Le transhumanisme : liberté ou esclavage ?

L’objectif n’est plus de répa­rer l’homme malade ou vieillis­sant mais de « l’augmenter », de lui don­ner cer­taines per­for­mances emprun­tées aux machines dont il est le créateur.

Le transhumanisme aboutissement 
de la Révolution anthropologique
Joël Hautebert
Éditions de l’Homme Nouveau - 2019
160 pages - 19 €

Le trans­hu­ma­nisme s’impose de plus en plus dans les men­ta­li­tés et dans les débats d’idées car il est l’objet d’une pro­mo­tion volon­ta­riste de lob­bies influents qui ont la com­pli­ci­té active de la presse et des milieux poli­tiques. Apparu pour la pre­mière fois sous la plume de Julian Huxley en 1957, le mot désigne la doc­trine selon laquelle l’homme met en œuvre les pro­grès indé­fi­nis de la science pour échap­per aux contraintes et à la fini­tude de son corps. L’objectif n’est plus de répa­rer l’homme malade ou vieillis­sant mais de « l’augmenter », de lui don­ner cer­taines per­for­mances emprun­tées aux machines dont il est le créa­teur : mémoire, force, lon­gé­vi­té par rem­pla­ce­ment des organes ou membres. L’objectif démiur­gique est bien de dépas­ser les limites bio­lo­giques et de sup­pri­mer les fron­tières entre le vivant et le non-vivant.

Joël Hautebert, pro­fes­seur de droit à l’Université d’Angers, signe une ana­lyse phi­lo­so­phique per­cu­tante de cette idéo­lo­gie, en retra­çant la généa­lo­gie de ce pro­jet. Il iden­ti­fie la nature et les consé­quences poli­tiques, morales et socio­lo­giques de ce qui s’impose comme l’âge d’un maté­ria­lisme dou­blé d’un culte obses­sion­nel dans le pro­grès de la science, cou­pé de toute norme morale.

Comme l’indique le titre de l’essai, le trans­hu­ma­nisme consti­tue bien le pro­lon­ge­ment et l’aboutissement de cette Révolution de l’homme par l’homme par laquelle sa régé­né­ra­tion arti­fi­cielle fait suite à la révo­lu­tion poli­tique et sociale qui, par le contrac­tua­lisme avait pré­ten­du créer une régé­né­ra­tion sociale de l’homme. Le pro­grès tech­nique, la perte de confiance en l’homme, en son libre-​arbitre lar­ge­ment remis en cause, un maté­ria­lisme pra­tique pré­do­mi­nant et impo­sant le pri­mat de la san­té du corps comme loi suprême de la vie, ont for­te­ment contri­bué à l’éclosion et à l’enracinement du phénomène.

Vieille comme la moder­ni­té qui pré­tend réa­li­ser l’indépendance à l’égard de tout ordre hété­ro­nome, la théo­rie trans­hu­ma­niste fait suite au pro­jet de l’humanisme de la Renaissance, au maté­ria­lisme des Lumières, au scien­tisme, au mar­xisme et à l’évolutionnisme qui ouvre des voies nou­velles à la pré­ten­due libé­ra­tion de l’homme. Désormais, l’humain doit prendre en charge sa propre évo­lu­tion. Comme le sou­ligne Joël Hautebert à la fin de son intro­duc­tion, « Alors que l’homme moderne pré­ten­dait reje­ter l’action pro­vi­den­tielle de Dieu en par­ve­nant à la domi­na­tion de la nature grâce à la connais­sance de ses lois propres, l’homme post­mo­derne cherche doré­na­vant à s’extirper de cette der­nière en fai­sant confiance aux lois de la tech­nique. » (p. 16)

Cette Révolution s’accompagne alors néces­sai­re­ment d’une course au « meilleur » en matière cor­po­relle. D’où l’eugénisme dévas­ta­teur, qui, sous cou­vert de réduc­tion des mala­dies et des infir­mi­tés éli­mi­ne­ra tous ceux qui sor­ti­ront de la norme de cet homme nou­veau. Et si l’homme n’est qu’une machine ou un simple ani­mal, rien d’étonnant à ce que cette révo­lu­tion soit aus­si morale. L’absence de libre-​arbitre et le déter­mi­nisme évo­lu­tion­niste ont pour corol­laire l’absence de toute norme, de toute loi morale, a for­tio­ri divine. D’où la néces­saire décons­truc­tion de toute culture, de toute règle, de tout prin­cipe moral qui pour­raient frei­ner l’avènement de l’idéologie totalitaire.

