Raconte-​moi une histoire !

Lecture dans un parc.

Les vacances d’été sont là ! « Enfin ! » s’exclameront cer­tains, « Encore deux mois d’ennui » sou­pi­re­ront d’autres. Il est vrai qu’il n’est pas tou­jours facile de gar­der occu­pées intel­li­gem­ment nos chères têtes blondes, sur­tout si la pluie s’en vient frap­per au car­reau. Dans ces moments dif­fi­ciles, qui n’a pas cédé à la ten­ta­tion de lais­ser les enfants, et pas seule­ment eux, à la garde de la nou­nou qui lobo­to­mise ? Mais ne par­lons pas de mal­heur et essayons de trou­ver des solu­tions alter­na­tives, à tout le moins une : la lec­ture ! Et oui, encore et tou­jours elle.

Crédits : Pascal Deloche pour Godong. 

Pas de poli­tique (pour chan­ger de ces der­nières semaines) de l’autruche, le manque de lec­ture frappe tout le monde. Si dans nos milieux nous pou­vons espé­rer être moins tou­chés, car nor­ma­le­ment plus aver­tis, nous res­tons des enfants de notre époque dont les défauts propres nous atteignent. Ne nous éten­dons pas sur toutes les effrayantes sta­tis­tiques du temps accor­dé aux écrans et de la part du pauvre réser­vée à la lec­ture, car vous les connais­sez par cœur. Permettez-​moi quand même de don­ner une seule infor­ma­tion (tirée du rap­port annuel du Conseil National du Livre, dis­po­nible en ligne) pour plan­ter le décor : en moyenne et par jour, pour les loi­sirs, les enfants entre 7 et 19 ans ne lisent que 19 minutes par jour (en baisse de 4 minutes par rap­port à 2022) contre 3h11 d’exposition aux écrans. Si l’on fait un focus sur les 16–19 ans, on arrive à 12 minutes de lec­ture contre 5h10 d’écran. Ce à quoi on peut rajou­ter pour la der­nière caté­go­rie que 69% font autre chose en même temps qu’ils lisent… Je pense que tout le monde sera d’accord sur le constat de la pré­si­dente du CNL : « Je consi­dère que la lec­ture est une affaire de san­té publique. Il fau­drait une prise de conscience mas­sive pour mettre en exergue les bien­faits de la lec­ture chez les enfants, notam­ment en matière de concen­tra­tion, d’imagination, d’empathie, de déve­lop­pe­ment du lan­gage et du cer­veau, etc. » Inutile de com­men­ter, venons-​en au fait, les bien­faits de la lec­ture. Et ils sont nombreux !

Les enfants entre 7 et 19 ans ne lisent que 19 minutes par jour (en baisse de 4 minutes par rap­port à 2022) contre 3h11 d’exposition aux écrans.

Commençons par celui qui nous inté­resse sûre­ment le plus pen­dant ces vacances : la baisse du stress et de l’anxiété. La lec­ture nous sort de nos pro­blèmes quo­ti­diens, elle nous fait voya­ger dans l’espace, dans le temps. Les ten­sions s’amenuisent et l’on est de meilleure humeur.

Cela conduit presque auto­ma­ti­que­ment au deuxième avan­tage : un meilleur som­meil. Puisque nous sommes moins ten­dus, que nos yeux se sont repo­sés sur les pages d’un livre, que notre cer­veau n’est plus agres­sé par des mil­liers d’images, nous sommes plus pai­sibles et mieux dis­po­sés au som­meil. A condi­tion, bien enten­du, de ne pas lire des ouvrages exci­tants. Saint Benoît allait même jusqu’à deman­der à ses moines de ne pas lire les Livres des Rois dans la Sainte Écriture, avant de se cou­cher, car cela pou­vait trou­bler leur repos. Autre lien entre le som­meil et la lec­ture : on dit que c’est durant la nuit que les infor­ma­tions se gravent dans notre cer­veau, ce qui amé­liore la mémorisation.

