Tout comme les ordres religieux sur lesquels ils s’enracinaient, les tiers-ordres se sont développés au cours des siècles, souvent en fonction des besoins spirituels propres à certaines époques.
Jésus, Marie et Joseph
Jésus, Marie et Joseph. La pluie vient d’en haut, et tout pousse vers le haut. S’enraciner dans le Christ pour monter vers le Christ. C’est à former des âmes désireuses de perfection qu’a visé le Sauveur. C’est par ces âmes qu’il est entré dans le monde, la Vierge Marie, et Joseph son père adoptif. Depuis dix-neuf siècles, l’humanité, à genoux devant ces langes, cette crèche, cette paille, y apprend à compter pour rien les biens faux et périssables, à monter toujours plus haut, vers les cimes de l’abnégation, du dévouement et du don de soi. Depuis dix-neuf siècles, à genoux devant ce petit enfant porté dans les bras d’une Vierge, elle en apprend la bonté, la douceur, l’humilité, la compassion, la pureté, toutes vertus qui naquirent alors à Bethléem et qui vivront jusqu’à la fin des siècles sans vieillir.
Dans l’humanité régénérée par le Christ, au sein même de la grande famille chrétienne, nombreuses sont ces âmes qui n’ont pas voulu laisser se perdre le magnifique appel du Maître : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Jour après jour, du fond même de leur faiblesse, elles ont laissé le Christ former en eux des cœurs nobles, chastes et dévoués, des âmes fortes et oublieuses d’elles-mêmes, des vies affranchies des vains plaisirs et victorieuses du mal. Ces âmes, rayonnantes, ont fécondé spirituellement la famille du Christ dont nous sommes membres, elles en sont les plus beaux joyaux. N’oublions jamais que les premières ne vécurent pas derrière les grilles d’un couvent, mais furent des laïcs : un père et une mère, Marie et Joseph.
Au cours des siècles, l’âge d’or des Tertiaires
Il n’en est pas moins vrai qu’au cours de l’histoire, les chrétiens assoiffées de Dieu surent demeurer plus près de leur pasteurs, et donc souvent autour des monastères. Ils y apprirent à vivre au rythme de l’âme monastique, tout en accomplissant les devoirs propres à leur état familial et social. Naissait ainsi lentement ce qui allait devenir les tiers-ordres. L’histoire témoigne d’associations de fidèles groupés autour des bénédictins (Xe siècle), ou encore des prémontrés (XIIe siècle). Mais c’est de saint François d’Assise que vint l’appellation « tiers-ordre ». Après avoir regroupé des hommes (1er ordre) puis des femmes (2ème ordre) menant la vie conventuelle sous la conduite des vœux solennels, il appela un troisième ordre, le « tiers-ordre », à savoir les laïques vivant dans le monde et désireux de servir Dieu d’une manière plus parfaite. C’est son institution qui, la première, a reçu l’approbation du Saint-Siège par la voix d’Innocent III en 1209.
Depuis, le droit canon de l’Eglise a donné une définition aussi simple que précise des tiers-ordres : « Les tertiaires séculiers sont ceux qui vivent dans le monde sous la direction d’un ordre religieux, d’après son esprit, en s’efforçant de tendre à la perfection chrétienne, selon les exigences de leur genre de vie, suivant les règles approuvées pour eux par le Saint-Siège. » Tout comme les ordres religieux sur lesquels ils s’enracinaient, ces tiers-ordres se développèrent au cours des siècles, souvent en fonction des besoins spirituels propres à certaines époques.
Le déclin des tiers-ordres
Persuadés de la force que représentaient ces tiers-ordres, les propagateurs du vent moderniste ne négligèrent pas de s’y attaquer, tel par exemple ce directeur spirituel de Namur, dont la grande revue ecclésiastique intitulée L’ami du clergé écrit en 1965 : « Le dessein de M. le chanoine Simonet, directeur spirituel au grand Séminaire de Namur, dans son volume, Saisi par la charité de Dieu, est de mettre en relief les trésors de sainteté contenus dans l’ordination sacerdotale… Naguère, les séminaristes étaient très encouragés à s’affilier à un tiers-ordre ou à un Institut sacerdotal pour y trouver un soutien de leur vie spirituelle et un gage de persévérance. Aujourd’hui le vent a tourné, au point que certains prêtres sont gênés de leur ancien titre de Tertiaires. »
Ce mouvement d’abandon des tiers-ordres toucha non seulement le clergé diocésain, mais plus encore les laïcs, premiers concernés par ces institutions. Ainsi, le tiers-ordre franciscain, qui en 1911 comptait quelque 3 000 000 de membres (rapport du VIIème Congrès diocésain de Paris), n’en dénombre plus que 350 000 en 1993[1], soit près de dix fois moins. Le même site internet n’hésite pas à écrire : « Aujourd’hui la tendance est de s’insérer dans le monde, pour y faire pénétrer l’Evangile, plutôt que de s’en séparer. Le concile de Vatican II ayant prôné la vocation propre des laïcs[2], le tiers-ordre franciscain est entré dans cette perspective et a pris le nom d’Ordre franciscain séculier (OFS). »
Le tiers-ordre de la Fraternité Saint-Pie X
Comme on le sait, c’est au sein de la débâcle généralisée que Mgr Lefebvre fonda les deux premiers ordres de la Fraternité Saint-Pie X : sa branche masculine et sa branche féminine. A l’un comme à l’autre, il ne donna d’autre but que le sacerdoce catholique. La question du tiers-ordre se posa bien vite, ainsi que le raconte Mgr Tissier de Mallerais [3].
Le 28 mai 1971, à Ecône, à la vigile de la Pentecôte, se présentent à Mgr Lefebvre quelques fidèles laïcs :
- Monseigneur, demandent-ils, n’avez-vous pas une sorte de tiers-ordre ? Les laïcs ne pourraient-ils pas se rattacher un peu à votre œuvre ?
- C’est vrai, il est inscrit dans les statuts que « La Fraternité accueille aussi des agrégés, prêtres ou laïcs, qui désirent collaborer au but de l’institut et profiter de ses grâces pour leur sanctification personnelle » [4]
- Alors, Monseigneur, il faut nous considérer comme vos premiers tertiaires.
- Bon ! Réfléchissez. Je n’ai rien réalisé encore à ce sujet, à part cette allusion dans les statuts. Laissez-moi souffler un peu !
Monseigneur Lefebvre va « souffler » dix ans. Cependant, dès 1973, le fondateur, jusque-là aidé dans la gestion par des économes spiritains frère Christian Winckler à Fribourg et le père Marcel Muller à Paris, songe à libérer ces dévoués bénévoles selon le souhait exprimé par leurs supérieurs. Dès lors dit-il, « un tiers-ordre de laïcs serait utile pour des tâches de ce genre ». Mais le but spirituel reste prioritaire : vivre de « notre spiritualité du saint sacrifice de la messe et d’immolation ; pénétrer toujours davantage dans ce grand mystère de notre foi, trésor du Cœur de Jésus, source de tout amour vrai et inaltérable. » Néanmoins, le tiers-ordre ne naît que le 29 janvier 1981, date à laquelle le conseil général de la Fraternité promulgue les règles rédigées par le fondateur en fin 1980. Depuis, les membres du tiers-ordre forment auprès des prieurés et maisons de la Fraternité comme une famille spirituelle, entraînante et dévouée.
Abbé Vincent Lethu
Source : L’Hermine n°32