Blaise Pascal, la raison et la grâce

Portrait de Blaise Pascal par Jean Domat, après 1662, dessin à la sanguine. © Bibliothèque nationale de France.

Il y a quatre cents ans, le 19 juin 1623, Blaise Pascal voyait le jour à Clermont[1]. Son impé­ris­sable jeu­nesse lui per­met, en 2023, de fran­chir sans arti­fices La Porte Latine. Il serait dom­mage d’ignorer Pascal en rai­son de ses Provinciales, contes­tables et mises à l’Index : écar­tons celles-​ci, mais plongeons-​nous dans les Pensées.

Rien de ce qu’il a écrit n’a vieilli ; rien, dans son œuvre ne porte les rides du temps. (…) Puissent ces quelques lignes appor­ter aux lec­teurs le « contact vivi­fiant de cette vaste et pro­fonde pen­sée, si proche de cha­cun de nous.

Jacques Chevalier – Préface de L’œuvre de Pascal, Bibliothèque de La Pléiade, 1950.

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pen­sant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser. Une vapeur, une goutte d’eau suf­fit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue ; parce qu’il sait qu’il meurt ; et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Ainsi toute notre digni­té consiste dans la pen­sée. C’est de là qu’il faut nous rele­ver, non de l’espace et de la durée. Travaillons donc à bien pen­ser. Voilà le prin­cipe de la morale [347][2].

Pascal, Pensées. Toutes les cita­tions en ita­lique sont de Pascal.

Pascal fut un roseau fra­gile, sou­vent atteint de cruelles mala­dies[3] – il mour­ra à l’âge de trente-​neuf ans –, mais il fut aus­si un très digne pen­seur qui devint, par étapes, un fervent chré­tien. La foi, si elle est supé­rieure à la rai­son, ne lui est pas contraire.

Les hommes ont mépris pour la reli­gion ; ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour gué­rir cela, il faut com­men­cer par mon­trer que la reli­gion n’est point contraire à la rai­son : véné­rable, en don­ner res­pect ; la rendre ensuite aimable, faire sou­hai­ter aux bons qu’elle fût vraie ; et puis mon­trer qu’elle est vraie. Vénérable, parce qu’elle a bien connu l’homme ; aimable, parce qu’elle pro­met le vrai bien. [187].

Deux excès : exclure la rai­son, n’admettre que la rai­son [253].

Pascal ne tom­ba ni dans l’un ni dans l’autre. Il fut, à un degré émi­nent, un homme de science, un pen­seur et un dis­ciple de Jésus-Christ.

1. Pascal et la recherche scientifique

Antoinette Bégon, la mère de Blaise, mou­rut trois ans après la nais­sance de son fils. Etienne Pascal, son père, « se réso­lut dès lors de l’instruire lui-​même, comme il l’a fait ; mon frère n’ayant jamais été en un col­lège, et n’ayant jamais eu d’autre maître que lui »[4].

Les soins et l’affection de ce père intel­li­gent et culti­vé, asso­ciés aux pré­coces et éton­nantes apti­tudes de Blaise à « dis­cer­ner le faux[5] », pro­dui­sirent d’excellents résul­tats. Etienne Pascal lui avait inter­dit de s’adonner à la mathé­ma­tique avant qu’il eût acquis une par­faite connais­sance des langues : le fran­çais, le latin et le grec. « Mon père lui dit sim­ple­ment que cette science « était le moyen de faire des figures justes et de trou­ver les pro­por­tions qu’elles ont entre elles. (…) Mais cet esprit qui ne pou­vait demeu­rer dans ces bornes, dès qu’il eut cette simple ouver­ture, que la mathé­ma­tique don­nait des moyens de faire des figures infailli­ble­ment justes, (…) se mit à for­mer des cercles, des traits, des tri­angles tout en réflé­chis­sant au point de for­mer des axiomes et des démons­tra­tions par­faites. (…) Il pas­sa et pous­sa ses recherches si avant, qu’il en vint jusqu’à la trente-​deuxième pro­po­si­tion du pre­mier livre d’Euclide[6] ». Blaise avait douze ans.

A l’âge de seize ans, il fit un Traité des Coniques dont il fut dit que depuis Archimède on n’avait rien vu de cette force. A ce trai­té, mal­heu­reu­se­ment per­du en grande par­tie, s’ajoutent deux œuvres de mathé­ma­tiques : le Traité du tri­angle arith­mé­tique (1654) et les Lettres de A. Dettonville[7] (1659) qui consti­tuent le pre­mier Traité de cal­cul inté­gral. Pascal y applique le prin­cipe des indi­vi­sibles énon­cés dans le Traité du tri­angle arith­mé­tique[8]. A par­tir de ce même Traité, il déve­lop­pe­ra la Géométrie du hasard, à l’origine du cal­cul des probabilités.

En 1642, pour faci­li­ter le tra­vail de son père, char­gé de la répar­ti­tion des impôts en Normandie, Pascal inven­ta sa fameuse machine, la pas­ca­line, qu’il mit deux années à per­fec­tion­ner. Elle per­met de réa­li­ser des opé­ra­tions arith­mé­tiques avec promp­ti­tude et exac­ti­tude. Sur la cin­quan­taine d’exemplaires construits, il en reste huit[9]. Il existe dif­fé­rents modèles, pour le cal­cul abs­trait, le cal­cul finan­cier et même pour le toi­sé des bâti­ments, à l’usage des architectes.

