Sermon du 8 déc. 1976 Immaculée Conception – Engagements

Mes bien chers frères,

Cette fête de l’Immaculée Conception, dont le dogme a été pro­cla­mé solen­nel­le­ment par le pape Pie IX en 1854, était confir­mé ensuite, par la Sainte Vierge elle-​même, à Bernadette, à Lourdes, en 1858.

Sans doute cette fête de l’Immaculée Conception est beau­coup plus ancienne que sa défi­ni­tion et pré­ci­sé­ment, la défi­ni­tion de ces dogmes, inter­vient tou­jours par les Souverains Pontifes, après que l’Église, dans sa tra­di­tion et sa foi, ait mon­tré d’une manière per­ma­nente, qu’elle croyait à cette Vérité que Notre Seigneur Jésus-​Christ a révé­lée par ses apôtres.

Ainsi la véri­té que nous fêtons aujourd’hui concer­nant l’Immaculée Conception de la très Sainte Vierge Marie est une véri­té conte­nue dans la Révélation, affir­mée par consé­quent par Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-même.

Cette fête nous donne une grande leçon et par­ti­cu­liè­re­ment à vous, mes chers amis, qui dans quelques ins­tants allez pro­non­cer votre enga­ge­ment pour la pre­mière fois, ou le renou­ve­ler, je pense que je dois atti­rer votre atten­tion sur le fait que cet enga­ge­ment vous demande de pra­ti­quer d’une manière toute par­ti­cu­lière et véri­ta­ble­ment avec tout votre cœur, avec toute votre adhé­sion, la sainte Vertu d’obéissance.

Et s’il est une ver­tu qui res­sort de cette fête de l’Immaculée Conception, c’est pré­ci­sé­ment la ver­tu d’obéissance. Pourquoi ? Parce que ce qui nous fait perdre la grâce sanc­ti­fiante, ce qui nous fait perdre l’amitié de Dieu, c’est le péché d’Ève, de la mère de l’humanité.

Par son péché, par sa déso­béis­sance, elle a entraî­né après elle, toutes les âmes qui l’ont sui­vie. Depuis que ce péché de nos pre­miers parents est inter­ve­nu dans l’histoire de l’humanité, tous ceux qui naissent désor­mais, naissent avec le péché ori­gi­nel. Sauf la très Sainte Vierge Marie, excep­tée la très Sainte Vierge Marie.

Ainsi donc Notre Seigneur Jésus-​Christ a vou­lu. Dieu a vou­lu, que dans cette his­toire de l’humanité, qui a été flé­trie en quelque sorte par le péché de la déso­béis­sance de la mère de l’humanité, que ce soit par une créa­ture sem­blable, par notre Mère du Ciel, la très Sainte Vierge Marie, que cette faute soit réparée.

Et si donc, c’est par une déso­béis­sance qu’a com­men­cé le péché dans l’humanité, c’est par l’obéissance de la très Sainte Vierge Marie, que ce péché a été réparé.

Il y a donc là une anti­thèse admi­rable et qui a été vou­lue ou du moins per­mise par le Bon Dieu. Certes le Bon Dieu n’a pas vou­lu le péché, mais il a per­mis cette faute de l’humanité, comme le dit la litur­gie du Samedi saint : felix culpa : heu­reuse faute, d’une cer­taine manière, dans un cer­tain sens qui nous a méri­té tant de grâces ; qui nous a méri­té d’avoir au milieu de nous, le Fils de Dieu et qui nous a méri­té d’avoir la très Sainte Vierge Marie.

Et encore faudrait-​il que nous pro­fi­tions de cette leçon et de la grâce que nous offre la très Sainte Vierge Marie. Leçon d’obéissance, grâce sanc­ti­fiante, elle qui est dite pleine de grâces. Pourquoi est-​elle pleine de grâces ? Parce qu’elle a obéi, parce qu’elle s’est sou­mise à Dieu.

Et c’est cela pré­ci­sé­ment ce que nous devons avoir comme pre­mier désir de nos existences.

La ver­tu d’obéissance est au cœur même de notre sanc­ti­fi­ca­tion. Elle est au cœur de toute notre vie, de notre vie natu­relle, de notre vie sur­na­tu­relle. Il ne peut pas y avoir de véri­table vie natu­relle sans obéis­sance ; il ne peut y avoir de vraie vie sur­na­tu­relle sans l’obéissance.

