Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 31 mars 1988

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Ce n’est pas sans une réelle satis­fac­tion que nous voyons ici pré­sents un bon nombre de nos confrères, de prêtres venus pour cette céré­mo­nie de la béné­dic­tion des saintes Huiles, qui est tel­le­ment liée au minis­tère du prêtre.

Car en effet. Notre Seigneur a vou­lu qu’il y ait des prêtres aux­quels Il a confié la sanc­ti­fi­ca­tion des fidèles et Il l’a vou­lu selon les lois, selon les moyens qu’il a pres­crits Lui-​même ; qu’il a choi­sis Luimême, en par­ti­cu­lier le Saint Sacrifice de la messe et les sacrements.

On ne peut pas d’ailleurs sépa­rer le Saint Sacrifice de la messe des sacre­ments. C’est pour­quoi, mes bien chers amis, vous qui mon­tez à l’autel tous les jours, offrir le Sacrifice de Notre Seigneur, vous êtes liés, à cet ensemble des sacre­ments que vous dis­pen­sez aux fidèles.

Saint Thomas nous explique bien que l’Eucharistie est à la fois le centre de tous les sacre­ments et comme la source et le rayon­ne­ment de la grâce de tous les sacre­ments. Certains sacre­ments pré­parent à l’Eucharistie, d’autres en sont comme les effets. Et c’est dans les mains du prêtre que Notre Seigneur a dépo­sé ces tré­sors. Trésors qui sont ni plus ni moins que l’effusion de son Esprit par l’effusion de son Sang qui est répan­du, par ces divers sacrements.

Quel hon­neur pour le prêtre et quelle res­pon­sa­bi­li­té en même temps. Dans la pra­tique, la réa­li­sa­tion de ce minis­tère des sacre­ments, s’avère par­fois un peu dif­fi­cile, un peu déli­cat. Assueta, les choses que l’on est habi­tué à faire, finissent par ne plus avoir un grand prix.

Et alors, avec le temps, avec la répé­ti­tion des sacre­ments et du Saint Sacrifice de la messe, il peut se faire qu’une cer­taine accou­tu­mance ait pour résul­tat de dimi­nuer et la fer­veur et la foi.

C’est pour­quoi je pense, à l’occasion de cette consé­cra­tion des saintes Huiles, mes bien chers confrères, mes bien chers amis, réveillons en nous la foi dans les sacre­ments et essayons de réveiller aus­si cette foi dans le cœur des fidèles. Parce que c’est une chose main­te­nant cou­rante n’est-ce pas, dans les milieux sacer­do­taux, on ne veut pas être des dis­tri­bu­teurs des sacrements.

Il me semble que dans cet esprit qui anime, hélas, main­te­nant beau­coup de prêtres de l’église nou­velle, cet esprit mani­feste net­te­ment un manque de foi. Eux-​mêmes ne croient plus à la ver­tu des sacre­ments et c’est pour­quoi ils n’y sont pas atta­chés et n’en vivent pas. Comment pourraient-​ils en faire vivre les fidèles, si eux-​mêmes ne vivent pas de ces sacre­ments et de ce Saint Sacrifice de la messe ?

Alors, nous devons faire des efforts pour évi­ter que ces sen­ti­ments ne gagnent pas un peu nos esprits, sur­tout après un cer­tain nombre d’années d’exercice du sacer­doce. Il peut se faire que cette répé­ti­tion conti­nuelle des mêmes actes, nous fasse accom­plir ces actes avec une cer­taine rou­tine et que nous oubliions la valeur infi­nie, extra­or­di­naire des grands mys­tères que Notre Seigneur a mis dans nos mains et que nous réa­li­sons sur l’autel et par les sacre­ments, grands mys­tères en véri­té. Et toute la consé­cra­tion des saintes Huiles va nous le mani­fes­ter, dans les belles orai­sons, la belle pré­face qui sont dites à l’occasion de cette consécration.

Et pour orien­ter un peu notre minis­tère, nous savons bien que nous avons reçu, n’est-ce pas, le pou­voir d’enseigner, nous devons donc prê­cher la foi dans les sacre­ments et le pou­voir de sanc­ti­fier qui n’est autre pré­ci­sé­ment que de don­ner aux fidèles, les sources de sanc­ti­fi­ca­tion, la réa­li­sa­tion de leur sanc­ti­fi­ca­tion en leur confé­rant les grâces qui sont don­nées par les sacrements.

