Nombreuses sont les femmes de l’Ancien Testament qui servent de figure à Notre Dame. L’histoire de l’une d’entre elles est délicieuse.
Le récit historique
Le contexte
L’histoire se situe au cinquième siècle avant Jésus-Christ. Entre 482 et 472 plus exactement. Quelques années auparavant, l’édit de Cyrus (538) a mis fin à la grande captivité des Juifs. Plusieurs milliers d’entre eux sont déjà repartis à Jérusalem et dans tous le pays. D’autres sont restés en Perse où sous le règne de Darius, un des successeurs de Cyrus, ils vivent en paix.
En 485 Assuérus arrive au pouvoir. C’est très certainement le roi connu sous le nom de Xerxès Ier, celui qui défit les Spartiates de Léonidas aux Thermopyles. Les qualificatifs employés à son égard ne sont pas élogieux. Il est dit sensuel, vindicatif, cruel, extravagant. Autant d’attributs qui aideront à mieux comprendre la suite de l’histoire. Le récit rapporté par l’écrivain sacré se situe au retour de Grèce, dans la ville de Suse. Avant de partir combattre les Grecs, Assuérus avait organisé un festin démesuré (au moins 180 jours nous relate l’Écriture). Aux derniers jours de ces orgiaques agapes, le roi avait ordonné que la reine Vasthi comparût devant lui, revêtue de ses apparats les plus somptueux. Celle-ci refusa. Elle fut donc renvoyée du palais et perdit sa dignité royale. Pour tromper sa solitude, le roi décide de trouver une nouvelle reine. Il se fait amener toutes les plus belles filles du royaume afin de choisir celle qui remplacerait Vasthi.
Esther est une jeune fille juive. Elle est orpheline de ses parents. C’est son oncle Mardochée qui l’a alors recueillie pour l’élever. En l’envoyant paraître devant le roi, Mardochée lui avait bien enjoint de cacher sa naissance, son origine et son pays. Esther plaît tout de suite à Assuérus. « Le fier Assuérus couronne sa captive, /Et le Persan superbe est au pied d’une Juive.[1] » Mais le roi n’en sait rien et Esther devient toute puissante.
Le complot
Quelques années s’écoulent paisiblement. Mardochée reste aux portes du palais, continuant à guider sa nièce dans les droites voies du Seigneur. Mais arrive au pouvoir un ministre tout-puissant. Aman est son nom. Orgueilleux comme le roi, il veut se faire adorer de tout le royaume. Il ordonne alors que tous ses sujets ploient le genou à son passage. Mardochée, qui craint Dieu par-dessus tout, refuse cet honneur réservé à Dieu seul. Piqué dans son amour-propre, Aman obtient du roi un édit ordonnant de faire périr toute la nation juive. Ainsi serait assouvie sa soif de vengeance contre Mardochée.
Ce dernier fait aussitôt parvenir la nouvelle à la reine lui demandant d’intervenir auprès d’Assuérus. Mais la loi est sévère : quiconque paraît devant le roi sans y avoir été invité, fût-ce même la reine, doit être mis à mort aussitôt, à moins que le roi ne lui tende le sceptre. Esther est bien consciente du danger. Mais son oncle insiste : la Providence ne l’a pas choisie reine en vain ! « Et qui sait, lorsque au trône il conduisait vos pas, /Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas. /Songez‑y bien. Ce Dieu ne vous a pas choisie /Pour être un vain spectacle aux peuples de l’Asie, /Ni pour charmer les yeux des profanes humains. /Pour un plus noble usage il réserve ses saints. »
Esther ordonne alors à ses suivantes et à tous les Juifs un jeûne sévère de trois jours et trois nuits, jeûne auquel elle s’associera. Les trois jours de pénitence étant achevés, Esther, pâle et affaiblie, revêt ses plus beaux atours royaux et se rend auprès du roi, accompagnée de sa servante.
Le dénouement
Confiante en Dieu, elle franchit toutes les portes jusqu’à la salle du trône. « Elle se présenta devant le roi… Et lorsqu’il eut levé la tête, et que par ses yeux étincelants il eut manifesté la fureur de son cœur, la reine s’affaissa et la couleur de son teint se changeant en pâleur, elle laissa tomber sa tête fatiguée sur sa jeune servante.[2] » Le miracle se produit alors. Dieu change le cœur d’Assuérus qui se précipite au-devant d’Esther pour la soutenir et l’entendre. Le reine l’invite simplement à dîner le lendemain soir dans ses appartements, le priant de venir en compagnie de son ministre Aman. La nuit suivante, le roi n’arrive pas à dormir. Il se fait donc lire les annales de son règne. On lui relate une conspiration contre sa personne qui avait échoué grâce à l’intervention de Mardochée. Se souvenant que Mardochée n’en avait jamais été récompensé, le roi décide dès le lendemain de l’honorer. L’histoire est délicieuse.
