Lettre n° 82 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX d’avril 2014

Chers Amis et Bienfaiteurs,

i elle a lieu le 27 avril pro­chain, la cano­ni­sa­tion de Jean XXIII et de Jean-​Paul II pose­ra à la conscience des catho­liques un double pro­blème. Problème d’abord de la cano­ni­sa­tion en tant que telle : com­ment serait-​il pos­sible de don­ner à toute l’Eglise en exemple de sain­te­té, d’une part, l’initiateur du concile Vatican II et, d’autre part, le pape d’Assise et des droits de l’homme ? Mais aus­si, et plus pro­fon­dé­ment, pro­blème de ce qui appa­raî­tra comme une recon­nais­sance d’authenticité catho­lique sans pré­cé­dent : com­ment serait-​il pos­sible de garan­tir du sceau de la sain­te­té les ensei­gne­ments d’un tel Concile, qui ont ins­pi­ré toute la démarche de Karol Wojtyla et dont les fruits néfastes sont l’indice non équi­voque de l’autodestruction de l’Eglise ? Ce deuxième pro­blème donne de lui-​même sa solu­tion : les erreurs conte­nues dans les docu­ments du concile Vatican II et dans les réformes qui ont sui­vi, spé­cia­le­ment la réforme litur­gique, ne sau­raient être l’œuvre du Saint-​Esprit, qui est à la fois Esprit de véri­té et Esprit de sain­te­té. Voilà pour­quoi il nous appa­raît néces­saire de rap­pe­ler quelles sont ces prin­ci­pales erreurs et quelles sont les rai­sons fon­da­men­tales pour les­quelles nous ne pou­vons pas sous­crire aux nou­veau­tés du Concile et des réformes qui en sont issues, de même qu’à ces cano­ni­sa­tions qui vou­draient en fait « cano­ni­ser » Vatican II.

C’est la rai­son pour laquelle nous vou­drions, tout en pro­tes­tant avec force contre ces cano­ni­sa­tions, dénon­cer l’entreprise qui déna­ture l’Eglise depuis le concile Vatican II.

En voi­ci les prin­ci­paux éléments.

I – Le concile

« Alors que le Concile se pré­pa­rait à être une nuée lumi­neuse dans le monde d’aujourd’hui si l’on avait uti­li­sé les textes pré­con­ci­liaires dans les­quels on trou­vait une pro­fes­sion solen­nelle de doc­trine sûre au regard des pro­blèmes modernes, on peut et on doit mal­heu­reu­se­ment affir­mer que, d’une manière à peu près géné­rale, lorsque le Concile a inno­vé, il a ébran­lé la cer­ti­tude de véri­tés ensei­gnées par le Magistère authen­tique de l’Eglise comme appar­te­nant défi­ni­ti­ve­ment au tré­sor de la Tradition. […] Sur ces points fon­da­men­taux, la doc­trine tra­di­tion­nelle était claire et ensei­gnée una­ni­me­ment dans les uni­ver­si­tés catho­liques. Or, de nom­breux textes du Concile sur ces véri­tés per­mettent désor­mais d’en dou­ter. […] Il faut donc, accu­lé par les faits, conclure que le Concile a favo­ri­sé d’une manière incon­ce­vable la dif­fu­sion des erreurs libé­rales » [1].

II – Une conception œcuménique de l’Eglise.

L’expression du « sub­sis­tit in » (Lumen gen­tium, 8) veut dire qu’il y aurait une pré­sence et une action de l’Eglise du Christ dans les com­mu­nau­tés chré­tiennes sépa­rées, dis­tinctes d’une sub­sis­tance de l’Eglise du Christ dans l’Eglise catho­lique. Prise en ce sens, elle nie l’identité stricte entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catho­lique, tou­jours ensei­gnée jusqu’ici, notam­ment par Pie XII, à deux reprises, dans Mystici cor­po­ris [2] et dans Humani gene­ris [3]. L’Eglise du Christ est pré­sente et agis­sante comme telle, c’est-à-dire comme l’unique arche de salut, seule­ment là où est le vicaire du Christ. Le Corps mys­tique dont celui-​ci est le chef visible est stric­te­ment iden­tique à l’Eglise catho­lique romaine.