Alors, il peut se faire qu’il y ait cer­taines diver­gences entre la manière de conce­voir ce minis­tère des sacre­ments. Certains s’appuyant davan­tage sur la défi­ni­tion même du sacre­ment qui opère – ex ope­ra ope­ra­to – et pensent qu’en effet, il fau­drait répé­ter la récep­tion des sacre­ments, don­ner fré­quem­ment la récep­tion des sacre­ments pour aug­men­ter la grâce dans le cœur des fidèles. C’est vrai ; c’est exact. L’Église encou­rage les fidèles à rece­voir les sacre­ments que l’on peut rece­voir sou­vent : sacre­ment de péni­tence, sacre­ment de l’Eucharistie. Les fidèles sont encou­ra­gés par l’Église à rece­voir sou­vent ces sacre­ments. Mais on est alors quel­que­fois sur­pris, que mal­gré la récep­tion rela­ti­ve­ment fré­quente de ces sacre­ments, nous-​mêmes et nos fidèles, fas­sions si peu de pro­grès dans la sanc­ti­fi­ca­tion. Pourquoi ce manque de fer­veur, ce manque d’amour de Dieu ? Parce que d’une part, nous ne cher­chons peu­têtre pas suf­fi­sam­ment à ravi­ver notre foi dans la grâce du sacre­ment, à ravi­ver notre foi dans la subli­mi­té, dans la gran­deur, dans la pro­fon­deur de ces mystères.

Et puis nous ne nous dis­po­sons pas suf­fi­sam­ment à rece­voir la grâce des sacre­ments. On dit bien sacra­men­ta prop­ter homines : les sacre­ments ont été faits pour les hommes. Par consé­quent, il faut les don­ner le plus pos­sible, les dis­tri­buer, mais je pense qu’il fau­drait ajou­ter : sacra­men­ta prop­ter homines, bene dis­po­si­tos : bien dis­po­sés. Et c’est le rôle du prêtre de bien dis­po­ser son propre cœur, sa propre âme et l’âme des fidèles, à rece­voir la grâce des sacrements.

Or, quelles sont ces dis­po­si­tions ? D’abord la foi ensei­gnée et (nous per­sua­der et) ren­sei­gner (les fidèles) sur la subli­mi­té de ces sacre­ments qui nous com­mu­niquent vrai­ment la vie divine ; qui nous com­mu­niquent la grâce la plus extra­or­di­naire que nous puis­sions rece­voir de nous unir vrai­ment à Dieu ; de nous déi­fier ; de faire de nous des dieux, fils de Dieu, des enfants de Dieu ; de nous mettre déjà dans le Ciel – in cœles­ti­bus – par la grâce sanctifiante.

Ne nous rap­pro­chons pas de la concep­tion des pro­tes­tants dans la signi­fi­ca­tion des sacre­ments (qui) eux, ne croient pas à la grâce sanc­ti­fiante. Non ! Nous, nous y croyons. Nous croyons à cette grâce qui trans­forme nos âmes, qui les déi­fie. Il faut donc raf­fer­mir notre foi, notre propre foi et la foi de nos fidèles.

Et puis ensuite, il faut dis­po­ser nos cœurs, nos intel­li­gences, nos âmes. Ces dis­po­si­tions quelles seront-​elles ? Humilité, humi­li­té dans notre esprit ; humi­li­té devant cette venue de Dieu en nous, de Celui qui nous a créés, qui nous a rache­tés, de Celui qui est tout pour nous.

L’humilité, l’adoration et la révé­rence, l’effacement de nos propres per­sonnes devant Dieu qui vient en nous.

