Dans ce nouvel ouvrage, sont abordées de façon très didactique des questions qui occupent plus que jamais l’actualité.
Entretien avec M. l’abbé François Knittel
Monsieur l’abbé, vous venez de publier aux éditions du Cerf un ouvrage de bioéthique intitulé Au service de la vie. Vingt leçons de bioéthique. Depuis combien de temps travaillez-vous sur ces questions ?
Depuis que je suis prêtre.
Au début des années 90, alors que j’étais en poste aux Antilles, un confrère m’avait posé par écrit des questions sur les méthodes naturelles de régulation des naissances. Je lui avais répondu en rédigeant un petit catéchisme en 21 questions et réponses. Dans les années 2000, au Mexique, des jeunes sont venus m’interroger sur les greffes et dons d’organes. J’ai pu constater que mes réponses n’étaient ni précises ni assurées. J’ai alors décidé d’étudier plus à fond toutes ces questions.
J’ai publié un premier article sur greffes et dons d’organes avant de traiter successivement des nouvelles techniques de reproduction humaine, des méthodes naturelles de régulation des naissances, des moyens pour se maintenir en vie et de la fin de vie. Arrivé en Alsace, mon collaborateur m’a encouragé à composer un ouvrage de synthèse. Voilà dix ans qu’il était en gestation. Il vient de naître.
Les écrits consacrés à la bioéthique sont nombreux, à commencer par le numéro de Fideliter de septembre-octobre 1985 publié avec le bandeau « Inviolabilité de la vie humaine de la conception à la mort ». Pourquoi un nouveau livre sur ces thématiques ?
D’abord, parce que le dossier de Fideliter, devenu un livre et longtemps diffusé par Clovis, n’est plus disponible. Ensuite, parce que les questions de bioéthique se multiplient et se renouvellent au fil des ans. Enfin, parce qu’une présentation logique et complète allant des principes aux conclusions sans rallonges ni redites faisait défaut.
Vingt chapitres, trois cent pages, n’est-ce pas un peu long pour répondre aux doutes de l’homme de la rue ?
Ceux qui s’interrogent sur l’aspect éthique des avancées médicales sont souvent plus avides de réponses simples —voire simplistes— que de réflexion et de compréhension. C’est regrettable.
Prenons l’exemple des greffes. A la question : « les greffes sont-elles moralement licites ? », nul ne peut répondre avant d’avoir fait au préalable quelques distinctions.
De quelle greffe parle-t-on ? D’une autogreffe (donneur et receveur sont identiques), d’une homogreffe (donneur et receveur sont de la même espèce) ou d’une hétérogreffe (donneur et receveur sont d’espèces différentes) ? Et s’agissant d’une homogreffe, le donneur est-il vivant ou mort ? Ce n’est qu’après avoir sérié les questions qu’une réponse éclairante est envisageable en recourant d’ailleurs à des principes différents selon le cas de figure.
Mettre en évidence les distinctions fondamentales, expliciter les différents principes, balayer l’ensemble de la matière : tout cela ne se fait pas en deux temps trois mouvements. Il faut s’y résoudre : certaines questions de bioéthique sont complexes et exigent une réponse détaillée et circonstanciée.
Ceci dit, les chapitres de mon livre ne dépassent pas 10 pages et chacun est divisé en 5 points. Un glossaire médical, deux index, une bibliographie et une table des matières aident le lecteur à tirer profit de sa lecture.
En feuilletant le livre, on voit que les enseignements du magistère sont mentionnés en note mais n’interviennent jamais dans l’argumentaire. S’agit-il d’une maladresse de votre part ?
Non, c’est intentionnel. Je m’explique.
Dans mon enfance, j’ai fait la connaissance d’un médecin d’origine hongroise qui avait fait ses études de médecine avec mon père et qui venait nous visiter de temps à autre. Ces deux hommes qu’unissait un même idéal —aider le prochain dans ses maladies— ne partageaient pas la même attitude religieuse. Pourtant, lorsque l’avortement a été légalisé en France, ils ont lutté de concert pour défendre l’enfant à naître. L’un était assurément animé par sa foi quand l’autre tirait ses certitudes des lumières de la seule raison.
D’où ma conviction : la raison est capable d’éclairer les esprits —qu’ils aient la foi ou pas, qu’ils soient pratiquants ou pas— quant au respect dû à leurs semblables de la conception à la mort.
Vous vous inspirez constamment de la pensée de saint Thomas d’Aquin ? N’est-ce pas là une façon déguisée de se référer à la doctrine chrétienne ?
L’œuvre de saint Thomas d’Aquin est certes essentiellement théologique. Son propos est de pénétrer le mystère de Dieu autant que faire se peut : fides quærens intellectum – la foi qui cherche l’intelligence.
Pour ce faire, le théologien doit d’abord s’abreuver aux sources de la révélation et au dépôt de la foi. C’est pourquoi il se penche en priorité sur l’Écriture et les Pères de l’Église ainsi que sur les enseignements des papes et des conciles. Mais, il doit aussi disposer d’un instrument d’analyse suffisamment élaboré pour cerner le réel dans toute sa complexité. Cet indispensable outillage, saint Thomas l’a trouvé dans la pensée et les écrits d’Aristote.
