Faire route ensemble

Tourisme dans la région de l'Erg Ubari en Libye.

Toi qui viens d’accéder à la Route ou au Feu, tu viens d’atteindre une nou­velle étape de ton che­min. Il est loin déjà le temps où tes parents devaient te main­te­nir debout pour t’apprendre à mar­cher. Tu as fait tes pre­miers pas au sein de la Meute, ser­ré de près par les chef­taines. Tu as allon­gé le pas dans la Patrouille, où l’on t’a fait confiance pour tra­cer la voie, pour mener le groupe, pour fran­chir des étapes plus longues. Tu as décou­vert les longues jour­nées de marche en pèle­ri­nage, en explo, en grand jeu, en raid, ou tout sim­ple­ment en ran­don­née. Rien de tel que quelques heures au grand air, à suivre les infi­nis sen­tiers des pays per­dus, pour se sor­tir de la gri­saille du béton et de la paresse de la voi­ture, pour se retrou­ver vrai­ment avec soi-​même. Cette route, tu es désor­mais prêt à la suivre par toi-​même, après toutes ces années d’apprentissage qui t’ont ren­du auto­nome. C’est pour­quoi la Route t’engage à apprendre désor­mais à mar­cher sans avoir besoin de l’aide du groupe, du chef, à savoir te retrou­ver avec toi-​même, à mieux te connaître pour mieux avancer. 

Mais la Route ne cherche pas à faire de toi un ermite, un soli­taire, un égoïste au fond qui pré­tend se suf­fire à lui-​même et n’avoir jamais besoin d’une main ten­due. C’est pour­quoi il te faut aus­si apprendre à mar­cher à deux. 

Tu le sais bien, la route (sans majus­cule cette fois !) est bien plus agréable lorsqu’on avance ensemble. Comment oublier le soleil qui cogne, le vent qui gifle, le froid qui mord, la pluie qui trempe, les pieds qui souffrent, sinon en pre­nant garde au com­pa­gnon qui les affronte avec toi ? Combien de fois as-​tu oublié les heures, sim­ple­ment en par­lant avec lui ? 

La route a déjà dû te l’apprendre : on ne marche pas seul comme on marche à deux. Il faut accor­der son pas, il faut prendre garde à celui qui ralen­tit, il faut savoir recon­naître la fatigue. Il faut s’accorder sur l’itinéraire, déci­der qui tient la carte, oser deman­der un conseil ou une pause… Tu n’apprendras pas dans les livres com­ment on décide ensemble. Il te fau­dra bien des dis­cus­sions, bien des hési­ta­tions, et bien des fausses routes pour y arriver. 

Commence par apprendre à écou­ter. Quelle meilleure occa­sion que la marche, pour décou­vrir chez les autres ce qu’ils pensent vrai­ment, ce qu’ils sont réel­le­ment ? On est bien plus « vrai » avec une quin­zaine de kilo­mètres dans les jambes que confor­ta­ble­ment ins­tal­lé chez soi, à figno­ler sur les pré­ten­dus réseaux sociaux l’image que l’on veut don­ner de soi-​même… et qui n’a sou­vent pas grand-​chose à voir avec la réa­li­té. On ouvre mieux son âme lorsqu’on est côte à côte sur un étroit sen­tier que dis­si­mu­lé der­rière ce qui s’appelle pré­ci­sé­ment un écran. Et on n’a pas besoin de pas­ser par un télé­phone et je ne sais com­bien de satel­lites et de relais pour se par­ler en toute fran­chise. La marche oblige à reprendre son souffle… et donc à gar­der des ins­tants de silence, pour écouter. 

Pas de contem­pla­tion sans silence, pas de vraie connais­sance de soi sans ce silence qu’il est bien dif­fi­cile de trou­ver ailleurs qu’au fond des bois… Apprends à écou­ter le silence, et apprends à écou­ter ceux qui ne parlent pas, qui ont du mal à se livrer. Peut-​être même en fais-​tu par­tie ? Alors, va mar­cher à deux. Tu appren­dras aus­si à par­ler. Combien de tai­seux se sont décou­verts inta­ris­sables lorsqu’une oreille géné­reuse a pris la peine de les écou­ter ! Et quelle meilleure occa­sion qu’une bonne dose de kilo­mètres sur nos che­mins de France. Viens mar­cher à deux ! Tu décou­vri­ras deux âmes. 

Car décou­vrir l’autre, c’est se décou­vrir soi-​même, comme dans un miroir défor­mant où l’on recon­naît les points com­muns et les dif­fé­rences. Notre âme est pro­fonde, ce n’est pas trop de l’enfance et de l’adolescence pour bien l’explorer. A l’orée de l’âge adulte, tu dois désor­mais être conscient de ce que tu veux, de ce que tu peux, de ce que tu sais. Tu vas avoir des déci­sions à prendre qui enga­ge­ront toute ta vie : c’est le moment ou jamais de savoir où se trouvent tes limites. Et tu n’y arri­ve­ras pas seul… Il te fau­dra un regard exté­rieur, qui t’ouvre les yeux sur ce que tu ne vois plus à force d’habitude, de rési­gna­tion, ou même de déni de tes propres qua­li­tés et défauts. Viens sur la route ! Et frotte-​toi à d’autres âmes, pour mieux te pré­pa­rer à décou­vrir celle que le bon Dieu te destine. 