La même décla­ra­tion (LG 8) recon­naît aus­si la pré­sence « d’éléments sal­vi­fiques » dans les com­mu­nau­tés chré­tiennes non-​catholiques. Le décret sur l’œcuménisme ren­ché­rit en affir­mant que « le Saint Esprit ne refuse pas de se ser­vir de ces Eglises et com­mu­nau­tés comme moyens de salut, dont la force dérive de la plé­ni­tude de grâce et de véri­té qui a été confiée à l’Eglise catho­lique » (UR 3).

De telles affir­ma­tions ne sont pas conci­liables avec le dogme « Hors de l’Eglise point de salut », réaf­fir­mé par la Lettre du Saint Office du 8 août 1949. Une com­mu­nau­té sépa­rée ne sau­rait se prê­ter à l’action de Dieu, puisque sa sépa­ra­tion est une résis­tance au Saint Esprit. Les véri­tés et les sacre­ments qui y sont éven­tuel­le­ment conser­vés ne peuvent pro­duire un effet salu­taire qu’en oppo­si­tion aux prin­cipes erro­nés qui fondent l’existence de ces com­mu­nau­tés et entraînent leur sépa­ra­tion d’avec le Corps mys­tique de l’Eglise catho­lique, dont le chef visible est le vicaire du Christ.

La décla­ra­tion Nostra aetate affirme que les reli­gions non chré­tiennes « apportent sou­vent un rayon de la véri­té qui illu­mine tous les hommes », bien que ceux-​ci doivent trou­ver dans le Christ « la plé­ni­tude de la vie reli­gieuse » et « consi­dère avec un res­pect sin­cère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doc­trines » (NA, 2). Une pareille affir­ma­tion tombe sous le même reproche que la pré­cé­dente. Tels que dans l’hérésie ou le schisme, les sacre­ments, les véri­tés par­tielles de foi et l’Ecriture sont dans un état de sépa­ra­tion d’avec le Corps mys­tique. C’est la rai­son pour laquelle la secte qui les uti­lise ne peut réa­li­ser, en tant que telle, car pri­vée de la grâce sur­na­tu­relle, la média­tion ecclé­siale ni contri­buer au salut. On doit en dire autant des manières de pen­ser, de vivre et d’agir, telles qu’elles sont dans les reli­gions non chrétiennes.

Ces textes du concile favo­risent déjà la concep­tion lati­tu­di­na­riste de l’Eglise, condam­née par Pie XI dans Mortalium ani­mos ain­si que l’indifférentisme reli­gieux éga­le­ment condam­né par tous les papes, de Pie IX à Pie XII [4]. Toutes les ini­tia­tives ins­pi­rées par le dia­logue œcu­mé­nique et inter­re­li­gieux, dont la réunion d’Assise de 1986 demeure l’exemple le plus visible, ne sont que la mise en pra­tique, « l’illustration visible, la leçon de choses et la caté­chèse intel­li­gible à tous » (Jean-​Paul II) de ces ensei­gne­ments conci­liaires. Mais elles expriment aus­si l’indifférentisme dénon­cé par Pie XI, lorsqu’il réprouve l’espoir « qu’il serait pos­sible d’amener sans dif­fi­cul­té les peuples, mal­gré leurs diver­gences reli­gieuses, à une entente fra­ter­nelle sur la pro­fes­sion de cer­taines doc­trines consi­dé­rées comme un fon­de­ment com­mun de vie spi­ri­tuelle. […] Se soli­da­ri­ser des par­ti­sans et des pro­pa­ga­teurs de pareilles doc­trines, c’est s’éloigner com­plè­te­ment de la reli­gion divi­ne­ment révé­lée » [5].

III – Une conception collégialiste et démocratique de l’Eglise.

1. Après avoir ébran­lé l’unité de l’Eglise dans sa foi, les textes du concile l’ont aus­si ébran­lée dans son gou­ver­ne­ment et sa struc­ture hié­rar­chique. L’expression du « sub­jec­tum quoque » [6] veut dire que le col­lège des évêques uni au pape comme à son chef est lui aus­si, en plus du pape seul, le sujet habi­tuel et per­ma­nent du pou­voir suprême et uni­ver­sel de juri­dic­tion dans l’Eglise. C’est la porte ouverte à une dimi­nu­tion du pou­voir du Souverain Pontife, voire à sa remise en cause, au risque de mettre en péril l’unité de l’Eglise.