Captivé par la vie surnaturelle, l’Aquinate n’en oublie pas pour autant la structure de l’ordre naturel. Son analyse de l’acte humain est certes mise au service de sa perspective théologique, mais elle jouit d’une consistance propre que même ceux qui n’ont pas la foi sont capables de saisir. Encore faut-il la leur exposer…
Invoquer les lumières de la raison lorsqu’on jouit de celles de la foi, n’est-ce pas céder au mirage du rationalisme ?
Dans la Somme contre les Gentils, saint Thomas expose la manière d’argumenter avec les différents contradicteurs : « Les mahométans et les païens, ne s’accordent pas avec nous pour reconnaître l’autorité de l’Écriture, grâce à laquelle on pourrait les convaincre, alors qu’à l’encontre des juifs, nous pouvons disputer sur le terrain de l’Ancien Testament, et qu’à l’encontre des hérétiques, nous pouvons disputer sur le terrain du Nouveau Testament. Mahométans et païens n’admettent ni l’un ni l’autre. Force est alors de recourir à la raison naturelle à laquelle tous sont obligés de donner leur adhésion » (livre 1, ch. 2).
A ceux qui ne reconnaissent ni les Écritures ni les enseignements du magistère de l’Église, il faut argumenter en recourant aux lumières de la raison. Faute de quoi, notre discours sera inaudible.
A la différence du protestantisme qui affirme que l’intelligence a été détruite par le péché originel, la doctrine catholique enseigne que les capacités naturelles de l’homme —dont l’intelligence— sont affaiblies mais pas détruites. Raison de plus pour les guérir, les exercer et les renforcer.
Pour conclure, y a‑t-il une vérité ou un principe qui vous a particulièrement frappé en travaillant à ce livre ?
Oui, le principe de totalité.
Selon Pie XII, « là où se vérifie la relation de tout à partie, dans la mesure exacte où elle se vérifie, la partie est subordonnée au tout, celui-ci peut, dans son intérêt propre, disposer de la partie » (Discours aux médecins neurologues, 14 septembre 1952).
Quand on parle du principe de totalité, on pense immédiatement aux amputations rendues nécessaires par la gangrène ou au sacrifice du soldat qui défend sa patrie. En réalité, le principe de totalité étale au grand jour l’une des structures essentielles de l’ordre naturel et surnaturel.
Dans le domaine propre à l’éthique médicale, les rapports délicats entre le tout et la partie régissent des points aussi divers que le secret médical, l’expérimentation médicale, la place du médecin dans la cité, l’ordre des fins du mariage, l’eugénisme et la pratique des méthodes naturelles de régulation des naissances.
Or ce principe capital est souvent méconnu voire défiguré comme en témoigne cette remarque de Jean-Marie Aubert : « Ce principe [de totalité] ne fonctionne qu’à propos d’un tout physique, l’être humain personne, et non pas à propos d’un tout moral, ce qu’est le corps social ou l’humanité ; l’oubli de cette distinction amènerait à accepter de sacrifier tel membre particulier à l’organisme “humanité” » (conférence sur Pie XII et la morale de la vie lors d’un colloque de la faculté de droit d’Aix-en-Provence en 1987). Le moraliste belge a raison d’inviter à une application nuancée du principe de totalité, mais il a tort d’en nier la valeur universelle car ce principe est analogiquement valable dans un tout physique comme dans un tout moral.
Merci, monsieur l’abbé, pour toutes ces précisions. Il ne nous reste plus qu’à lire et à étudier votre ouvrage dont la table des matières est reproduite ci-dessous.
Table des matières
Couverture
Tant que la médecine était encore balbutiante, rares étaient les situations épineuses, plus rares encore les personnes impliquées. Le développement récent des connaissances et des techniques médicales a changé la donne. Aujourd’hui, tous sont confrontés tôt ou tard avec ces questions et amenés à se prononcer, non seulement les malades et les personnels de santé, mais aussi les chercheurs et les politiques.
La procréation médicalement assistée est-elle le remède à la stérilité ? Quelle est la frontière entre l’arrêt des thérapies et l’euthanasie ? Qu’entend-on par mort cérébrale ? Dans quel cadre l’expérimentation médicale se justifie-t-elle ? L’objection de conscience est-elle parfois un devoir ? Ces questions se posent souvent dans l’urgence. Faute d’une réflexion préalable, difficile d’y répondre avec clarté et sérénité.
Graduel dans sa démarche, précis dans ses définitions, concis dans ses développements, le présent ouvrage entend faire œuvre de pédagogue. Éclairé par les lumières de la raison, le lecteur passe progressivement du général au particulier en se gardant des intuitions gratuites et des jugements à l’emporte-pièce. Les instruments d’analyse qu’il acquiert au fur et à mesure lui permettent d’aborder des points aussi délicats que la coopération au mal et l’argument du moindre mal.
Au service de la vie – Vingt leçons de bioéthique, par François Knittel, 326 pages, 135 x 215 cm, Éditions du Cerf, collection Cerf Patrimoine, 29 €.