« L’Enfant Jésus était oublié dans les cœurs de beaucoup ; François le ressuscita »[1].
Depuis son voyage en Terre Sainte et sa visite à Bethléem, François avait toujours eu un amour particulier pour la fête de Noël.
Une certaine année, cette fête tombant un vendredi, le frère Morico avait proposé aux frères que, pour ce motif, on s’abstînt de viande au repas de Noël. Mais François s’était écrié : « Lorsque c’est Noël, il n’y a point de vendredi ! Et si les murs pouvaient manger de la viande, on leur en donnerait, ce jour-là ! » Et souvent il disait, à ce propos : « Si je connaissais l’empereur, je lui demanderais que, ce jour-là, il fût enjoint à tous de répandre du grain pour les oiseaux ; et que chacun qui a des bêtes dans son étable, par amour pour l’Enfant-Jésus né dans une crèche, eût à leur donner, ce jour-là, une nourriture exceptionnellement abondante et bonne ! Et je voudrais que, ce jour-là, les riches reçussent à leur table tous les pauvres ! »
Or, l’année 1223, il fut donné à François de fêter la Noël d’une façon dont, jamais encore, le monde n’avait connu l’équivalent.
Il avait, à Greccio, un ami et bienfaiteur, messire Jean Vellita, qui lui avait fait cadeau, ainsi qu’à ses frères, d’un rocher entouré d’arbres, en face de la ville, pour qu’ils pussent s’y établir. François fit donc venir cet homme à Fonte-Colombo, et lui dit : « Je désire célébrer avec toi la sainte nuit de Noël ; et écoute un peu l’idée qui m’est venue ! Dans le bois, auprès de notre ermitage, tu trouveras une grotte, parmi les rochers ; là, tu installeras une crèche remplie de paille et de foin. Et il faudra qu’un bœuf et un âne se trouvent là, tout à fait comme à Bethléem. Car je veux, au moins une fois, fêter pour de bon l’arrivée du Fils de Dieu sur la terre, et voir, de mes propres yeux, combien il a voulu être pauvre et misérable, lorsqu’il est né par amour pour nous ! »
Jean Vellita prépara toutes choses d’après le désir de saint François, et, dans la nuit sainte, vers minuit, les frères arrivèrent à Fonte-Colombo et tous les habitants de la région accoururent en foule, pour assister à cette fête de Noël. Tous portaient des torches allumées, et, autour de la grotte, se tenaient les frères avec leurs cierges ; de telle sorte que le bois était tout clair, comme en plein jour, sous la voûte sombre des sapins.
La messe fut lue au-dessus de la crèche qui servait d’autel : afin que l’Enfant céleste, sous les formes du pain et du vin, fût présent en personne là, comme il avait été présent en personne dans la crèche de Bethléem. Et voici que, tout à coup, les assistants eurent l’impression très nette qu’ils voyaient un véritable enfant étendu dans la crèche, mais comme endormi ou mort ! Et voici que frère François s’approcha de l’enfant et le prit tendrement dans ses bras, et l’enfant s’éveilla, sourit au frère François, et, de ses petites mains, caressa ses joues semées de barbe, et le bord de sa grosse robe grise ! Cette apparition n’étonna point messire Vellita, qui comprit que Jésus, qui semblait mort, ou, tout au moins, endormi dans bien des cœurs, le frère François, envoyé divin, l’y avait réveillé ou ressuscité, aussi bien par ses paroles que par ses exemples.
Et voici encore ceci : après qu’on eût chanté l’Evangile, frère François s’avança, en robe de diacre. « Soupirant profondément, accablé sous la plénitude de sa piété et débordant aussi d’une joie merveilleuse, le saint de Dieu vint se placer auprès de la crèche ». Et sa voix, forte et douce, sa voix claire et mélodieuse exhorta tous les assistants à chercher le souverain Bien.
Frère François prêche sur Jésus-Enfant, « avec des mots d’où jaillit la suavité. Il parle du pauvre roi, le Seigneur Jésus, qui a daigné naître en cette nuit, dans la ville de David. Et, chaque fois qu’il se trouve avoir à prononcer le nom de Jésus, voici qu’il est enflammé du feu de son cœur, et que, au lieu de prononcer ce nom, il dit « l’Enfant de Bethléem !” Et ce mot de Bethléem, il l’énonce d’une voix comme celle d’un petit agneau qui bêle ; et, quand il l’a énoncé, il laisse sa langue glisser sur ses lèvres, comme pour savourer la douceur que ce nom y a laissée en les franchissant. »
Ce n’est que très tard que s’acheva cette veillée sainte, et chacun s’en retourna chez lui, le cœur rempli de joie.
Source : Johannes Joergensen, Saint François d’Assise /Le petit écho de Notre Dame n°47.
- Thomas de Celano, Vie de Saint François.[↩]