Comme l’affirme Dominique Descotes, son prin­cipe de fonc­tion­ne­ment n’est pas très dif­fé­rent de celui de nos ordi­na­teurs[10]. Un logi­ciel, qui sert à réa­li­ser des pro­grammes infor­ma­tiques, porte d’ailleurs le nom de Pascal.

La plu­part des écrits de Pascal sur la phy­sique concerne le vide et la pres­sion atmo­sphé­rique[11]. En 1647, alors que la ques­tion du vide agi­tait les scien­ti­fiques et les reli­gieux, Pascal repro­dui­sit une expé­rience de Torricelli : lorsqu’un tube rem­pli de mer­cure était retour­né sur un réci­pient éga­le­ment plein de mer­cure, appa­rais­sait un espace vide au-​dessus du tube. Pour véri­fier que ce phé­no­mène était lié à la pres­sion de l’air, l’expérience fut réa­li­sée par son beau-​frère, Florin Périer, à divers stades d’une ascen­sion sur le Puy-​de-​Dôme. Les résul­tats furent pro­bants : tous les effets qu’on avait jusque-​là attri­bués à l’horreur du vide sont sim­ple­ment cau­sés par la pres­sion atmo­sphé­rique. Pascal démon­tre­ra ensuite que celle-​ci s’étend à tous les milieux liquides et même à l’air.

C’est ain­si que l’unité de mesure prin­ci­pale de la pres­sion s’appelle le pas­cal (Pa).

Blaise Pascal est aus­si, dans les der­nières années de sa vie, l’inventeur du réseau des trans­ports publics dans Paris, les car­rosses à 5 sols. Moyennant ce prix, les pas­sa­gers étaient trans­por­tés sur cinq iti­né­raires com­por­tant sta­tions et chan­ge­ments. « La chose a réus­si si heu­reu­se­ment que, dès la pre­mière mati­née, il y eut quan­ti­té de car­rosses pleins », rap­por­ta sa sœur, Gilberte Périer.

Blaise Pascal a sans doute été le der­nier homme à pos­sé­der toute la science de son temps. En outre, comme en témoignent sa machine à cal­cu­ler, ses expé­riences concer­nant la pres­sion atmo­sphé­rique, son orga­ni­sa­tion de trans­ports publics, sa pro­di­gieuse intel­li­gence n’en est pas res­tée sur un plan pure­ment théo­rique, mais a su trou­ver des appli­ca­tions dans divers domaines de la vie humaine.

Ainsi, son fameux argu­ment du pari n’est-il pas un écho de sa Géométrie du hasard ? Comme le fait remar­quer Dominique Descotes : « Ce que veut mon­trer Pascal, c’est que l’incrédule, pri­vé de la grâce de la foi, choi­sit le par­ti où il ne peut que perdre et jamais gagner. Un tel argu­ment ne sau­rait sus­ci­ter une conver­sion, mais il peut au moins don­ner à réfléchir… »

Il est néan­moins évident que Les Pensées de Blaise Pascal ne sont pas un simple trai­té de logique et encore moins une série d’axiomes, mais bien l’une des plus grandes œuvres lit­té­raires jamais écrites, dans le fond comme dans la forme.

2. « Les Pensées »

Vers la tren­tième année de son âge, Pascal aban­don­na l’étude scien­ti­fique pour s’appliquer à celle de l’Ecriture, des Pères et de la morale chré­tienne. Il s’employa aus­si à répondre aux « liber­tins », affran­chis de la reli­gion, esprits forts qui refu­saient de se sou­mettre à l’idée d’un Dieu rédempteur.

Ce sont d’abord des pen­sées, conçues, médi­tées, mémo­ri­sées, puis rédi­gées au fur et à mesure sur quelque mor­ceau de papier. Il n’écrivait que pour lui, ne rédi­geant que ce qui était néces­saire au grand pro­jet de défense de la reli­gion chré­tienne qu’il avait pré­sen­té en 1658 à Port-​Royal des Champs. Ainsi « furent décou­verts après sa mort huit cents frag­ments presque illi­sibles, clas­sés par liasses, dont vingt-​sept pour­vues d’un titre, et trente-​quatre sans titre »[12].

Etienne Périer, qui écri­vit la pré­face de l’édition des Pensées en 1670, explique « qu’il ne faut (donc) pas s’étonner si quelques-​uns de ces frag­ments semblent assez impar­faits, trop courts et trop peu expli­qués, dans les­quels on peut même trou­ver des termes et des expres­sions moins propres et moins élé­gantes. Il arri­vait néan­moins quel­que­fois qu’ayant la plume à la main il ne pou­vait s’empêcher, en sui­vant son incli­na­tion, de pous­ser ses pen­sées et de les étendre un peu davan­tage, quoique ce ne fût jamais avec la même force et la même appli­ca­tion d’esprit que s’il eût été en par­faite san­té. Et c’est pour­quoi l’on en trou­ve­ra aus­si quelques-​unes plus éten­dues et mieux écrites, et des cha­pitres plus sui­vis et plus par­faits que les autres[13] ».