Cette idée d’un double sujet per­ma­nent du pri­mat est en effet contraire à l’enseignement et à la pra­tique du magis­tère de l’Eglise, spé­cia­le­ment à la consti­tu­tion Pastor aeter­nus du concile Vatican I [7] et à l’encyclique Satis cogni­tum de Léon XIII. Car seul le pape pos­sède de manière habi­tuelle et constante le pou­voir suprême, qu’il com­mu­nique seule­ment dans des cir­cons­tances extra­or­di­naires aux conciles, selon qu’il le juge opportun.

2. L’expression du « sacer­doce com­mun » propre aux bap­ti­sés, dis­tin­gué du « sacer­doce minis­té­riel » (LG 10) ne pré­cise pas que seul le second doit s’entendre au sens vrai et propre du terme, tan­dis que le pre­mier s’entend seule­ment au sens mys­tique et spirituel.

Cette dis­tinc­tion était affir­mée clai­re­ment par Pie XII dans son Discours du 2 novembre 1954. Elle est absente des textes du Concile et ouvre la porte à une orien­ta­tion démo­cra­tique de l’Eglise, condam­née par Pie VI dans la Bulle Auctorem fidei [8]. Cette ten­dance à faire par­ti­ci­per le peuple à l’exercice du pou­voir se retrouve dans la mul­ti­pli­ca­tion des orga­nismes de toutes sortes, en confor­mi­té avec le nou­veau droit canon (canon 129 § 2). Elle perd de vue la dis­tinc­tion entre clercs et laïcs, pour­tant de droit divin.

IV – Des faux droits naturels de l’homme.

La décla­ra­tion Dignitatis huma­nae affirme l’existence d’un faux droit natu­rel de l’homme en matière reli­gieuse. Jusqu’ici, la Tradition de l’Eglise était una­nime à recon­naître aux non-​catholiques le droit natu­rel de ne pas être contraints par les pou­voirs civils dans leur adhé­sion (d’intention au for interne et d’exercice au for externe) à l’unique vraie reli­gion et légi­ti­mait, tout au plus dans cer­taines cir­cons­tances, une cer­taine tolé­rance dans l’exercice des fausses reli­gions, au for externe public. Vatican II recon­naît de plus à tout homme le droit natu­rel de ne pas être empê­ché par les pou­voirs civils d’exercer au for externe public une reli­gion fausse et pré­tend recon­naître comme un droit civil ce droit natu­rel d’exemption de toute contrainte de la part des auto­ri­tés sociales. Les seules limites juri­diques à ce droit seraient celles de l’ordre pure­ment civil et pro­fane de la socié­té. Le Concile fait ain­si aux gou­ver­ne­ments civils une obli­ga­tion de ne plus faire de dis­cri­mi­na­tion pour des motifs reli­gieux et d’établir l’égalité juri­dique entre la vraie reli­gion et les fausses.

Cette nou­velle doc­trine sociale est en oppo­si­tion avec les ensei­gne­ments de Grégoire XVI dans et de Pie IX dans Quanta cura. Elle se fonde sur une fausse concep­tion de la digni­té humaine, pure­ment onto­lo­gique et non point morale. En consé­quence, la consti­tu­tion Gaudium et spes enseigne le prin­cipe de l’autonomie du tem­po­rel (GS 36), c’est-à-dire la néga­tion de la royau­té sociale du Christ pour­tant ensei­gnée par Pie XI dans Quas pri­mas, et fina­le­ment ouvre la porte à l’indépendance de la socié­té tem­po­relle par rap­port aux com­man­de­ments de Dieu.

V – La protestantisation de la messe.

Le nou­veau rite de la messe, « s’éloigne de manière impres­sion­nante, dans l’ensemble comme dans le détail » [9] de la défi­ni­tion catho­lique de la Messe, telle qu’elle résulte des ensei­gne­ments du concile de Trente. Par ses omis­sions et ses équi­voques, le nou­veau rite de Paul VI atté­nue l’identification de la messe au sacri­fice de la croix, au point que la messe y appa­raît beau­coup moins comme ce sacri­fice que comme son simple mémo­rial. Ce rite réfor­mé occulte aus­si le rôle du prêtre au pro­fit de l’action de la com­mu­nau­té des fidèles. Il dimi­nue gra­ve­ment l’expression du but pro­pi­tia­toire du sacri­fice de la messe, c’est-à-dire l’expiation et la répa­ra­tion du péché.