Qu’est-ce donc que l’obéissance ? En quoi consiste-​t-​elle ? Il me semble que l’on pour­rait la défi­nir comme la ver­tu de Dieu. Virtus Dei omni­po­ten­tis : La ver­tu de Dieu Tout-​Puissant, s’infusant dans nos âmes, dans nos exis­tences, dans notre volon­té, dans notre intel­li­gence, dans notre corps, cette ver­tu du Dieu Tout-Puissant.

Vertu qui est la force du Dieu Tout-​Puissant s’inscrivant dans nos vies, dans notre vie quo­ti­dienne, dans nos exis­tences. Parce que nous ne sommes rien, sans cette ver­tu du Dieu Tout-​Puissant. Et cette ver­tu du Dieu Tout-​Puissant, s’inscrit par les lois, par les com­man­de­ments de Dieu, par les com­man­de­ments de vie. Aime ton Dieu ; aime ton pro­chain. Voilà ce que nous devons faire. Et c’est à cette condi­tion que nous vivrons, que nous vivrons dans l’ordre natu­rel comme dans l’ordre surnaturel.

Nous devons donc, avant tout, avoir le désir de voir cette ver­tu de Dieu, cette ver­tu natu­relle et sur­na­tu­relle de Dieu s’infuser dans nos âmes et nous prendre tout entier ; tout ce que nous sommes. Ne rien faire échap­per à cette toute-​puissance de Dieu en nous ; nous sou­mettre entiè­re­ment à la grâce du Bon Dieu, à sa force, à sa vie. Voilà ce qu’est l’obéissance et voi­là le fruit de l’obéissance. La vie natu­relle, la vie sur­na­tu­relle et par le fait même, la vie de la vision béa­ti­fique, la vie éter­nelle, tout est ins­crit dans cette ver­tu d’obéissance.

Ceci doit être, mes chers amis, pour vous, pen­dant que vous pro­non­ce­rez votre enga­ge­ment, une dis­po­si­tion pro­fonde de vos âmes : Je veux être obéis­sant toute ma vie, obéis­sant à Dieu ; me sou­mettre à ce désir de Dieu, de me voir vivre, de me com­mu­ni­quer sa vie en me com­mu­ni­quant sa Vérité, sa Vérité dans nos intel­li­gences, par la lumière natu­relle de notre rai­son, de notre intel­li­gence, mais nous aus­si et sur­tout par la lumière de la foi. Car ce n’est pas autre chose que la foi. C’est l’obéissance de nos intel­li­gences à la Révélation de Notre Seigneur Jésus-​Christ qui nous donne sa Vérité, qui nous trans­met sa Vérité. Et cette Vérité est une source de vie. Elle sera pour vous une source de vie, une source de grâces. Alors sou­met­tez plei­ne­ment vos intel­li­gences et vos volon­tés à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Demandez-​le par l’intercession de la très Sainte Vierge Marie. Demandez-​lui qu’elle vous donne cette grâce ; qu’elle vous donne cette humi­li­té, de vous sou­mettre entiè­re­ment à la Sainte volon­té de Notre Seigneur. Elle vous en a mon­tré l’exemple par son Fiat, par son humilité.

Quia respexit humi­li­ta­tem meam ; quia respexit humi­li­ta­tem ancil­læ suæ. Nous le chan­tons dans le Magnificat. C’est encore sa cou­sine Élisabeth qui lui dit :

Et bea­ta, quæ cre­di­dis­ti (Lc 1,45) : « Bienheureuse, parce que tu as eu la foi ».

La foi ! Et la foi n’est pas autre chose que l’obéissance de notre intel­li­gence, que la sou­mis­sion de nos intel­li­gences à la Vérité révé­lée par l’autorité de Dieu.

Voilà ce que doit être votre obéis­sance. Et par cette grâce d’obéissance, vous trans­for­me­rez votre vie. Vos vies seront plei­ne­ment conformes à la volon­té de Dieu.

