L’omniprésence de Dieu

Sœur Élisabeth était for­te­ment occu­pée, de par sa charge de la robe­rie. Était-​ce au point de perdre l’union à Dieu, d’oublier sa présence ?

Un moyen de sanc­ti­fi­ca­tion consiste à pen­ser davan­tage à la pré­sence de Dieu en tout lieu. Dieu est en effet omni­pré­sent. Le pro­phète Daniel le contemple tout à la fois au fond des océans et au plus haut des cieux : Tu es béni, Seigneur, toi qui scrutes les abîmes et qui sièges sur les ché­ru­bins (Dn 3, 55). 

Une réalité

Dieu, enseigne saint Thomas, est pré­sent en tout par essence, par pré­sence, par puis­sance (Ia, q. 7, a. 3). Par essence d’abord : Dieu est en effet la cause pre­mière de tout ce qui existe ; Il est le prin­cipe de l’être de chaque chose ; Il l’est, non seule­ment au moment où Il la crée, mais aus­si long­temps qu’Il la conserve. Dieu est ain­si pré­sent dans l’univers entier et dans cha­cune de ses par­ties, comme l’âme se trouve dans tout le corps. 

Dieu est ensuite pré­sent en tout par pré­sence. Un homme qui dort ou un homme dis­trait sont bien dans un lieu par essence ; ils n’y sont point par pré­sence, car ils ne prennent pas garde à ce qui s’y passe. Dieu, au contraire, pénètre jusqu’au plus intime de nos cœurs, sans que rien puisse lui être caché. L’Ecclésiastique fait dire au pécheur : Qui me voit ? Les ténèbres m’environnent, les murailles me cachent, et per­sonne ne me dis­cerne : qui ai-​je à craindre ? Le Très Haut ne se sou­vien­dra point de mes crimes. Mais ce même livre saint com­mente aus­si­tôt : Il n’a pas su que les yeux du Seigneur sont beau­coup plus lumi­neux que le soleil, qu’ils connaissent toutes les voies des hommes, qu’ils pénètrent la pro­fon­deur de l’abîme et les cœurs des hommes jusque dans leurs replis cachés (Si 23, 25–28).

Enfin, Dieu se trouve en toutes choses par puis­sance. Car rien ne se fait sans Lui, rien ne se pro­duit sans sa per­mis­sion, rien ne se dérobe à sa jus­tice. Saint Grégoire le Grand explique : Celui qui régit les choses les plus hautes ne délaisse point les plus basses ; Il se livre en effet aux pre­mières, sans que cepen­dant le sou­ci de les bien diri­ger l’empêche de pen­ser aux secondes. 

Un moyen efficace d’avancer dans les voies intérieures

Les auteurs spi­ri­tuels enseignent que le sou­ve­nir fré­quent de cette triple pré­sence de Dieu est un moyen extrê­me­ment effi­cace d’avancer dans les voies inté­rieures. C’est en rai­son de l’omniprésence de Dieu que saint Benoît donne à ses moines ce célèbre ins­tru­ment de per­fec­tion : Tenir pour chose assu­rée que Dieu nous voit en tout lieu. Non seule­ment cette consi­dé­ra­tion garde du péché, mais elle consti­tue un sti­mu­lant éner­gique pour la pra­tique des ver­tus. Dom Jean de Monléon en tire une très belle conclu­sion : Les Pères ont remar­qué que, dans la nature, une chose est d’autant plus par­faite qu’elle se tient plus près de son prin­cipe : l’eau est plus lim­pide près de la source, la lumière plus vive près de la flamme, la cha­leur plus forte près du foyer ; la branche ne porte de fruits que si elle est unie au tronc. Ainsi l’âme qui veut être pure de toute souillure, éclai­rée de la doc­trine céleste, chaude d’amour, féconde en bonnes œuvres, doit s’attacher à res­ter près de Dieu. Plus elle demeu­re­ra unie, par ses pen­sées, ses aspi­ra­tions, ses dési­rs, à Celui qui est son prin­cipe, plus elle s’allégera, s’élèvera, se déi­fie­ra en quelque sorte, et se pré­pa­re­ra à pos­sé­der plei­ne­ment, dans la vision béa­ti­fique, Celui dont ni le ciel ni la terre ne peuvent conte­nir l’immensité.

Dieu se donne

Mais il existe une pré­sence divine bien plus belle encore, d’un ordre bien supé­rieur : l’inhabitation de la sainte Trinité dans l’âme ornée de la grâce sanc­ti­fiante : Dieu n’est pas seule­ment dans les cieux, explique sainte Thérèse d’Avila, mais au plus intime de notre âme, où il faut savoir se recueillir pour le cher­cher et l’y décou­vrir. Notre Seigneur l’avait en effet pro­mis : Si quelqu’un m’aime, il gar­de­ra ma parole et mon Père l’aimera et nous vien­drons en lui, et nous ferons en lui notre demeure (Jn 14, 23). 

Par la grâce, Dieu se donne d’abord à nous comme un Père très aimant et très dévoué. La grâce fait de nous les enfants adop­tifs de Dieu. Cette filia­tion n’est pas une fic­tion mais une magni­fique réa­li­té ; nous par­ti­ci­pons à la vie de Dieu. Le Père nous aime comme ses enfants, le Fils nous traite comme ses frères, le Saint-​Esprit nous donne et ses dons et sa Personne. 

