Chronique scoute.
Le titre de cet article pourra en surprendre plus d’un. Enfants comme parents se tournent rarement vers le Scoutisme pour y trouver une école de contemplation, mais bien plutôt un exutoire pour canaliser l’enthousiasme débordant de notre jeunesse… Et ils n’ont pas tort : seul le sport peut rivaliser avec la Méthode à cet égard. Elle cherche bel et bien à former des adultes adroits, travailleurs, ardents ; elle initie à l’activité manuelle aussi bien qu’à l’exercice de l’autorité ; elle favorise en un mot les vertus actives plutôt que les qualités passives qui relèveraient de la contemplation. Certes. Mais ces vertus n’y ont-elles aucun rôle ?
Tout d’abord l’examen de la pensée du fondateur révèle une place très importante laissée à l’observation. De ses années de brousse et d’espionnage, B‑P a tiré personnellement une extraordinaire capacité à relever les plus petits détails, depuis ses croquis sur la faune dans le maquis entourant son école jusqu’à l’appréciation du caractère d’un inconnu en fonction de son allure et de sa démarche – ce qui fut du reste à l’origine de son propre mariage… B‑P reste intarissable dans ses œuvres sur cette capacité à rester aux aguets, à se laisser enseigner par l’environnement, à exercer sa mémoire à retenir d’infimes renseignements. Que l’on se rappelle, évidemment, l’exemple de Kim, sans cesse proposé, et bien sûr le jeu du même nom, incontournable même pour les plus jeunes.
La contemplation commence par cela : non pas une fermeture sur soi-même, une continuelle observation de son nombril, mais une ouverture à l’extérieur, pour se laisser emplir de tout ce que le monde a à nous apprendre… Ainsi, l’un des fondamentaux du camp n’est autre que l’Exploration, qui n’est pas une promenade touristique mais une véritable découverte de la région, de ses habitants, de ses ressources, de ses activités, de son architecture. Combien de rapports d’Explo se contentent d’une chronique de marche illustrée des blagues diverses du boute-en-train… ! A nous, les Chefs, d’apprendre à apprendre, à « ouvrir les yeux et les oreilles » comme le dit si bien la Loi de la Meute.
D’autant plus qu’elle n’est pas la seule ! « Le Scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu ». Cet article doit nous rappeler que l’observation n’est pas facultative, en même temps qu’il nous en donne l’esprit. Si l’on observe, c’est pour s’ouvrir à l’empreinte de l’Amour divin dans sa Création, et donc y répondre avec joie et reconnaissance. Et c’est là le vrai sens de cet esprit d’observation : « Malheur à la connaissance qui ne se tourne pas à aimer » disait Bossuet. Le chemin vers le Créateur, c’est forcément la Création. Nous ne cherchons pas à former des biologistes ou des géographes, mais des chrétiens – et cela ne peut se faire sans un minimum de contemplation.
C’est pourquoi les activités de camp tournées vers la méditation ne sont pas superflues. Il n’est pas toujours possible de proposer à tous une méditation dirigée par le prêtre avant la Messe. En revanche, la veille de nuit doit faire partie du programme – en trouvant un juste équilibre entre un rythme épuisant pour les Patrouillards et une absence totale de veille sous prétexte de ne pas les fatiguer. Le simple fait de se retrouver seul, face à Dieu, dans le mystère de la nuit, peut vraiment changer le regard que l’on porte sur la prière ou sur le contact avec notre Père du Ciel. C’est souvent une découverte complète pour des adolescents pour qui la prière se résume à quelques pratiques quotidiennes et la Messe du dimanche. Bien sûr, l’aumônier ou au besoin les chefs donneront un thème de méditation, si possible agrémenté de textes, et ils exigeront une méditation écrite. Même si celle-ci ne rivalisera pas avec les envolées mystiques de saint Jean de la Croix, elle permettra au moins de s’assurer que le veilleur n’a pas dormi au pied d’un arbre… Elle constitue surtout pour l’aumônier un précieux repère pour évaluer la vie spirituelle de ses ouailles et sa progression d’une année à l’autre.
Toutefois, on peut aller encore plus loin, et se demander si l’esprit de contemplation n’imprègne pas la vie scoute tout entière. C’est le sens profond de la Devise, et sa résonance particulière pour un chrétien : « Toujours prêt » ne fait-il pas écho à la parole de Notre-Seigneur : « Ayez les reins ceints et vos lampes allumées » ? Les disciples de Jésus-Christ doivent être disponibles, attentifs, prêts à se mettre en marche au moindre signal du Maître. « Heureux ces serviteurs que le Maître trouvera veillant ». Heureux le Scout qui saura voir dans la simple leçon de sagesse naturelle de B‑P une vérité combien plus profonde, une loi de vie chrétienne.
Car en somme être prêt, c’est justement appliquer l’observation à notre quotidien. Comment être disponible, si l’on n’est pas sans cesse attentif, ouvert à son environnement, à l’écoute de notre prochain pour le servir ? Et, au plan surnaturel, l’attention du cœur à la volonté de Dieu est la suite immédiate de la charité.
C’est ainsi que le Scoutisme nous aide à résoudre le problème permanent de l’équilibre entre contemplation et action. Si nous sommes tentés de les opposer, comme nous le disions au début, c’est que nous ne voyons pas bien leur cohérence, leur ordre nécessaire. La méthode scoute nous aide à réaliser qu’il n’y a pas d’action efficace et profonde sans contemplation. Et cette vérité naturelle est encore plus juste de la vie surnaturelle. Sans prière, sans union à Dieu, pas de vraie charité, pas d’œuvre vraiment imprégnée d’esprit chrétien et de la grâce de Notre-Seigneur qui vient transfigurer nos moindres actions. C’est ainsi que sainte Thérèse d’Avila, grande mystique, fut par conséquent l’infatigable réformatrice d’innombrable couvents d’Espagne et d’ailleurs… S’il y a donc une vérité à faire saisir à la jeunesse qui nous est confiée, c’est donc bien cet équilibre, cette règle de vie qui nous ouvre aux messages permanents de la Providence. Pour être bien réalisée, une tente surélevée devra être longuement pensée : de même, pour que notre vie chrétienne soit féconde, elle devra nécessairement s’enraciner dans la prière, dans le simple regard des enfants de Dieu vers leur Père.
Source : Sachem, la revue des Aînés des Scouts de Doran. Le District de France assure l’aumônerie de divers mouvements scouts.