Mais alors, évi­dem­ment, dans les cir­cons­tances dans les­quelles nous vivons, dans la confu­sion dans laquelle l’Église se trouve aujourd’hui, nous pou­vons nous deman­der : Mais où est cette obéis­sance aujourd’hui ? Comment se réa­lise, dans la Sainte Église, l’obéissance aujourd’hui ?

Eh bien, nous ne devons pas oublier, que la pre­mière de nos obéis­sances, notre obéis­sance fon­da­men­tale, notre obéis­sance radi­cale, notre obéis­sance doit être totale à Notre Seigneur Jésus-​Christ, à Dieu. Car c’est Lui qui nous demande notre obéis­sance ; c’est Lui qui nous demande notre sou­mis­sion. Et le Bon Dieu a tout fait, pour que nous soyons éclai­rés dans notre obéissance.

Pendant deux mille ans d’existence de l’Église, la lumière a été don­née, don­née par la Révélation, par les apôtres, par les suc­ces­seurs des apôtres, par Pierre, par les suc­ces­seurs de Pierre. Et s’il est arri­vé d’aventure, que quelque erreur se soit glis­sée ou quelques trans­mis­sions de la Vérité n’aient pas été faites exac­te­ment, l’Église l’a redres­sé. L’Église a eu le soin de nous trans­mettre la Vérité conforme à la Vérité de Dieu.

Et voi­ci que par un mys­tère inson­dable de la Providence, la Providence per­met que notre temps soit peut-​être un temps unique dans l’Histoire de l’Église, que ces véri­tés ne sont plus trans­mises avec la fidé­li­té avec laquelle l’Église les a trans­mises pen­dant deux mille ans, ne recher­chons même pas la cause, d’une cer­taine manière, ne recher­chons pas la res­pon­sa­bi­li­té de ces faits. Mais ces faits sont là devant nous. La Vérité qui était ensei­gnée aux enfants, aux pauvres : Pauperes evan­ge­li­zan­tur (Mt 11,5) : « Les pauvres sont évan­gé­li­sés », disait Notre Seigneur aux envoyés de saint Jean Baptiste.

Eh bien, aujourd’hui, les pauvres ne sont plus évan­gé­li­sés. On ne leur donne plus le pain, le pain que les enfants réclament, le vrai pain : le pain de vie.

On a trans­for­mé nos Sacrifices, nos sacre­ments, nos caté­chismes et alors nous sommes stu­pé­fait ; nous sommes dou­lou­reu­se­ment sur­pris. Que faire devant cette réa­li­té angois­sante, déchi­rante, écra­sante ? Garder la foi. Obéir à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Obéir à ce que Notre Seigneur Jésus-​Christ nous a don­né pen­dant deux mille ans.

Dans un moment de ter­reur, dans un moment de confu­sion, dans un moment de désa­gré­ga­tion de l’Église, que devons-​nous faire, sinon nous en tenir à ce que Jésus a ensei­gné et à ce que son Église nous a don­né comme la Vérité pour tou­jours, défi­nie pour tou­jours ? On ne peut plus chan­ger ce qui a été défi­ni une fois pour toutes par les Souverains Pontifes, avec leur infailli­bi­li­té. Ce n’est plus chan­geable. Nous n’avons pas le droit de chan­ger la Vérité qui est ins­crite pour tou­jours dans nos livres saints. Car cette immu­ta­bi­li­té de la Vérité cor­res­pond à l’immutabilité de Dieu. C’est une com­mu­ni­ca­tion de l’immutabilité de Dieu à l’immutabilité de nos véri­tés. Changer nos véri­tés, cela vou­drait dire chan­ger l’immutabilité de Dieu. Or nous le réci­tons tous les matins à Prime : Immotus in se per­ma­neus : Dieu demeu­rant immuable en Lui-​même comme tout le temps, demeu­rant jusqu’à la fin.

Alors nous devons donc nous atta­cher à cette véri­té qui nous est ensei­gnée d’une manière per­ma­nente et ne pas nous lais­ser trou­bler par le désordre que nous consta­tons aujourd’hui.

Et par consé­quent, savoir à cer­tains moments, ne pas obéir pour obéir. Car c’est cela en défi­ni­tive. Car cette ver­tu dont je vous par­lais tout à l’heure du Dieu Tout-​Puissant, le Bon Dieu a vou­lu qu’elle nous soit trans­mise d’une cer­taine manière, par les hommes qui par­ti­cipent à son autorité.