Ces frag­ments, recueillis en 1662, furent ensuite décou­pés en une infi­ni­té de petits mor­ceaux et col­lés d’une manière arbi­traire et dans le plus grand désordre sur un énorme album relié, de 253 folios et qui porte au dos la men­tion sui­vante : Pensées de Pascal, 1711. Ce recueil est pré­cé­dé d’une attes­ta­tion de l’abbé Louis Périer, neveu de Blaise Pascal, affir­mant qu’il s’agit « des ori­gi­naux du livre des Pensées de Monsieur Pascal impri­mé pour la pre­mière fois chez Desprez à Paris en 1670 ». Cette édi­tion fit auto­ri­té pen­dant plus d’un siècle.

Suivirent de très nom­breuses édi­tions dont la plus clas­sique est celle de Brunschvicg.

Le recueil des Pensées peut être divi­sé en trois grandes par­ties : la concep­tion de l’homme, la vie humaine, Dieu.

Afin de par­cou­rir et savou­rer un peu cette œuvre immense, nous nous réfè­re­rons suc­cinc­te­ment au tra­vail d’Hélène Vuillermet[14] qui la clas­sa sous dif­fé­rents thèmes. Nous n’y ajou­te­rons aucun com­men­taire, lais­sant à cha­cun le soin de réflé­chir par lui-​même. Nos contem­po­rains, spé­cia­le­ment les jeunes gens, pensent hélas si peu en géné­ral, consi­dé­rant la véri­té comme une opi­nion et leurs opi­nions, ânon­nées par les media, comme la véri­té. C’est l’un des prin­ci­paux maux de notre temps.

Disproportion de l’homme

Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloi­gné de com­prendre les extrêmes, la fin des choses et leur prin­cipe sont pour lui invin­ci­ble­ment cachés dans un secret impé­né­trable, éga­le­ment inca­pable de voir le néant dont il est tiré et l’infini où il est englou­ti [72].

L’homme est à lui-​même le plus pro­di­gieux objet de la nature ; car il ne peut conce­voir ce que c’est que corps, et encore moins ce que c’est qu’esprit, et moins qu’aucune chose comme un corps peut être uni avec un esprit. C’est là le comble de ses dif­fi­cul­tés, et cepen­dant c’est son propre être : « la façon dont l’esprit se tient au corps ne peut être com­prise par les hommes et pour­tant c’est cela même qui est l’homme » (Saint Augustin, La Cité de Dieu, XXI, 10. [72].

Imagination

Le plus grand phi­lo­sophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-​dessous un pré­ci­pice, quoique sa rai­son le convainque de sa sûre­té, son ima­gi­na­tion pré­vau­dra. Plusieurs n’en sau­raient sou­te­nir la pen­sée sans pâlir et suer.

L’imagination dis­pose de tout ; elle fait la beau­té, la jus­tice, et le bon­heur, qui est le tout du monde. Je vou­drais de bon cœur voir le livre ita­lien, dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres : Della opi­nione regi­na del mon­do[15]. J’y sous­cris sans le connaître, sauf le mal, s’il y en a [82].

Perspective

Ceux qui sont dans le dérè­gle­ment disent à ceux qui sont dans l’ordre que ce sont eux qui s’éloignent de la nature et ils croient la suivre : comme ceux qui sont dans un vais­seau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le lan­gage est pareil de tous côtés. Il faut avoir un point fixe pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans un vais­seau ; mais où prendrons-​nous un port dans la morale[16] ? [383].

Inconstance

Les choses ont diverses qua­li­tés, et l’âme diverses incli­na­tions ; car rien n’est simple de ce qui s’offre à l’âme, et l’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet. De là vient qu’on pleure et qu’on rit d’une même chose [112].

Divertissement et ennui

Si l’homme était heu­reux, il le serait d’autant plus qu’il serait moins diver­ti, comme les saints et Dieu. Oui, mais n’est-ce pas être heu­reux que de pou­voir être réjoui par le diver­tis­se­ment ? Non ; car il vient d’ailleurs et de dehors ; et ain­si il est dépen­dant, et par­tant, sujet à être trou­blé par mille acci­dents, qui font les afflic­tions véri­tables [170].

Les stoïques disent : « Rentrez au-​dedans de vous-​mêmes ; c’est là où vous trou­ve­rez votre repos ». Et cela n’est pas vrai.

Les autres disent : « Sortez en dehors ; recher­chez le bon­heur en vous diver­tis­sant ». Et cela n’est pas vrai. Les mala­dies arrivent.

Le bon­heur n’est ni hors de nous, ni dans nous ; il est en Dieu, et hors et dans nous [465].

Vanité

Quelle vani­té la pein­ture[17], qui attire l’admiration par la res­sem­blance des choses dont on n’admire pas les ori­gi­naux [134].

Curiosité n’est que vani­té. Le plus sou­vent on ne veut savoir que pour en par­ler [152].