Parlons-​en de cette meilleure connais­sance, consé­quence de nos lec­tures. Plus nous fré­quen­tons un même sujet, un même auteur, une même période, bref plus nous lisons plus nous rete­nons. Mais pas seule­ment le sujet abor­dé, le style éga­le­ment, le voca­bu­laire, l’orthographe, tout cela nous imprègne. Notre expres­sion, qu’elle soit écrite ou orale, s’en trouve amé­lio­rée. Finis les « du coup », les « voi­là », les « en fait », qui pol­luent nos conver­sa­tions, nous par­ve­nons à trou­ver les mots justes, à déve­lop­per un rai­son­ne­ment clair. Vous connais­sez, bien sûr, la phrase de Boileau tirée de L’Art poé­tique : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clai­re­ment, et les mots pour le dire arrivent aisé­ment ». Sans cesse il faut remettre l’ouvrage sur le métier, se poser de nou­velles ques­tions, cher­cher à y répondre par de nou­velles lec­tures judi­cieu­se­ment choi­sies. Notre esprit d’analyse et cri­tique s’en trou­ve­ra affu­té et mieux pré­pa­ré à ne pas se lais­ser impré­gner sans réagir par les mul­tiples « infor­ma­tions » que nous gla­nons à droite, à gauche. Nous pou­vons ain­si nous for­ger de véri­tables convic­tions et nous sau­rons les expri­mer clai­re­ment. « Je crains l’homme d’un seul livre » disait saint Thomas d’Aquin.

Sans cesse il faut remettre l’ouvrage sur le métier, se poser de nou­velles ques­tions, cher­cher à y répondre par de nou­velles lec­tures judi­cieu­se­ment choisies.

La lec­ture favo­rise éga­le­ment la concen­tra­tion, à condi­tion de lais­ser de côté notre télé­phone et ses noti­fi­ca­tions. Elle nous oblige à nous concen­trer sur une seule chose, le conte­nu de l’ouvrage afin de ne pas perdre le fil conduc­teur, et de ne pas être dans l’obligation de reve­nir en arrière car des infor­ma­tions nous auraient échap­pé. Cet entraî­ne­ment, à ne nous occu­per que d’une seule chose à la fois, nous per­met d’avancer plus vite dans de nom­breuses tâches quotidiennes.

Une meilleure concen­tra­tion favo­rise une meilleure sti­mu­la­tion de l’esprit, de l’imagination, car nous nous for­geons des images, nous inven­tons des visages à mettre sur des per­son­nages, des pay­sages sur des des­crip­tions, nous essayons d’éprouver les mêmes sen­ti­ments que le per­son­nage à qui nous nous iden­ti­fions, et j’en passe. Les enfants n’en joue­ront que mieux par la suite car tout le tra­vail ne leur sera pas mâché et recra­ché par des films ou des jeux infor­ma­tiques. « Un lec­teur vit un mil­lier de vies avant de mou­rir, un homme qui ne lit pas n’en vit qu’une seule » [1].

Mais, m’objecterez-vous peut-​être, mon enfant n’aime pas lire ! et moi non plus. Est-​ce qu’il aime se bros­ser les dents ? ran­ger sa chambre ?

N’allez-vous pas l’obliger à le faire puisque c’est bon pour lui ? Ne vous obligez-​vous pas vous- même à faire des choses hon­nies sim­ple­ment par devoir ? La lec­ture fait par­tie de ces choses que cer­tains devront tra­vailler. Mais il faut le faire intel­li­gem­ment, en cher­chant des livres trai­tant de sujets qui inté­ressent. N’essayez pas de faire lire des Jules Verne à un lit­té­raire, ou un Alexandre Dumas à un scien­ti­fique, ça n’encouragera guère.

Crédits : Pascal Deloche pour Godong. 

Sachez racon­ter des his­toires ! Tout grand conteur est un grand lec­teur. Il n’y a rien de désa­gréable à relire de temps à autres des contes qui ont enchan­té notre jeu­nesse. Nous aurons ain­si un réper­toire d’histoires qui cap­ti­ve­ront les enfants. Ils se deman­de­ront où nous avons bien pu cher­cher tout cela, et cela pour­ra allu­mer une étin­celle, un désir de lec­ture. Ou plus sim­ple­ment, si nous n’avons abso­lu­ment pas de talent de conteur, lire une his­toire de temps à autre. Et puis, pour­quoi pas, essayer de leur faire des­si­ner des scènes du livre, d’imaginer la suite de l’histoire. Tout en res­tant autour du livre, une diver­si­fi­ca­tion des acti­vi­tés pour­ra lui don­ner plus d’intérêt. « La place des parents est cen­trale dans la trans­mis­sion de l’envie de lire : la quasi-​totalité des enfants son­dés (90 %) déclarent que leurs parents leur lisaient des livres quand ils étaient petits, des moments évo­qués « avec bon­heur » par 93 % du panel » [2].

Je lais­se­rai Le Cid de notre cher Pierre Corneille conclure cet article : « Les exemples vivants sont d’un autre pou­voir ». Si les enfants vous voient accro­chés à vos écrans pen­dant les vacances, ils en dédui­ront que c’est indis­pen­sable à la vie ; mais s’ils vous voient un livre à la main…

Source : Le Belvédère de Saint-​Nicolas n°147, juillet-​août 2024. 

Notes de bas de page
  1. George R. R. Martin[]
  2. Etude du CNL[]