En effet, ne sachant quoi faire pour récompenser Mardochée, Assuérus prend conseil auprès du premier qui se présentait à lui. En l’occurrence, ce fut Aman ! Le roi, sans donner aucun nom, demande à son ministre quels fastes pourraient être déployés pour une personne qu’il voudrait honorer. Aman, dans son orgueil, pense que la personne en question ne peut être que lui-même ! Il suggère donc au roi les magnificences les plus spectaculaires, avançant même qu’un grand du royaume pourrait courir en héraut devant la personne honorée ! Mal lui en prit ! Assuérus ordonne alors qu’Aman courre devant Mardochée en proclamant : « Voilà celui que le roi honore ! » Inutile de dire que sa soif de vengeance en est attisée…
Le soir même, le dîner a lieu dans les appartements de la belle Esther. Assuérus et son ministre lui font l’honneur de leur présence. Vers la fin du repas, le roi questionne sa reine. « Si j’ai trouvé grâce à vos yeux, ô roi, accordez-moi, s’il vous plaît, ma propre vie pour laquelle je vous supplie, et celle de mon peuple, pour lequel j’intercède[3]. » Esther dévoile du même coup ses origines ainsi que la cruauté d’Aman. Ce dernier reste tout interdit. Quant au roi, irrité, il se lève et se rend dans les jardins pour réfléchir. Aman profite alors de l’instant pour se jeter aux pieds de la reine et la supplier de l’épargner. Le roi rentre et trouve Aman enserrant Esther. Pensant qu’il veut lui faire violence, Assuérus fait arrêter son ministre. La potence qui devait servir à pendre Mardochée (et qui se trouvait dans les jardins du ministre !) reçut le corps d’Aman.
Mardochée est nommé premier ministre. Le roi suspend le décret d’extermination, permettant même aux Juifs d’exterminer tout ceux qui voudraient attenter à leur vie. Une fête solennelle de trois jours est instituée pour le peuple élu en reconnaissance à Esther et au Dieu tout puissant et miséricordieux.On peut emprunter la conclusion de cette histoire (vraie) aux paroles que prête Racine au chœur de sa pièce : « Ô repos ! Ô tranquillité !/Ô d’un parfait bonheur assurance éternelle,/ Quand la suprême autorité/Dans ses conseils a toujours auprès d’elle,/ La justice, et la vérité ! »
Esther, figure de Marie
Nombreuses sont les femmes de l’Ancien Testament qui servent de figure à Notre Dame. Mais « à mesure que la procession s’avance, l’astre s’élève dans les cieux. » ainsi s’exprime le chanoine Boissonnot dans un très bel ouvrage[4].
Les voies divines
Esther est choisie parmi les jeunes vierges du royaume. Elle cache ses origines et comparaît devant le roi comme une simple servante sur laquelle Assuérus jette son dévolu parce qu’elle incarne la grâce et la beauté. Réalité bien plus admirable, Notre-Dame n’est pas seulement belle par son aspect. Son âme est pleine de grâce et de beauté spirituelles et Dieu jette son dévolu sur Marie qui se dit en toute vérité la servante du Seigneur. Comme Esther, elle deviendra reine.
La purification
Esther doit s’adresser au roi pour sauver son peuple. Elle sait qu’elle ne peut s’y rendre simplement. Il faut être agréé. Elle décide donc de jeûner trois jours. Ce jeûne signifie la purification nécessaire pour approcher de Dieu et toucher son cœur. La Vierge Marie n’aura pas besoin de jeûner pour être purifiée. En revanche, il lui faut être purifiée pour être auprès de son divin fils et sauver son peuple comme corédemptrice. C’est par son Immaculée Conception qui précède dans le temps tous les autres privilèges que Marie peut accéder à tant de faveurs divines.
La protection
Enfin, Esther convie le roi à un festin. Elle lui expose très simplement sa demande, ses origines, l’impiété de l’Amalécite Aman. Assuérus accède à toutes ses demandes. Esther est la libératrice du peuple élu, la salvatrice de cette race choisie pour accueillir le Messie. Ainsi tous ceux qui se confient à Marie deviennent intouchables. Ne dit-on pas que la vraie dévotion mariale est un signe de prédestination ? Notre-Dame sauve tous ceux pour qui elle intercède parce que son pouvoir sur le Roi des rois est incomparable.
Souvenez-vous qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection, imploré votre assistance ou réclamé vos suffrages ait été abandonné.
Abbé Gabriel Billecocq
Source : Le Chardonnet n° 367