Ces défaillances inter­disent de regar­der ce nou­veau rite comme légi­time. Dans l’interrogatoire des 11–12 jan­vier 1979, à la ques­tion posée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « Soutenez-​vous qu’un fidèle catho­lique peut pen­ser et affir­mer qu’un rite sacra­men­tel, en par­ti­cu­lier celui de la messe approu­vé et pro­mul­gué par le Souverain Pontife puisse être non conforme à la foi catho­lique ou favens hae­re­sim ? », Mgr Lefebvre a répon­du : « Ce rite en lui-​même ne pro­fesse pas la foi catho­lique d’une manière aus­si claire que l’ancien Ordo mis­sae et par suite il peut favo­ri­ser l’hérésie. Mais je ne sais pas à qui l’attribuer ni si le pape en est res­pon­sable. Ce qui est stu­pé­fiant c’est qu’un Ordo mis­sae de saveur pro­tes­tante et donc favens hae­re­sim ait pu être dif­fu­sé par la curie romaine » [10]. Ces défaillances graves nous inter­disent de regar­der ce nou­veau rite comme légi­time, d’en accom­plir la célé­bra­tion et de conseiller d’y assis­ter ou d’y par­ti­ci­per positivement.

VI – Le nouveau Code, expression des nouveautés conciliaires.

Selon les dires mêmes de Jean-​Paul II, le nou­veau Code de droit canon de 1983 repré­sente « un grand effort pour tra­duire en lan­gage cano­nique » [11] les ensei­gne­ments du concile Vatican II, y com­pris – et sur­tout – sur les points gra­ve­ment fau­tifs signa­lés jusqu’ici. « Parmi les élé­ments qui carac­té­risent l’image réelle et authen­tique de l’Eglise », explique encore Jean-​Paul II, « il nous faut mettre en relief sur­tout les sui­vants : la doc­trine selon laquelle l’Eglise se pré­sente comme le Peuple de Dieu et l’autorité hié­rar­chique comme ser­vice ;la doc­trine qui montre l’Eglise comme une com­mu­nion et qui, par consé­quent, indique quelles sortes de rela­tions doivent exis­ter entre les Eglises par­ti­cu­lières et l’Eglise uni­ver­selle et entre la col­lé­gia­li­té et la pri­mau­té ; la doc­trine selon laquelle tous les membres du Peuple de Dieu, cha­cun selon sa moda­li­té, par­ti­cipent à la triple fonc­tion du Christ : les fonc­tions sacer­do­tale, pro­phé­tique et royale. À cette doc­trine se rat­tache celle concer­nant les devoirs et les droits des fidèles et en par­ti­cu­lier des laïcs ; et enfin l’engagement de l’Eglise dans l’œcuménisme ».

Ce nou­veau droit accen­tue la fausse dimen­sion œcu­mé­niste de l’Eglise, en per­met­tant de rece­voir les sacre­ments de péni­tence, d’eucharistie et d’extrême-onction de ministres non catho­liques (canon 844) et favo­rise l’hospitalité œcu­mé­nique en auto­ri­sant les ministres catho­liques à don­ner le sacre­ment de l’eucharistie à des non catho­liques. Le canon 336 reprend et accen­tue l’idée d’un double sujet per­ma­nent du pri­mat. Les canons 204 § 1, 208, 212 § 3, 216 et 225 accen­tuent l’équivoque du sacer­doce com­mun et l’idée cor­ré­la­tive du Peuple de Dieu. Enfin, se pro­file aus­si dans ce nou­veau Code une défi­ni­tion fau­tive du mariage, où n’apparaît plus l’objet pré­cis du contrat matri­mo­nial ni la hié­rar­chie entre ses fins. Loin de favo­ri­ser la famille catho­lique, ces nou­veau­tés ouvrent une brèche dans la morale matrimoniale.