Tu le sais bien, la route est une belle image de la vie. Toutes deux se conçoivent volon­tiers sans fin, mais nous savons bien que chaque pas, chaque minute nous rap­prochent du terme. Ce terme qu’on peut craindre ou espé­rer, ce but qui donne sens à tous les efforts. Tu as la chance de savoir pour­quoi tu es sur terre, pour aller au Ciel. C’est la vraie route, la seule qui compte. Et tu dois savoir que tu n’es pas seul à l’emprunter. Peut-​être un jour la parcourras-​tu à deux. Comme sur nos sen­tiers de France, c’est par­fois plus exi­geant, mais c’est aus­si bien plus ras­su­rant que tout seul. Nous avons nos fai­blesses, nos moments de fatigue, de grogne, de décou­ra­ge­ment. C’est à ce moment qu’on se rend compte qu’on ne fait rien tout seul, qu’on a tou­jours besoin d’une main qui se pose sur l’épaule, d’un mot qui requinque, d’un sou­rire qui fait voir le bon côté de nos misères. Tu n’es pas seul sur la route. L’humilité de le recon­naître est l’un des plus grands pas vers le but. C’est aus­si pour cela que nous devons mar­cher avec joie : parce que nous sou­te­nons et nous sommes sou­te­nus, parce que nous avons appris à méri­ter confiance, et que sans confiance il n’est pas de com­pa­gnie qui tienne plus de quelques pas. Tu le sais bien depuis toutes les marches sous la pluie où tu as dû récon­for­ter tout le monde – ou bien te lais­ser récon­for­ter toi-​même – il y a des moments où il faut être joyeux pour les autres, même s’il faut se for­cer quelque peu. Ce n’est pas de la simu­la­tion, c’est de la cha­ri­té. Et tu l’as pro­mis après tout : “Le Scout sou­rit et chante dans les difficultés”… 

La condi­tion néces­saire pour cette entraide de chaque ins­tant, c’est de ne pas pen­ser qu’à soi. 

Sur la route tu appren­dras à pen­ser pour deux, comme tu as pen­sé pour toute la patrouille du temps où tu étais CP… Si le scou­tisme ne t’a pas don­né le sens du ser­vice, ne t’a pas appris à “être géné­reux”, alors à quoi ces années t’ont-elles ser­vi ? Ne sois pas consom­ma­teur, mais pense d’abord à don­ner sans comp­ter, c’est la meilleure méthode pour rece­voir bien plus de ceux pour qui tu l’auras fait. C’est la grande leçon de la cha­ri­té chré­tienne : ne pas pen­ser au pro­fit pour être tou­jours satisfait. 

Bien sûr, la route est par­fois traî­tresse. Tu le connais, cet embran­che­ment qui n’est pas sur la carte et qui déclenche d’interminables dis­cus­sions. A gauche ou à droite ? Souvent la bonne direc­tion importe moins que la façon de choi­sir. Il y a des fausses routes qui nous en apprennent long sur notre patience, sur notre capa­ci­té à rire de nos erreurs, à par­don­ner aus­si, pour reprendre le bon che­min le sou­rire aux lèvres et toute ran­cœur gisant dans le fos­sé. Tu dois com­prendre que se trom­per ensemble vaut par­fois mieux que d’avoir rai­son contre l’autre. Tu n’y par­vien­dras pas sans une bonne dose de car­re­fours per­fides affron­tés ensemble et non en concurrence. 

Encore une fois, cette méta­phore de la route ne doit pas res­ter théo­rique. Tu dois com­prendre que cha­cune de tes acti­vi­tés au sein du Clan ou du Feu te pré­pare à ta vie d’adulte, que la Route a autant à t’apprendre que la route. Le che­min est long, mais tu as pour le par­cou­rir le for­mi­dable appui du Scoutisme. Mériter confiance est un mot d’ordre plus que pri­mor­dial pour affron­ter la vie en socié­té… et la vie dans un foyer à plus forte rai­son. Si tu sais y mettre cet esprit de fran­chise, de dévoue­ment et de pure­té, alors tu sau­ras faire route à deux vers la des­ti­na­tion ultime, le vrai bout du che­min. “S’il plaît à Dieu, tou­jours”: la Promesse est valable pour toute notre vie. Elle doit aus­si t’aider dans cette for­mi­dable aven­ture du mariage, dans cette ascen­sion à deux vers le Ciel. 

Source : Sachem, avril 2019.