Nous ne nous conten­tons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous vou­lons vivre dans l’idée des autres d’une vie ima­gi­naire, et nous nous effor­çons pour cela de paraître. Nous tra­vaillons inces­sam­ment à embel­lir et conser­ver notre être ima­gi­naire, et négli­geons le véri­table [147].

Qui vou­dra connaître à plein la vani­té de l’homme n’a qu’à consi­dé­rer les causes et les effets de l’amour. La cause en est « un je ne sais quoi » (Corneille), et les effets en sont effroyables. (…) Le nez de Cléopâtre : s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait chan­gé [162].

Justice, force

Il est juste que ce qui est juste soit sui­vi, il est néces­saire que ce qui est le plus fort soit sui­vi. La jus­tice sans la force est impuis­sante. La force sans la jus­tice est tyran­nique. La jus­tice sans force est contre­dite, parce qu’il y a tou­jours des méchants ; la force sans la jus­tice est accu­sée. Il faut donc mettre ensemble la jus­tice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste [298].

Dignité de l’homme

Ce n’est point de l’espace que je dois cher­cher ma digni­té mais c’est du règle­ment de ma pen­sée. Je n’aurai pas davan­tage en pos­sé­dant des terres : par l’espace, l’univers me com­prend et m’engloutit comme un point ; par la pen­sée, je le com­prends [348].

La gran­deur de l’homme est si visible, qu’elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux ani­maux, nous l’appelons misère en l’homme ; par où nous recon­nais­sons que sa nature étant aujourd’hui pareille à celle des ani­maux, il est déchu d’une meilleure nature, qui lui était propre autre­fois [409].

Il n’est pas hon­teux à l’homme de suc­com­ber sous la dou­leur, et il lui est hon­teux de suc­com­ber sous le plai­sir ; (…) D’où vient donc qu’il est glo­rieux à la rai­son de suc­com­ber sous l’effort de la dou­leur, et qu’il lui est hon­teux de suc­com­ber sous l’effort du plai­sir ? C’est que ce n’est pas la dou­leur qui nous tente et nous attire ; c’est nous-​mêmes qui volon­tai­re­ment la choi­sis­sons et vou­lons la faire domi­ner sur nous ; de sorte que nous sommes maîtres de la chose ; et en cela c’est l’homme qui suc­combe à soi-​même ; mais dans le plai­sir, c’est l’homme qui suc­combe au plai­sir. Or il n’y a que la maî­trise et l’empire qui fassent la gloire, et que la ser­vi­tude qui fasse la honte [160].

Foi et raison

Il y a trois moyens de croire : la rai­son, la cou­tume, l’inspiration. La reli­gion chré­tienne, qui seule a la rai­son, n’admet pas pour ses enfants ceux qui croient sans ins­pi­ra­tion ; ce n’est pas qu’elle exclue la rai­son et la cou­tume, au contraire ; mais il faut ouvrir son esprit aux preuves, s’y confor­mer par la cou­tume, mais s’offrir par les humi­lia­tions aux ins­pi­ra­tions, qui seules peuvent faire le vrai et salu­taire effet : Ne eva­cua­tur crux Christi [18] [245].

Les autres reli­gions, comme les païennes, sont plus popu­laires, car elles sont en exté­rieur ; mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une reli­gion pure­ment intel­lec­tuelle serait plus pro­por­tion­née aux habiles ; mais elle ne ser­vi­rait pas au peuple. La seule reli­gion chré­tienne est pro­por­tion­née à tous, étant mêlée d’extérieur et d’intérieur. Elle élève le peuple à l’intérieur et abaisse les superbes à l’extérieur ; et n’est pas par­faite sans les deux, car il faut que le peuple entende l’esprit de la lettre, et que les habiles sou­mettent leur esprit à la lettre [251].

La der­nière démarche de la rai­son est de recon­naître qu’il y a une infi­ni­té de choses qui la sur­passent ; elle n’est que faible, si elle ne va pas jusqu’à connaître cela. Que si les choses natu­relles la sur­passent, que dira-​t-​on des sur­na­tu­relles ? [267].

Que je hais ces sot­tises, de ne pas croire l’Eucharistie, etc. ! Si l’Evangile est vrai. Si Jésus-​Christ est Dieu, quelle dif­fi­cul­té y a‑t-​il là ? [224].

Faire les petites choses comme grandes, à cause de la majes­té de Jésus-​Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie ; et les grandes comme petites et aisées, à cause de sa toute-​puissance [553].

Les hommes prennent sou­vent leur ima­gi­na­tion pour leur cœur ; et ils croient être conver­tis dès qu’ils pensent à se conver­tir [275].

La conduite de Dieu qui dis­pose toutes choses avec dou­ceur, est de mettre la reli­gion dans l’esprit par les rai­sons et dans le cœur par la grâce [203].

Vérité

D’où vient qu’un boi­teux ne nous irrite pas, et un esprit boi­teux nous irrite ? A cause qu’un boi­teux recon­naît que nous allons droit, et qu’un esprit boi­teux dit que c’est nous qui boi­tons ; sans cela nous en aurions pitié et non colère [80].

Les malingres sont gens qui connaissent la véri­té, mais qui ne la sou­tiennent qu’autant que leur inté­rêt s’y ren­contre ; mais, hors de là, ils l’abandonnent [583].