Mais dans la mesure où ses créa­tures ne sont pas fidèles à la trans­mis­sion de cette vie, de cette ver­tu de Dieu, dans cette mesure là aus­si, nous ne pou­vons plus accep­ter leurs ordres et les obli­ga­tions qu’ils nous imposent. Parce qu’obéir à des hommes qui trans­mettent d’une manière infi­dèle le mes­sage qui leur est don­né, ce serait déso­béir à Dieu. Ce serait déso­béir au mes­sage de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Alors quand nous avons le choix : obéir au mes­sage de Notre Seigneur Jésus-​Christ, ou obéir au mes­sage des hommes, qui nous sont trans­mis par les hommes, dans la mesure où le mes­sage qui nous est trans­mis par les hommes cor­res­pond au mes­sage de Notre Seigneur Jésus-​Christ, nous n’avons aucun droit de ne pas leur obéir, jusqu’au der­nier iota.

Mais dans la mesure où ces ordres, ou ces obli­ga­tions qui nous sont don­nés ne cor­res­pondent pas à ceux que Notre Seigneur Jésus-​Christ nous donne, nous devons obéir à Dieu plu­tôt qu’aux hommes. À ce moment-​là, ces hommes ne rem­plissent pas la fonc­tion pour laquelle ils ont reçu l’autorité que le Bon Dieu leur a donnée.

C’est pour­quoi saint Paul disait lui-​même : « Si un ange du Ciel ou nous-​même dit-​il – par consé­quent si moi, Paul, disait saint Paul : Si un ange du Ciel ou moi-​même Paul, je vous enseigne une véri­té contraire à celles qui vous ont été ensei­gnées pri­mi­ti­ve­ment, ne nous écou­tez pas. »

C’est cela. Nous sommes devant cette réa­li­té. Et je dirai moi-​même bien volon­tiers, s’il m’arrivait à moi, de vous ensei­gner quelque chose qui soit contraire à ce que toute la Tradition de l’Église nous a ensei­gné, ne m’écoutez pas. À ce moment-​là, vous avez le droit de ne pas m’obéir. Et vous avez le devoir de ne pas m’obéir, parce que je ne serais pas fidèle à la mis­sion que le Bon Dieu m’a donnée.

Voilà ce que doit être notre obéis­sance. Avant tout, obéir à Dieu. C’est le seul moyen pour nous d’arriver à la vie éter­nelle. Car c’est cette obéis­sance qui com­mande la voie qui mène à la vie éter­nelle. Et en cela nous sui­vons l’exemple de la très Sainte Vierge Marie. Elle a été l’obéissance même. Elle est l’exemple le plus par­fait, le plus beau, le plus sublime de l’obéissance, contrai­re­ment à la déso­béis­sance de la mère de l’humanité.

Alors deman­dons aujourd’hui, mes bien chers amis, à la très Sainte Vierge Marie de nous ensei­gner cette obéis­sance, de nous la faire gar­der jusqu’à notre mort. Et de faire en sorte que les pro­messes que vous allez faire dans quelques ins­tants, soient vrai­ment l’expression de ce que vous avez au plus pro­fond de votre âme. Et si, dans ces prières, il m’a sem­blé sou­hai­table de mettre la belle prière que nous enseigne le Missel romain, peu avant la consé­cra­tion de l’Eucharistie : Hanc igi­tur obla­tio­nem ser­vi­tu­tis nos­træ : « Recevez, ô mon Dieu, l’oblation de notre obéis­sance, de notre escla­vage » : Hanc obla­tio­nem ser­vi­tu­tis nos­træ, c’est ce que vous allez réci­ter. Eh bien que tous les jours, si le Bon Dieu vous fait la grâce d’être prêtre, quand vous réci­te­rez cette prière – et dès à pré­sent quand vous la réci­tez avec le prêtre – renou­ve­lez votre pro­fes­sion d’obéissance et d’esclavage envers Dieu et envers la très Sainte Vierge Marie.

Que ce soit là, aujourd’hui, la grâce que le Bon Dieu vous accorde.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.