ainsi appelé parce qu’il est inclus dans la bonne disposition de l’âme, par laquelle l’on désire conformer sa volonté à celle de Dieu.
Ces choses sont clairement exprimées dans la Lettre dogmatique publiée par le Souverain Pontife Pie XII, le 29 juin 1943, « sur le Corps mystique de Jésus-Christ » [10], Dans cette Lettre, en effet, le Souverain Pontife distingue clairement ceux qui sont actuellement incorporés à l’Eglise comme membres et ceux qui lui sont unis par le désir seulement.
Parlant des membres qui forment ici-bas le Corps mystique, le même auguste Pontife dit : « Seuls font partie des membres de l’Eglise ceux qui ont reçu le Baptême de régénération et professent la vraie foi, qui, d’autre part, ne se sont pas pour leur malheur séparés de l’ensemble du Corps ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime » [11].
Vers la fin de la même Encyclique, invitant à l’unité, avec la plus grande affection, ceux qui n’appartiennent pas au corps de l’Eglise catholique, il mentionne ceux qui « par un certain désir et souhait inconscient, se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur »[12]. Il ne les exclut aucunement du salut éternel, mais il affirme par ailleurs qu’ils se trouvent dans un état « où nul ne peut être sûr de son salut éternel »[13], et même qu” « ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l’Eglise catholique » [14].
Par ces paroles, le Pape condamne aussi bien ceux qui excluent du salut éternel les hommes qui ne sont unis à l’Eglise que par le désir implicite, que ceux qui affirment erronément que tous les hommes peuvent se sauver à titre égal dans toutes les religions [15].
Cependant, il ne faudrait pas croire que n’importe quelle sorte de désir d’entrer dans l’Eglise suffise pour le salut. Le désir par lequel quelqu’un adhère à l’Eglise doit être animé de charité parfaite. Un désir implicite ne peut pas non plus produire son effet si l’on ne possède pas la foi surnaturelle « car celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il rémunère ceux qui le cherchent » [16]. Le Concile de Trente déclare [17] : « La foi est le principe du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification. Sans elle, il est impossible de plaire à Dieu et de compter parmi ses enfants » [18].
Il est évident, d’après ce qui précède, que les idées proposées par le périodique From the Housetops (n. 3) comme l’enseignement authentique de l’Eglise catholique, sont loin de l’être et sont très dangereuses aussi bien pour ceux qui sont dans l’Eglise que pour ceux qui vivent en dehors d’elle.
De cet exposé doctrinal découlent certaines conclusions touchant à la discipline et à la conduite que ne peuvent méconnaître ceux qui défendent avec vigueur la nécessité d’appartenir à la véritable Eglise et de se soumettre à l’autorité du Pontife romain et des évêques « que l’Esprit-Saint a désignés pour gouverner l’Eglise » [19].
C’est pourquoi il est inexplicable que le St. Benedict Center puisse prétendre être un groupe catholique et désirer être considéré comme tel et qu’en même temps il ne se conforme pas aux prescriptions des canons 1381 et 1382 du Code de droit canonique, et continue d’être une cause de discorde et de révolte contre l’autorité ecclésiastique, et de trouble pour beaucoup de consciences.
En outre, il est difficile de comprendre qu’un membre d’un Institut religieux, le P. Feeney, se présente comme « défenseur de la foi » et qu’en même temps il n’hésite pas à attaquer l’enseignement donné par les autorités légitimes et ne craigne même pas d’encourir les graves sanctions dont le menacent les sacrés canons pour les violations graves de ses devoirs de religieux, de prêtre et de simple membre de l’Eglise.
Enfin, il n’est pas prudent de tolérer que certains catholiques revendiquent pour eux-mêmes le droit de publier un périodique, dans l’intention d’y exposer des doctrines théologiques, sans la permission de l’autorité ecclésiastique compétente, que l’on appelle imprimatur et qui est prescrite par les sacrés canons.
Ceux, donc, qui s’exposent au grave danger de s’opposer à l’Eglise, doivent méditer sérieusement qu’une fois que « Rome a parlé », ils ne peuvent passer outre même pour des raisons de bonne foi. Leur lien à l’Eglise et leur devoir d’obéissance sont certainement plus stricts que pour ceux qui adhèrent à elle « seulement par un désir inconscient ». Qu’ils comprennent qu’ils sont les enfants de l’Eglise, affectueusement soutenus par elle avec le lait de la doctrine et les sacrements, et que, après avoir entendu la voix de leur Mère, ils ne peuvent donc pas être excusés d’ignorance coupable. Qu’ils comprennent que le principe suivant s’applique à eux sans restriction : « La soumission à l’Eglise catholique et au Souverain Pontife est nécessaire au salut ».
Ce document était rendu public le 4 septembre 1952.
Le Père Feeney, au lieu de se soumettre, se révolta davantage et commença une campagne de violence contre les autorités religieuses. Le 25 octobre 1952, le Père fut mandé à Rome ; il refusa de s’y rendre ; après un dernier avertissement, il fut excommunié.
Il continue à occuper le Centre Saint-Benoît et a une centaine d’adeptes qui, au milieu de leurs prières, lancent des invectives aux autorités religieuses. Ils se nomment « Esclaves du Cœur Immaculé de Marie ».