VII – Une nouvelle conception du magistère

1. La consti­tu­tion Dei Verbum affirme en man­quant de pré­ci­sion que « l’Eglise, tan­dis que les siècles s’écoulent, tend constam­ment vers la plé­ni­tude de la divine véri­té, jusqu’à ce que soient accom­plies en elle les paroles de Dieu » (DV 8). Cette impré­ci­sion ouvre la porte à l’erreur de la Tradition vivante et évo­lu­tive, condam­née par saint Pie X dans l’Encyclique Pascendi et le Serment anti­mo­der­niste. Car l’Eglise ne sau­rait « tendre vers la plé­ni­tude de la véri­té divine » que parce qu’elle en donne une expres­sion plus pré­cise, non au sens où les dogmes pro­po­sés par l’Eglise ver­raient se don­ner « un sens dif­fé­rent de celui que l’Eglise a com­pris et com­prend encore » (Dei Filius, DS 3043).

2. Le Discours de Benoît XVI du 22 décembre 2005 essaye de jus­ti­fier cette concep­tion évo­lu­tive d’une Tradition vivante et de dis­cul­per par le fait même le Concile d’une quel­conque rup­ture dans la Tradition de l’Eglise. Vatican II a vou­lu « redé­fi­nir la rela­tion de la foi de l’Eglise vis-​à-​vis de cer­tains élé­ments essen­tiels de cette pen­sée » et pour ce faire ses ensei­gne­ments ont « revi­si­té ou éga­le­ment cor­ri­gé cer­taines déci­sions his­to­riques. Mais, dans cette appa­rente dis­con­ti­nui­té, le Concile a main­te­nu et appro­fon­di sa nature [de l’Eglise] intime et sa véri­table iden­ti­té », celle « de l’unique sujet-​Eglise, que le Seigneur nous a don­né ; c’est un sujet qui gran­dit dans le temps et qui se déve­loppe, res­tant cepen­dant tou­jours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche ». Cette expli­ca­tion sup­pose que l’unité de la foi de l’Eglise repose non plus sur un objet (car il y a dis­con­ti­nui­té, au moins sur les points signa­lés jusqu’ici, entre Vatican II et la Tradition) mais sur un sujet, au sens où l’acte de foi se défi­nit beau­coup plus en fonc­tion des per­sonnes croyantes qu’en fonc­tion des véri­tés crues. Cet acte devient prin­ci­pa­le­ment l’expression d’une conscience col­lec­tive, et non plus l’adhésion ferme de l’intelligence au dépôt des véri­tés révé­lées par Dieu.

Pie XII enseigne pour­tant dans Humani gene­ris que le magis­tère est la « règle pro­chaine et uni­ver­selle de véri­té en matière de foi et de mœurs », véri­té objec­tive du dépôt de la foi, consi­gné comme dans ses sources dans les saintes Ecritures et la Tradition divine. Et la consti­tu­tion Dei Filius du concile Vatican I enseigne aus­si que ce dépôt n’est pas « une inven­tion phi­lo­so­phique que l’on pour­rait com­plé­ter par le génie de l’homme », mais qu’il a été « confié à l’Epouse du Christ pour qu’elle le garde sain­te­ment et le déclare infailli­ble­ment » (DS 3020).

3. Manifestement, le dis­cours d’ouverture du pape Jean XXIII (11 octobre 1962) et son allo­cu­tion adres­sée au Sacré-​Collège le 23 décembre 1962, assignent au concile Vatican II une inten­tion très par­ti­cu­lière, de type soi disant « pas­to­ral », en ver­tu de laquelle le magis­tère serait cen­sé « expri­mer la foi de l’Eglise sui­vant les modes de recherche et de for­mu­la­tion lit­té­raire de la pen­sée moderne ». L’encyclique Ecclesiam suam du pape Paul VI (6 août 1964) pré­cise encore cette idée en disant que le magis­tère de Vatican II vise « à insé­rer le mes­sage chré­tien dans la cir­cu­la­tion de pen­sée, d’expression, de culture, d’usages, de ten­dances de l’humanité telle qu’elle vit et s’agite aujourd’hui sur la face de la terre » (n° 70) ; en par­ti­cu­lier, l’annonce de la véri­té « ne se pré­sen­te­ra pas armée de coer­ci­tion exté­rieure, mais par les seules voies légi­times de l’éducation humaine, de la per­sua­sion inté­rieure, de la conver­sa­tion ordi­naire, elle offri­ra son don de salut, tou­jours dans le res­pect de la liber­té per­son­nelle des hommes civi­li­sés » (n° 77). La Constitution pas­to­rale Gaudium et spes affirme que « le Concile se pro­pose avant tout de juger à cette lumière les valeurs les plus pri­sées par nos contem­po­rains et de les relier à leur source divine. Car ces valeurs, dans la mesure où elles pro­cèdent du génie humain, qui est un don de Dieu, sont fort bonnes ; mais il n’est pas rare que la cor­rup­tion du cœur humain les détourne de l’ordre requis : c’est pour­quoi elles ont besoin d’être puri­fiées » (GS 11). De ces valeurs du monde pro­cèdent les trois grandes nou­veau­tés intro­duites par Vatican II : la liber­té reli­gieuse, la col­lé­gia­li­té et l’œcuménisme.