Tous errent d’autant plus dan­ge­reu­se­ment qu’ils suivent cha­cun une véri­té. Leur faute n’est pas de suivre une faus­se­té, mais de ne pas suivre une autre véri­té [863].

La véri­té est si obs­cur­cie en ce temps, et le men­songe si éta­bli, qu’à moins d’aimer la véri­té, on ne sau­rait la connaître [864].

On se fait une idole de la véri­té même ; car la véri­té hors de la cha­ri­té n’est pas Dieu[19], et est son image et une idole, qu’il ne faut point aimer ni ado­rer ; et encore moins faut-​il aimer ou ado­rer son contraire, qui est le men­songe [582].

Quand on veut reprendre avec uti­li­té, et mon­trer à un autre qu’il se trompe, il faut obser­ver par quel côté il envi­sage la chose, car elle est vraie ordi­nai­re­ment de ce côté-​là, et lui avouer cette véri­té, mais lui décou­vrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trom­pait pas, et qu’il man­quait seule­ment à voir tous les côtés ; or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas s’être trom­pé. [9].

Dieu caché

Il n’est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n’est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu’il se cache à ceux qui le tentent, et qu’il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu, et capables de Dieu : indignes par leur cor­rup­tion, capables par leur pre­mière nature [557].

La nature a des per­fec­tions pour mon­trer qu’elle est l’image de Dieu et des défauts pour mon­trer qu’elle n’en est que l’image [580].

S’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sen­ti­rait point sa cor­rup­tion ; s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi, il est non seule­ment juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en par­tie, et décou­vert en par­tie, puisqu’il est éga­le­ment dan­ge­reux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu [586].

Nous pou­vons connaître Dieu, sans connaître nos misères ; ou nos misères, sans connaître Dieu ; ou même Dieu et nos misères, sans connaître le moyen de nous déli­vrer des misères qui nous accablent. Mais nous ne pou­vons connaître JESUS-​CHRIST, sans connaître tout ensemble et Dieu, et nos misères, et le remède de nos misères ; parce que JESUS-​CHRIST n’est pas sim­ple­ment Dieu, mais que c’est un Dieu répa­ra­teur de nos misères [556].

3. Pascal, le disciple de Jésus-Christ

« Nemo dat quod non habet[20] » ; les pages ardentes que Blaise Pascal a consa­crées à Jésus-​Christ, spé­cia­le­ment dans ses Pensées, sont l’expression d’une ardente vie chrétienne.

Il avait, certes, reçu une édu­ca­tion chré­tienne, et, d’après le témoi­gnage de sa sœur Gilberte, « avait été pré­ser­vé, par une pro­tec­tion par­ti­cu­lière de la Providence, de tous les vices de la jeu­nesse (…) et ne s’était jamais por­té au liber­ti­nage pour ce qui regarde la reli­gion », « tout en ayant fré­quen­té les salons où se côtoyaient pré­cieux, femmes savantes, esprits forts, liber­tins [21] ». Sa vie chré­tienne devien­dra plus éclai­rée et pro­fonde par le biais de deux chi­rur­giens qui avaient soi­gné son père et qui étaient des dis­ciples de Port-​Royal ». Mais il n’avait pas entiè­re­ment renon­cé à une vie encore bien mon­daine. Sa conver­sion radi­cale à Jésus-​Christ se pro­dui­sit lors d’une extase, com­pa­rable à celle de saint Paul[22], qui le ravit depuis envi­ron 10 heures et demie du soir jusques envi­ron minuit et demi, l’An de grâce 1654, le lun­di 23 novembre.

Le par­che­min sur lequel Pascal consi­gna son ravis­se­ment et les pen­sées que lui ins­pi­ra Dieu, fut décou­vert après sa mort dans la dou­blure de son pour­point. En voi­ci le texte com­plet, ain­si qu’une repro­duc­tion de ce billet :

FEU
Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des phi­lo­sophes et des savants.
Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
Dieu de Jésus-​Christ.
Deum meum et Deum ves­trum.
Ton Dieu sera mon Dieu.
Oubli du monde et de tout, hor­mis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies ensei­gnées dans l’Evangile.
Grandeur de l’âme humaine.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu.
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m’en suis sépa­ré :
Je m’en suis sépa­ré :
Dereliquerunt me fon­tem, aquae vivae[23].
Mon Dieu, me quitterez-​vous ?
Que je n’en sois pas sépa­ré éter­nel­le­ment.
Cette est la vie éter­nelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé
Jésus-​Christ.
Jésus-​Christ.
Jésus-​Christ.
Je m’en suis sépa­ré ; je l’ai fui, renon­cé, cru­ci­fié.
Que je n’en sois jamais sépa­ré.
Il ne se conserve que dans les voies ensei­gnées par l’Evangile.
Renonciation totale et douce.
Soumission totale à Jésus-​Christ et à mon direc­teur.
Eternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre.
Non obli­vis­car ser­mones tuos[24]. Amen.