Toujours par la grâce, Dieu se donne encore comme un ami. Notre Seigneur l’affirmait clai­re­ment au soir du Jeudi saint : Je ne vous appel­le­rai plus ser­vi­teurs, parce que le ser­vi­teur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appe­lés amis, parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître (Jn 15, 15). À la rela­tion père-​fils, l’amitié ajoute donc une cer­taine éga­li­té, qui entraîne les plus douces com­mu­ni­ca­tions. D’où le mot de l’imitation de Jésus-​Christ : Dieu visite sou­vent l’homme inté­rieur, se com­mu­nique à lui, le comble de ses conso­la­tions, lui donne sa paix, et le traite avec une fami­lia­ri­té vrai­ment admirable. 

Dieu se donne encore à nous comme un puis­sant col­la­bo­ra­teur. Pour culti­ver la vie sur­na­tu­relle en nos âmes, Il col­la­bore avec nous par les grâces actuelles qui éclairent notre intel­li­gence et for­ti­fient notre volon­té. Cet aspect de la pré­sence de Dieu nous fait dire avec saint Paul : Je puis tout en celui qui me for­ti­fie (Ph 4, 13). 

Enfin, Dieu se donne comme un sanc­ti­fi­ca­teur. En venant habi­ter notre âme, Il la trans­forme en un temple saint orné de toutes les ver­tus. L’adorable Trinité, vivant et agis­sant en nous, est le prin­cipe de notre sanc­ti­fi­ca­tion, la source de notre vie inté­rieure. La vie chré­tienne consiste avant tout dans une union intime, affec­tueuse, sanc­ti­fiante, avec les trois Personnes divines.

S’exercer à la présence de Dieu

Il importe donc de s’exercer à cette si riche pré­sence de Dieu. Sœur Élisabeth de la Trinité peut y aider gran­de­ment. Cette car­mé­lite du début du 20e siècle a été sub­ju­guée par la pré­sence de la sainte Trinité dans l’âme bap­ti­sée en état de grâce. Elle nous invite à par­ta­ger cette pré­sence : Dieu veut que […] vous quit­tiez toute pré­oc­cu­pa­tion pour vous reti­rer en cette soli­tude qu’Il se choi­sit au fond de votre cœur. Il est tou­jours là, encore que vous ne le sen­tiez pas ; Il vous attend et veut éta­blir en vous un admi­rable com­merce. […]C’est Lui qui, par ce contact conti­nuel, veut vous déli­vrer de vos infir­mi­tés et de vos fautes, de tout ce qui vous trouble. 

Penser à la pré­sence de Dieu dans la jour­née, au milieu de nos occu­pa­tions, peut paraître bien dif­fi­cile. Aussi la car­mé­lite de Dijon invite-​t-​elle à poser des petits actes de recueille­ment, qu’il s’agisse d’une très courte prière, ou encore d’un petit signe défi­ni par nous-​mêmes pour se sou­ve­nir de cette pré­sence, tel que ser­rer sim­ple­ment son cha­pe­let dans sa poche. Cela suf­fit, explique-​t-​elle, pour mon­trer à Dieu qu’on pense à Lui, qu’on l’aime ; Il nous aide­ra à vivre en sa présence. 

Sœur Élisabeth était for­te­ment occu­pée, de par sa charge de la robe­rie. Était-​ce au point de perdre l’union à Dieu, d’oublier sa pré­sence ? Elle explique que, mal­gré le poids du tra­vail, elle ne s’empressa pas et expé­ri­men­ta « de vrais petits miracles » : elle voyait son ouvrage avan­cer d’autant plus que son union à Dieu était plus intime ! 

L’exemple de sœur Élisabeth a entraî­né de nom­breuses âmes à vivre en pré­sence de la sainte Trinité. Le car­mel de Dijon a reçu beau­coup de cour­rier d’âmes recon­nais­santes. D’un hôpi­tal, où la souf­france la tient dans l’isolement, une jeune fille écrit : Cette vie ‘’du dedans‘’ avec l’Hôte divin qui y habite m’attire beau­coup. Depuis neuf mois, je suis à l’hôpital, immo­bi­li­sée ; la sen­sa­tion de l’isolement se fait sen­tir par­fois, mais je sais […] par la foi que je ne suis pas seule, que mon âme est un sanc­tuaire, un Ciel. La sainte Trinité y vit d’une manière mys­té­rieuse et cachée, mais réelle. Alors, com­ment ne pas être vrai­ment heu­reuse et oublier tout le reste ? Pauvre petit néant, je ne puis qu’être contente, me réjouir et bénir ce Dieu si bon qui vit en moi. Ce dedans, cette pré­sence divine, com­bien l’ignorent ! Quelle conso­la­tion cela leur serait ! Il est tou­jours là ; il est avec moi, en moi ; nulle part il ne se trouve plus près de moi que dans mon cœur. 

Que Notre Dame, qui a médi­té toutes ces choses dans son cœur, nous aide à vivre en pré­sence de Dieu, pour sa plus grande gloire et le salut de notre âme.

Abbé Vincent Grave

Illustration : Dieu le Père par le Guerchin – Wikimedia commons

Source : Lou Pescadou n° 212