Sermon de Mgr Lefebvre – 1er dimanche de l’Avent – Anniversaire de Monseigneur – 29 novembre 1987

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Au cours de cette nuit, fête pas­sée dans la prière et dans l’adoration du Saint Sacrement, vous avez prié pour deman­der au Bon Dieu, d’une manière par­ti­cu­lière, qu’il fasse des­cendre ses béné­dic­tions et ses grâces spé­ciales, pour les semaines qui vont venir, qui seront impor­tantes pour la Fraternité et pour l’Église.

Quelles déci­sions seront prises après la visite du car­di­nal (Gagnon), nous ne le savons pas encore. Mais c’est pré­ci­sé­ment pour que ces déci­sions soient pro­fi­tables à l’Église, soient pro­fi­tables au salut des âmes, que nous avons prié d’une manière toute par­ti­cu­lière au cours de cette nuit et nous pou­vons faire confiance à Notre-​Dame de Fatima qui, cer­tai­ne­ment, est auprès de nous. Elle nous aide­ra à prendre les déci­sions qu’il fau­dra pour la gloire du Bon Dieu, pour la réno­va­tion de l’Église et pour la salut de nos âmes.

Mais cette nuit de prière se situait aus­si à l’aurore de la nou­velle année litur­gique. Nous entrons en effet aujourd’hui dans une nou­velle année, année litur­gique, c’est-à-dire année au cours de laquelle nous médi­tons, nous contem­plons et nous pro­fi­tons des grâces de la vie de Notre Seigneur JésusChrist.

Il est dif­fi­cile d’apprécier ce don extra­or­di­naire que le Bon Dieu nous a fait par Notre Seigneur Jésus-​Christ, par son divin Fils, si nous ne jetons pas d’abord un regard, sur ce qui l’a pro­vo­qué. Pourquoi l’Incarnation ? Parce qu’il fal­lait la Rédemption. L’Incarnation n’a pas d’autre sens, ni d’autre but ‑au moins his­to­ri­que­ment, telle que Dieu l’a vou­lue dans ses des­seins inson­dables – que la Rédemption : Racheter nos âmes. Et pour­quoi rache­ter nos âmes ? Était-​il besoin de ce rachat ? Oui, ce rachat était néces­saire, si le Bon Dieu vou­lait sau­ver nos âmes, parce que le péché était entré dans le monde, par nos pre­miers parents.

Et ce péché avait pour consé­quence, de com­mu­ni­quer à tous les des­cen­dants d’Adam et d’Ève, une nature désor­don­née, une nature en état de péché. Le péché de la nature : pec­ca­tum naturæ. C’est un fait dont nous devons bien prendre conscience. Car c’est ce qui déter­mine dans la volon­té éter­nelle de Dieu, l’Incarnation de son divin Fils, qui va chan­ger com­plè­te­ment notre vie ; qui va faire de notre vie, une vie chré­tienne, une vie dans le Christ-​Jésus et par le Christ-​Jésus, pour le Christ-​Jésus. C’est donc un chan­ge­ment com­plet des hori­zons de notre vie, de notre vie quotidienne.

Oui, le péché est entré dans le monde ; il y est entré avec toutes ses consé­quences. Quand on songe, mes bien chers frères, qu’un seul péché, celui d’Adam et d’Ève, ait pu pro­duire les consé­quences incal­cu­lables, inima­gi­nables, que nous lègue toute l’Histoire de l’humanité, consé­quences désastreuses.

Est-​ce que ces consé­quences sont le résul­tat d’une puni­tion de Dieu ? Est-​ce que Dieu a vou­lu – en quelque sorte – se ven­ger pour cette déso­béis­sance de nos pre­miers parents et dire : Eh bien, puisque vous avez déso­béi, votre pos­té­ri­té sera déshé­ri­tée. Non, non ! Dieu ne s’est pas ven­gé sur nous. Ce qui nous est arri­vé est la consé­quence logique du péché.