Voici quelques-​unes de ses Pensées rela­tives à Notre Seigneur et ain­si que des extraits de sa pers­pi­cace défense du chris­tia­nisme. Le lec­teur res­te­ra sans doute sur sa faim, même s’il lit avec atten­tion et non « en dia­go­nale ». Nous espé­rons qu’il se repor­te­ra par lui-​même sur les œuvres de Pascal, réa­li­sant ain­si l’un des buts de cet article. Il me per­met­tra, en outre, d’évoquer un sou­ve­nir per­son­nel quant aux bien­faits de ces Pensées : alors élève de pre­mière, je béné­fi­ciai d’un cours pas­sion­nant don­né par un pro­fes­seur de fran­çais qui sut nous faire lire, com­prendre et aimer Pascal. Je puis affir­mer que ce fut une bouf­fée d’oxygène qui nous pré­ser­va de bien des maux, intel­lec­tuels et moraux. Puisse la jeu­nesse actuelle d’un monde débous­so­lé, « dés-​Orienté », c’est-à-dire loin de Jésus-​Christ, réflé­chir, goû­ter ces Pensées dont le bon sens, la rigueur logique, les for­mules ima­gées et la pro­fon­deur consti­tuent un puis­sant remède aux sophismes régnants. 

Jésus-​Christ

Saint Augustin nous apprend, qu’il y a dans chaque homme un ser­pent, une Ève, et un Adam. Le ser­pent sont les sens et notre nature, l’Ève est l’appétit concu­pis­cible, et l’Adam est la rai­son. [cf. s. Aug. De Gn. Ctr. Man., II, 20] La nature nous tente conti­nuel­le­ment : l’appétit concu­pis­cible désire sou­vent : mais le péché n’est pas ache­vé si la rai­son ne consent. Laissons donc agir ce ser­pent et cette Ève, si nous ne pou­vons l’empêcher : mais prions Dieu que sa grâce for­ti­fie tel­le­ment notre Adam, qu’il demeure vic­to­rieux, que JÉSUS-​CHRIST en soit vain­queur, et qu’il règne éter­nel­le­ment en nous [Lettre à Mme Perrier, 17 oct. 1751].

Jésus souffre dans sa pas­sion les tour­ments que lui font les hommes ; mais dans l’agonie il souffre les tour­ments qu’il se donne à lui-​même. C’est un sup­plice d’une main non humaine, mais toute-​puissante, et il faut être tout-​puissant pour le sou­te­nir. Jésus cherche quelque conso­la­tion au moins dans ses trois plus chers amis et ils dorment ; il les prie de sou­te­nir un peu avec lui, et ils le laissent avec une négli­gence entière, ayant si peu de com­pas­sion qu’elle ne pou­vait seule­ment les empê­cher de dor­mir un moment. (…) Jésus est dans un jar­din, non de délices comme le pre­mier Adam, où il se per­dit et tout le genre humain, mais dans un de sup­plices, où il s’est sau­vé et tout le genre humain. Il souffre cette peine et cet aban­don dans l’horreur de la nuit. Je crois que Jésus ne s’est jamais plaint que cette seule fois ; mais alors il se plaint comme s’il n’eût plus pu conte­nir sa dou­leur exces­sive : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » Jésus cherche de la com­pa­gnie et du sou­la­ge­ment de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n’en reçoit point, car ses dis­ciples dorment. Jésus sera en ago­nie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dor­mir pen­dant ce temps-​là [553].

Nous ne connais­sons Dieu que par Jésus-​Christ. Sans ce Médiateur, est ôtée toute com­mu­ni­ca­tion avec Dieu ; par Jésus-​Christ, nous connais­sons Dieu. Tous ceux qui ont pré­ten­du connaître Dieu et le prou­ver sans Jésus-​Christ n’avaient que des preuves impuis­santes. Mais pour prou­ver Jésus-​Christ, nous avons les pro­phé­ties qui sont des preuves solides et pal­pables. Et ces pro­phé­ties étant accom­plies, et prou­vées véri­tables par l’événement, marquent la cer­ti­tude de ces véri­tés, et, par­tant, la preuve de la divi­ni­té de Jésus-​Christ. En lui et par lui, nous connais­sons donc Dieu. Hors de là et sans l’Écriture, sans le péché ori­gi­nel, sans Médiateur néces­saire pro­mis et arri­vé, on ne peut prou­ver [trou­ver] abso­lu­ment Dieu, ni ensei­gner ni bonne doc­trine ni bonne morale. Mais par Jésus-​Christ et en Jésus-​Christ, on prouve Dieu, et on enseigne la morale et la doc­trine. Jésus-​Christ est donc le véri­table Dieu des hommes [547].

Quel homme eut jamais plus d’éclat ? Le peuple juif tout entier le pré­dit avant sa venue. Le peuple gen­til l’adore après sa venue. Les deux peuples, gen­til et juif, le regardent comme leur centre. Et cepen­dant quel homme jouit jamais moins de cet éclat ? De trente-​trois ans, il en vécut trente sans paraître. Dans trois ans, il passe pour un impos­teur ; les prêtres et les prin­ci­paux le rejettent ; ses amis et ses plus proches le méprisent. Enfin il meurt tra­hi par un des siens, renié par l’autre et aban­don­né par tous. Quelle part a‑t-​il donc à cet éclat ? Jamais homme n’a eu tant d’éclat, jamais homme n’a eu plus d’ignominie. Tout cet éclat n’a ser­vi qu’à nous, pour nous le rendre recon­nais­sable ; et il n’en a rien eu pour lui [792].

