Toi qui viens d’accéder à la Route ou au Feu, tu viens d’atteindre une nouvelle étape de ton chemin. Il est loin déjà le temps où tes parents devaient te maintenir debout pour t’apprendre à marcher. Tu as fait tes premiers pas au sein de la Meute, serré de près par les cheftaines. Tu as allongé le pas dans la Patrouille, où l’on t’a fait confiance pour tracer la voie, pour mener le groupe, pour franchir des étapes plus longues. Tu as découvert les longues journées de marche en pèlerinage, en explo, en grand jeu, en raid, ou tout simplement en randonnée. Rien de tel que quelques heures au grand air, à suivre les infinis sentiers des pays perdus, pour se sortir de la grisaille du béton et de la paresse de la voiture, pour se retrouver vraiment avec soi-même. Cette route, tu es désormais prêt à la suivre par toi-même, après toutes ces années d’apprentissage qui t’ont rendu autonome. C’est pourquoi la Route t’engage à apprendre désormais à marcher sans avoir besoin de l’aide du groupe, du chef, à savoir te retrouver avec toi-même, à mieux te connaître pour mieux avancer.
Tu le sais bien, la route (sans majuscule cette fois !) est bien plus agréable lorsqu’on avance ensemble. Comment oublier le soleil qui cogne, le vent qui gifle, le froid qui mord, la pluie qui trempe, les pieds qui souffrent, sinon en prenant garde au compagnon qui les affronte avec toi ? Combien de fois as-tu oublié les heures, simplement en parlant avec lui ?
La route a déjà dû te l’apprendre : on ne marche pas seul comme on marche à deux. Il faut accorder son pas, il faut prendre garde à celui qui ralentit, il faut savoir reconnaître la fatigue. Il faut s’accorder sur l’itinéraire, décider qui tient la carte, oser demander un conseil ou une pause… Tu n’apprendras pas dans les livres comment on décide ensemble. Il te faudra bien des discussions, bien des hésitations, et bien des fausses routes pour y arriver.
Commence par apprendre à écouter. Quelle meilleure occasion que la marche, pour découvrir chez les autres ce qu’ils pensent vraiment, ce qu’ils sont réellement ? On est bien plus « vrai » avec une quinzaine de kilomètres dans les jambes que confortablement installé chez soi, à fignoler sur les prétendus réseaux sociaux l’image que l’on veut donner de soi-même… et qui n’a souvent pas grand-chose à voir avec la réalité. On ouvre mieux son âme lorsqu’on est côte à côte sur un étroit sentier que dissimulé derrière ce qui s’appelle précisément un écran. Et on n’a pas besoin de passer par un téléphone et je ne sais combien de satellites et de relais pour se parler en toute franchise. La marche oblige à reprendre son souffle… et donc à garder des instants de silence, pour écouter.
Pas de contemplation sans silence, pas de vraie connaissance de soi sans ce silence qu’il est bien difficile de trouver ailleurs qu’au fond des bois… Apprends à écouter le silence, et apprends à écouter ceux qui ne parlent pas, qui ont du mal à se livrer. Peut-être même en fais-tu partie ? Alors, va marcher à deux. Tu apprendras aussi à parler. Combien de taiseux se sont découverts intarissables lorsqu’une oreille généreuse a pris la peine de les écouter ! Et quelle meilleure occasion qu’une bonne dose de kilomètres sur nos chemins de France. Viens marcher à deux ! Tu découvriras deux âmes.
Car découvrir l’autre, c’est se découvrir soi-même, comme dans un miroir déformant où l’on reconnaît les points communs et les différences. Notre âme est profonde, ce n’est pas trop de l’enfance et de l’adolescence pour bien l’explorer. A l’orée de l’âge adulte, tu dois désormais être conscient de ce que tu veux, de ce que tu peux, de ce que tu sais. Tu vas avoir des décisions à prendre qui engageront toute ta vie : c’est le moment ou jamais de savoir où se trouvent tes limites. Et tu n’y arriveras pas seul… Il te faudra un regard extérieur, qui t’ouvre les yeux sur ce que tu ne vois plus à force d’habitude, de résignation, ou même de déni de tes propres qualités et défauts. Viens sur la route ! Et frotte-toi à d’autres âmes, pour mieux te préparer à découvrir celle que le bon Dieu te destine.