4. Nous nous appuyons alors sur cette règle pro­chaine et uni­ver­selle de la véri­té révé­lée qu’est le magis­tère de tou­jours pour contes­ter des doc­trines nou­velles qui lui sont contraires. C’est bien là en effet le cri­tère don­né par saint Vincent de Lérins : « Le cri­tère de la véri­té, et d’ailleurs de l’infaillibilité du pape et de l’Eglise, c’est sa confor­mi­té à la Tradition et au dépôt de la foi. Quod ubique, quod sem­per. Ce qui est ensei­gné par­tout et tou­jours, dans l’espace et dans le temps » [12]. Or, la doc­trine de Vatican II sur l’œcuménisme, la col­lé­gia­li­té et la liber­té reli­gieuse est une doc­trine nou­velle, contraire à la Tradition et au droit public de l’Eglise, lui-​même basé sur des prin­cipes divi­ne­ment révé­lés et comme tels immuables. Nous en concluons que ce Concile, ayant vou­lu pro­po­ser ces nou­veau­tés, est pri­vé de valeur magis­té­rielle contrai­gnante, dans la mesure même où il les pro­pose. Son auto­ri­té est déjà dou­teuse en rai­son de l’intention nou­velle, soi-​disant « pas­to­rale », signa­lée au para­graphe pré­cé­dent. Elle appa­raît de plus cer­tai­ne­ment nulle, quant aux quelques points où il se met en contra­dic­tion avec la Tradition (cf. ci-​dessus, I à VII,1).

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Fidèles à l’enseignement constant de l’Eglise, avec notre véné­ré fon­da­teur, Mgr Marcel Lefebvre, et à sa suite, nous n’avons ces­sé jusqu’ici de dénon­cer le Concile et ses textes majeurs comme l’une des causes prin­ci­pales de la crise qui ébranle l’Eglise de fond en comble, la péné­trant jusqu’à ses « entrailles mêmes » et à ses « veines » selon la vigou­reuse for­mule de saint Pie X. D’ailleurs, plus nous y tra­vaillons et plus nous voyons se confir­mer les ana­lyses déjà expo­sées avec une extra­or­di­naire clar­té par Mgr Lefebvre le 9 sep­tembre 1965 dans l’aula conci­liaire. Qu’il nous soit per­mis de reprendre ses propres paroles à pro­pos de la Constitution conci­liaire sur « l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui » (Gaudium et Spes) : « Cette consti­tu­tion n’est ni pas­to­rale, ni éma­née de l’Eglise catho­lique : elle ne paît pas les hommes et les chré­tiens de la véri­té évan­gé­lique et apos­to­lique et, d’autre part, jamais l’Eglise n’a par­lé ain­si. Cette voix, nous ne pou­vons l’écouter, parce qu’elle n’est pas la voix de l’Epouse du Christ. La voix du Christ, notre ber­ger, nous la connais­sons. Celle-​ci, nous l’ignorons. Le vête­ment est celui des bre­bis ; la voix n’est pas celle du Berger, mais peut-​être du loup. J’ai dit » [13]. Les cin­quante ans écou­lés depuis cette inter­ven­tion n’ont fait que confir­mer cette analyse.