Défense du christianisme

Les gran­deurs et les misères de l’homme sont tel­le­ment visibles qu’il faut néces­sai­re­ment que la véri­table reli­gion nous enseigne et qu’il y a quelque grand prin­cipe de gran­deur en l’homme, et qu’il y a un grand prin­cipe de misère. (…) Il faut qu’elle nous rende rai­son de ces oppo­si­tions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuis­sances, et les moyens d’obtenir ces remèdes. Qu’on exa­mine sur cela toutes les reli­gions du monde, et qu’on voie s’il y en a une autre que la [reli­gion] chré­tienne qui y satis­fasse. Sera-​ce les phi­lo­sophes qui nous pro­posent pour tout bien les biens qui sont en nous ? Est-​ce là le vrai bien ? Ont-​ils trou­vé le remède à nos maux ? Est-​ce avoir gué­ri la pré­somp­tion de l’homme que de l’avoir mis à l’égal de Dieu ? Ceux qui nous ont éga­lés aux bêtes, et les maho­mé­tans, qui nous ont don­né les plai­sirs de la terre pour tout bien, même dans l’éternité, ont-​ils appor­té le remède à nos concu­pis­cences ? Quelle reli­gion nous ensei­gne­ra donc à gué­rir l’orgueil et la concu­pis­cence ? Quelle reli­gion enfin nous ensei­gne­ra notre bien, nos devoirs, les fai­blesses qui nous en détournent, la cause de ces fai­blesses, les remèdes qui les peuvent gué­rir, et le moyen d’obtenir ces remèdes ? Toutes les autres reli­gions ne l’ont pu [420], le judaïsme comme l’Islam : Jésus-​Christ a été tué, disent-​ils ; il a suc­com­bé ; il n’a pas domp­té les païens par sa force ; il ne nous a pas don­né leurs dépouilles ; il ne donne point de richesses. N’ont-ils que cela à dire ? C’est en cela qu’il m’est aimable. Je ne vou­drais pas celui qu’ils se figurent. Il est visible que ce n’est que sa vie qui les a empê­chés de le rece­voir ; et par ce refus, ils sont des témoins sans reproche, et, qui plus est, par là ils accom­plissent les pro­phé­ties. Par le moyen de ce que le peuple ne l’a pas reçu, est arri­vée cette mer­veille que voi­ci : les pro­phé­ties sont les seuls miracles sub­sis­tants qu’on peut faire, mais elles sont sujettes à être contre­dites. Les Juifs, en le tuant, pour ne le point rece­voir pour Messie, lui ont don­né la der­nière marque de Messie. Et en conti­nuant à le mécon­naître, ils se sont ren­dus témoins irré­pro­chables ; et en le tuant, et conti­nuant à le renier, ils ont accom­pli les pro­phé­ties (Is., LX ; Ps. LXX) [758].

Différence entre Jésus-​Christ et Mahomet. Mahomet, non pré­dit ; Jésus-​Christ, pré­dit. Mahomet, en tuant ; Jésus-​Christ, en fai­sant tuer les siens. Mahomet, en défen­dant de lire ; les apôtres, en ordon­nant de lire. Enfin, cela est si contraire que, si Mahomet a pris la voie de réus­sir humai­ne­ment, Jésus-​Christ a pris celle de périr humai­ne­ment ; et qu’au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réus­si, Jésus-​Christ a bien pu réus­sir, il faut dire que puisque Mahomet a réus­si, Jésus-​Christ devait périr. Tout homme peut faire ce qu’a fait Mahomet ; car il n’a point fait de miracles, il n’a point été pré­dit ; nul peut faire ce qu’a fait Jésus-​Christ [559].

L’Eglise

Voici deux cita­tions d’une sur­pre­nante actualité :

L’histoire de l’Église doit être pro­pre­ment appe­lée l’histoire de la véri­té. Il y a plai­sir d’être dans un vais­seau bat­tu de l’orage, lorsqu’on est assu­ré qu’il ne péri­ra point. Les per­sé­cu­tions qui tra­vaillent l’Église sont de cette nature [858/​859].

Si l’ancienne Église était dans l’erreur, l’Église est tom­bée. Quand elle y serait aujourd’hui, ce n’est pas de même : car elle a tou­jours la maxime supé­rieure de la tra­di­tion, de créance de l’ancienne Église ; et ain­si, cette sou­mis­sion et cette confor­mi­té à l’ancienne Église pré­vaut et cor­rige tout [867].

Est-​il pos­sible de conclure un simple article sur Blaise Pascal ? Les quelques cita­tions de ses Pensées qui vous ont été pro­po­sées ne sont-​elles pas une source d’inépuisables réflexions et d’innombrables appli­ca­tions dans la vie des hommes ?