Tu le sais bien, la route est une belle image de la vie. Toutes deux se conçoivent volontiers sans fin, mais nous savons bien que chaque pas, chaque minute nous rapprochent du terme. Ce terme qu’on peut craindre ou espérer, ce but qui donne sens à tous les efforts. Tu as la chance de savoir pourquoi tu es sur terre, pour aller au Ciel. C’est la vraie route, la seule qui compte. Et tu dois savoir que tu n’es pas seul à l’emprunter. Peut-être un jour la parcourras-tu à deux. Comme sur nos sentiers de France, c’est parfois plus exigeant, mais c’est aussi bien plus rassurant que tout seul. Nous avons nos faiblesses, nos moments de fatigue, de grogne, de découragement. C’est à ce moment qu’on se rend compte qu’on ne fait rien tout seul, qu’on a toujours besoin d’une main qui se pose sur l’épaule, d’un mot qui requinque, d’un sourire qui fait voir le bon côté de nos misères. Tu n’es pas seul sur la route. L’humilité de le reconnaître est l’un des plus grands pas vers le but. C’est aussi pour cela que nous devons marcher avec joie : parce que nous soutenons et nous sommes soutenus, parce que nous avons appris à mériter confiance, et que sans confiance il n’est pas de compagnie qui tienne plus de quelques pas. Tu le sais bien depuis toutes les marches sous la pluie où tu as dû réconforter tout le monde – ou bien te laisser réconforter toi-même – il y a des moments où il faut être joyeux pour les autres, même s’il faut se forcer quelque peu. Ce n’est pas de la simulation, c’est de la charité. Et tu l’as promis après tout : “Le Scout sourit et chante dans les difficultés”…
Sur la route tu apprendras à penser pour deux, comme tu as pensé pour toute la patrouille du temps où tu étais CP… Si le scoutisme ne t’a pas donné le sens du service, ne t’a pas appris à “être généreux”, alors à quoi ces années t’ont-elles servi ? Ne sois pas consommateur, mais pense d’abord à donner sans compter, c’est la meilleure méthode pour recevoir bien plus de ceux pour qui tu l’auras fait. C’est la grande leçon de la charité chrétienne : ne pas penser au profit pour être toujours satisfait.
Bien sûr, la route est parfois traîtresse. Tu le connais, cet embranchement qui n’est pas sur la carte et qui déclenche d’interminables discussions. A gauche ou à droite ? Souvent la bonne direction importe moins que la façon de choisir. Il y a des fausses routes qui nous en apprennent long sur notre patience, sur notre capacité à rire de nos erreurs, à pardonner aussi, pour reprendre le bon chemin le sourire aux lèvres et toute rancœur gisant dans le fossé. Tu dois comprendre que se tromper ensemble vaut parfois mieux que d’avoir raison contre l’autre. Tu n’y parviendras pas sans une bonne dose de carrefours perfides affrontés ensemble et non en concurrence.
Encore une fois, cette métaphore de la route ne doit pas rester théorique. Tu dois comprendre que chacune de tes activités au sein du Clan ou du Feu te prépare à ta vie d’adulte, que la Route a autant à t’apprendre que la route. Le chemin est long, mais tu as pour le parcourir le formidable appui du Scoutisme. Mériter confiance est un mot d’ordre plus que primordial pour affronter la vie en société… et la vie dans un foyer à plus forte raison. Si tu sais y mettre cet esprit de franchise, de dévouement et de pureté, alors tu sauras faire route à deux vers la destination ultime, le vrai bout du chemin. “S’il plaît à Dieu, toujours”: la Promesse est valable pour toute notre vie. Elle doit aussi t’aider dans cette formidable aventure du mariage, dans cette ascension à deux vers le Ciel.
Source : Sachem, avril 2019.