Le désir : envie instinctive, aspiration raisonnable, impulsion surnaturelle

Viaduc des Fauvettes, Essonne

Les mou­ve­ments de notre âme sont d’origine et de nature très dif­fé­rentes et peuvent nous entraî­ner dans des direc­tions opposées.

Pendant le temps de l’Avent, l’Église enflamme les cœurs de ses enfants pour les pré­pa­rer à la nou­velle venue du Messie : déjà pré­sent dans notre âme par sa grâce, Jésus-​Christ vient y régner chaque jour davan­tage en fai­sant dis­pa­raître les restes du péché grâce aux œuvres de péni­tence. La litur­gie nous ins­pire donc les sou­haits les plus ardents et les efforts les plus géné­reux en nous rap­pe­lant les dis­po­si­tions idéales des Patriarches dans l’attente de l’avènement his­to­rique du Sauveur.

A cette occa­sion, il importe de dis­cer­ner les mou­ve­ments de notre âme qui sont d’origine et de nature très dif­fé­rentes et peuvent nous entraî­ner dans des direc­tions oppo­sées. Qu’on nous per­mette donc de rap­pe­ler des notions élé­men­taires mais aus­si bien éclai­rantes pour réus­sir notre che­mi­ne­ment vers Noël et rece­voir toutes les béné­dic­tions célestes atta­chées à cette grande fête.

Les envies instinctives

Comme chez les ani­maux, le corps de l’homme exprime ses néces­si­tés par des pul­sions spon­ta­nées que l’on constate déjà chez le nouveau-​né : dès sa nais­sance en effet, le petit enfant sait faire connaître à son entou­rage son besoin de nour­ri­ture, de som­meil etc. en ges­ti­cu­lant ou en pleu­rant : il s’agit bien de dési­rs ins­tinc­tifs, natu­rels et tout à fait nor­maux. Répétons-​le, ce phé­no­mène se constate aus­si bien chez l’homme que chez l’animal mais il ne se vit pas chez l’un comme chez l’autre. L’instinct chez l’animal se régule de manière phy­sique, méca­nique et auto­ma­tique de telle sorte que ses envies ne risquent pas de l’entraîner dans des excès ou débor­de­ments nui­sibles et regret­tables. Chez l’homme au contraire, les envies peuvent deve­nir capri­cieuses et désor­don­nées : l’enfant a donc besoin d’édu­ca­tion pour apprendre à se maî­tri­ser et même une fois adulte, l’homme doit s’imposer une cer­taine dis­ci­pline de vie pour évi­ter les abus dans l’usage de son corps et conser­ver ain­si sa digni­té. Voilà pour­quoi la péni­tence devient sou­vent indis­pen­sable pour cor­ri­ger les ten­dances dépra­vées et les mau­vaises habi­tudes qui nous font tom­ber dans des fautes ren­dues presque inévi­tables avec le péché ori­gi­nel même après la récep­tion du baptême.

Le temps de l’Avent se pré­sente d’abord comme une période de puri­fi­ca­tion et de remise en ordre dans notre vie sen­sible et cor­po­relle pour retrou­ver la belle har­mo­nie dont jouis­saient ini­tia­le­ment nos pre­miers parents par le don d’ « intégrité ».