Sa per­son­na­li­té même est comme auréo­lée de mys­tère. Il est sans doute le seul scien­ti­fique, dans toute la rigueur du terme, qui ait eu une telle connais­sance de la reli­gion et se soit autant appro­ché de Dieu (avec, peut-​être, saint Albert-​le-​Grand, muta­tis mutan­dis[25] ) et le seul grand écri­vain aus­si doué en mathé­ma­tiques, en géo­mé­trie et en phy­sique. Pascal est, à lui seul, une réfé­rence indis­cu­tée dans tous ces domaines.

Ce génie uni­ver­sel mou­rut avant sa qua­ran­tième année, ron­gé par la mala­die pen­dant vingt ans[26]. C’est ali­té qu’il reçut Descartes dési­rant entendre de la bouche du jeune pro­dige ses concep­tions sur le vide.


Masque mor­tuaire de Blaise Pascal.

À la suite de la mort de son cher père, Etienne Pascal, sur­ve­nue le 24 sep­tembre 1651, il écri­vit ces mots à sa sœur Gilberte : Nous devons cher­cher la conso­la­tion à nos maux, non pas dans nous-​mêmes, non pas dans les hommes, non pas dans tout ce qui est créé, mais dans Dieu (…) Ne consi­dé­rons plus un homme comme ayant ces­sé de vivre, quoique la nature le sug­gère, mais comme com­men­çant à vivre, comme la véri­té l’assure.

C’est sans doute avec ces dis­po­si­tions qu’il se pré­pa­ra à entrer dans la Vie. Après avoir confes­sé sa foi en tous les mys­tères de la reli­gion catho­lique, Blaise Pascal reçut, en ver­sant des larmes, les der­niers sacre­ments. Que Dieu ne m’abandonne jamais furent ses der­nières paroles. Le 19 août 1662, il ren­dit son der­nier sou­pir, avant de rejoindre Celui qui lui mani­fes­ta un rayon de son Amour infi­ni lors d’une nuit de feu : NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST.

Notes de bas de page
  1. Qui devien­dra Clermont-​Ferrand par suite de l’union, au 17e siècle, de Clermont avec Montferrand.[]
  2. Numéro indi­qué, comme dans tout l’ar­ticle, d’a­près le clas­se­ment des Pensées dans la pre­mière édi­tion de Léon Brunschvicg (Hachette, 1897).[]
  3. Pascal com­po­sa une belle prière à l’usage des malades ; elle com­mence par ces mots : Seigneur, dont l’esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tel­le­ment misé­ri­cor­dieux que non seule­ment les pros­pé­ri­tés, mais les dis­grâces mêmes qui arrivent à vos élus, sont les effets de votre misé­ri­corde, faites-​moi la grâce de ne pas agir en païen dans l’état où votre jus­tice m’a réduit : que comme un vrai chré­tien, je vous recon­naisse pour mon père et pour mon Dieu en quelque état où je me trouve… – Opuscules, IV, Bibliothèque de la Pléiade, p. 328.[]
  4. La vie de Monsieur Pascal, par Madame Gilberte Périer.[]
  5. La vie de Monsieur Pascal, par Madame Périer.[]
  6. La vie de Monsieur Pascal, par Madame Périer.[]
  7. C’est-à-dire Amos Dettonville, ana­gramme du pseu­do­nyme Louis de Montalte qu’il inven­ta pour l’édition col­lec­tive des Provinciales.[]
  8. Le lec­teur ver­sé dans les mathé­ma­tiques pour­ra se réfé­rer direc­te­ment aux démons­tra­tions de Pascal, publiées dans L’œuvre de Pascal, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, 1950, p. 89 et 102.[]
  9. Une au musée de Dresde, deux à Clermont-​Ferrand, une chez IBM et quatre au Conservatoire natio­nal des Arts et Métiers de Paris.[]
  10. Figaro hors-​série, Pascal, le cœur et la rai­son, p. 124.[]
  11. Ses expé­riences sont décrites p. 135 dans L’œuvre de Pascal cité ci-​dessus.[]
  12. Isabelle Schmitz, Figaro hors-​série sur Blaise Pascal, p. 38.[]
  13. L’œuvre de Pascal, Bibliothèque de la Pléiade, cité ci-​dessus.[]
  14. Pascal, Pensées. Librio, sep­tembre 2022.[]
  15. « Que l’opinion est la reine du monde ».[]
  16. … sinon en J.C., à qui tout doit se réfé­rer.[]
  17. Ou les images, les sons numé­ri­sés …[]
  18. « Pour que ne reste pas vaine la croix du Christ » – I Cor. 1, 17.[]
  19. « Il faut l’amour de la véri­té et la véri­té de l’amour » – Saint Augustin.[]
  20. « On ne donne que ce qu’on a ».[]
  21. Michel de Jaeghere, Figaro hors-​série sur Pascal, p. 4.[]
  22. Cf. II Cor. 12, 2.[]
  23. « Ils m’ont délais­sé, moi qui suis la fon­taine d’eau vive » – Jérémie, II, 13.[]
  24. « Je n’oublierai point tes paroles » – Ps. CXVIII, 16.[]
  25. « En chan­geant ce qui doit être chan­gé ».[]
  26. Au témoi­gnage de sa sœur Gilberte, « il était tra­vaillé par des mala­dies conti­nuelles et qui allaient tou­jours en aug­men­tant ».[]