Nos pre­miers parents se sont détour­nés de Dieu. Ils étaient faits, créés, pour aimer Dieu et Le ser­vir. Ils n’ont pas vou­lu Le ser­vir. Ils se sont ser­vi de leur liber­té pour déso­béir à Dieu. Et cette déso­béis­sance a eu pour consé­quence évi­dem­ment de les sépa­rer du Bon Dieu. Ils se sont sépa­rés eux-​mêmes de Dieu. Ce n’est pas Dieu qui l’a vou­lu. Par le fait même, ils per­daient – par leur propre faute – l’amitié de Dieu. Ils sont deve­nus désa­gréables à Dieu. Ils ont per­du la grâce que le Bon Dieu leur avait don­née : la grâce sanc­ti­fiante, la grâce de la cha­ri­té, de l’union à Dieu.

Comment pouvaient-​ils ensuite nous la com­mu­ni­quer puisqu’ils ne l’avaient plus. Ils auraient dû nous com­mu­ni­quer cette grâce. Ils auraient dû nous com­mu­ni­quer tous ces dons qu’ils avaient eus de la part du Bon Dieu. Comment pouvaient-​ils le faire encore puisqu’ils les avaient per­dus ? Et ils ne pou­vaient plus les retrou­ver par eux-​mêmes ; c’était impos­sible. Et c’est pour­quoi toute la des­cen­dance d’Adam et Ève, se trouve au moment de sa nais­sance, pri­vée de l’amour du Bon Dieu, pri­vée de l’amour du Bon Dieu, pri­vée de la grâce qui devrait l’unir au Bon Dieu.

Non seule­ment nous n’avons plus la grâce sanc­ti­fiante, mais le fait d’avoir per­du la grâce sanc­ti­fiante a pro­vo­qué dans notre nature même, un désordre. Et c’est pour­quoi nous nais­sons désa­gréables au Bon Dieu. Oui, nous ne sommes plus agréables au Bon Dieu lorsque nous nais­sons. C’est un fait, encore une fois, contre lequel le Bon Dieu Lui-​même ne peut rien. Le Bon Dieu ne peut pas faire que le péché ne soit pas le péché ; que la déso­béis­sance ne soit pas la déso­béis­sance. Il ne peut pas faire que ce que l’homme a vou­lu – c’est-à-dire se sépa­rer de Lui – ce ne soit pas une sépa­ra­tion de Lui. Il n’y peut rien. Cette fausse liber­té, ce mau­vais emploi de la liber­té que le Bon Dieu a don­né à l’homme, est une liber­té de mort.

En effet, ne pas recher­cher sa fin qui est la vie et le bon­heur, qui est l’épanouissement de la nature et de la sur­na­ture, c’est mou­rir. Ce n’est pas atteindre le but pour lequel le Bon Dieu nous a créés. C’est la mort. Et par consé­quent il était nor­mal que nous mou­rions après le péché. Il était nor­mal que l’enfer suive le péché. Dieu ne peut pas faire que celui qui meurt dans un état de déso­béis­sance et de rup­ture avec Lui soit ensuite dans l’éternité, un ami du Bon Dieu. Ce n’est pas la faute du Bon Dieu. La créa­ture se détourne de l’amour du Bon Dieu et au moment même jusqu’à sa mort se détourne de l’amour du Bon Dieu, reste sépa­rée de Lui, ne veut pas Lui obéir, que peut faire le Bon Dieu ? Il lui a don­né la liber­té. Mais pas la liber­té pour en faire un mau­vais usage. La liber­té est le choix libre des moyens pour atteindre le but pour lequel nous sommes faits, pour notre fin. Pas pour nous détour­ner de la fin ; par pour déso­béir au Bon Dieu.

Le Bon Dieu ne nous a pas don­né la liber­té dans un autre but que celui de méri­ter la récom­pense que nous devons avoir si nous recher­chons la fin pour laquelle nous avons été créés, c’est-à-dire : connaître, aimer et ser­vir le Bon Dieu et Le louer pen­dant toute l’éternité. Voilà pour­quoi le Bon Dieu nous a créés.

Alors toutes les suites du péché sont donc une suite logique que le Bon Dieu ne peut pas empê­cher. Il ne peut pas empê­cher l’enfer. Il ne peut pas empê­cher la mort ; Il ne peut pas empê­cher les mala­dies qui sont dans tout le monde entier ; Il ne peut pas empê­cher les guerres. Ce sont des fruits du péché de la déso­béis­sance des hommes.