Dès le 7 décembre 1968, trois ans seule­ment après la clô­ture du Concile, Paul VI dut admettre : « L’Eglise se trouve en une heure d’inquiétude, d’autocritique, on dirait même d’autodestruction. » Et le 29 juin 1972, il recon­nut : « Par quelque fis­sure est entrée la fumée de Satan dans le temple de Dieu : c’est le doute, l’incertitude, la pro­blé­ma­tique, l’inquiétude, la confron­ta­tion. » Il consta­ta, mais ne fit rien. Il pour­sui­vit la réforme conci­liaire que ses pro­mo­teurs n’avaient pas hési­té à com­pa­rer à la Révolution de 1789, en France, ou à celle de 1917, en Russie.

Nous ne pou­vons res­ter pas­sifs, nous ne pou­vons nous rendre com­plices de cette auto­des­truc­tion. C’est pour­quoi nous vous invi­tons, chers amis et bien­fai­teurs, à demeu­rer fermes dans la foi, et à ne pas vous lais­ser trou­bler par ces nou­veau­tés de l’une des plus for­mi­dables crises que doit tra­ver­ser la sainte Eglise.

Puissent la Passion de Notre Seigneur et sa Résurrection nous confor­ter dans notre fidé­li­té, dans notre amour indé­fec­tible envers Dieu,envers Notre Seigneur, vrai Dieu et vrai homme, envers sa sainte Eglise, divine et humaine, dans une espé­rance sans faille… in Te spe­ra­vi non confun­dar in aeter­num. Daigne le Cœur dou­lou­reux et imma­cu­lé de Marie nous pro­té­ger tous et que son triomphe arrive bientôt !

Winona, dimanche des Rameaux 13 avril 2014

+Bernard Fellay, Supérieur général

Source : du 22 avril 2014

Notes de bas de page
  1. Mgr Lefebvre, « Lettre du 20 décembre 1966 adres­sée au car­di­nal Ottaviani » in J’accuse le Concile, Ed. Saint-​Gabriel, Martigny, 1976, p. 107–111.[]
  2. Pie XII, Encyclique Mystici cor­po­ris, 29 juin 1943, Enseignements pon­ti­fi­caux, L’Eglise, Solesmes-​Desclée, 1960, t. 2, n° 1014.[]
  3. Pie XII, Encyclique Humani gene­ris, 12 août 1950, Enseignements pon­ti­fi­caux, L’Eglise, Solesmes-​Desclée, 1960, t. 2, n° 1282.[]
  4. Sur l’in­dif­fé­ren­tisme et le lati­tu­di­na­risme, voir les pro­po­si­tions condam­nées du Syllabus, cha­pitre 3, n°15 à 18 : « Il est libre à chaque homme d’embrasser et de pro­fes­ser la reli­gion qu’il aura répu­tée vraie d’a­près la lumière de la rai­son. Les hommes peuvent trou­ver le che­min du salut éter­nel et obte­nir ce salut éter­nel dans le culte de n’im­porte quelle reli­gion. Tout au moins doit-​on avoir bonne confiance dans le salut éter­nel de tous ceux qui ne vivent pas dans le sein de la véri­table Église du Christ. Le pro­tes­tan­tisme n’est pas autre chose qu’une forme diverse de la même vraie reli­gion chré­tienne, forme dans laquelle on peut être agréable à Dieu aus­si bien que dans l’Église catho­lique. »[]
  5. Pie XI, Encyclique Mortalium ani­mos, 6 jan­vier 1928, Enseignements pon­ti­fi­caux, L’Eglise, t. 1, n° 855.[]
  6. LG 22[]
  7. DS 3055[]
  8. DS 2602[]
  9. Cardinaux Ottaviani et Bacci, « Préface au pape Paul VI » dans Bref exa­men cri­tique du Novus ordo mis­sae, Ecône, p. 6.[]
  10. « Mgr Lefebvre et le Saint-​Office », Itinéraires n° 233 de mai 1979, p. 146–147.[]
  11. Jean-​Paul II, Constitution apos­to­lique Sacrae dis­ci­pli­nae leges, 25 jan­vier 1983, La Documentation Catholique, n° 1847, p. 245–246.[]
  12. Mgr Lefebvre, « Conclusion » in J’accuse le Concile, Ed. Saint-​Gabriel, Martigny, 1976, p. 112.[]
  13. Mgr Marcel Lefebvre, J’accuse le Concile, Ed. Saint Gabriel, 1976, p. 93.[]

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.