Les aspirations raisonnables

Doué d’un esprit parce qu’il a été créé à l’image de Dieu, l’homme est sem­blable aux anges et, sous ce rap­port, il n’a plus aucun point com­mun avec les ani­maux dont il se dis­tingue radi­ca­le­ment. L’homme est donc appe­lé à vivre rai­son­na­ble­ment, c’est-à-dire en confor­mi­té avec les lois de son esprit et dans l’exercice de ses deux facul­tés d’intelligence et de volon­té. La « conscience » de l’homme n’est autre que la voix de Dieu dans son âme spi­ri­tuelle qui lui mani­feste sa volon­té et l’encourage à se sou­mettre à ses com­man­de­ments : ce qu’on appelle la « loi natu­relle » gra­vée dans le cœur de tout homme, même chez celui qui n’a reçu aucune révé­la­tion ni pré­di­ca­tion sur la reli­gion. On est par­fois sur­pris de ren­con­trer, aujourd’hui encore, des « païens » c’est-à-dire des âmes sans aucune culture ni pra­tique reli­gieuse qui pour­tant gardent une vie rela­ti­ve­ment saine en fai­sant preuve d’une cer­taine rec­ti­tude morale par le seul fait d’observer cou­ra­geu­se­ment les règles élé­men­taires de leur conscience. Ces âmes de bonne volon­té cherchent sin­cè­re­ment à faire le bien et à évi­ter le mal aus­si bien dans leur vie intime que dans leurs rela­tions sociales et leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes : il s’agit bien d’ « aspi­ra­tions rai­son­nables » très nobles et méri­toires qui peuvent conduire jusqu’au « bap­tême de désir ». De tels exemples mani­festent la puis­sance d’une conscience droite et ses nobles dis­po­si­tions telles que le Bon Dieu en offre la pos­si­bi­li­té à tout homme dans son plan de salut sans exception.

Pour le chré­tien, le temps de l’Avent consiste aus­si à faire l’examen de son état d’âme pro­fond pour véri­fier l’authenticité de sa dévo­tion : quelle valeur pour­raient bien avoir des pra­tiques de pié­té, même nom­breuses et pro­lon­gées, qui s’accompagneraient et dis­si­mu­le­raient des vio­la­tions graves aux pre­miers devoirs et appels de la conscience ?

Les impulsions surnaturelles

On vient de voir que la supé­rio­ri­té de l’homme consiste d’abord dans sa nature de créa­ture rai­son­nable capable de connaître Dieu, de l’aimer et de le ser­vir ; mais beau­coup plus encore la digni­té de l’homme doit se recon­naître dans sa des­ti­née d’enfant de Dieu appe­lé à par­ta­ger son propre bon­heur et sa gloire. Avec les pré­ro­ga­tives du bap­tême, le chré­tien est doté de tout un orga­nisme sur­na­tu­rel de ver­tus et de dons qui lui per­mettent de tendre vers cette béa­ti­tude infi­nie. Toute la reli­gion avec ses dogmes, ses pré­ceptes et son culte a été sur­éle­vée à ce niveau qui met une dis­tance infi­nie entre la nature et la grâce. Il ne s’agit plus pour l’homme de res­pec­ter seule­ment les lois de sa conscience mais de ren­trer dans le mys­tère tri­ni­taire : dans l’Évangile, Jésus nous invite à dési­rer être « par­faits comme le Père céleste est parfait ».

Pendant le temps de l’Avent, la litur­gie de l’Église élève notre âme en lui rap­pe­lant sa voca­tion sublime et en lui ins­pi­rant les dési­rs cor­res­pon­dants. Le chré­tien n’a pas le droit de déchoir en se lais­sant enva­hir et pos­sé­der par des pré­oc­cu­pa­tions ter­restres : la grâce le sol­li­cite sans cesse à mettre son cœur et son tré­sor dans les réa­li­tés divines « ter­re­na des­pi­cere et amare caelestia ».

Le pro­phète Daniel a été spé­cia­le­ment agréable à Dieu en tant qu’ « homme de dési­rs » (Daniel 9, 23). N’est-ce pas le pro­gramme qui nous est pro­po­sé pen­dant le temps de l’Avent : nous sanc­ti­fier par la valeur de nos dési­rs en (ré)ordonnant les envies ins­tinc­tives de notre sen­si­bi­li­té, en réa­li­sant les aspi­ra­tions rai­son­nables de notre âme et en sui­vant les impul­sions sur­na­tu­relles de la grâce.

Source : Le Parvis n° 115