Alors nous appré­cions mieux – devant ce détour­ne­ment de nos esprits et de nos cœurs par rap­port au Bon Dieu, cette mer­veille que le Bon Dieu a faite. Nous aurions cher­ché com­ment retrou­ver notre fin ? Comment retrou­ver l’ordre de notre nature, puisque nous nais­sons désor­don­nés. Puer natus est : un enfant nous a été don­né, par la Vierge Marie : le salut de nos âmes.

Mais quel est donc cet Enfant ? Les anges le chantent aux ber­gers : Gloria in excel­sis Deo. Cet Enfant c’est Dieu Lui-​même, venu au milieu de nous pour nous rendre le salut. Et pour cela, Il va subir la mort que nous, nous devons subir. Il va vou­loir la subir pour nous, mais pour nous rendre la vie. Chose invraisemblable !

Alors on com­prend que saint Paul parle de la pro­fon­deur, de la gran­deur, de l’immensité de la cha­ri­té de Dieu, dans la fête du Sacré-​Cœur, dans l’Épître aux Éphésiens.

Scire étiam super­e­mi­nen­tem scien­tiæ cari­ta­tem Christi (Ep 3,19).

Oui vrai­ment l’amour de Dieu est inson­dable. Dieu fait tout ce qu’il peut faire pour nous sau­ver. Il veut bien mou­rir à notre place et nous rendre la vie par sa mort, par sa Croix, chose extraordinaire !

Et c’est cela que l’Église qui est l’épouse mys­tique de Notre Seigneur, nous enseigne tout au long de cette année liturgique.

Réjouissez-​vous, réjouissez-​vous, un Sauveur est né. Vous n’êtes plus des­ti­nés à la puni­tion ; vous n’êtes plus des­ti­nés à être éloi­gnés de Dieu. Dieu est venu Lui-​même, pour vous rendre la vie.

Et alors, tout au long, tout au cours de l’année, nous allons chan­ter la gloire de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous allons remer­cier le Fils de Dieu venu par­mi nous pour nous sau­ver. Et nous allons asso­cier à sa vie, au moment de Pâques sa Résurrection, à notre bap­tême, à notre résur­rec­tion à nous aus­si, par le bap­tême. Car Dieu a vou­lu que nous soyons donc asso­ciés à Lui ; que nous fas­sions par­tie de Lui-​même ; que nous soyons de ses membres, par le bap­tême et par tous les sacre­ments qui nous donnent l’Esprit Saint, son Esprit : qu’il répande en nous son Esprit. Nous voi­là trans­for­més en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et sur­tout par le sacre­ment de l’Eucharistie, par la sainte Communion. Quelle mer­veille ! Qui aurait jamais pu pen­ser que le Bon Dieu trou­ve­rait ce moyen de nous sau­ver, en venant Lui-​même por­ter nos péchés et régler notre dette vis-​à-​vis du Bon Dieu ?

Alors, vous voyez immé­dia­te­ment, com­bien nous devons aimer Notre Seigneur Jésus-​Christ ; com­bien nous devons être unis à Celui qui est venu nous mon­trer la voie du salut et nous por­ter les moyens de salut. Il doit être désor­mais dans nos cœurs, dans nos esprits, dans nos intel­li­gences, dans nos vies. Nous ne devons plus nous sépa­rer de Lui et avec quelle joie nous devons nous unir à Lui, dans le sacre­ment de l’Eucharistie et Le remer­cier infi­ni­ment de nous appor­ter le salut.

Mais alors aus­si quelle obli­ga­tion grave pour nous, de ne pas déso­béir à nou­veau ; de faire tout ce que nous pou­vons. Sans doute, nous sommes de pauvres pécheurs encore, mal­gré les grâces du bap­tême. Le Bon Dieu ne nous a pas don­né une sain­te­té défi­ni­tive. Hélas, nous pou­vons encore nous sépa­rer de Lui. Mais si nous sommes fidèles à sa grâce et que nous fas­sions tout notre pos­sible pour évi­ter ces déso­béis­sances, de nous ser­vir de nou­veau de notre liber­té pour ne plus Lui déso­béir, eh bien le Bon Dieu nous gar­de­ra dans sa grâce et nous condui­ra à la vie éternelle.