Humilité, déta­che­ment. Détacher nos volon­tés ; si nos cœurs sont par­ta­gés ; si nos cœurs sont rem­plis des choses de ce monde, com­ment Dieu pourra-​t-​il y habi­ter ? Dieu pourra-​t-​il coha­bi­ter avec toutes ces pauvres créa­tures que nous aimons ? Non. Il faut nous déta­cher, nous déta­cher des choses de ce monde, des biens de ce monde, pour pou­voir nous atta­cher à Dieu. Voilà donc les dis­po­si­tions fon­da­men­tales dans les­quelles nous devons rece­voir les sacre­ments qui pro­duisent en nous la cha­ri­té ; qui per­met­tra à la cha­ri­té et à l’amour de Dieu, de rem­plir nos âmes, à l’Esprit Saint de rem­plir nos âmes. 812

Aimons, mes bien chers amis, à rap­pe­ler par­fois, avant de don­ner les sacre­ments à nos fidèles, par quelques mots, quelques phrases, quelques encou­ra­ge­ments, pré­pa­rer le cœur de nos fidèles à rece­voir le sacre­ment de péni­tence, à rece­voir le sacre­ment de l’Eucharistie, à rece­voir à l’occasion du bap­tême, à l’occasion du sacre­ment de l’extrême-onction, ne crai­gnons pas de dire quelques paroles. Il n’est pas néces­saire de faire de longs dis­cours, mais sim­ple­ment, faire prendre conscience davan­tage à nos fidèles de la grande grâce qu’ils reçoivent par les sacrements.

Voyez-​vous, aujourd’hui, étant don­né que dans cette église nou­velle, on n’a plus la foi dans les sacre­ments, on n’a plus la foi dans la grâce sanc­ti­fiante, les sacre­ments sont deve­nus tout sim­ple­ment des sym­boles, sym­boles de notre foi, de notre appar­te­nance à Jésus-​Christ, de notre appar­te­nance à l’Église. D’où la désaf­fec­tion pour les sacre­ments, ou la récep­tion des sacre­ments sans dis­tinc­tion, de pré­pa­ra­tion, de dispositions.

On don­ne­ra main­te­nant la Sainte Communion même à ceux qui ne sont pas capables de la rece­voir, qui ne devraient pas la rece­voir, parce qu’ils sont en état de péché mortel.

Et par le fait même qu’il y a cette désaf­fec­tion pour les sacre­ments et que l’on n’a plus la foi dans l’effet du sacre­ment qui est de com­mu­ni­quer l’Esprit Saint, de com­mu­ni­quer l’Esprit de Jésus dans nos âmes, on va recher­cher l’Esprit par d’autres moyens. C’est nor­mal. Les fidèles ont besoin du Saint-​Esprit. Les âmes ont besoin de s’élever, de recher­cher l’Esprit de Dieu. Au lieu de le trou­ver dans les sacre­ments, on le trou­ve­ra dans le cha­ris­ma­tisme. Et voi­là la dévia­tion, dévia­tion qui entraîne les fidèles dans des voies qui ne sont pas celles de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Notre Seigneur a ins­ti­tué les sacre­ments, pour nous don­ner l’Esprit Saint. Nous sommes bap­ti­sés dans l’eau et dans l’Esprit.

Et toute la consé­cra­tion des saintes Huiles rap­pelle cela. Les saintes Huiles portent en elles l’Esprit Saint ; elles com­mu­niquent l’Esprit Saint. C’est si beau notre foi. C’est si beau ce que Notre Seigneur Jésus-​Christ a fait pour nous. Voulant nous com­mu­ni­quer son Esprit, l’Esprit de Dieu, l’Esprit d’amour, l’Esprit de cha­ri­té, l’Esprit de foi.

Alors, pre­nons une réso­lu­tion, à l’occasion de cette belle fête du Jeudi Saint – fête sacer­do­tale par excel­lence – pre­nons la réso­lu­tion de ravi­ver notre foi dans ces moyens, dans ce tré­sor que Jésus a mis dans nos mains par la consé­cra­tion sacerdotale.

Demandons à Marie Médiatrice, Marie Mère de toutes les grâces, de nous aider à mieux com­prendre ce qu’est l’institution que Notre Seigneur Jésus-​Christ a faite du sacre­ment de l’Eucharistie, de la Sainte Messe et des sacre­ments en géné­ral, afin de nous sanc­ti­fier et de sanc­ti­fier tou­jours davan­tage nos fidèles.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.