Comme le prêtre Léonard Feeney, résidant à Boston (Saint Benedict Center), lequel à cause du grave refus d’obéissance à l’Autorité ecclésiastique avait été déjà suspendu « a divinis », nonobstant les avertissements réitérés et l’instante menace d’excommunication à encourir ipso facto, n’est pas venu à résipiscence, les Eminentissimes et Révérendissimes Pères préposés à la sauvegarde de la foi et des mœurs, dans la séance plénière du mercredi 4 février 1953, l’ont déclaré excommunié avec tous les effets de droit.
Et le jeudi 12 février 1953, Sa Sainteté Pie XII, Pape par la Providence de Dieu, a approuvé, confirmé le décret des Eminentissimes Pères et ordonné qu’il fût rendu public.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Augustin Saint-Maurice, 1949. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXV, 1953, p. 100.
- « Nous le savons et vous le savez, ceux qui ignorent invinciblement notre religion sainte, qui observent avec soin la loi naturelle et ses préceptes, gravés par Dieu dans le cœur de tous, qui sont disposés à obéir au Seigneur, et qui mènent une vie honorable et juste, peuvent avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle »[↩]
- « Le baptême, porte et fondement des autres sacrements, est nécessaire, de fait ou tout au moins de désir [in re vel saltem in voto], au salut de tous »[↩]
- Lettre Apostolicam Sedem à l’évêque de Crémone, Dz n° 741 : « Le presbytre dont tu as dit qu’il a fini ses jours sans l’eau du baptême, nous affirmons sans hésiter que puisqu’il a persévéré dans la foi de la sainte Mère l’Église et dans la profession du nom du Christ, il a été libéré du péché originel et a obtenu la joie de la patrie céleste. Lis en outre le huitième livre De civitate Dei d’Augustin où on lit entre autres : « Le baptême est administré de façon invisible lorsque ce n’est pas le mépris de la religion mais la barrière de la nécessité qui l’exclut ». Ouvre également le livre du bienheureux Ambroise De obitu Valentiani qui affirme la même chose.[↩]
- Lettre Debitum officii pontificalis à l’évêque Bertold de Metz, 28 août 1206, Dz n° 788 : « Tu m’as très sagement fait savoir par ta lettre qu’un juif qui s’est trouvé à l’article de la mort, et parce qu’il vivait parmi des juifs seulement, s’est plongé lui-même dans l’eau en disant : “Je me baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit”. Or tu me demandes si ce juif, qui persévère dans la foi chrétienne, doit être baptisé. Quant à nous, nous répondons ainsi à ta fraternité : étant donné qu’il doit y avoir distinction entre celui qui baptise et celui qui est baptisé, comme le montrent à l’évidence les paroles du Seigneur disant aux apôtres : “Baptisez toutes les nations au nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint” [Mt 28, 19] le juif dont il est question doit être baptisé à nouveau par un autre, pour qu’il apparaisse qu’autre est celui qui est baptisé, autre celui qui baptise… Cependant s’il était décédé aussitôt, il aurait rejoint immédiatement la patrie en raison de sa foi au sacrement, même si ce n’avait pas été en raison du sacrement de la foi.»[↩]
- 7e session, Décret sur les sacrements, canon 4 : « Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle ne sont pas nécessaires au salut, mais superflus, et que, sans eux ou sans le désir de ceux-ci, les hommes obtiennent de Dieu la grâce de la justification, étant admis que tous ne sont pas nécessaires à chacun : qu’il soit anathème. »[↩]
- Voir IIIa, q. 68, a. 2 : « D’autre part, on peut n’être pas baptisé de fait, mais en avoir le désir. C’est le cas de celui qui désire être baptisé, mais qui par accident est surpris par la mort avant d’avoir pu recevoir le baptême. Celui-là, sans avoir reçu de fait le baptême, peut parvenir au salut, à cause du désir du baptême, qui procède de la foi “qui agit par la charité”, et par laquelle Dieu, dont la puissance n’est pas liée aux sacrements visibles, sanctifie intérieurement l’homme. Ainsi S. Ambroise dit-il de Valentinien qui mourut catéchumène : “Celui que je devais régénérer, je l’ai perdu, mais lui n’a pas perdu la grâce qu’il avait demandée.”». Voir aussi III, q. 66, a. 11 : « Pour la même raison, on peut aussi recevoir l’effet du baptême par la vertu du Saint-Esprit, non seulement sans le baptême d’eau, mais même sans le baptême de sang : quand le cœur est mû par le Saint-Esprit à croire en Dieu et à se repentir de son péché.[↩]
- Dz‑B., n. 1792.[↩]
- Matth., XXVIII, 19–20.[↩]
- Dz‑B., n. 797 et 807.[↩]
- A. A. S., XXXV 1943, pp. 193 et s.[↩]
- Cf. Encyclique Mystici Corporis Christi.[↩]
- Cf. Encyclique Mystici Corporis Christi.[↩]
- Ibid.[↩]
- Ibid.[↩]
- Cf. Pape Pie IX, Singulari quadam, Dz‑B. n. 1641 s. ; Pie IX, Quanto conficiamur mœrore, Dz‑B., n. 1677.[↩]
- Hébr., XI, 6.[↩]
- Session VI, ch. VIII.[↩]
- Dz‑B., n. 801.[↩]
- Act., XX, 28.[↩]