Voilà notre désir. Voilà ce que nous devons dési­rer pour nous. Prendre la réso­lu­tion au début de cette année litur­gique, de réflé­chir sur le mal­heur du péché, sur le mal­heur de la déso­béis­sance à Dieu et tout faire pour évi­ter le péché. Et pas seule­ment pour nous, mais alors avoir la pen­sée aus­si de tous ceux qui s’éloignent de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de tous ceux qui Le connaissent mal ; de tous ceux qui ne Le servent pas ; de tous ceux qui sont sous l’influence du péché ori­gi­nel et qui s’éloignent du Bon Dieu. Nous devons prier et offrir nos sacri­fices, nos souf­frances pour le salut des âmes, être des mis­sion­naires. Si nous ne sommes pas des mis­sion­naires qui tra­ver­sons les océans, soyons au moins des mis­sion­naires par la prière, des mis­sion­naires par le sacri­fice, des mis­sion­naires comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Patronne des mis­sions qui n’est jamais sor­tie de son car­mel pour aller en mis­sion et qui est la grande mis­sion­naire qui a sau­vé tant d’âmes.

Alors que ce soit là notre résolution.

Car, son­gez aus­si, à la gra­vi­té de ces péchés qui sont com­mis, mal­gré la venue de Notre Seigneur, mal­gré la venue de Dieu par­mi nous, mal­gré la mort de Dieu sur la Croix et sa Résurrection, mal­gré tout cela, que les hommes pèchent encore !

Comment voulez-​vous que le Bon Dieu n’abandonne pas ces hommes à eux-​mêmes, si après tout l’amour qu’Il leur a mani­fes­té, ils sont encore oppo­sés à Lui et font le contraire de sa volon­té. Et hélas, nous le consta­tons aujourd’hui peut-​être plus que jamais, même dans les milieux qui sont chré­tiens ; même dans les milieux qui ont été bap­ti­sés. Que de vies dans le péché, dans la déso­béis­sance au Bon Dieu. Et ces gens insou­ciants se séparent de ce Dieu qui est venu sur la terre pour les sau­ver et ils ne tremblent pas dans leur cœur, en pen­sant qu’ils se dirigent vers une mort éternelle.

Alors, que ces pen­sées, au début de l’Avent, pen­sées qui nous sont d’ailleurs sug­gé­rées dans l’Évangile que vous venez d’entendre : Dieu fera dis­pa­raître ce monde. Ce monde qui a ser­vi pour le péché doit dis­pa­raître lui aus­si, même ce monde maté­riel : le soleil, la lune, les astres, tout va être détruit pour faire un monde nou­veau, parce qu’ils ont ser­vi eux aus­si – bien sûr incons­ciem­ment – mais ils ont ser­vi pour le mal, pour le péché. Alors le Bon Dieu détrui­ra ce monde pour faire un monde nouveau.

Eh bien, deman­dons au Bon Dieu, par l’intercession de la très Sainte Vierge Marie d’être ceux aus­si qui feront par­tie de ce monde nou­veau, de cette terre et de ces cieux nou­veaux, dans les­quels rési­de­ra la sainteté.

C’est ce que dit l’Apocalypse. Que l’on com­pare ce qui se passe au Ciel, à ce qui se passe sur la terre. Dans le Ciel, pas une mau­vaise pen­sée, pas un mau­vais désir. Tout pour la plus grande gloire de Dieu. Tout pour aimer le Bon Dieu ; tout pour chan­ter les louanges du Bon Dieu. Jamais le moindre indice, la moindre trace de déso­béis­sance vis-​à-​vis du Bon Dieu. C’est fini. Pour tou­jours, les âmes et les élus du Ciel, emploient leur liber­té pour chan­ter la gloire du Bon Dieu et Le servir.

Alors fai­sons en sorte que nos familles, nos com­mu­nau­tés, que notre chère Fraternité soient déjà un peu le Paradis et que nous nous effor­cions aus­si, tous, en nous aidant les uns les autres, de ser­vir le Bon Dieu et de tout faire pour lui être unis pour la vie et pour l’éternité.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.