La néga­tion de l’altérité homme/​femme, le rejet de l’identité fon­dée sur le sexe bio­lo­gique et la remise en cause de la pro­créa­tion humaine natu­relle, le refus des dif­fé­rences entre l’homme et les autres espèces ani­males, décou­le­ront des prin­cipes maté­ria­listes du trans­hu­ma­nisme. Refusant les essences et toute idée de nature, l’idéologie est une per­pé­tuelle course en avant qui fait fi de toute règle. Tout est pré­sen­té sous l’aspect de conquête de droits indi­vi­duels et de liber­tés nou­velles, de vic­toires sur le pas­sé obs­cu­ran­tiste. Et la foi en un pro­grès où tout est pos­sible doit s’imposer aux esprits chagrins.

Joël Hautebert montre avec pers­pi­ca­ci­té qu’il s’agit là d’un nou­veau mes­sia­nisme ter­restre : l’homme se sauve lui-​même par la tech­nique. Il est le maître de son bon­heur qui ne sau­rait être que ter­restre. Mais, quelles que soient les poten­tia­li­tés de la tech­nique et du pro­grès cumu­lé des sciences, en sera-​t-​il ain­si ? À force de renier la nature humaine et de robo­ti­ser l’homme, que restera-​t-​il de l’humanité ? Le refus de la fini­tude de l’homme qu’exprime le pro­jet trans­hu­ma­niste semble igno­rer que c’est l’acceptation de la mort qui donne un sens à la vie humaine. L’homme immor­tel ou presque per­dra toute idée de fina­li­té et s’ennuiera dans une oisi­ve­té déprimante. 

L’immortalité des uns entraî­ne­ra inévi­ta­ble­ment l’élimination des autres, pour évi­ter un sur­peu­ple­ment de la pla­nète. La fin de toute dimen­sion spi­ri­tuelle iso­le­ra l’homme nou­veau dans un hédo­nisme indi­vi­dua­liste qui sup­pri­me­ra tout sens du bien com­mun. Partant, c’est la vie poli­tique et sociale qui se trouve mise en péril dès lors que l’on renie ce qui est propre à l’homme. Aristote nous a pour­tant pré­ve­nus : « Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rap­port aux autres ani­maux : le fait que seuls ils aient la per­cep­tion du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en com­mun, c’est ce qui fait une famille et une cité. »

On com­prend, à la lec­ture de l’essai de Joël Hautebert que le trans­hu­ma­nisme est la plus for­mi­dable guerre faite à l’espèce humaine. Faisant perdre à l’homme son iden­ti­té, il la spo­lie de sa ratio­na­li­té, de sa conscience, de son lien à autrui, pour lui pro­mettre la vie méca­nique des ani­maux et des robots, déli­vrée certes de leur cor­tège de souf­frances ou de fra­gi­li­tés, mais ne conser­vant qu’une liber­té dont le nom est vidé de tout sens et de toute finalité. 

Terminons par une cita­tion de l’auteur qui replace avec pré­ci­sion la per­ver­si­té d’un tel pro­jet dans une pers­pec­tive exclu­si­ve­ment phi­lo­so­phique et ration­nelle : « Dans l’ombre de l’enthousiasme appa­rent que pro­voque l’idée d’émancipation et de liber­té sans contrainte, se des­sine une pro­fonde tris­tesse, un refus d’accepter la qua­li­té d’être rai­son­nable, capable de sur­mon­ter par l’exercice de la ver­tu, donc par l’effort volon­taire sur soi, les diverses vul­né­ra­bi­li­tés et contra­rié­tés inévi­tables, et cela au ser­vice des autres. C’est là que réside notre liber­té. » (p. 122) Et même si l’auteur n’aborde cette ques­tion que sous l’angle de la rai­son, omet­tant ain­si de nom­mer la grâce par­mi les moyens indis­pen­sables à la nature humaine bles­sée par le péché, on com­prend que cette attaque for­mi­dable qui marque notre époque s’inscrit dans la lutte ances­trale qui oppose Satan à Dieu, l’Ange de lumière cher­chant tou­jours à arra­cher la créa­ture humaine à son créa­teur et à son Sauveur. 

La lec­ture de l’essai de Joël Hautebert sur le trans­hu­ma­nisme est néces­saire à tous ceux qui veulent com­prendre les méandres du tota­li­ta­risme qui façonne tou­jours plus sub­ti­le­ment notre socié­té contem­po­raine. Il res­te­ra à dres­ser l’inventaire des véri­tables gestes bar­rière néces­saires pour faire échec à son triomphe qui ne sera, quoi qu’il arrive, que provisoire.

Abbé Philippe Bourrat

Source : Le Chardonnet n° 364

Livre : Le trans­hu­ma­nisme abou­tis­se­ment de la Révolution anthro­po­lo­gique, Joël Hautebert, Éditions de l’Homme Nouveau – 2019, 160 pages – 19 €