Le récit des survivants des massacres de la Terreur constitue par sa diversité une mosaïque d’archives et de témoignages de tout premier plan lorsque l’on cherche à connaître la vie quotidienne des Français au moment de la Révolution.
Alexandrine des Écherolles (1779–1850) a connu jusqu’à ses 14 ans la vie paisible d’une jeune fille de l’aristocratie de Province entre le Nivernais et Moulins dans l’Allier, si ce n’est qu’elle perdit sa mère alors qu’elle n’avait que 7 ans et qu’elle fut alors éduquée par l’une de ses tantes qui la combla d’affection.
Lorsque survient la Révolution, la jeune fille bascule brutalement dans un monde nouveau, marqué par la peur, la haine, la précarité, l’ingratitude, la crainte de l’arrestation et de la trahison, l’angoisse du lendemain. En ces circonstances tragiques, chacun révèle alors la valeur intime de sa personnalité. Les vertus de courage, d’abnégation, de charité fraternelle se déploient chez ceux que la mort chrétienne n’effraie pas et qu’une éducation noble et chrétienne a élevés jour après jour. À l’inverse, la cruauté, l’appât du gain ou plus communément la lâcheté et la peur de déplaire aux hommes qui viennent de s’approprier un pouvoir qu’ils tournent à leur profit manifestent d’autres facettes de la nature humaine déchue. Mais en chacune des figures qu’elle a rencontrées, l’auteur, femme distinguée que les épreuves ont purifiée, s’efforce de mettre en lumière le bon côté des âmes, manifestant sa reconnaissance à tous ceux qui l’ont aidée, recueillie, sauvée ou qui lui ont permis d’acquérir la sagesse dont elle fait preuve.
Le récit captivant d’Alexandrine des Écherolles était initialement destiné à sa nièce dont on lui avait confié l’éducation. Il se caractérise donc par la mention précise de tout ce qui touche aux membres de sa famille et aux cercles fréquentés. À Moulins et à Lyon, la furie révolutionnaire n’eut rien à envier à Paris. Le siège de Lyon qui s’était organisée contre les jacobins marquera par sa rigueur et ses conséquences un tournant dans la vie de la famille des Écherolles.
Entre les périodes les plus sanguinaires et les moments d’apaisement, avec l’espoir qu’apportent les amnisties et la crainte des « réactions », chacun tente de renouer avec ses proches, de retrouver la vie d’avant, conscient néanmoins que le monde d’hier s’est pourtant évanoui. Des figures étonnantes surgissent dans la succession des souvenirs convoqués et des lieux habités. La tante qui a élevé Alexandrine a évidemment une place de choix du fait des liens intimes qui les unissent mais aussi des événements violents qui la frappent ; d’autres femmes s’imposent au lecteur, notamment cette autre tante, vivant dans un endroit reculé de la Nièvre, qui accueille Alexandrine, sans réaliser, du fait de sa folie douce, que la Révolution est en train de ravager la France.
En toutes choses, Alexandrine des Écherolles sait voir la Providence divine qui pourvoit à tout et qui sait tourner pour le bien des âmes les plus noires épreuves que celles-ci subissent en ces temps troublés. Avec le recul et l’âge, c’est un héritage humble mais précieux qu’elle veut léguer à ceux qui la liront : les leçons, sans prétention littéraire, d’une femme qui a eu la grâce de comprendre que les richesses du monde sont vaines et que la valeur d’une âme tient plus à ses vertus qu’à son élévation sociale, plus à sa fidélité à Dieu qu’à la recherche des honneurs ou de la réputation que les hommes se prêtent temporairement.
Un beau récit qui touche par sa portée universelle.
Livre : Une famille noble sous la Terreur, Alexandrine des Echerolles, Editions Mercure de France – 2019, 428 pages – 11,50 €
Abbé Philippe Bourrat
Source : Le Chardonnet n° 360
Illustration : Elisabeth de Cazotte sauve la vie de son père à la prison de l’Abbaye, Claude-Noël Thévenin (1840–1849).